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admin4583

L’inutilité économique d’une constitution européenne

By Article de presse

L’actuel débat sur l’adoption ou le refus de la « constitution européenne » par les Français repose sur la question de savoir si nous aurions intérêt ou non à limiter par le moyen juridique les dérives et excès de la mondialisation économique. Si la question nous paraît parfaitement légitime, l’idée de remédier par le droit au « dumping social » et autres délocalisations que nous impose le marché mondial nous semble dépassé. Voilà en effet plus de vingt ans que l’internationalisation, puis la mondialisation économique ont implicitement, mais sûrement changé les bases théoriques du contrat social qui lie les citoyens à leurs Etats.

L’argument du changement a, en toutes circonstances, été celui de l’idée libérale. Mais cet argument s’est, au fil du « coup d’Etat économique », révélé n’être que prétexte. En effet, l’idée libérale, philosophie politique plutôt tempérée, s’est vue peu à peu travestie par un capitalisme mondialisé et surpuissant. Il faut dès lors prendre acte: il y a bien disjonction entre libéralisme et capitalisme, ce dernier devenant même fortement liberticide. Et dans cette logique, le politique a cédé, sommant l’Etat libéral de s’en tenir à ses prérogatives régaliennes. De ce mutisme d’Etat est né un « droit » nouveau structuré selon la loi de l’offre et de la demande du marché mondial. Dans cette perspective, se déclarer contre la constitution européenne  -qui n’est en réalité qu’un traité constitutionnel- consiste à croire que ce texte amendé résoudrait nos problèmes économiques. Bref, que le droit peut encore quelque chose pour nos intérêts nationaux.

Pour bien comprendre ce « coup d’Etat de l’économie sur le droit », il faut désormais bien distinguer droit économique et ce que nous appellerons normativité économique. Le droit économique est toujours un droit positif d’Etat que le politique a surtout utilisé pour développer les libertés économiques. Et c’est bien ce cadre juridique de la concurrence au maillage beaucoup trop large ou inexistant – aucun droit mondial de la concurrence dans les accords OMC – qui a engendré cette normativité économique, résultat d’un phénomène d’économicisation du droit et de juridicisation de l’économie. Or, cette normativité économique s’impose aujourd’hui sans l’aval du politique et des Etats, tout en étant pourtant contraignante comme un droit d’Etat. Ces normes économiques nous apparaissent ainsi sous forme de standards mondiaux techniques et financiers. Dès lors, un prix mondial s’établit par le marché plébiscitant telle technique en matière de téléphonie, d’informatique ou d’agriculture, de production d’aciers, de bois, etc.

Les souverainistes et autres partisans du « non » s’aperçoivent en réalité que la normativité économique et son diktat du chiffre pratiquent essentiellement la liberté aliénante du plus fort et se trouve de fait en concurrence avec le droit positif des Etats. La norme économique, nous disent-ils, a même pour effet de déstructurer l’Etat de droit et ses valeurs républicaines sous-jacentes considérés comme autant d’obstacles aux libertés financières.

Quant au camp adverse, libéraux flamboyants, ils remédient à ces critiques d’ordre éthique en arguant que la normativité économique puise sa légitimité dans une sorte de démocratie directe: en l’occurrence, celle des consommateurs. Ainsi, la normativité économique de la démocratie de marché ne nécessite pas de fondements ontologiques ou éthiques très élaborés. Sa légitimité est puisée dans l’acte d’achat renouvelé du consommateur. De fait, le marché asservit tout simplement le droit économique d’Etat. Et ce « coup d’Etat » réussit puisque le droit des Etats européens reprend souvent ces standards technico-financiers en réalité développés ou surdéterminés par le marché mondial. Le politique comme le juriste devraient donc prendre en compte qu’un texte de droit, même du niveau d’un traité constitutionnel européen, n’aura plus l’autorité pour entraver ce que veut le marché mondial. Ainsi s’exerce la puissance économique à l’évidence supraconstitutionnelle de la démocratie de marché.

Mais, un sérieux problème demeure quant à l’appréhension du caractère réellement démocratique de ce marché mondial. En effet, si l’on considère que le vote du citoyen des démocraties représentatives d’Etat a pour pendant l’acte d’achat du consommateur de la démocratie marchande mondialisée, il n’en reste pas moins que les bases électorales et consuméristes n’ont pas la même surface. En effet, si la démocratie d’État tend à s’imposer au moins comme modèle de référence dans presque toutes les régions du globe, il n’en est pas de même pour la démocratie de marché. Et cela fort paradoxalement, puisqu’il importe bien souvent plus à l’homo sapiens de consommer que de voter. Acheter, capitaliser est le grand rêve du moment, mais l’accession du citoyen votant à la démocratie de marché reste problématique. En effet, il apparaît que si le suffrage est généralement universel dans les démocraties d’Etat, il est en réalité fortement « censitaire » en démocratie de marché. Le jeu économique « libéral » connaît là son traditionnel problème de redistribution des richesses. Or, acheter, selon notre réflexion, c’est en quelque sorte « voter » pour ces standards technico-financiers qui acquièrent force de « loi ». Et investir, dans tel ou tel secteur industriel, c’est d’une certaine manière « gouverner ». Le problème démocratique pour l’heure insoluble est donc ce phénomène de concentration des pouvoirs par le jeu capitalistique nous montrant une démocratie de marché dont la base électorale – les consommateurs – peine à s’élargir et dont les équipes gouvernantes se réduisent par fusion-absorption d’entreprises. Qu’on le veuille ou non, l’Europe est bien prise dans cet engrenage auquel son droit se soumet et ne peut que se soumettre.

La démocratie se heurte donc au gouvernement par les seuls chiffres. Voilà la faille du contrat social nouveau. La sacro-sainte rentabilité financière devenant assez logiquement totalitaire, toutes les activités de la vie en société sont envisagées selon les critères économiques et techniques à satisfaire sous peine de disparition. Le remède à cette dérive par les chiffres se trouve bien sûr dans les mots. Seuls de nouveaux concepts de philosophie politique nous permettront de construire une économie de droit comme s’est construit l’Etat de droit.

Douce utopie pour l’heure, mais croire que la « constitution européenne » peut changer quelque chose à la mondialisation économique en cours en est une autre. Seul un phénoménal et impensable retour en arrière rendrait le pouvoir aux Etats et à leur droit. Ceci posé, les consommateurs et salariés occidentaux semblent réaliser que la division et la spécialisation planétaire du travail amènent aussi celles de la misère. Mais trop tard, constitution ou pas, voilà longtemps que l’Europe s’est fait damer le pion par l’économie. Quant à la France, n’en parlons plus ?!

Journal « Les Echos » du 14 octobre 2004

Christophe LEROY
Maître de conférences
Université de Paris XII Saint-Maur.

La régulation : une ineptie juridique inadaptée à la mondialisation

By Article de presse

Le concept de régulation a exercé ces dernières années une fascination sur l’homo politicus des plus étrange. Pensant avoir trouvé la panacée aux problèmes économiques et financiers, le politique nous a présenté la régulation comme un nouveau système normatif reléguant aux oubliettes les antiques méthodes d’interventions étatiques inadaptées à la mondialisation déferlante.

Il est vrai que le démantèlement du pouvoir des Etats sur l’économie ne pouvait rester sans substitut. Les plus libéraux reconnaissent quand même que les libertés économiques reposent encore sur quelques constructions juridiques. En remplacement de ces textes qui faisaient de l’économie une affaire régalienne a donc été proposé le concept de régulation plus adapté, semble t-il, à la mondialisation.

Mais que signifie au juste réguler? La régulation serait, selon ses défenseurs, l’ensemble des techniques permettant d’instaurer et de maintenir un équilibre économique optimal requis par un marché connaissant quelques difficultés à s’autoréguler. Cette définition est fort intéressante, mais le juriste y détectera pourtant tout de suite deux graves imperfections. La première tient au doute qu’inspire l’aspect peu scientifique de la régulation appliquée au droit en l’état actuel de son évolution. Cette régulation ne ressemblerait t-elle pas plus à une règle de comportement politique inspirée de ce que nous appellerons «l’économiquement correct» qu’à une véritable règle de droit intégrée à un corpus juridique? La seconde tient aux problèmes éthiques qui sont consubstantiels à la règle de droit. Comment la régulation transmet-elle le juste et le bon à la règle de droit chargée de mettre en oeuvre une politique?

Un léger retour en arrière s’impose sur les origines de la régulation. Initialement et dans un contexte d’esprit de système, la notion de régulation est apparue avec la Cybernétique de Norbert Wiener. Mais, à vrai dire, et bien avant l’avènement de l’ère robotique, les hydrauliciens de toutes les civilisations cherchaient eux aussi à réguler en appliquant leur science aux fluides. Hydraulique ou robotique, la régulation restait cependant dans son domaine qui est l’esprit même du machinisme, l’esprit même de «l’esprit de système» fonctionnant dans un univers de préférence clos pour justement mieux le maîtriser. Quelle ne fut sûrement pas la surprise des auteurs contemporains de Traités sur l’hydraulique de voir un beau jour leurs instruments conceptuels utilisés pour la conduite d’un Etat… Il suffisait tout simplement de se référer à l’étymologie grecque du mot hydraulique pour mesurer l’ampleur de la révolution en cours. Hydraulique vient de hydros (eau) et de aulos (flute), ce qui implique donc un fonctionnement à l’aide d’un liquide dans un conduit…

Voilà qui aurait du faire réagir les souverainistes les plus orthodoxes comme les spécialistes des droits de l’homme les plus déterminés. Mais non, considérer les règles d’un Etat de droit comme de simples conduites et ravaler son peuple à l’état de fluide hydraulique n’est pas apparu aux juristes contemporains comme une inconstitutionnalité infamante. Il est piquant de voir à notre époque, aussi prompte à «s’indigner» de tout envahissement idéologique, que réguler n’apparaisse pas comme une atteinte à la dignité de la personne humaine. N’est-il pourtant pas préférable d’être gouverné ou jugé plutôt que régulé? Non, la régulation, cette régulation économique qui n’a ni définition juridique, ni rang dans la hiérarchie des normes, continue de séduire nos élites politiques et celles-ci la laisse irradier de façon assez fulgurante tout le système juridique.

Ceci posé, les chantres de la régulation pouvaient à l’origine, du moins dans leurs intentions affichées, être tenus comme ayant de louables intentions. L’idée, pour remédier aux déficits de légitimité abyssaux de la classe politique, de créer des régulateurs, c’est à dire des autorités administratives indépendantes composées de «sages», était après tout fort intéressante. Mais la régulation n’est restée au fil de la pratique et de l’évolution des textes qu’un concept essentiellement idéologique et par là même extrêmement difficile à juridiciser. En ce sens, la régulation telle qu’elle a été transposée en droit apparaîtra comme une véritable imposture scientifique aux spécialistes de la robotique et surtout de l’hydraulique.

La mondialisation n’est-elle pas diamétralement opposée à ce que peut être un système clos et maîtrisé, et justement bien maîtrisé parce que presque parfaitement clos? On comprendra pourtant que cette difficulté pour le juriste n’en était pas une pour le financier du libre-échange qui ne voit toujours dans la règle de droit qu’un coût économique à éliminer. La régulation justifie en effet la déréglementation de l’économie par le démantèlement du pouvoir d’Etat tout en maintenant tout de même l’idée qu’un ordre juridique informel est à l’oeuvre selon les lois impartiales du marché.

En ce sens, la montée en puissance de l’idée politique de régulation aura servi de preuve manifeste, s’il en fallait, de la crise que traverse la notion «d’intérêt général» pourtant bien juridicisée. Mais rien n’est jamais simple et l’idéologie libérale régulante reposant sur l’action de l’Etat comme devant se limiter à pallier les passagères défaillances du marché commence elle aussi à éveiller de sérieux doutes. La crise de 2008 et celle que nous vivons actuellement semblent discréditer l’idée que le marché puisse exister sans Etat souverain de son organisation et de son fonctionnement. Certes, gouverner peut consister à réguler, mais la preuve est maintenant manifeste que réguler n’est certainement pas gouverner. En ce sens, la régulation aura bien été cette tentative de substituer au droit étatique une normativité économique des comportements en instaurant au fil du temps un chantage économique à la règle de droit. Aux justifications éthiques qui sont la raison première et intrinsèque à la règle de droit auront été substituées des justifications macro-économiques que l’on considèrera comme fort nébuleuses ou au contraire comme servant des intérêts bien précis.

Sous cette optique, un éclairage nouveau et plus machiavélique pourrait être donné à la régulation. En effet, on remarquera qu’elle a cette tendance lourde à rendre les Etats soumis à son empire complètement et parfaitement statiques d’un point de vue économique. Est ainsi exclue par nature de la notion de régulation la possibilité de mener des stratégies industrielles de grande ampleur qui sont la caractéristique même des Etats véritablement souverains sur la scène internationale. A certaines puissances considérées comme souveraines serait donc confié le gouvernement économique du monde et aux puissances de second ordre reviendrait la régulation de leur secteur de marché mondialisé. Nous décidons, vous régulez…

Ces errements politiques légitimés par la régulation auront en tout état de cause engendré le déclin industriel européen et ces incroyables dérives budgétaires publiques comme privées. Déclins et dérives que les Etats comme les marchés censés réguler auront été incapables de sanctionner en temps et en heure. Le maintien de l’ordre public économique par la régulation restera donc comme une ineptie juridique à laquelle s’ajoute l’échec moral et financier qui sonne un peu comme un déshonneur. Il nous resterait donc maintenant à construire une «économie de droit» comme s’est construit l’Etat de droit. Oui, mais… Cherchons d’abord le souverain… Il a selon l’orthodoxie juridique la maîtrise des situations d’exception…

Christophe Leroy

Le 14 décembre 2011

La mondialisation par le vide politique

By Article de presse

LA MONDIALISATION PAR LE VIDE POLITIQUE

Remarques sur le « juridiquement correct ».

Aristote avait un des premiers remarqué ce que Montesquieu devait plus tard systématiser dans l’heureuse formule selon laquelle il faut que «…par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». La mondialisation économique et financière se fait de nos jours selon un libéralisme qui finit même par inquiéter ses plus ardents défenseurs. Le fait est que l’on ne voit pas actuellement les limites de cette logique financière implacable qui recompose le monde selon la volonté de quelques grands argentiers asservis à la religion intégriste de la finance internationale: le lucre.

Un des grands problèmes que nous pose la mondialisation économique semble venir de la contradiction qu’il y a à mettre en relation deux concepts juridiques aux logiques profondément divergentes. Le premier concept sur lequel s’est édifié l’Etat-Nation est celui de souveraineté, lequel a nécessité la mise en œuvre d’un arsenal juridique très complet visant à la construction d’une économie nationale encadrée par un droit interne très précis et défensif. Le deuxième concept est le libre échange international dont l’objectif très clairement affirmé est la création d’un marché mondialisé par la mise en œuvre d’un droit purement économique recherchant la perméabilisation des frontières des Etats-Nations. Ces deux concepts pourraient après tout fort bien s’articuler si l’OMC menait un travail rationnel, surtout plus progressif et respectueux de l’identité des Etats-Nations. Tel n’est pas le cas. Mais peut-on vraiment reprocher à l’Organisation mondiale du commerce de ne pas utiliser d’autres moyens que l’économie pour fédérer ses 139 Etats membres? Non, les peuples des Etats-Nations restent encore effectivement trop différents, trop « bigarrés » pour que leur histoire, leurs religions, leurs langues ou leurs cultures respectives puissent servir de clef de voûte à la mondialisation.

L’économie libérale serait ainsi la seule vraie langue universelle et intelligible par le commun des mortels. Choisir l’économie en revient pourtant à choisir le plus petit dénominateur commun. Mais si le choix est réducteur, il a cependant le mérite d’être puissamment fédérateur. L’esprit de réduction est, pour beaucoup d’Etats signataires des accords GATT-OMC, qu’ils ne sont plus vraiment en mesure de gouverner leur pays dans le souci de défendre l’intérêt général de leur peuple, mais plutôt dans l’obligation de favoriser le développement d’un marché libre de toute entrave auquel est subordonnée toute leur politique nationale. Le choix apparaît fédérateur au sens où la division et la spécialisation planétaires du travail rend les Etats-Nations très dépendants les uns des autres. La question, de nos jours, est bien de savoir si l’avantage l’emporte. En effet, cette volonté libre-échangiste développe des phénomènes économiques dont le droit ne maîtrise plus vraiment les effets. Les problèmes sont pourtant clairs et fondés en partie sur de nombreux vides juridiques au niveau international. Or, ces vides juridiques viennent fausser le droit et le système économique des Etats-Nations. L’absence d’un droit de la concurrence international fausse bien sûr le droit de la concurrence interne des Etats-Nations. Le refus de la majorité des Etats membres de l’OMC de traiter sérieusement le problème de la clause sociale crée un dumping social planétaire auquel le droit des Etats-Nations ne peut remédier. Le refus de traiter de la clause monétaire fausse aussi le jeu concurrentiel au niveau mondial et le même raisonnement pourra être tenu pour l’environnement.

Ce dérèglement des droits internes des Etats par le jeu du libre échangisme mondial porte atteinte au minimum d’égalité, d’équité et de loyauté nécessaire aux relations économiques pour qu’elles soient acceptables sur le long terme. Or, les rapports entre droit interne et droit international n’empêche en rien ces abus de pouvoir et de dépendance économique. La logique des rapports entre droit et économie est même de favoriser ces phénomènes. C’est ainsi, par exemple, que les marchés financiers attisent le libre échange de la rentabilité à court terme, quel qu’en soit le coût social et environnemental. Il nous semble à ce propos que les liens entre libre échangisme et spéculation sur les marchés financiers ne sont pas assez étudiés. Non pas qu’il s’agisse de créer un lien juridique quelconque entre ces deux notions, mais il serait peut-être intéressant de remarquer que l’esprit de spéculation des marchés finance souvent des projets financièrement rentables tirant parti de tous les travers du libre échangisme. C’est-à-dire l’emploi de populations dans des conditions de travail indignes, l’atteinte possible à l’environnement, la recherche d’une fiscalité zéro ou l’emploi de fonds douteux. Il y a dans cette logique une absence manifeste de contre-pouvoirs. Le marché juge et tranche sans qu’il soit possible de faire appel. Toutes ces opérations sont pourtant « juridiquement correctes », c’est-à-dire juridiquement viables selon les termes du droit positif. Ce que le pouvoir politique a de plus en plus de mal à dire, c’est que ces mêmes opérations sont souvent anti-économiques et anti-sociales dans les faits pour nombre d’Etats-Nations. Retranchés derrière le droit positif, les libéraux du commerce international pratiquant le « juridiquement correct » ont fait accepter un interdit moral au politique: on ne peut porter de jugements de valeurs sur leurs actes juridiquement incontestables, actes de surcroît plébiscités par la démocratie du marché.

On s’interrogera pourtant sur la faculté des marchés à remplir leur mission de défense de l’intérêt général des peuples, mission qui dépasse la défense du statut de simple consommateur. Quant aux marchés financiers qui œuvrent dans un esprit de spéculation généralisé, ils ne servent de plus en plus que les intérêts d’une minorité.

On remarquera par ailleurs que si l’Europe et la mondialisation économique est accomplie, l’Europe de la justice et la coopération judiciaire mondiale est très en retard. Les opérations des plus douteuses montées selon la méthode du off-shore à partir de pays financièrement opaques sont d’une efficacité redoutable et tiennent la justice en échec.

Il nous semble évident que ce cercle peu vertueux du fonctionnement économique international affecte les termes même du contrat social des Etats-Nations développés. Nous les voyons persister à accomplir leur œuvre juridique en donnant valeur constitutionnelle au principe de la dignité de la personne humaine, en déclarant l’esclavage comme crime contre l’humanité et en votant des lois sur l’environnement. Dans le même temps, la logique économique mondialisée exige dans les faits souvent tout le contraire au nom de cette conception absolutiste de la rentabilité. L’argument selon lequel la mondialisation aide les pays sous-développés à se sortir de leur impasse économique nous semble de moins en moins recevable. L’histoire récente des krachs monétaires retentissants de l’Asie, du Mexique et du Brésil nous montre que ces économies fonctionnaient en réalité à perte et l’on se souviendra que l’intervention massive du FMI leur aura été nécessaire pour les sortir de ce très mauvais pas.

Le constat peut être fait que la démocratie du marché se soucie peu du gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Les récentes manifestations anti-OMC à Seattle ou en Suisse ont bien montré la suspicion dans laquelle une bonne partie des populations tient maintenant cette mondialisation des marchés. Les gouvernements prennent eux aussi conscience de ces nombreuses failles, mais il apparaît maintenant clairement que l’abaissement des défenses juridiques des Etats et des zones de libre échange était aussi prématuré qu’il semble irréversible.

Une des conséquences tout a fait perceptible de cet abaissement des défenses est par exemple le développement des fusions de grandes entreprises. Elles doivent maintenant nécessairement atteindre une taille les rendant capables de résister à une concurrence planétaire qui s’exerce, à ce niveau, en dehors de tout cadre juridique sérieux. Le comportement de ces grandes sociétés qui ne sont plus au fonds rattachées qu’assez symboliquement à leur pays d’origine soulèvent également quelques questions quand à leur relations avec le pouvoir politique des Etats-Nations. Il n’est en effet après tout pas sûr que ces très grandes entreprises aient leur avenir assuré. Soit leur stratégie est le gigantisme fondé sur les économies de bouts de chandelles et elles nous semblent dès lors vouées à l’effondrement, soit ces méga-sociétés restent innovantes, financièrement de plus en plus puissantes et l’on pourra légitimement s’interroger sur les relations qu’elles entretiendront avec les Etats représentant l’intérêt général des peuples. Il y a donc bien une lutte entre souveraineté des Etats et souveraineté financière des grandes sociétés avec cette funeste ambiguïté que les Etats pensent consolider leur souveraineté en favorisant le développement des grandes entreprises dont le siège social est sur leur territoire. Le malentendu est bien entendu que ces dernières ne raisonnent plus en terme de Nation, mais de profits à l’international et au plus court terme possible.

Force est de constater qu’il n’y a pas d’organisation politique exerçant une souveraineté supranationale capable aujourd’hui d’imposer un ordre juridique digne de ce nom aux puissances économiques mondialisées. Il y a de ce point de vue un vide politique, une vacance du pouvoir, une absence de projet tout à fait inquiétante. En effet, soit les puissances économiques arrivent à « standardiser » la planète et « le meilleur des mondes » est pour demain , soit la première crise financière sérieuse – du style krach monétaire – fera raisonner à nouveau les peuples en termes de Nations. Dans ce cas, le constat risque d’être amer: renationalisations des politiques monétaires avec une monnaie sans grande valeur, renationalisation d’entreprises aux productions délocalisées sur fonds de crispations identitaires, etc… Le pire n’est certes pas toujours sûr, mais il est dangereusement naïf de ne pas l’envisager.

Les gouvernements des pays développés semblent avoir depuis deux ou trois ans bien pris conscience de ces risques. En France, la modification par la loi du 1 juillet 1996 de l’ordonnance de 1986 sur le droit de la concurrence, la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières et le renforcement des pouvoirs de TRACFIN sont autant de moyens pris sur le plan interne pour corriger les effets néfastes d’un monde économique et financier débridé. L’actualité législative française la plus récente nous livre même un projet de loi sur la régulation économique. Mais tous ces textes ressemblent quelque peu à un inventaire à la Prévert qui sert à justifier tous les discours politiques actuels dont le mot clef est « régulation ». Or, la régulation est un concept (dans l’acception où il est utilisé) issu de la cybernétique de Norbert Wiener. Celle-ci se définit comme la science qui étudie les mécanismes de communication et de contrôle dans les machines et chez les êtres vivants. Elle relève de l’esprit de système. L’idée générale de la cybernétique est que dans la mesure ou un système est muni de mécanismes de régulation, il peut contrôler son propre fonctionnement et donc se gouverner lui même. Le problème est que la cybernétique suppose qu’un système soit hermétique ou un milieu homogène pour pouvoir être gouverné, contrôlé et régulé. Or, le libre échangisme actuel ne permet plus cette unité de direction et ce contrôle des échanges. La régulation appliquée au droit dans le contexte actuel nous semble donc plutôt résulter d’une volonté de légitimer par le droit certaines situations délicates. Un autre aspect du problème concerne les valeurs morales qui sous-tendent et gouvernent toutes les règles de droit. La volonté de réguler en se fixant pour objectif premier « l’effet utile » du droit sur le système économique (approche macro économique) nous semble peu préoccupée par la recherche téléologique du bon et du juste dans l’élaboration et l’application du droit aux entreprises et aux personnes. La régulation relève donc pour l’essentiel de l’utilisation a posteriori d’un concept employé à des fins idéologiques pour légitimer une désorganisation économique et financière à l’échelle mondiale.

La mondialisation est en panne d’idée politique. Que retiendra l’histoire des idées politiques de notre époque? On cherchera en vain des fondements idéologiques au droit économique contemporain. Exceptées quelques naïves prédictions comme « l’avènement de la fin de l’histoire » ou quelques incantations libérales sur les bienfaits de la liberté économique pour les pays en voie de développement, on se souviendra pour l’essentiel de la démission des politiques face à un pragmatisme d’une violence économique sans précédent, violence ennemie des droits de l’homme, de la différence, du pluralisme, de la diversité culturelle et du développement économique pour nombre de pays. Le fait est que ce droit de la globalisation économique est un monstre d’inconsistance qui donne chaque jour dans l’abus de pouvoir face auquel les dirigeants des Etats ont politiquement capitulés. Il y a bien là un vide politique manifeste, une absence de projet viable. Ce monstre d’inconsistance est pourtant bien l’enfant de l’homme politique qui n’est décidément plus ce berger de l’être des nations, mais un simple collabo des financiers, un épicier du droit parlant le « juridiquement correct » du vide politique.

« Le Monde » du 12 septembre 2000

Christophe LEROY
Maître de conférences
Université de Paris XII Saint-Maur.

Interdire le voile, c’est protéger les enseignants

By Article de presse

Journal Le Monde du 19 avril 2016

Au premier Ministre, Monsieur Manuel Valls, qui s’interrogeait sur l’interdiction du voile islamique à l’Université, Monsieur Thierry Mandon, secrétaire d’État chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche lui a répondu sur RTL le 13 avril : qu’« il n’y a pas besoin de loi sur le voile à l’université ». Monsieur Mandon jette en réalité le grand voile du déni de réalité sur l’épineux problème du port du voile à l’université. Il y a de plus en plus d’étudiantes voilées et elles nous posent de plus en plus de problèmes. Telle est la réalité.

À commencer tout simplement par les examens : Nous devons contrôler avant le début de chaque examen que les étudiantes voilées ne dissimulent pas sous leur voile un kit main libre leur permettant de communiquer frauduleusement avec un tiers. Or, les étudiantes voilées considérant que le fait d’ôter leur voile est quelque chose d’impudique sont très réticentes au contrôle quand il est effectué par des hommes. Et que faire lorsque les équipes de surveillants d’examens qui ne sont autres que les enseignants de la discipline ne sont composées que d’hommes ? Faut-il soumettre les règles d’organisation des examens aux lois du Coran et imposer une femme pour chaque surveillance ?

Négociations interminables

Pour l’heure, ce n’est pas encore le cas et il s’ensuit dès lors des discussions à n’en plus finir avec les étudiantes voilées qui refusent de se soumettre à la règle, retardant le début de l’examen et nous obligeant à les menacer de mesures disciplinaires. Cette position de l’enseignant n’a rien de très agréable. Il peut en effet se trouver face à des étudiantes sincères qui ressentent cette injonction de se dévoiler, même partiellement, comme un véritable attentat à la pudeur. Et cette situation a peu à peu amené une inflexion des comportements.

Je remarque que certains de mes collègues ont de facto renoncé à effectuer ces contrôles du voile au début de l’examen pour éviter les discussions à n’en plus finir. Mais, fait nouveau, on peut observer que des étudiants venant sans voile ni couvre-chef quelconques (casquette, cagoule, capuche de survêtement) viennent se plaindre que les contrôles ne sont plus systématiques et que cela constitue une rupture de l’égalité de tous devant les examens. Le temps de la discorde n’est pas loin où des étudiants ne trouvant pas le sujet à leur goût tireront prétexte du fait que les étudiantes voilées n’ont pas été contrôlées pour demander l’annulation contentieuse des examens.

Par ailleurs, il faudra aussi que le gouvernement, s’il veut vraiment maintenir le voile à l’Université, forme les enseignants à l’Islam pour éviter les conflits potentiels dont ils pourraient très bien être les victimes. Ces derniers ne peuvent en effet pas savoir quel est le degré d’implication d’une jeune femme voilée dans le strict respect des lois coraniques. Or, une application stricte de ces lois fait qu’une femme voilée ne peut adresser la parole à un homme. Les enseignants doivent-ils par principe refuser d’adresser la parole aux étudiantes voilées ? Cela pose un réel problème pédagogique. Faudra-t-il qu’il soit demandé l’autorisation écrite d’un imam pour leur parler ? Le droit républicain ne dit rien à ce propos… Devons-nous refuser la main que nous tendent parfois les étudiantes voilées ?

Et quand bien même les étudiantes auraient l’autorisation écrite d’un religieux pour nous adresser la parole, nous serrer la main, devrons-nous lui demander de baisser les yeux quand elles nous parlent comme le prescrivent les lois coraniques ? Comment pouvons nous être surs que les étudiantes régulièrement inscrites l’ont été avec l’assentiment de leurs « tuteurs » ? Que répondrons nous a des personnes nous attendant à la sortie d’un amphithéâtre pour nous expliquer, avec à la clef des menaces à peine « voilées », que nous n’avons pas à adresser la parole à leur fille, à leur sœur, ou à leur disciple ? Il va sans dire que mes propos ont aussi pour objet de mettre les étudiantes face à leurs contradictions. Elles veulent vivre selon le modèle occidental tout en invoquant les règles de l’Islam incompatibles avec ce même modèle.

Interdire le voile, c’est tout simplement protéger les enseignants qui n’auront plus à se poser la question de savoir quel est le degré d’implication des étudiantes et de leurs proches dans le strict respect du Coran et de son droit dérivé. Ces enseignants ne pourront dès lors plus être tenus pour responsables de la transgression du même Coran qui n’a certes pas encore été publié au journal officiel comme Loi de la République, mais qui dans les faits trouve parfois à s’appliquer de façon aussi folle que dramatique. Si Madame la ministre est aussi pour le maintien du voile islamique à l’Université, il faudra alors qu’elle forme les enseignants du supérieur pour éviter tout conflit.

Christophe Leroy est maître de conférences en droit public à l’Université de Perpignan Via Domitia

Eviter un nouveau 21 avril ? Ce que parler veut taire…

By Article de presse

Chronique de Favilla (les échos du 18 août 2006), article de Guy Carcassonne et Olivier Duhamel (le monde du 8 mars 2006), des voix s’élèvent pour nous proposer diverses solutions pour éviter un nouveau 21 avril. Or, donner dans la discipline de parti (interdiction pour les maires de parrainer un candidat autre que celui désigné par le PS) ou la modification de modes de scrutin (Instauration d’un tour intermédiaire éliminant les candidats qui n’ont pas atteint un certain seuil de voix) nous paraissent être la dernière des solutions à envisager si l’on veut justement éviter que l’histoire ne se répète.

A moins de réécrire toute une théorie de l’argumentation, il nous semble légitime que le jeu démocratique œuvre en faisant confiance au jugement du peuple sur la politique menée et à venir. Remédier par l’autoritarisme de parti ou le bricolage électoral aux dénis de politique des gouvernements successifs depuis plus de vingt ans, au point d’en rendre l’alternance gauche/droite parfaitement stérile, ressemble fort à ce que conçoivent les stratèges aux abois. Le peuple français depuis 1981 a toujours éconduit les majorités sortantes. Le même peuple du 21 avril 2002, du 5 mai 2002 et du 29 mai 2005 s’est également clairement exprimé. Aucune inflexion décisive n’a été apportée sur les politiques menées au plus haut niveau de l’Etat.

Les enjeux politiques pour l’élection présidentielle de 2007 nous semblent pourtant assez clairs et le recours aux stratagèmes de dernière heure n’apportera aucune amélioration notable de l’expression démocratique. L’autoritarisme politique comme la règle de droit, et surtout celle des modes de scrutin, n’ont en effet jamais empêché un courant politique d’œuvrer. Alors, oui, messieurs les journalistes et constitutionalistes, Le Pen Jean-Marie sera bien au second tour des élections présidentielles si la classe politique au pouvoir depuis une trentaine d’années n’a pour seule ambition que de brider la démocratie, prenant une fois de plus le peuple pour un mal comprenant. Le risque évident d’éparpillement des électeurs au premier tour est du à des problèmes politiques de fond, et non à un problème de garde-fou démocratique. Voilà ce que vos consignes de parrainages et réforme de l’élection, présentées comme la seule solution, veulent taire.

Le courage est maintenant dans le choix politique de la volte-face et non dans les barricades juridiques. Que les hommes des grands partis de gauche et de droite aient bien conscience qu’ils laissent un très large champ politique parfaitement libre aux partis les plus extrémistes. Ce champ politique est celui qui consiste pour l’essentiel à proposer des solutions tranchantes pour résoudre le problème de l’emploi (hors bricolage comptable), de la désindustrialisation, du surendettement de l’Etat, de l’éducation, de l’immigration et de notre place dans une Europe à la dérive.

Faut-il oui ou non renoncer à nos systèmes d’assurance maladie, d’assurance chômage et de retraite pour rester dans la compétition mondiale ? Si nous ne voulons pas y renoncer, que faut-il faire ? Du patriotisme économique ? En revenir à un minimum de protectionnisme ? Réformer notre fiscalité ? Faut-il sommer l’Europe de réagir et exiger des limitations au libre-échange économique et financier? Ou au contraire, faut-il admettre enfin que nous sommes un peuple d’un autre temps et qu’il faut dès lors réformer nos conceptions de fond en comble pour rester dans la compétition mondiale ? Ces enjeux, encore une fois, sont clairs: ils sont économiques comme juridiques, mais d’un niveau supérieur. Demandons-nous jusqu’à quel point nous pourrons laisser l’économie mondiale de marché avoir le droit de réformer notre contrat social?

On comprendra dès lors que les solutions ne sont donc pas dans les réformes qui s’en prennent à la représentation démocratique. Le courage politique est sûrement maintenant dans l’exposé de programmes qui bénéficient de la présomption d’impopularité. Tout simplement parce que le peuple, s’il n’est pas un technicien du droit ou de l’économie, a quand même suffisamment d’intuition pour se forger un jugement. Ainsi, des solutions économiquement drastiques pourront être acceptées si elles sont clairement exposées par des démocrates convaincus, et non par des tartuffes du politiquement correct, du soi disant démocratiquement acceptable ou autres extrémistes.

Pour l’heure, n’oublions pas que la France vit dans la déconvenue. Qu’elle voit aujourd’hui en sondage (en rêve) clairement une candidate au second tour ne présume en rien de ce qui risque de se passer au premier. Si les campagnes présidentielles des deux grands partis laissent les français déçus et exaspérés, la contestation sera terrifiante.

Journal « Les Echos » 14 septembre 2006

Christophe LEROY
Maître de conférences
Université de Paris XII Saint-Maur.

Pour un droit souverain du marché européen

By Droit européen

Tout jeu, même économique, suppose des règles avec lesquelles on ne joue point. Faire en sorte que les règles du marché ne soient pas elles-même soumises au jeu du marché est une des missions fondamentales de l’Etat de droit libéral. Or, force est de constater que les logiques financières internationales, qu’elles soient l’œuvre des marchés financiers ou le fruit des négociations OMC, ont réduit le droit économique interne et européen à une pure vision économique du droit . Cette lutte sans merci des financiers à mettre en coupe réglée le droit public économique des Etats membres et à faire avorter tout projet de protection du marché européen n’est-elle pas en train d’aboutir à la disparition en pratique du concept même de marché? Un rappel de la règle du jeu nous semble dès lors indispensable : toute liberté, suppose une construction juridique, c’est-à-dire une représentation juridique conceptualisée des différentes libertés économiques afin de leur donner un sens compatible avec le contrat social dont l’Etat est le garant. Admettre cette simple règle de base consiste à être libéral. Or, que nous disent les prétendus libéraux depuis vingt ans ? Qu’il faut jouer la liberté contre la règle : l’idée pouvait évidemment paraître suspecte. Elle a alors été érigée en dogme idéologique, voire quasi religieux : Récitons bien: l’Etat, même démocratique, c’est économiquement le mal et, le marché sans foi ni loi, le bien… Et force est de constater qu’une fois encore, la grande majorité des politiques a fait preuve de cette idiote fascination dont elle est capable pour cette nouvelle supercherie consistant à confondre liberté et prédation. 

Dès lors, le pouvoir et le droit public économique des Etats membres se sont faits théâtre d’ombres pour mieux se conformer au droit européen et l’Europe, quant à elle, s’est faite de plus en plus translucide vis-à-vis des accords OMC et des logiques financières mondialisées. Le prix devînt mondial pour chaque produit ou services sans pour autant qu’existe un droit mondial de la concurrence. Quant à la liberté conçue hors droit par les financiers, elle a dissout l’économie de droit, fille de l’Etat de droit.

Au fond, de quel marché parlons-nous ? Le marché, même mondial, suppose l’Etat ou une autorité d’Etats pour contrôler l’investissement et éviter les désastres industriels de la basse finance (hedge fonds & co… ). L’autorité des Etats est également nécessaire pour faire régner un minimum d’égalité concurentielle entre les différentes entreprises en compétition. De même, la justice d’Etat doit être mondialement redoutée de la finance pour les problèmes sociaux et environnementaux.

Cette idée d’égalité des chances est au cœur même du droit libéral. Or, le libre échange fondé sur l’objectif « droit de douane zéro » vide de sa substance la règle de droit des pays économiquement et socialement développés tout en interdisant aux pays en voie de développement de commencer à mettre en oeuvre une législation un peu plus humaniste et protectrice de l’environnement. Il s’ensuit dès lors toute la logique financière fort simple des délocalisations et autres désindustrialisations. Selon cette lecture purement financière de la mondialisation, les règles de droit de l’assurance maladie, de l’assurance chômage, des retraites, de l’environnement ou tout simplement les droits de l’homme ne représentent plus que des coûts financiers à éliminer. 

Dans cette optique, le concept de marché mondial n’est plus qu’un prétexte, un paravent servant à justifier des faits économiques qui ne relèvent justement plus de la logique de marché, mais de logiques prédatrices antédiluviennes dont les conséquences sociales nous prouvent qu’elles n’ont pas grand chose à voir avec la civilisation. Ce que l’on appelle marché prendrait la curieuse tournure d’une cartellisation financière mondialisée de l’économie, se substituant justement au marché par le biais du libre échange. Quant au libre échange, ayant fait son œuvre, il n’aurait plus tout à fait non plus sa liberté. Il n’y aurait bientôt plus que de l’échange intra-firme aux ordres des financiers.

Les peuples européens sont particulièrement préoccupés par cette normativité financière des comportements qui s’installe en monopole planétaire et contre laquelle l’Europe politique ne dit mot. Quant à « L’économie sociale de marché » du texte européen, elle nous semble dans les faits vide de sens, comme ayant capitulé devant un libre échangisme lui même dénaturé en logiques prédatrices. Or, protéger une économie consiste aussi pour les peuples à protéger leur manière d’être et d’exister. Si le protectionnisme est une caricature, la protection d’un marché juridiquement construit et économiquement cohérent est une entreprise libérale d’une grande subtilité.

L’Europe devrait saisir sa chance de se relancer politiquement en imposant sur tout son territoire un droit du marché structuré par la civilisation qui l’a fondée. L’impasse européenne dans laquelle nous sommes vient en grande partie du fait que certains peuples ne se sont pas reconnus dans le Traité constitutionnel qui leur était proposé, celui-ci ne leur assurant pas une légitime et suffisante sécurité économique.

Un droit du marché ne se réduit donc bien évidemment pas au commerce et à la finance. Il doit plus ou moins implicitement être porteur des ancestrales valeurs politiques de la société à laquelle il s’applique. Et c’est, plus que jamais, par la légitimité que lui accorde son peuple qu’une puissance économique peut se sentir investie d’une mission civilisatrice. Une Europe qui aurait sa propre identité économique pourrait ainsi commencer à inverser les termes de l’échange mondial. Elle pourrait, par exemple, imposer des droits de douane à l’entrée de l’Union pour les pays n’acceptant pas, sans raison valable, les coûts sociaux et environnementaux dans leurs productions de biens et de services. Mais il faudrait pour cela que nos politiques admettent que l’Europe est bien la seule au monde à ne pas être économiquement souverainiste. 

L’Etat fédéral européen se construira-t-il par la souveraineté de son marché ?

Christophe LEROY

Le 20 août 2008.

L’intérêt général comme régulateur des marchés

By Droit européen

A propos de deux arrêts CJCE du 5 octobre 1995 Centro Servizi Spediporto (C-96/94) et du 1 octobre 1998 Autotrasporti Librandi (C38/97).

Les temps heureux où l’on célébrait le monde sont révolus. Le bien commun, notion issu de la philosophie ancienne et repris à son compte par les régimes monarchiques a cédé devant l’intérêt général, conception plus utilitariste du droit et plus matérialiste du monde. Puis est venue avec la construction européenne la dernière grande évolution. Les auteurs du traité CE ont conçu un droit de la concurrence supérieur aux normes fondées sur l’intérêt général, l’esprit de compétition en matière économique étant considéré comme satisfaisant au mieux les intérêts du consommateur. Mais arrive le temps ou l’âme guerrière épuisant ses vertus vivifiantes, la concurrence devient avant tout destructrice pour le tissu économique. Le droit doit alors être employé à limiter les excès de concurrences, ceux-ci devenant plus nocifs pour les entreprises et pour l’emploi qu’ils n’apportent d’avantages au consommateur.

Nous avons choisi pour illustrer notre propos deux arrêts de la CJCE qui semblent devoir être mis en valeur. Il s’agit des arrêts du 5 octobre 1995 Centro Servizi Spediporto (C-96/94) et CJCE du 1 octobre 1998 Autotrasporti Librandi (C38/97). La CJCE nous livre dans ces arrêts une interprétation du traité CE assez surprenante si l’on se réfère à l’esprit général du texte et aux jurisprudences précédentes qui ont avant tout mis en exergue son libéralisme nécessaire à la mise en œuvre du grand marché européen.

Ces deux arrêts aux faits et aux problèmes de droit fort ressemblants concernent le domaine du transport routier de marchandise. En Italie, ce secteur des transports fait un peu exception au regard des autres Etats membres. Il est en effet réglementé par la loi n° 298 du 6 juin 1974(1) instituant le registre national des transporteurs routiers de marchandises pour compte d’autrui, régissant les transports routiers de marchandises et établissant un système de tarifs à fourchette pour les transports de marchandises par route. Cette loi italienne prévoit que le non-respect par les opérateurs économiques des tarifs fixés est passible de sanctions administratives et, en cas de récidive, de mesures disciplinaires(2) .

Notre propos est d’étudier l’originalité de ces deux arrêts fondés sur la défense de l’intérêt général au regard de la conception traditionnelle qu’a le juge communautaire de la défense du marché.

I/ L’INTEGRATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE A L’INTERET GENERAL

A/ L’imprécision de la définition et de la place de la notion d’intérêt général en droit européen

L’intérêt général peut être considéré comme un des concepts fondateur de la société et de l’Etat(3) . Si sa définition a toujours donné lieu à des débats sur l’imprécision qui s’est avérée inhérente à la notion, la prééminence de l’intérêt général sur d’autres concepts en droit interne administratif ne fait pas de doute. C’est ainsi que dans la conception républicaine, l’intérêt général donne toute sa légitimité au droit en vigueur. Mais une prééminence et une légitimité ne nous donnent pas une idée assez précise de la place qu’occupe l’intérêt général. C’est en rapprochant les notions de hiérarchie des normes et d’intérêt général qu’on se rend compte de la difficulté qu’il y a à situer l’intérêt général. Et pour cause, il est en réalité immanent à l’ordre juridique démocratique. Il pourrait être considéré comme supra constitutionnel, mais ne répondant pas à une mécanique kelsénienne de validation des normes de droit positif, on peut dire qu’en donnant toute leur justification aux normes juridiques, il est tout simplement l’âme du droit. A cette vision on ne peut plus orthodoxe de la théorie, il faut comparer le droit économique européen. Le droit économique européen nous donne en effet une autre lecture de la notion d’intérêt général, surtout dans son rôle de légitimation de l’ordre juridique. Cet aspect a toujours été problématique en droit communautaire. Cela tient sans doute aux raisons historiques de la construction européenne.

Il faut reconnaître que la Commission comme la CJCE ne pouvaient à leur début fonder explicitement leurs règlements ou leurs arrêts sur la notion d’intérêt général. En plus du traité CE à caractère essentiellement et limitativement économique, ces institutions européennes n’avaient ni la légitimité, ni l’assise politique pour imposer aux Etats membres un droit fondé sur l’intérêt général comme nous le concevons en droit interne. Utiliser ce concept en serait revenu à donner à l’Union européenne le pouvoir d’un Etat fédéral. Pour la France, l’article 20 de la constitution de 1958 selon lequel le Gouvernement  » détermine et conduit la politique de la nation  » était incompatible avec l’idée que le droit européen pouvait sortir du domaine économique pour se prononcer au nom de l’intérêt général(4) . On remarquera en ce sens que les traités européens ignorent la notion d’intérêt général tel que nous la connaissons en droit interne. Il y est surtout question d’intérêt économique général.

La jurisprudence et la doctrine communautaire ont cependant cherché à déterminer les critères à prendre en compte pour cerner la notion d’intérêt général, ne serait-ce que pour délimiter les domaines de compétence des autorités européennes et des Etats membres et définir les rapports entre service public et droit de la concurrence(5) . La Cour considère ainsi comme une mission d’intérêt général  » une activité présentant un intérêt majeur pour l’Etat « (6). Cette première définition a été complétée par l’arrêt Ahmed Saeed Flugreisen(7) avec la notion de mission  » nécessaire pour l’intérêt général « . Mais ces arrêts ne nous donnent pas entière satisfaction en ce qui concerne la définition de la notion d’intérêt général en droit communautaire.

Les jurisprudences qui ont suivi concernent surtout l’intérêt économique général. Avant les célèbres arrêts Corbeau(8) et Almélo(9) , la Commission de concert avec la CJCE considéraient que le libre jeu de l’offre et de la demande du marché pouvait satisfaire l’ensemble des besoins des usagers et consommateurs. Et il était difficile de mesurer jusqu’à quel point le droit de la concurrence allait étendre son domaine au détriment du droit du service public directement fondé sur l’intérêt général. La réponse est donc venue avec ces deux arrêts qui posent pour principe que des entreprises peuvent être protégées de la concurrence dans le cadre de l’article 90.1 lorsqu’elles satisfont un service de base. La Cour de justice des communautés avec l’arrêt Corbeau pose l’existence d’un service de base universel(10) . Mais dès lors qu’il ne s’agit plus d’un service de base, le monopole ne se justifie plus et les entreprises de droit privé doivent pouvoir proposer le service rendu jusque là par le service public(11, 12) . La seule limite à cette logique qui consiste à ne laisser au service public que le non rentable a été posé par ce même arrêt Corbeau qui dispose que de soumettre au droit de la concurrence les activités rentables n’est possible que dans la mesure où le service de base n’est pas économiquement remis en cause(13) . De même, dans un arrêt Almélo(14), la Cour de justice des communautés a confirmé sa première jurisprudence en expliquant que des restrictions à la concurrence, voire l’exclusion de toute concurrence doivent être admises dans la mesure où elles s’avèrent nécessaires pour permettre à l’entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci(15) . Il faut à cet égard tenir compte, explique l’arrêt, des conditions économiques dans lesquelles est placée l’entreprise, des coûts qu’elle doit supporter et des réglementations, notamment en matière d’environnement, auxquelles elle est soumise. La nuance d’importance de l’arrêt Almélo est l’utilisation de l’expression intérêt général, alors que dans l’arrêt Corbeau, il s’agit de l’intérêt économique général conformément au texte de l’article 90-2. Cela correspond, nous semble t-il, à une évolution de la notion qui tend à ne plus limiter au seul domaine économique la notion communautaire d’intérêt général et à reconnaître un service public de base à part entière, mais la suite nous apprendra que cette nuance n’a pas changé grand chose à la logique de très forte limitation du service public. On remarque ainsi, dans ces affaires, que le droit de la concurrence n’a été écarté au profit de la notion d’intérêt général que dans des domaines qui relevaient classiquement du service public. On peut citer par exemple les entreprises de télécommunications, les services postaux, de fourniture d’énergie électrique, de transport ferroviaire, d’activité de pompes funèbres et de services de distribution d’eau. Mais en aucun cas, dans un secteur marchand comme celui des transports routiers, le juge n’avait invoqué l’intérêt général pour déroger au droit de la concurrence. La position de la Cour, au contraire, était d’admettre que ne sont pas considérés comme des services d’intérêt économique général les activités qui présentent « un intérêt nullement spécifique par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique ». Et le juge communautaire est parfois allé assez loin dans cette voie puisqu’il a estimé par exemple que les opérations portuaires (opérations de débarquement, de transbordement ou de stockage des marchandises dans le port)  » ne correspondent pas à un intérêt économique qui présente un caractère spécifique par rapport à celui que revêtent d’autres activités de la vie économique  » et ne peuvent donc être considérées comme une mission d’intérêt économique général(16) . Dans cette logique, l’extension du domaine auquel est applicable le droit de la concurrence s’est donc bien faites au détriment du service public et des diverses mesures d’ordre étatique prises au nom de l’intérêt général. Cela ne signifie pas pour autant que l’intérêt général n’est plus satisfait, mais que la notion d’intérêt général ne suffit plus comme justification d’un acte d’une autorité publique voulant réglementer une activité industrielle et commerciale. En ce sens, l’interprétation de la CJCE a été jusqu’à présent que seul le marché régit par le droit de la concurrence avait une légitimité à satisfaire l’intérêt général dans le domaine industriel et commercial.

On mesure dès lors la nouveauté des arrêts Centro Servizi Spediporto et Librandi qui admettent que des tarifs de transports routiers de marchandises soient approuvés et rendus exécutoires par l’autorité publique – et cela hors mission de service public – à condition d’être fixés dans le respect des critères d’intérêt public. Une précision d’importance est apportée par l’arrêt Librandi en ce qui concerne les rapports entre intérêt général et droit de la concurrence. Le juge nous dit en effet que  » pour éviter que leur action ne conduise à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence, les États doivent nécessairement tenir compte de l’intérêt public « (17) . L’optique du raisonnement est assez peu habituelle. Jusqu’à présent, en effet, les actes de l’autorité publique pris au nom de l’intérêt général dans le domaine concurrentiel étaient généralement considérés comme contraires au droit européen de la concurrence. Au point 45 de l’arrêt, c’est l’inverse, l’intérêt général doit servir au respect des règles de concurrence alors qu’à la fin du même arrêt, la notion d’intérêt général est invoquée pour faire échec à l’application des règles de concurrence. Quel écheveau…

B/ Le changement de mode de fixation des prix dans un secteur concurrentiel

Un des traits de la jurisprudence communautaire est que les activités industrielles et commerciales relevant traditionnellement du secteur privé se voient appliquer une conception plutôt monopolistique du droit de la concurrence prévu aux articles 85, 86 et 90 du traité CE. Le respect des principes fondamentaux de libre circulation des marchandises et des capitaux a amené en effet le juge communautaire à privilégier très largement le droit de la concurrence fondé sur le libre jeu du marché, et cela au détriment de la conception du service public fondée sur la défense de l’intérêt général. En ce sens, le droit de la concurrence a implicitement été considéré comme étant plus efficace que le service public pour la défense de l’intérêt général des citoyens passés dans nombre de domaines du statut d’usager à celui de consommateur.

Les jurisprudences Spediporto et Librandi, en admettant la fixation de tarifs pour le transport routier au nom de l’intérêt général, relèvent d’une autre logique que celle de l’interprétation classique des articles 85 et 86 du traité CE. Ces jurisprudences montrent en premier lieu les limites de la conception actuelle de la concurrence. En effet, le marché européen du transport dont traitent nos deux arrêts est atomisé en milliers de transporteurs qui se livrent une guerre des prix dont le résultat se traduit, certes, par une baisse des tarifs, mais aussi par un nombre de dépôts de bilan d’entreprises prouvant que les prix pratiqués sont beaucoup trop bas pour que le secteur puisse trouver un équilibre économique viable. Il nous apparaît ainsi, vu les faits économiques et le raisonnement du juge fondé sur l’intérêt général, que les jurisprudences Spediporto et Librandi admettent implicitement qu’il est nécessaire de limiter les effets destructeurs du droit de la concurrence et de ne plus considérer le seul intérêt du consommateur, mais aussi l’équilibre général d’un secteur économique. C’est ainsi que les instances européennes semblent accepter que le droit de la concurrence puisse desservir les intérêts de la collectivité. En effet, des prix trop bas peuvent impliquer la disparition d’un nombre important d’entreprises, la nécessaire prise en charge par la collectivité de coûts sociaux supplémentaires (chomâge), la répercussion sur la collectivité par système bancaire interposé des pertes financières résultant de la liquidation d’entreprises, une baisse globale de la qualité des services rendus et la formation de grandes sociétés capables de faire des économies d’échelle leur permettant d’évincer du marché d’autres PME par des prix encore plus bas. On notera par ailleurs, dans le cas du transport, le développement d’une concurrence déloyale venant des pays de l’est ou des sociétés européennes employant du personnel non européen (La société Willy Betz, par exemple, dont le parc de poids lourds est de 6.500 semi-remorques, emploie des chauffeurs bulgares à des prix très bas(18) ).

Un des traits constants de la jurisprudence communautaire est que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Or, les arrêts Centro Servizi Spediporto et Autotrasporti Librandi remettent radicalement en cause le dogme communautaire selon lequel, les opérateurs économiques étant autonomes, les prix dans le secteur concurrentiel doivent se former librement sur le marché par le jeu de l’offre et de la demande. Nous avons en effet dans ces deux arrêts un abandon des mécanismes du marché au profit d’un comité central chargé de la fixation des tarifs du transport routier au nom de l’intérêt général.

Il pouvait être raisonnablement envisagé à la lecture des problèmes de droit posés au juge européen que la loi italienne allait être considérée comme contraire aux règles de concurrence du traité CE. En effet, la CJCE, selon une jurisprudence constante, considère que si un Etat impose ou favorise la conclusion d’ententes ou s’il retire à sa réglementation son caractère étatique en déléguant des pouvoirs à des opérateurs privés, il y a violation des articles 5 à 85 du traité (CJCE 21 septembre 1988 Van Eycke aff. C267/86, CJCE 17 oct. 1993 Reiff, aff. C 185/91 ; CJCE 9 juin 1994 Delta schiffahrts und speditionsgesellschaft, aff. C 153/93)(19) . Dans le même esprit, la CJCE a toujours estimé que la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue dès lors qu’il apparaît qu’il a pour objet de retreindre, de fausser ou d’empêcher le jeu de la concurrence(20) . Tel n’est pas le cas dans les arrêts Spédiporto et Librandi.

Un point intéressant, marquant une différence entre ces deux arrêts dont les faits sont très ressemblants, concerne la solution de droit apportée au problème de la composition du comité central chargé de faire des propositions de tarifs rendus exécutoires par l’autorité publique. Dans l’arrêt Spédiporto, le comité central est composé majoritairement de représentant de la puissance publique alors que dans l’arrêt Librandi, les représentants des opérateurs économiques intéressés deviennent majoritaire. Ce changement de majorité posait bien sûr la question de savoir si le comité central composé majoritairement de représentants d’opérateurs privés pouvait toujours être considéré comme le plus apte a juger de l’intérêt public dans le domaine du transport routier. Il n’aurait, après tout, pas du tout été étonnant, vu les jurisprudences évoquées, de voir le juge communautaire qualifier d’entente le comité central chargé de la fixation des tarifs. Contre toute attente, la cour estime que  » la modification des rapports de majorité au sein du comité central ne permet pas de conclure à l’existence d’une entente au sens de l’article 85 du traité dès lors que, conformément à la réglementation nationale en cause, le comité central doit continuer à respecter, lors de l’adoption de ses propositions, les critères d’intérêt public définis par la loi italienne « . Cette réponse nous laisse insatisfait. En effet, les qualifications de conspirateur anticoncurrentiel organisant des ententes ou de défenseur de l’intérêt général répondent aux même critères. Ce qui est juridiquement très gênant.

Un autre élément – tout aussi peu convaincant – qui a permis à la Cour de prendre position en faveur de la défense de l’intérêt général par le comité central a été aussi la détermination de l’autorité ayant le pouvoir en dernier ressort de déterminer les tarifs. La CJCE a ainsi jugé que  » la composition de ce comité central n’était pas contraire aux dispositions du traité CE dans la mesure où les pouvoirs publics n’abandonnent pas leurs prérogatives à des opérateurs économiques privés en tenant compte, avant l’approbation des propositions, des observations d’autres organismes publics et privés, voire en fixant les tarifs d’office « . On notera, à titre anecdotique que le ministre n’a en pratique jamais rejeté les propositions de tarifs faites par le comité central.

Le juge communautaire admet donc clairement dans ces deux affaires qu’une réglementation étatique de fixation des tarifs limitant certains effets néfastes de la concurrence au nom de l’intérêt général n’est pas contraire aux articles 3,5,85,86 et 90 du traité CE. Même si ce comité central tient compte du marché, c’est-à-dire des prix du transport pratiqués en Europe, il n’est plus question en Italie de s’en remettre à la seule loi du marché pour fixer les prix du transport routier. Plaisante justice qu’une rivière borne! Entente au-deçà des Alpes, intérêt public au-delà…

2/ L’INTERÊT GENERAL AU SERVICE DE LA REGULATION DES MARCHES

A/ L’intérêt général comme remède aux excès de concurrence

Il peut maintenant être avancé que le droit européen de la concurrence tel qu’il est conçu par le traité CE ne peut en rester à sa rédaction première. L’objectif du traité et de la Cour était la mise en place d’un marché aux dimensions européennes et la formation par le jeu concurrentiel et les concentrations d’un ensemble d’entreprises pouvant faire face au commerce mondialisé. Cet objectif étant atteint, ce droit de la concurrence montre ses effets néfastes. Pour les deux espèces qui retiennent notre attention, le droit européen tel qu’il est rédigé et a été jusqu’à présent interprété n’offre aucune possibilité de limitation des excès de concurrence. En effet, les seules possibilités de dérogation aux règles de concurrence qui auraient pu être mises en oeuvre sont le système des exemptions ou le cas de l’article 90.2, mais il se trouve que ces deux affaires ne correspondent ni aux cas d’exemption prévus à l’article 85.3 du traité CE(21) , ni à la situation de l’article 90-2. La solution des arrêts Spediporto et Librandi qui affirment la supériorité de l’intérêt public sur le marché régi par le droit de la concurrence résulte bien de la constatation de certains faits économiques et de l’impuissance du traité CE à apporter des solutions aux problèmes posés lorsqu’il est respecté à la lettre. La situation du transport dans nombre de pays européens correspond bien à cette problématique. Les conditions de fonctionnement normal du marché sont remplies, il n’y a pas carence de l’initiative privée, mais le jeu de la  » main invisible  » ne fait pas son œuvre. Des milliers de petites, moyennes et grandes entreprises de transport se livrent une guerre des prix sans merci et bien que le secteur soit sinistré, il y a toujours plus d’entreprises qui se créent que de faillites. Seul l’Etat peut faire cesser ce mauvais jeux.

L’éventuelle application des jurisprudences Centro Servizi Spediporto et Librandi à d’autres secteurs économiques soulève quelques interrogations. En effet, le juge avec ces jurisprudences, vient clairement de se doter de moyens juridiques qui lui permettent, pour un même problème de droit, de donner des solutions radicalement différentes. Mais Plutôt que de relever les contradictions de la CJCE, il nous semble préférable de considérer le problème dans son ensemble. Il est clair qu’avant ces arrêts, le traité CE et la CJCE n’avaient pas l’instrument juridique pour régler ce type de problème. La limitation de la concurrence au nom de l’intérêt général par la mise en place de tarifs obligatoires nous semble donc un bon remède aux problèmes d’excès de concurrence. Peut-être assistons nous avec ces deux arrêts à une sorte de réhabilitation de l’intérêt général dans le secteur économique. Et l’intérêt général, dont nous avons parfois oublié qu’il a les qualités d’être tout à la fois une norme de mesure, de contrôle et de raison(22), nous apparaît comme le remède le plus approprié aux dérèglements du système économique dus à une conception et une application purement mécanique du droit de la concurrence. En ce sens, les deux arrêts qui ont retenu notre attention offrent une solution qui est un excellent complément au droit européen en vigueur dans une perspective de régulation des marchés.

Dans les deux espèces, le principe de cette régulation résulte de l’idée que le droit de la concurrence européen est compatible avec l’article 52 de la loi italienne du 6 juin 1974 qui dispose que: « Chaque tarif est calculé sur un prix de base situé au centre de la fourchette. Le prix de base est déterminé en tenant compte du coût moyen des prestations de transport correspondantes, y compris les frais commerciaux, calculé pour des entreprises bien gérées et qui bénéficient de conditions normales d’utilisation de leur capacité de transport, ainsi que de la situation du marché, et de manière à permettre aux entreprises de transport d’obtenir une rémunération équitable « .

Cette disposition législative qui renvoie ensuite au pouvoir réglementaire pour la fixation des tarifs nous montre que les autorités italiennes ne laissent pas les mécanismes du marché jouer indéfiniment lorsqu’ils mettent en œuvre une concurrence destructrice pour le tissu économique. L’Etat a la possibilité de fixer des tarifs pour qu’il y ait rémunération équitable. La critique qui pourra être faite au texte est, bien sûr, qu’il n’existe ni de définition juridique de  » l’entreprise bien gérée  » , ni de définition de la  » rémunération équitable « . On remarquera que le concept de régulation n’est pas non plus juridicisé. En effet, à partir de quel degré de trop forte concurrence sur un marché le juge doit-il admettre qu’un tarif obligatoire peut être fixé par une réglementation étatique?

Il convient par ailleurs de réfléchir au degré de liberté qui peut être laissé aux Etats par la Cour pour soustraire certaines activités au droit de la concurrence au nom de la défense de l’intérêt général. Deux voies principales se présentent à nous.

Premièrement, le juge peut estimer que la jurisprudence communautaire est le minimum garanti et laisse à la discrétion des Etats membres le soin d’estimer quel secteur économique doit faire l’objet d’une protection. Cette solution choisie par le juge de l’arrêt Librandi(23) s’inscrit dans la logique du principe de subsidiarité. Elle apparaît satisfaisante sur le plan de la souplesse d’adaptation du droit aux spécificités de chaque pays et de chaque secteur économique. On remarquera cependant de nombreux inconvénients sur le plan des distorsions de concurrence qu’il pourra y avoir entre pays.

Quant à la deuxième voie, elle consiste, dans le respect des grands principes de libre circulation des marchandises et des capitaux pour la réalisation du grand marché européen, à considérer que le droit de la concurrence du traité avait fixé des critères intrinsèques applicables à l’ensemble des Etats membres au nom de l’unification et de l’uniformisation économique(24) .

Nous pensons, aussi séduisante soit la solution Librandi, que la deuxième interprétation est indéniablement la plus adaptée à l’esprit du traité CE, l’inconvénient est qu’elle n’apporte aucune solution aux insuffisances du même traité en ce qui concerne la limitation de certains excès de concurrences.

Il ressort de tout ceci que des réserves doivent être faites sur le plan théorique. On ne peut en effet juger au nom de l’intérêt général en ne se fondant que sur des traités européens dont la teneur est essentiellement économique. Rendre des arrêts au nom de l’intérêt général au niveau communautaire en ne se basant que sur des textes économiques est problématique. En effet, La notion d’intérêt général a une largeur de sens maximum et donne un pouvoir d’appréciation plus large par exemple que l’intérêt économique général. C’est ainsi que les règlements comme les arrêts européens rendus au nom de l’intérêt général nous semblent, dans le domaine économique, impossibles à fonder sur le traité CE, à moins de considérer que l’optique du droit économique libéral permet de révéler et résoudre tous les problèmes de société.

Dans la même recherche de cohérence, il peut être remarqué qu’en laissant les Etats membres juger à nouveau des problèmes économiques du secteur concurrentiel au nom de l’intérêt général comporte le risque de créer des distorsions de concurrence remettant en cause l’œuvre d’unification réalisée au niveau européen.

Les deux arrêts Spediporto et Librandi traduisent donc bien ces problèmes juridiques que rencontrent maintenant les institutions européennes. En remédiant aux excès de concurrence, le juge communautaire risque de voir se reformer au sein de l’Europe une mosaïque composée des spécificités de chaque Etat membre. Et cela nous semble préjudiciable à la consolidation de l’Union européenne par un manque de respect de l’esprit du traité.

Nos deux arrêts sont d’ailleurs une très bonne illustration de ce problème d’interprétation trop souple. Il suffit de se référer à l’article 3 sous F et G du traité CE concernant le transport routier. Cet article s’il ne peut être considéré comme ayant une valeur normative à l’instar des articles 85 et 86 du traité CE, doit cependant être considéré comme définissant les objectifs qui s’imposent à la CJCE. L’article 3 sous F et G dispose qu’aux fins énoncées à l’article 2, l’action de la communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité :

F/ Une politique commune dans le domaine des transports.

G/ Un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur.

Or, la solution Librandi ne nous semble pas conforme à ces objectifs qui définissent l’esprit dans lequel doit être interprété le traité CE. En effet, la solution de l’arrêt privilégie le transport routier italien en accordant des tarifs obligatoires qui n’existent pas dans les autres Etats membres. Les jurisprudences du type CJCE Volk-Veraecke du 9 juillet 1969(25) estimant qu’un accord n’est pas sanctionnable lorsqu’il n’affecte le marché que d’une manière insignifiante (seuil de sensibilité) ne nous semblent pas pouvoir justifier – et il n’en est pas question dans les deux arrêts – cette réglementation italienne. Le seuil de sensibilité est en effet très largement franchi puisque le comité central fixe des tarifs minimum(26) obligatoires pour l’ensemble du transport italien(27) et favorise par le seul effet de situation géographique les entreprises de transport italiennes.

Ces tarifs reconnus conformes au traité par la CJCE ne nous semblent donc pas satisfaire à l’objectif de ne pas fausser la concurrence dans le marché intérieur. L’arrêt Librandi à l’heure où le cabotage en matière de transport routier est libre dans l’Union européenne donne un avantage aux transporteurs italiens qui seront les premiers favorisés par ce système de tarifs institués par la loi italienne. La concurrence entre transporteurs européens nous semble donc manifestement faussée par ces deux arrêts de la CJCE.

B/ Une régulation des marchés sans base théorique et sans définition juridique

L’ensemble de ces considérations nous amène à faire quelques remarques sur la notion de régulation telle qu’elle est employée actuellement en droit. Il apparaît de plus en plus que le juge européen ne peut forger son jugement en ne se basant que sur les règles de droit du traité CE. La recherche de l’effet utile du traité l’amène a développer des interprétations les plus diverses qui lui font parfois créer la règle en fonction de la solution qu’il veut donner au litige. Si cette méthode de travail trouve aujourd’hui une justification doctrinale avec l’idée de régulation des marchés, il ne peut être pour autant occulté que ce pragmatisme à toute épreuve pose quelques problèmes comme, par exemple, le respect de l’Etat de droit (Mais il vrai qu’il n’y a pas d’Etat…).

Par son pouvoir d’interprétation, le juge communautaire s’est octroyé, au fil de sa jurisprudence, la possibilité de donner des solutions opposées à un même problème posé. Dans les deux espèces Spediporto et Librandi, le juge communautaire aurait dû, dans la logique du traité et de ses jurisprudences antérieures, qualifier d’entente le comité central des transporteurs Italiens pour la fixation des tarifs du transport routier. Il a préféré considéré ce comité comme chargé d’une mission d’intérêt public.

Le juge communautaire nous semble ainsi agir comme s’il se sentait prisonnier de l’idéologie du traité. Le seul moyen de se libérer du sens littéral et trop libéral du texte est donc de se donner une très grande latitude d’interprétation. Il reste que la solution apportée par ses deux arrêts, aussi louable soit-elle, pose le problème de ce pragmatisme jurisprudentiel qui nous semble synonyme d’insécurité juridique. Le droit pour rendre les situations prévisibles doit être lui même prévisible. Or, le droit de la concurrence tel qu’il est de nos jours interprété n’offre plus cette sécurité du minimum de prévisibilité.

Ces problèmes posés aussi bien à l’ordre juridique communautaire, qu’à l’ordre interne ou international cherchent à trouver une solution avec la notion de régulation. La notion de régulation dont il est question actuellement en droit est issue de la science de la cybernétique(28) . La cybernétique qui se définie comme la science qui étudie les mécanismes de communication et de contrôle dans les machines et chez les êtres vivants relève de l’esprit se système. L’idée est dans la mesure ou un système est muni de mécanismes de régulation, il peut contrôler son propre fonctionnement et donc se gouverner lui même. La cybernétique est la science des actes contrôlés(29) . Transposée par Lucien Mehl au droit public, le concept de régulation n’a pas de définition juridique précise(30) . On remarquera par ailleurs que l’ordre juridique tel qu’il s’est constitué au fil du temps n’a pas été conçu à la base sur ou en tenant compte du concept de régulation. La régulation en droit nous semble donc plutôt résulter d’une appréhension et d’une utilisation plus politique que juridique des instruments juridiques afin de faire légitimer par le droit certaines situations délicates.

On peut y voir, par exemple, un machiavélisme trahissant l’esprit des textes pour remédier à l’affaiblissement de l’autorité des Etats. Car il nous semble qu’un trait caractéristique de la régulation est qu’elle a pour signification un affaiblissement certain de l’autorité chargée de dire le droit. Il n’y a pas en effet le même rapport d’unilatéralité comme nous le connaissons en droit administratif classique. La régulation, bien qu’elle utilise des actes administratifs unilatéraux ou des jugements ayant force exécutoire, implique qu’il y a d’une certaine manière négociation avec les forces en présence, c’est à dire entre autre la  » loi  » du marché, les autorités d’autres Etats, les organisations économiques internationales, les forces économiques et autres considérations politiques internationales. La régulation nous semble bien comporter l’idée qu’il faut adapter les solutions de droit aux circonstances et phénomènes économiques du moment. En ce sens, l’idée de régulation ne correspond pas tout à fait au modèle cybernétique dont elle est issue. La régulation dans l’œuvre de Norbert Wiener correspond en effet à un processus très précis. Or, elle ne peut, telle qu’elle est utilisée actuellement en droit, être considérée comme résultant d’une approche scientifique.

Un autre aspect du problème concerne les rapports entre le concept de régulation et les valeurs morales qui sous-tendent et gouvernent toutes règles de droit. La régulation en se fixant pour objectif premier l’effet utile du droit sur le système économique (approche macro économique) nous semble moins préoccupé par la recherche téléologique du bon et du juste dans l’élaboration et l’application du droit aux entreprises et aux personnes.

Il ressort de ces remarques que la régulation telle qu’elle est actuellement pratiquée relève pour l’essentiel de l’utilisation a posteriori d’un concept employé à des fins idéologiques pour légitimer une désorganisation économique et financière à l’échelle mondiale.

Le pragmatisme – pour ne pas dire l’empirisme – avec lequel se construit actuellement le droit européen nous éloigne de plus en plus des théories classiques du droit(31) et nous amène à faire quelques remarques.

Plus qu’un revirement de jurisprudence inattendu qui respecte quand même l’esprit d’un texte auquel il se conforme, les arrêts spédiporto et Librandi nous apparaîssent en contradiction flagrante avec le traité CE. Pour remédier à cela, un degré juridictionnel supplémentaire serait souhaitable et il nous apparaît évident qu’une sorte de  » contrôle de conformité  » au traité (de type contrôle de constitutionnalité) des différents textes et des décisions juridictionnelles est nécessaire.

Un deuxième point concerne un problème sémantique. La CJCE montre au fil de sa jurisprudence une volonté manifeste de ne pas définir précisément les concepts utilisés. C’est ainsi, par exemple, que les notions d’intérêt général, d’intérêt économique général et d’intérêt public sont considérées comme équivalentes. Ce flou artistique des termes employés nous semble peu compatible avec l’idée même de droit.

Il apparaît troisièmement que la CJCE peut, au gré de sa jurisprudence, développer des critères alternatifs à objectifs opposés qui laissent ensuite à la cour le soin de choisir le critère qui convient le mieux à la solution qu’elle veut donner au problème posé. La cour n’applique donc pas une solution de droit prévisible en fonction du traité et de sa jurisprudence. Elle choisit le critère qui convient le mieux aux circonstances de fait. Cette largeur d’interprétation en fonction de critères opposés lui donne, nous semble-t-il, un pouvoir discrétionnaire trop important.

Il ressort de ces trois principaux problèmes que nous venons d’exposer qu’il y a en matière de droit de la concurrence au moins, une absence de prévisibilité du droit qui implique un problème plus général de sécurité juridique. La stabilité et la prévisibilité du droit sont des éléments importants de la sécurité juridique et sur le long terme des éléments tout aussi important pour la légitimité des institutions.

Le mort s’est donc saisi du vif… L’Europe découvrant la face jusqu’à présent bien voilée du droit de la concurrence se met à faire du droit administratif dans sa version la plus ancestrale pour limiter les effets destructeurs de la guerre économique. Ces contorsions interprétatives du juge communautaire révèlent les carences du traité CE. Ce traité nous semble maintenant mériter une bonne révision grâce à laquelle il pourrait être fait du service public d’intérêt général, un des piliers, à rang égal, avec la politique de concurrence. Sans ce rééquilibrage et dispensée de solides appuis théoriques, la notion même de droit sera contestée au niveau européen puisqu’il ne s’agira toujours que d’un droit au service d’une idéologie, d’un dogme.

Le 10 novembre 1999

Christophe LEROY

Maître de Conférences

à l’Université Paris XII Saint-Maur.

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(1)GURI n° 200 du 31 juillet 1974.

(2)Dans l’affaire Librandi – dont les faits et les problèmes de droit ressemblent beaucoup à ceux de l’arrêt Centro Servizi Spediporto, le transporteur a été chargé par Cuttica d’effectuer certains transports de conteneurs. Après l’exécution des transports, Cuttica a versé à Librandi une somme inférieure à celle résultant des décrets ministériels italiens des 24 mars et 26 juin 1995 , fixant les tarifs obligatoires pour les transports routiers de marchandises pour compte d’autrui. Par citation du 18 juin 1996, Librandi a en conséquence demandé au Giudice di pace di Genova de condamner Cuttica au paiement de la différence entre la somme versée et la somme due conformément au tarif rendu obligatoire par les décrets ministériels précités. La juridiction de renvoi se demandait dans cette affaire si les décrets ministériels des 24 mars et 26 juin 1995, fixant les tarifs obligatoires régissant les prestations de transport en cause, ne devraient pas être déclarés inapplicables au motif qu’ils auraient été adoptés sur la base d’une réglementation incompatible avec les règles de concurrence communautaires.

(3)Rapport public du Conseil d’Etat pour 1999, Etudes et documents n°50, p.247.

(4)Voir en ce sens Christophe Leroy,  » Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France « , Les petites affiches, 18 juillet 1994 p.5.

(5)Philippe Icard,  » Droit matériel et politiques communautaires « , 3Ed. Eska, p.449.

(6)CJCE 14 juillet 1971, ministère public luxembourgeois c./ muller, aff.70/123, rec. 1971, p.723.

(7)CJCE 11 avril 1989 l’arrêt Ahmed Saeed Flugreisen

(8)Arrêt Corbeau du 13 mai 1993 de la Cour de justice des communautés européennes.

(9)Arrêt Almélo du 27 avril 1994 de la Cour de justice des communautés européennes, petites Affiches du 15 et 17 mars 1995, note Olivier Raymundie.

(10)Arrêt Corbeau du 13 mai 1993 de la Cour de justice des communautés européennes.

(11)Rapport public du conseil d’Etat pour 1994, n°46 Service public, services publics: Déclin et renouveau, p.13 à 135.

(12) » Le service public « , Mission présidée par Renaud Denoix de Saint-Marc. Rapport au Premier ministre, collection des rapports officiels, Ed. La Documentation française, 1996.

(13)Revue de la Concurrence et de la consommation, Ateliers de la Concurrence,  » L’approche juridique « , Article de Marie-Anne Frison-Roche, Revue n°87, septembre-octobre 1995.

(14)Arrêt Almélo du 27 avril 1994 de la Cour de justice des communautés européennes.

(15) » Sur le service universel: Renouveau du service public ou nouvelle mystification? « , Par Marc debène et Olivier Raymundie, AJDA du 20 mars 1996, p.183.

(16)CJCE 10 décembre 1991, port de Gênes

(17)Point 45 de l’arrêt Librandi.

(18)Journal professionnel  » Les Routiers « ,n°758, septembre 1999, p.34.

(19) » Nouvelle invasion ou confirmation du droit de la concurrence ? A propos de quelques développements récents…. « 

– Revue Europe, éditions du jurisclasseur, janvier 1996, Laurence Idot, p.1.

(20)CJCE 13 juillet 1966, Consten /c., aff. 56/54 rec. P.429.

(21)Il n’est pas question en effet question d’amélioration de la production ou de la distribution ou promotion du progrès technique ou économique, il n’est pas question de partage du profit avec les utilisateurs, il n’est pas vraiment question de proportionnalité entre restriction de concurrence et effets favorables de l’entente, et encore moins de problèmes de maintien de la concurrence.

(22) » L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, retour aux sources et équilibre « . Didier Truchet, , Rapport public du Conseil d’Etat pour 1999 p. 361.

(23)Point 46 , 47 et 48 de l’arrêt Librandi : Il appartient dès lors aux États membres de déterminer les critères permettant de respecter au mieux les règles communautaires de la concurrence. Il appartient ensuite aux juridictions nationales de contrôler si, dans la pratique, les critères d’intérêt public, définis dans le cadre réglementaire national, sont respectés. Il y a lieu dès lors de répondre aux quatrième et cinquième questions qu’il appartient aux États membres de déterminer les critères concrets à utiliser pour fixer des tarifs, tels ceux en vigueur dans l’ordre juridique italien, et aux juridictions nationales de contrôler si, dans la pratique, les critères ainsi définis sont respectés.

(24)L’article 90.2, paragraphe 2, du traité de Rome et les entreprises de Réseau. Jean-Yves Chérot, AJDA, 20 mars 1996, p.171.

(25)arrêt du 9 juillet 1969, Volk-Veraecke, rec. P.295, RTDE 1969, p.809, conc. Gand.

(26)La loi de 1974 institue, aux articles 50 et suivants, un système de tarifs obligatoires à fourchette comportant une limite maximale et une limite minimale.

(27)Point 15 : Le décret-loi n° 82 du 29 mars 1993, portant mesures urgentes en faveur du secteur du transport routier de marchandises pour le compte d’autrui (GURI n° 73 du 29 mars 1993), converti, après modifications, en la loi n° 162 du 27 mai 1993 (GURI n° 123 du 28 mai 1993), a ensuite interdit, en son article 3, toute stipulation contractuelle dérogeant aux tarifs résultant de la loi ou/et des accords collectifs prévus par l’arrêté ministériel du 18 novembre 1982.

(28)Le terme Cybernétique a été forgé à partir du Grec Kubernêsis, qui signifie au sens propre, action de mener un vaisseau et au sens figuré, action de gouverner, de diriger.

(29)Jean Ladrière,  » Cybernétique « , Encyclopaedia Universalis, vol.6 p.982.

(30)Voir cependant l’article de Marie Anne Frison Roche,  » Les différentes définitions de la régulation « , les petites affiches du 10 juillet 1998, n°82, p.5.

(31) » Réflexions sur l’autonomie et la suprématie du droit économique « , Christophe LEROY, à paraître dans la revue internationale de droit économique.

Le retrait obligatoire ou l’expropriation des actionnaires minoritaires à la suite d’une offre publique de retrait

By Droit boursier

Le Conseil des bourses de valeurs vient récemment d’élaborer une nouvelle réglementation intitulée « le retrait obligatoire »(1) complétant le dispositif normatif déjà en vigueur pour l’offre publique de retrait (2). Le retrait obligatoire donne la possibilité au groupe d’actionnaires majoritaires ayant proposé une O.P.R d’obtenir en quelque sorte une fermeture du capital de leur société. Une société ayant fait l’objet d’un retrait obligatoire ne sera plus considérée comme faisant appel public à l’épargne. Les justifications de cette nouvelle réglementation, sa dérogation au droit commun de la propriété des valeurs mobilières ainsi que ses modalités de mise en oeuvre sont autant de points qui nous sont apparus fort intéressant à étudier.

1/ LES RAISONS JUSTIFIANT LA MISE EN OEUVRE D’UNE PROCEDURE DE FERMETURE DU CAPITAL DES SOCIETES COTEES EN BOURSE: 

La fermeture du capital des sociétés cotées en bourse bien qu’elle soit un événemement assez peu médiatisé reste sans aucun doute un des grands problèmes contemporains de l’appel public à l’épargne. Les enjeux de ce renoncement à l’appel public à l’épargne des sociétés cotées sont multiples et concernent aussi bien la mission des autorités boursières que les intérêts des actionnaires minoritaires et du groupe majoritaire acquéreur. La radiation de la cote d’un émetteur de valeurs mobilières met régulièrement les autorités boursières face à un problème qui se pose en ces termes: Leur mission d’administration des marchés réglementés les amène à essayer de limiter le plus possible le nombre d’émetteurs inscrits à la cote qui ne respectent pas ou ne sont plus en situation de respecter leurs obligations inhérentes à l’appel public à l’épargne (3). Mais ce souci de protéger les épargnants est en réalité un dilemme. En effet, si la radiation de la cote d’une société empêche de nouveaux investisseurs peu avertis d’acheter les titres de sociétés ne respectant pas les règles de l’appel public à l’épargne, cette même radiation peu avoir de fâcheuses conséquences en ce qui concerne les investisseurs déjà actionnaires de ces sociétés. Une fois les titres radiés de la cote, ces petits investisseurs risquent en effet de rester « collés » comme l’exprime le jargon boursier, c’est à dire de ne plus pouvoir que très difficilement négocier leurs valeurs mobilières. Aussi, le Conseil des bourses de valeurs met généralement en oeuvre une solution de compromis consistant à radier du marché officiel ou du second marché les titres des sociétés ne satisfaisant plus à la réglementation pour les transférer sur le marché hors-cote. Cette solution impliquant cependant un inquiétant allongement de la liste des sociétés inscrites sur le marché hors-cote (4), le Conseil des bourses se devait de trouver des solutions. La première solution que le législateur et le Conseil des bourses de valeurs ont apporté à ce problème a été dès 1989 (5) la création de l’offre publique de retrait. L’O.P.R offre une solution aux actionnaires minoritaires dont les titres ont un marché qui manque de liquidité ou qui doivent subir une politique de la part du ou des actionnaires majoritaires qui leur est défavorable (6). Cette solution consiste pour les actionnaires minoritaires à se faire racheter leurs titres par les majoritaires. Il va sans dire que cette procédure d’offre publique de retrait ne peut être effectuée que si la situation boursière de la société dont les titres sont admis à la cote officielle ou au second marché répond à certaines conditions. La plus importante est que le ou les actionnaires majoritaires agissant de concert disposent de 95 % des droits de vote de la société pour pouvoir lancer leur offre. Il faut savoir enfin que la mise en oeuvre d’une O.P.R implique nécessairement la radiation de la cote de la société en cause et son transfert sur le marché hors-cote si certains petits actionnaires n’ont pas apporté leurs titres à l’offre. On remarquera donc que l’offre publique de retrait n’implique pas nécessairement la fermeture du capital d’une société au public. Ainsi, un nombre peu important de petits actionnaires peuvent empêcher une société de renoncer à l’appel public à l’épargne. A ce problème des minoritaires refusant d’apporter leurs titres à une O.P.R s’ajoutait le cas du petit actionnaire qui par inadvertance n’avait pas non plus apporté ses titres à l’offre ou, méconnaissant la réglementation boursière refusait d’apporter ses titres parce que le prix offert lui semblait trop bas. Ce refus était très vite suivi d’une déconvenue lorsque l’actionnaire découvrait que la société était transférée sur le hors-cote, marché où les valeurs sont assez difficilement négociables. Désormais, grâce au retrait obligatoire qui vient compléter le dispositif de l’O.P.R, les cas où des minoritaires estiment, parfois à tort, que la protection de l’épargne n’est pas bien assurée devraient peu à peu disparaître. Encore faudra-t-il que les dirigeants estiment que leur intérêt réside plutôt dans la mise en oeuvre ce retrait obligatoire. Un autre problème important que résoud cette procédure du retrait obligatoire est celui du renoncement volontaire à l’appel public à l’épargne des sociétés cotées. En effet, avant l’entrée en vigueur de cette procédure, certains dirigeants et actionnaires majoritaires d’une société se trouvaient en quelque sorte « prisonnier » de l’appel public à l’épargne. Cette quasi-impossibilité pour ces derniers de racheter la totalité des titres des actionnaires minoritaires les mettaient dans une situation de devoir respecter les contraintes qu’impose la cotation en bourse alors que leur volonté était de radier les titres de leur société des négociations. On imagine combien dans ces sociétés – dont la plupart finissent sur le hors cote – les obligations d’information du public pourtant allégées sont peu ou mal respectées. Le retrait obligatoire devrait pour cela clarifier le jeu et permettre aux dirigeants de prendre une position plus tranchée. Soit, la société reste cotée et ils devront se plier plus scrupuleusement aux règles de l’appel public à l’épargne, soit ils ne désirent plus que leur société soit cotée et ils pourront mettre en oeuvre des offres publiques qui s’achèveront par un retrait obligatoire. On remarquera que le retrait obligatoire n’est applicable qu’aux sociétés cotées ou ayant été cotées sur le marché officiel ou le second marché. Les sociétés qui ont été cotées sur ces marchés et transférées sur le hors-cote peuvent donc aussi bénéficier du retrait obligatoire. En revanche, les sociétés qui n’ont jamais été inscrites que sur le marché hors-cote ne peuvent subir une procédure de retrait obligatoire. Cette exclusion des sociétés qui n’ont connu que le marché hors-cote est due au régime d’admission trop libéral de ce marché. On imagine le détournement de procédure qui pourrait consister pour des actionnaires majoritaires à demander l’inscription au hors-cote de leur société aux seules fins de bénéficier d’une procédure leur permettant d’évincer certains minoritaires. Le texte sur le retrait obligatoire évite donc ce type de problème en reprenant le champ d’application des O.P.R.

2/ LA CONTESTABLE DEROGATION DE CETTE PROCEDURE AU DROIT COMMUN DE LA PROPRIETE DES VALEURS MOBILIERES: La procédure de retrait obligatoire est une procédure d’expropriation des actionnaires minoritaires représentant au plus 5% du capital d’une société. La privation autoritaire de la propriété de valeurs mobilières est apparue au Conseil des bourses de valeurs comme une nécessité pour fermer le capital d’une société. Certes, il était en réalité techniquement assez difficile de faire autrement pour clarifier le statut de l’appel public à l’épargne et il est vrai que nombre de sociétés ont une situation ambiguë sur ce point. Mais peut-être pourra-t-on s’intérroger sur la légitimité de ce nouveau chapitre du règlement du Conseil au regard de l’idée que l’on se fait de l’intérêt général en droit administratif classique. En effet, le retrait obligatoire est fort curieusement une procédure d’expropriation au bénéfice de personnes privées. Certes, il existe une idée d’intérêt général dans cette procédure puisque, comme nous l’avons évoqué, le retrait obligatoire devrait permettre d’épurer le marché de sociétés ne respectant pas vraiment les règles de l’appel public à l’épargne. Ceci étant, on remarquera que la réglementation n’impose pas aux actionnaires majoritaires d’une société de mettre en oeuvre une procédure de retrait obligatoire. Or, en quoi des minoritaires devraient-il plus que des actionnaires majoritaires à 95% supporter le fait qu’une société doivent fermer son capital parceque le marché de son titre ne satisfait plus aux règles de l’appel public à l’épargne? L’expropriation des minoritaires aurait dû, pour inspirer un peu plus de légitimité, offrir la possibilité au Conseil des bourses d’obliger, à la demande des minoritaires ou de son propre chef, les actionnaires majoritaires à acheter les titres permettant la fermeture du capital des sociétés. La réglementation en vigueur ne prévoit pas cela et laisse à la discrétion de l’actionnaire majoritaire l’initiative de mettre en oeuvre un retrait obligatoire. L’analyse de cette réglementation nous montre donc que la défense d’intérêts privés prévaut très largement sur la défense de l’intérêt général des investisseurs. L’utilisation de prérogatives de puissance publique pour satisfaire des intérêts privés (ne faisant pas l’objet de menaces) quand ils le désirent peut apparaître assez choquante. Cela d’autant plus qu’il existe en effet de petits actionnaires qui, pour des raisons les plus diverses ont et auront le désir de rester actionnaire d’une société, quand bien même celle-ci renonce à l’appel public à l’épargne. On peut penser aux salariés de l’entreprise, aux fondateurs, à certains partenaires industriels, aux concurrents et aux autres personnes voulant se faire entendre aux assemblées pour quelques motifs intéressant la société. Il est regrettable que cette voix des minoritaires désirant rester actionnaires d’une société quoiqu’il advienne n’ait pas été entendue. Le retrait obligatoire supprime l’opposition dans les assemblées des sociétés. Certes, il s’agit d’une opposition très minoritaire, mais ses idées ne doivent pas à priori être considérées comme moins bonne pour les intérêts de la société parce qu’elles viennent de la minorité. Le retrait obligatoire a pourtant été débattu puisqu’il a nécéssité l’intervention du législateur. En effet, il est constitutionnellement impossible au pouvoir réglementaire de prendre des mesures portant atteinte au droit de propriété. L’article 34 de la Constitution de 1958 prévoit en effet que la loi fixe les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. Ainsi, le 31 décembre 1993, le législateur a modifié l’article 6 bis de la loi du 22 janvier 1988(7) afin que le Conseil des bourses puisse introduire dans son règlement général ces nouvelles dispositions concernant l’expropriation des actionnaires minoritaires. On regrettera que cette loi fourre-tout n’ait pas fait l’objet d’un débat parlementaire un peu plus vigilant et critique(8) .

3/ LES MODALITES DE MISE EN OEUVRE DE LA PROCEDURE DU RETRAIT OBLIGATOIRE: La procédure de retrait obligatoire peut aussi, comme nous l’avons déjà évoqué, nous apparaître comme une cession de rattrapage pour les petits actionnaires n’ayant pas apporté leurs titres à l’offre publique de retrait (9). Cette procédure permet du même coup au groupe majoritaire d’acheter la totalité des titres de leur société. Mais il faut bien noter que le retrait obligatoire – subordonné à la mise en oeuvre préalable d’une offre publique de retrait – reste pour l’actionnaire majoritaire une faculté. Le règlement général du Conseil prévoit d’ailleurs deux possibilités pour l’initiateur: soit il décide concomitamment à son offre publique de retrait de lancer dès sa clôture une procédure de retrait obligatoire, soit il attend le résultat de l’offre publique de retrait pour étudier s’il y a lieu d’engager une procédure de retrait obligatoire. Il a alors dix jours après la clôture de l’O.P.R pour se prononcer. La décision de l’actionnaire majoritaire dépend en réalité du résultat de l’O.P.R et de sa volonté plus ou moins affirmée de fermer le capital de sa société. On pourra cependant se demander si ces deux procédures distinctes (O.P.R et retrait obligatoire) ne répondent pas en réalité au même objectif. Dans la mesure où le seuil de détention de droits de vote à partir duquel il est possible de lancer une O.P.R est de 95%, quelle est au fonds la différence entre O.P.R et retrait obligatoire? Certes, dans l’offre publique de retrait, le consentement des 5% de minoritaires est requis pour pouvoir fermer le capital d’une société, alors que dans le retrait obligatoire, les actionnaires se voient privés de façon autoritaire de leurs titres. Mais, pour l’actionnaire majoritaire, l’intention de racheter les derniers 5% du capital de sa société répondent en réalité à une seule et même intention qui est de radier sa société de la cote et de fermer son capital. Le dédoublement de l’opération en deux parties semble en réalité plus correspondre au caractère incomplet de l’offre publique de retrait telle qu’elle a été initialement conçue qu’à une démarche de réelle rationalité juridique. Le Conseil des bourses de valeurs n’a pourtant pas voulu refondre entièrement le régime de l’offre publique de retrait et a adjoint à cette procédure le retrait obligatoire qui reste facultatif. Distinguer le retrait obligatoire pourrait cependant correspondre au caractère autoritaire de sa procédure. Il s’agirait là dans un premier temps de ménager les minoritaires et de limiter le contentieux en requérant leur consentement par voie d’O.P.R, puis de transférer dans un deuxième temps de façon autoritaire le reliquat de titres détenus par des petits porteurs. Mais cette distinction semble artificielle puisqu’une O.P.R ayant complètement échouée pourra quand même être suivie d’une procédure de retrait obligatoire pour évincer les actionnaires minoritaires inattentifs ou récalcitrants. Une autre interprétation envisageable peut-être élaborée à partir de la remarque que le seuil de 95% des droits de vote à détenir pour lancer une O.P.R ne résulte pas d’une disposition législative, mais du règlement général du Conseil des bourses de valeurs. L’intérêt de distinguer les deux procédures pourrait nous apparaître plus clairement si le Conseil des bourses de valeurs venait à abaisser le seuil à moins de 95% pour lancer une O.P.R. L’abaissement de ce seuil enlèverait l’impression de double emploi que donne ces deux procédures. En effet, dans ce cas, une O.P.R ayant échouée ne pourrait être suivie d’une procédure de retrait obligatoire (dont le seuil de 5% des titres expropriables bénéficie, lui, de la protection législative). On remarquera cependant, globalement, que l’abaissement de ce seuil de 95% impliquerait en réalité, vu les précédents, la possibilité pour les majoritaires d’évincer des sociétés cotées une frange encore plus large de minoritaires et que la plupart des O.P.R se finiraient sûrement en retrait obligatoire. En effet, la menace pour les minoritaires de voir leurs titres transférés au hors-cote où il sont difficilement négociables les amène généralement à apporter très largement leurs titres à l’ O.P.R. Cette dynamique fera qu’il restera sûrement assez souvent moins de 5% de titres sur le marché, ce qui permettra le retrait obligatoire. Les titres faisant l’objet d’une offre publique de retrait suivie d’un éventuel retrait obligatoire ne peuvent être évalués selon leur seul cours de bourse tant le marché du titre est étroit. Les actions des minoritaires sont évalués, c’est là une nouveauté, selon des critères déterminés par la loi et repris par le règlement général du Conseil des bourses. Le Conseil, investi d’une mission de protection des minoritaires en matière de retrait obligatoire ne doit autoriser cette procédure qu’à un prix qu’il juge convenable. Ses décisions en matière d’O.P.R ont pourtant été parfois contestées devant le juge(10) . En effet, la société en cause étant destinée à ne plus faire appel public à l’épargne, les titres des minoritaires ne seront plus évalués selon l’offre et la demande du marché. Les minoritaires n’ayant plus vraiment le choix pour négocier leurs titres ont assez facilement recours au juge pour tenter d’en obtenir un meilleur prix. Le Conseil des bourses de valeurs, pour remédier à ce problème d’évaluation, impose maintenant à l’initiateur de l’offre une appréciation multicritère de la valeur de la société pour déterminer quel sera le montant de l’indemnité versée aux minoritaires. L’évaluation de la société doit se faire selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d’actif, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas: – de la valeur des actifs;

– des bénéfices réalisés;

– de la valeur boursière;

– de l’existence de filiales;

– et des perspectives d’activité. On notera que ces critères ne sont pas exclusifs d’autres paramètres et qu’ils doivent comme le précise le règlement être relativisés en fonction de la spécificité de chaque société. Ce règlement tient compte en cela de la Jurisprudence « société biscuits poult (11) » où le juge dans le cas d’une O.P.R avait précisé que « si la sécurité du marché commande que le Conseil des bourses se prononce selon une méthode de valorisation de la société visée constante et connue des opérateurs, il ne saurait pourtant être tenu d’appliquer dans chaque cas des paramètres rigoureusement identiques; qu’il doit au contraire prendre en compte les facteurs de valorisation spécifiques à la société dans les circonstances contemporaines de l’offre en se référant à des critères et en appliquant des coefficients de pondération qui, à la date de sa décision, lui paraissent les plus appropriés ». Cette précision du juge nous semble tout à fait transposable en cas de retrait obligatoire. Le souci du Conseil des bourses de protéger les intérêts des minoritaires à été jusqu’à prévoir une possible réévaluation du prix dans le cas où l’initiateur se serait réservé la faculté de mettre en oeuvre le retrait obligatoire. Dans ce cas, l’initiateur qui a dix jours pour se prononcer après la clôture de l’offre doit proposer un prix au moins égal à celui de l’O.P.R ou supérieur s’il y a eu des évènements susceptibles d’intervenir sur la valeur de la société. Une autre nouveauté pour l’évaluation de la société réside également dans l’obligation faite à l’initiateur d’avoir recours à un expert indépendant pour déterminer le prix des titres à racheter. Cette intervention d’un cabinet indépendant nous apparaît comme tout à fait louable et pourra ainsi réduire les critiques faites au Conseil des bourses lorsqu’il donne son autorisation de lancer une offre à un prix donné ou finalement accepté par l’initiateur. L’expropriation des minoritaires, lorsque le Conseil des bourses de valeurs a donné son accord, se matérialise par une avis publié par la société des bourses françaises qui précise les modalités de mise en oeuvre et la date à partir de laquelle la décison devient exécutoire. Il faut savoir que le délai entre la décision et son exécution ne peut être inférieur à dix jours qui est le délai de recours juridictionnel applicable aux décisions du Conseil des bourses de valeurs (12). Enfin, et c’est là, souligons-le, le but du retrait obligatoire, on notera bien que la société ayant subi cette procédure est radiée de toutes les cotes, qu’elle ne peut être transférée sur le marché hors-cote et qu’elle ne fait donc plus appel public à l’épargne. Cette nouvelle procédure du retrait obligatoire montre une fois de plus le pragmatisme des autorités boursières désireuses de clarifier le statut de l’appel plublic à l’épargne. S’il est possible d’émettre quelques sérieuses réserves sur l’utilisation de prérogatives de puissance publique au profit de personnes privées, on peut néanmoins considérer que cette nouvelle procédure sert les marchés au sens où peuvent être radiés des négociations des sociétés qui, pour des raisons les plus diverses ne sont plus en situation de faire correctement appel public à l’épargne. Les potentiels investisseurs peu avertis sont ainsi protégés de la mauvaise volonté ou de l’indifférence des dirigeants. Quant aux actionnaires minoritaires, il leur est offert une ultime porte de sortie grâce à laquelle ils pourront céder leurs titres à un prix objectivement raisonnable. Pour que cette réglementation soit complète, il faut que la Commission des opérations de bourse produise un règlement concernant l’information que devront diffuser les initiateurs en cas de retrait obligatoire. Ce règlement ne devrait cependant pas modifier le principe de cette nouvelle procédure du retrait obligatoire.

Le 06 juin 1995

Christophe LEROY

Maître de Conférences

Université de Paris XII Saint-Maur.

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(1)Arrêté du 9 juin 1994 portant homologation de modifications du règlement général du Conseil des bourses de valeurs relatives aux offres publiques de retrait, J.O. du 18 juin 1994, p.8806.

(2)Sur les offres publiques de retrait, voir l’ouvrage d’Alain Viandier, « O.P.A, O.P.E, garantie de cours, retrait », Ed. Litec, 1993, p. 295. La thèse de Christophe Leroy, « L’encadrement juridique des marchés financiers par la puissance publique », Paris XII, 1993, p.513.

(3)Les éléments pris en considération par le Conseil pour motiver sa décision de radier de la cote officielle les titres de capital émis par une société française sont de deux sortes. Il s’agit d’éléments financiers et juridiques. Ainsi, par exemple, l’article 3-3-3 du règlement général du Conseil des bourses dispose que les éléments financiers pris en considération pour statuer sur la radiation d’une valeur sont (34): – La moyenne quotidienne des transactions exprimée en francs et en titres, ainsi que le nombre de jours de bourse où les titres ont fait l’objet d’une cotation, appréciés sur une année;

– La mise en paiement de dividendes sur les trois derniers exercices;

– Le pourcentage du capital diffusé dans le public. Les éléments juridiques sont:

– Le respect des engagements d’information pris lors de l’introduction sur le marché, ou lors d’opérations financières récentes.

– Le respect des dispositions du règlement du Conseil des bourses de valeurs. Ces cinq critères constitueraient de véritables couperets si l’on ne pouvait les relativiser et s’ils étaient appliqués à la lettre et de façon systématique. Il est rare en effet qu’une société au cours de sa carrière boursière ne soit pas en contravention avec un de ces cinq critères. Les bulletins mensuels de la Commission des opérations de bourse en témoignent. A titre d’exemple, en 1987, 487 sociétés n’avaient pas respecté leurs engagements relatifs à l’information périodique obligatoire, en ne publiant pas leurs comptes annuels provisoires à la date prévue et 550 sociétés n’avaient pas non plus publié leur chiffre d’affaires à la date limite prévue

(4)- Sur lequel se trouve aussi de jeunes sociétés respectant les règles de l’appel public à l’épargne.Le marché hors-cote est destiné à toutes les entreprises qui ne peuvent être admises à la cote officielle et au second marché parce qu’elles ne répondent pas aux conditions exigées. S’il apparait normal de demander aux sociétés de la cote officielle et du second marché d’avoir un capital assez important, une liquidité de marché convenable et des résultats solides, il serait peu fondé d’imposer de telles conditions à des petites entreprises en pleine croissance. Ainsi, l’existence d’un marché peu réglementé apparait comme nécessaire à l’acclimatation de jeunes sociétés à la vie boursière. L’existence du marché hors-cote est par conséquent pleinement justifiée. Il faut toutefois distinguer sur ce marché les sociétés désirant véritablement s’acclimater à la bourse et s’initier aux techniques boursières, des sociétés dont les titres sont cotées à la demande d’un ou plusieurs actionnaires afin qu’ils puissent vendre leurs titres.

(5)Loi n°89-531 du 2 août 1989 relative à la sécurité et la transparence du marché financier, J.O. du 4 août 1989.

(6)C’est à dire la transformation d’une société en société en commandite, lorsque les majoritaires se proposent de soumettre à l’approbation d’une assemblée générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires, notamment celles relatives à la forme de la société, aux conditions de cession et de transmission des titres de capital ainsi qu’aux droits qui y sont attachés. Lorsque les majoritaires décident le principe de la cession ou de l’apport à une autre société, de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de l’activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération des titres de capital.

(7)Loi n°93-1444 du 31 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la Banque de France, à l’assurance, au crédit, et aux marchés financiers. J.O. du 5 janvier 1994, p. 234. Cette loi modifie l’article 6 bis de la loi n°88-70 du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs auquel est ajouté un cinquième alinéa ainsi rédigé: Les conditions dans lesquelles, à l’issue d’une procédure d’offre ou de demande de retrait, les titres non présentés par les actionnaires minoritaires, dès lors qu’ils ne représentent pas plus de 5% du capital ou des droits de vote, sont transférés aux actionnaires majoritaires à leur demande, et leurs détenteurs indemnisés. L’évaluation des titres doit se faire selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d’actif, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales, et des perspectives d’activité. Cette indemnité est égale au montant le plus élevé entre le prix proposé lors de l’offre ou la demande de retrait et l’évaluation précitée. Elle est consignée en faveur des détenteurs de ces titres. Le quatrième alinéa de ce même article 6 bis nouvellement rédigé devient: Les conditions applicables aux procédures d’offres et de demande de retrait, lorsque le ou les actionnaires majoritaires d’une société inscrite à la cote officielle ou à la cote du second marché ou dont les titres sont négociés au hors-cote d’une bourse de valeurs après avoir été inscrits à la cote officielle ou à la cote du second marché détiennent de concert une fraction déterminé des droits de vote ou lorsqu’une société inscrite à l’une de ces cotes est transformée en société en commandite par actions.

(8)Voir les débats parlementaires de l’assemblée nationale et du sénat du 15 au 18 décembre 1993 publiés au J.O. Pour le sénat, séance du 18 novembre 1993, J.O., p.4440, Pour L’A.N., J.O.du 15 décembre 1993, p.7673. Voir aussi les rapports du sénat n°88 et 214 (1993-1994) et les rapports de l’ assemblée nationale n°769 et 909.

(9)Ce qui n’est pas le cas pour les O.P.R. Par exemple, dans l’affaire Canson, le Conseil des bourses de valeurs a refusé de donner une suite à une demande présentée par un minoritaire. Or, cette demande répondait aux critères prévus par l’article 5-5-2 (La société était contrôlée à 95% ou plus par les majoritaires) du règlement général. Le seul problème était que le titre avait fait l’objet un peu avant d’une offre d’échange lancée par la société Arjomari-Prioux, laquelle société avait prévenu les actionnaires de Canson qu’elle demanderait la radiation du titre de la cote si l’offre publique était menée à bien comme ce fut d’ailleurs le cas. Le Conseil des bourses de valeurs a dans cette espèce motivé son refus en expliquant qu’une offre publique de retrait ne pouvait être considérée comme une session de rattrapage pour les minoritaires qui, parfaitement informés des conséquences de cette opération d’offre publique portant sur leur capital, n’avaient pas apporté leurs titres à cette O.P.E.

(10)Cour d’appel de Paris, 7 novembre 1990,arrêt Champy, drouot assurances, la paternelle.

Cour d’appel de Paris, 18 avril 1991; arrêt Pabim, Candy, usines de rosières.

Cour d’appel de Paris, 8 juillet 1992, arrêt société biscuit poult.

(11)Cour d’appel de Paris, 8 juillet 1992,arrêt société biscuit poult, précitée.

(12)Voir l’article 3 alinéa 2 du décret n°88-603 du 7 mai 1988 relatif aux recours exercés devant la Cour d’appel de Paris contre les décisions du Conseil du marché à terme et du Conseil des bourses de Valeurs.

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ANNEXES TEXTES TITRE 5 CHAPITRE 6 DU REGLEMENT GENERAL DU CONSEIL DES BOURSES DE VALEURS 

Article 5-6-1 A l’issue d’une offre publique de retrait réalisée en application de l’article 5-2-2 ou 5-5-3, l’actionnaire ou le groupe majoritaire peut se voir transférer les titres non présentés par les actionnaires minoritaires moyennant indemnisation de ces derniers. Lors du dépôt du projet d’offre, l’initiateur fait connaître au conseil s’il se réserve la faculté de demander la mise en oeuvre du retrait obligatoire une fois l’offre terminée et en fonction de son résultat, ou s’il demande que le retrait obligatoire soit réalisé dès la clôture de l’offre publique de retrait. A l’appui du projet d’offre, l’initiateur fournit au Conseil une évaluation des titres de la société visée, effectuées selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d’actif, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l’existence de filiales et des perspectives d’activité. Cette évaluation est assortie de l’appréciation d’un expert indépendant. Le Conseil examine le projet d’offre dans les conditions prévues à l’article 5-2-7. S’il le déclare recevable, les conclusions qu’il a retenues pour former sa décision sont précisées dans l’avis publié par la société des bourses françaises.

Article 5-6-2 Si lors du dépôt du projet d’offre, l’initiateur s’est réservé la faculté de procéder après l’offre au retrait obligatoire, il indique au Conseil, dans un délai maximal de dix jours de bourse après la clôture de l’offre, s’il renonce ou non à cette faculté. Sa décision est annoncée dans l’avis de résultat de l’offre publié par la société des bourses françaises. Si l’initiateur décide de procéder au retrait obligatoire, il décide de faire connaître au Conseil le prix proposé pour l’indemnisation. Ce prix est au moins égal au prix de l’offre publique de retrait. Il lui est supérieur si des évènements susceptibles d’influer sur la valeur des titres concernés sont intervenus depuis la recevabilité de l’offre publique de retrait. La décision du conseil sur le retrait obligatoire est rendue publique par un avis de la société des bourses françaises, qui précise ses conditions de mise en oeuvre et notamment la date à laquelle elle devient exécutoire, le délai entre la décision et son exécution ne pouvant être inférieur au délai visé dans le deuxième alinéa de l’article 3 du décret du 7 mai 1988. Cette décision entraîne la radiation de la cote officielle ou de la cote du second marché des titres visés, et le retrait du relevé quotidien du hors-cote des titres qui y figuraient. Les dépositaires teneurs de compte procèdent aux opérations de transfert des titres non présentés à l’offre publique de retrait au nom de l’actionnaire ou du groupe majoritaire qui verse le montant correspondant à l’indemnisation de ces titres dans un compte bloqué ouvert à cet effet, dans des conditions fixées par une décision générale.

Article 5-6-3 Si, lors du dépôt du projet d’offre, l’initiateur a demandé au Conseil de procéder au retrait obligatoire dès la clôture de l’offre et quel qu’en soit le résultat, l’avis d’ouverture de l’offre précise les conditions de mise en oeuvre du retrait obligatoire, et notamment la date de sa prise d’effet. Dès la clôture de l’offre publique de retrait, les titres concernés sont radiés de la cote officielle ou de la cote du second marché ou retirés du relevé quotidien du hors cote. A la même date, Les dépositaires teneurs de compte procèdent aux opérations de transfert des titres non présentés à l’offre publique de retrait au nom de l’actionnaire ou du groupe majoritaire qui verse le montant correspondant à l’indemnisation de ces titres dans un compte bloqué ouvert à cet effet, dans des conditions fixées par une décision générale du Conseil.

Un commentaire de la loi du 2 juillet 1996 sur la modernisation des activités financières

By Droit boursier

CHRONIQUE

Depuis la refonte du statut séculaire des agents de change en 1988 et de leur célèbre compagnie pour les transformer en Société de Bourse sous l’autorité d’un Conseil des bourses de valeurs, le droit des marchés financiers n’a eu de cesse d’évoluer afin de s’adapter aux nouvelles réalités financières et techniques. Cette adaptation des textes s’est poursuivie avec la loi de 1989 sur la transparence et la sécurité du marché financier ainsi qu’avec le travail réglementaire du Conseil des bourses de valeurs et du Conseil des marchés à terme.

Cette première réforme des marchés nécessaire pour les doter d’un encadrement juridique plus adapté à leur formidablement développement avait été qualifiée à l’époque de  » Big-bang  » boursier. Que dire alors de cette nouvelle réforme qui transposant la directive européenne de 1993 donne au métier de la finance un statut juridique et des marchés aux dimensions de l’Europe?

Cette réforme est impressionnante quant aux possibilités juridiques qu’elle offre et aux enjeux financiers qu’elle implique. La réforme de 1988 nous en apparaît aujourd’hui comme beaucoup plus modeste. Mais à bien lire cette nouvelle loi du 2 juillet 1996 au regard des tendances de l’évolution des métiers de la finance, on peut se demander si texte ne sera pas lui aussi qu’une courte étape vers un statut mondial des métiers de la bourse.

Cette réforme en appelle d’ores et déjà d’autres. C’est ainsi que le ministre de l’économie et des finances a donné lors de l’installation du nouveau collège de la COB  » une piste de réflexion  » concernant la réforme de la gestion collective de l’épargne en souhaitant la création d’une autorité professionnelle de la gestion et la filialisation de la gestion collective pour éviter les conflits d’intérêts entre métiers (1).

Cette réforme pose le cadre juridique d’un  » nouveau monde  » de la finance. Il nous semble cependant que cette réforme n’entrera pleinement en vigueur dans les faits qu’avec la mise en place de l’Euro qui – quoique la fin de la spéculation sur les monnaies européenne fera des nostalgiques – donnera son homogénéité au système financier européen en ce qui concerne la fluidité de circulation des capitaux et sa fonction de financement de l’activité économique.

PREMIERE PARTIE: LA REFORME DE L’ORGANISATION DES MARCHES FINANCIERS:

La Directive européenne services et investissements transposée par la loi du 2 juillet 1996 visait avant tout la réforme de la structure des marchés afin que les Etats membres de l’Union européenne aient la même organisation en ce qui concerne les autorités et les institutions bénéficiant du monopole des transactions sur instrument financier maintenant aux dimensions européennes(2) . Nous allons dans cette première partie étudier la Commission des opérations de bourse, le nouveau Conseil des marchés financiers, les entreprises de marché, les entreprises d’investissement et les chambres de compensation.

I/ Les retouches apportées au statut et à la mission de la Commission des opérations de bourse:

a/ La Reconnaissance de la qualité d’autorité administrative indépendante:

La loi reconnaît enfin explicitement à la COB la qualité d’autorité administrative indépendante(3) . Il s’agit là en quelque sorte d’entériner ce que le Conseil constitutionnel (4) qui l’a qualifié d’organisme administratif indépendant et la doctrine(5) pensaient de cette autorité non soumise au pouvoir hiérarchique de l’Etat. Cette qualification ne change donc pas juridiquement grand chose quand à l’indépendance de la Commission qui se voit plutôt renforcée par la capacité maintenant accordée à son président d’ester en justice(6) devant toute juridiction à l’exclusion de la juridiction pénale. L’exclusion de la possibilité d’agir devant les juridictions pénales se veut respectueux de la position du Conseil constitutionnel qui avait déjà limité les possibilités données à la COB par le législateur dans un souci de protection des droits de la défense(7) . La COB n’ayant toujours pas la personnalité morale, son président agit bien sûr au nom de l’Etat, mais l’initiative de ce dernier d’ester en justice se trouve désormais libre de toute contrainte.

On notera en ce qui concerne l’indépendance de la Commission un léger retour en arrière puisque la loi du 2 juillet rétablit sans le nommer le Commissaire du Gouvernement que la loi du 2 juillet 1989 avait supprimé(8) . Ce  » représentant du ministre de l’économie et des finances  » – puisque tel est son nom – est entendu par la Commission sauf en matière de décision individuelle. Il peut soumettre toute proposition à la délibération de la commission exception faite des décisions individuelles. On remarquera d’emblée que l’exclusion des décisions individuelles de la compétence du représentant du Ministre offrent à la COB une garantie d’indépendance en ce qui concerne les interventions politiques que le pouvoir exécutif pourrait être tenter de faire concernant certaines enquêtes où sanctions. On notera également que le représentant du ministre n’a pas le pouvoir de s’opposer à une délibération de la COB, de demander une nouvelle délibération ou de déferrer une décision individuelle devant la Cour d’appel de Paris. Les deux prérogatives du représentant du ministre sont de donner un avis (sauf décision individuelle) où de soumettre toute proposition à la COB. Il ne faut tout de même pas négliger le pouvoir d’influence du représentant du ministre en matière d’exercice par la COB de son pouvoir réglementaire. En effet, n’oublions pas que le ministre de l’économie et des finances conserve en dernier ressort le pouvoir d’homologuer les règlements de la Commission des opérations de bourse(9) .

Le rétablissement d’un représentant du ministre ne nous apparaît donc pas, quoique ses pouvoirs soient limités, comme un élément favorisant l’indépendance de la COB. Mais ce rétablissement répond peut-être au souci exprimé assez souvent par la doctrine de voir la COB développer un arsenal réglementaire d’une grande précision tout en étant juge par les pouvoirs de sanction qui lui sont accordés. Il s’agirait par conséquent de prévenir toute volonté de la Commission d’étendre de façon un peu excessive son champ de compétence ou de proposer des textes établissant un encadrement juridique de la protection de l’épargne trop rigoureux.

b/ Sa mission plus précisément définie:

La loi du 2 juillet 1996 a apporté une plus grande précision à la définition de la mission de la Commission des opérations de bourse. Désormais, la COB selon l’article 1 de l’ordonnance du 28 septembre 1967 modifiée veille à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l’épargne, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers. La COB est donc compétente pour l’ensemble des instruments financiers définis à l’article 1 de la loi du 2 juillet 1996, mais le texte reste très ouvert puisque la commission est également compétente pour les placements ne relevant pas stricto-sensu des instruments financiers, mais de biens les plus divers comme par exemple la bijouterie où les containers dès lors qu’il y appel public à l’épargne. On notera aussi qu’il résulte de la rédaction du texte que la Commission est compétente pour les marchés réglementés comme pour le marché de gré à gré. La nouvelle rédaction de cet article 1 fait de la COB l’institution par excellence de la protection de l’épargne. Sa mission ne s’arrête cependant pas à la protection de l’épargne puisqu’elle doit aussi comme cela était le cas auparavant veiller au bon fonctionnement des marchés et à l’information des investisseurs. En ce sens, les entreprises cotées, les intermédiaires financiers comme les investisseurs bénéficient également de ce rôle de surveillance et de contrôle de la COB.

Comme compétence plus spécifiquement et explicitement définie, on remarquera que la COB a aussi pour mission:

– D’agréer les entreprises de gestion de portefeuille(10) selon des conditions définies par les textes et de retirer cet agrément(11) .

– D’établir des règles pour l’exercice de cette profession de gérant de portefeuille(12) .

– De contrôler les sociétés de gestion de portefeuille(13) et d’exercer le pouvoir disciplinaire les concernant(14) .

Il est à craindre que l’ensemble des textes concernant la COB, le Conseil des marchés financiers et le comité de la réglementation bancaire et financière pourront provoqués de délicats problèmes de chevauchement de compétence. Comme il n’existe pas de hiérarchie entre ces autorités, le partage des responsabilités risque à ce propos d’être problématique dans certains domaines.

c/ Modification de la composition du collège de la COB et de son mode de désignation:

La composition du collège de la Commission des opérations de bourse(15) est changée par la loi du 2 juillet 1996, l’ancienne composition pourtant déjà réformée avec la loi de 1989 n’ayant pas selon de nombreux observateurs donné satisfaction. Le nouveau régime juridique concernant le collège de la C.O.B va plus loin dans le souci d’indépendance de l’institution et de meilleure représentation du milieu professionnel. Le collège voit donc une diminution du nombre des fonctionnaires au profit de personnalités du monde professionnel des marchés financiers. Fait son entrée le conseil national de la comptabilité avec un membre et s’accroît de deux à trois le nombre de personnalités qualifiées. On notera cependant que les autorités boursières perdent un siège du fait de la disparition du Conseil des bourses de valeurs et du Conseil du marché à terme remplacés par une seule institution, le Conseil des marchés financiers. La Banque de France conserve un siège. On notera à son propos qu’elle a maintenant acquis avec la loi de 1993 son indépendance vis-à-vis du Gouvernement.

Le régime juridique de désignation des membres est quelque peu changé, mais le nouveau texte reste en deçà de ce qui était proposé par de nombreux parlementaires(16) .

La nouveauté est la désignation des personnalités qualifiées par le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale et le président du Conseil économique et social alors qu’ils étaient antérieurement nommés par les autres membres du collège. Le Président de la COB reste quant à lui, nommé directement par le Gouvernement pour six ans (mandat non renouvelable) alors qu’il avait été question de donner le pouvoir de l’élire aux membres du collège.

On remarquera globalement que cette réforme de la composition de son collège n’a pas accordé à la COB un changement très significatif en ce qui concerne son indépendance. L’influence du pouvoir exécutif reste prépondérante. Cela s’explique sans doute par le difficile dosage de nécessaire indépendance et d’indispensable intégration au pouvoir d’Etat. Le collège de la COB se compose maintenant de 9 membres au lieu de 8 précédemment auxquels s’ajoute le président.

d/ Impartialité des membres de la COB et réglementation de ses délibérations :

Comme pour le nouveau Conseil des marchés financiers, la loi du 2 juillet apporte également des modifications concernant le statut des membres de la COB à propos des incompatibilités de fonctions. Afin d’éviter tout conflits d’intérêts qui pourraient remettre en cause l’impartialité des décisions de la COB, la loi crée à la charge des membres de la COB une obligation d’information assez large concernant leurs activités ou détentions d’instruments financiers. On notera que les membres de la COB sont obligés de déclarer de façon exhaustive leur exacte situation quant aux intérêts qu’ils détiennent et les fonctions qu’ils exercent. En ce sens, les personnes membres de la COB ne sont pas juges de ce qu’ils estiment ou non devoir déclarer. Leur situation doit par ailleurs être continuellement actualisée(17) .

Le texte ne prévoit pas de sanctions précises en cas de non respect par les membres de leurs obligations d’information. Dans le silence de la loi, il y a donc lieu de penser qu’est applicable le droit commun. Il y a également lieu de penser que les décisions de la COB prises à l’occasion de délibérations irrégulières du fait du non respect par un ou plusieurs membres des incompatibilités auraient toutes les chances d’être annulées par le juge judiciaire s’il s’agit de décisions individuelles et par le juge administratif s’il s’agit d’actes réglementaires. Fort louable est cette disposition législative qui ne peut que renforcer la transparence de la COB et la légitimité de ses décisions.

En ce qui concerne les délibérations de la Commission, la loi du 2 juillet 1996 introduit un article 2 bis qui dipose que la commission établit un règlement intérieur. Ce règlement précise les règles relatives aux délibérations de la commission, notamment aux conditions dans lesquelles les affaires sont rapportées. Il est publié au Journal officiel de la République française.

On remarquera que le souci de transparence qui a animé les rédacteurs de cet article reste tout de même assez limité dans la mesure où la commisssion reste maître du contenu de ce règlement intérieur. La disposition donnant une garantie que ce règlement intérieur améliorera la transparence des activités de la commission est qu’il sera publié au journal officiel.

2/ Le nouveau Conseil des marchés financiers:

Le Conseil des marchés financiers est la nouvelle autorité professionnelle des bourses de valeurs. Il vient en remplacement et exerce les attributions qui étaient conférées au Conseil des bourses de valeurs et au Conseil du marché à terme.

a/ Nature juridique:

La loi du 2 juillet 1996 a institué le Conseil des marchés financiers en le qualifiant d’autorité professionnelle dotée de la personnalité morale. On remarque d’emblée une différence de qualification juridique par rapport au Conseil des bourses de valeurs qui avait selon la loi de 1988 la qualité d’organisme professionnel et était considéré comme étant de droit privé. On peut bien sûr s’interroger sur ce changement de terminologie quant à ses conséquences sur la nature juridique privée ou publique de l’organe en question. Dans le silence de la loi, l’examen de la nouvelle institution au regard des critères classique de la jurisprudence pourra peut-être nous aider.

En premier lieu, On observera que le Conseil des marchés financiers est composé de membres qui sont directement nommés par le ministre de l’économie et des finances(18) et que l’élection du président fait l’objet d’une publication au journal officiel. Il ne fait également pas de doute qu’il ressort du texte de loi que le Conseil des marchés financiers est bien une autorité investie d’une mission de service public et se trouve pour cela doté de prérogatives de puissance publique comme cela était le cas pour le Conseil des bourses de valeurs(19) . Ces éléments n’étant que des indices qui ne peuvent à eux seul déterminé la nature de droit public de l’organe, il convient bien sûr de faire une lecture de la directive investissement que cette loi du 2 juillet 1996 transpose. La DSI impose effectivement à son article 22 la désignation par chaque état membre d’une autorité chargée d’exercer les fonctions de réglementation et de contrôle des entreprises d’investissement. Mais, la DSI précise aussi qu’il peut s’agir soit  » d’autorité publique, soit d’organismes reconnus par le droit national ou par les autorités publiques expressément habilitées à cette fin par la loi nationale « .

Le contentieux des actes pourrait aussi nous apporter un élément de réponse supplémentaire. Il ressort de la loi que les recours intentés contre des décisions individuelles ou des mesures disciplinaires relèvent de la compétence du juge judiciaire. Quant au juge administratif, il est compétent pour des actes réglementaires(20) , pour les mesures d’ordres disciplinaires(21) et pour les approbations des programmes d’activités des prestations de service en matière d’investissement(22) . Il y a là une extension du champ de compétence du juge administratif puisque lui sont attribués l’approbation des programmes d’activités, mais ce critère encore une fois n’est pas déterminant à lui seul comme c’est le cas pour l’ensemble du contentieux.

Le critère du financement n’est pas forcément plus éclairant. Il ressort de l’article 32 alinéa 13 de la loi du 2 juillet 1996 que les modalités du fonctionnement administratif et financier du Conseil des marchés financiers sont prévus par son règlement général. N’étant pas financé par des fonds publics, le Conseil des marché financier sera sûrement financé par une redevance payée par les entreprises d’investissement, à moins que les émetteurs d’instruments financiers ne soient sollicités.

Il ressort de l’étude de ces critères que rien ne nous apparaît comme vraiment convaincant. La nomination des membres du Conseil des marchés financiers par le ministre alors qu’il étaient élus en ce qui concerne le conseil des bourses de valeurs n’est pas déterminant. En effet, le Conseil du marché à terme voyait ses membres élus par le ministre de l’économie et des finances et était pourtant qualifié par la jurisprudence d’organisme de droit privé. Reste la qualification d’autorité au lieu d’organisme qui peut nous faire penser que le législateur a voulu donner au Conseil des marchés financiers une nature ressemblant plutôt à celle de la Commission des opérations de bourse. L’examen de l’ensemble de la jurisprudence(23) dans le domaine bancaire et des transactions commerciales nous montre cependant que celle-ci est constante et que le Conseil des marchés financiers devrait être qualifié de droit privé. La jurisprudence aurait pourtant des éléments pour justifier une qualification de droit public…

b/ Composition du collège du Conseil des marchés financiers:

Le conseil comprend seize membres nommés par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances, pour une durée de quatre ans. Quatorze membres sont nommés après consultation des organisations professionnelles ou syndicales représentatives(24, 25, 26) .

On peut remarquer que le nouveau système assurant la composition du Conseil des marchés financiers accroît notablement les pouvoirs du ministre de l’économie et des finances. Alors que les membres du Conseil des bourses de valeurs étaient élus, nous avons là un système de nomination des membres du CMF. Certes, les membres de feu le Conseil du marché à terme étaient eux aussi nommés par le ministre, mais, on observera que le ministre de l’économie nommait les personnes sur proposition des organisations nominativement désignées. Dans la nouvelle loi, le ministre a non seulement le choix des organisations professionnelles et syndicales représentatives, mais il faut savoir aussi que ces organisations ne sont que consultées. Il faut voir dans ce système de nomination un affaiblissement potentiel de l’indépendance du Conseil des marchés financiers.

En ce qui concerne la répartition des sièges formant la représentation du Conseil des marchés financiers, on notera que les investisseurs font leur entrée et que les émetteurs d’instruments financiers voient leur représentation renforcée. Quant aux représentants des intermédiaires financiers, il sont les mieux représentés. Cela est au demeurant tout à fait normal puisque la plupart des textes adoptés et des pouvoirs exercés par le Conseil des marchés financiers les concernera avant tout.

Siège aussi au sein du Conseil des marchés financiers deux personnages qui n’ont pas le droit de vote. Il s’agit, cela est une nouveauté, d’un un représentant de la Banque de France qui assiste aux délibérations du conseil sans voix délibérative. Il est également prévu que ce représentant puisse également siéger, dans les mêmes conditions, dans les formations spécialisées.

Le deuxième personnage est un commissaire du Gouvernement désigné par le ministre chargé de l’économie et des finances. Il participe également aux formations disciplinaires. En tant que de besoin, il est prévu que le ministre puisse nommer un commissaire du Gouvernement auprès de chaque formation spécialisée du conseil. Le commissaire du Gouvernement n’a pas voix délibérative.

Enfin, il faut savoir que préalablement à ses délibérations, le conseil peut entendre des personnalités qualifiées. Cela nous semble être une fort louable disposition qui permet à des spécialistes, sur demande du Conseil, de venir faire par de leur avis sur des problèmes précis sans que leur présence puisse être contestée.

c/ les différentes missions du Conseil des marchés financiers:

Le Conseil des marchés financiers investi de prérogatives de puissance publique a pour mission d’établir le règlement général concernant les prestataires de services d’investissement, les entreprises de marché et les chambres de compensation, les marchés réglementés, le régime des offres publiques et de retrait et le fonctionnement administratif et financier du C.M.F

Il est à noter que le règlement général du Conseil des marchés financiers est homologué par le ministre de l’économie et des finances après avis de la commission des opérations de bourse et de la Banque de France. Sans entrer dans le détail de ce règlement général qui n’est pas encore publié, on retiendra pour l’essentiel que la loi impose toujours la constitution d’un fonds de garantie auquel devront cotiser les prestataires d’investissement. et qu’il existe toujours une obligation d’intermédiation en ce qui concerne la négociation des instruments financiers. En ce sens

3/ Les entreprises de marché:

Il n’est décidément presque plus de domaines dans le monde des marchés financiers qui ne soient soumis à la concurrence. La création des entreprises de marché correspond à la possibilité pour des personnes de droit privé de créer un marché financier où seront cotées les sociétés qui le demandent et remplissent les conditions(27) . Ces marchés viendront donc concurrencer les marchés déjà existant. Il n’y aura donc plus seulement une concurrence entre places financières comme c’était le cas jusqu’à présent entre Paris, Londres, Francfort, etc…, mais une concurrence entre marchés gérés par des entreprises de marché. Cette possibilité de créer de nouveaux marchés correspond bien sûr à une volonté toujours plus libérale d’organiser une Europe financière. Mais on notera bien que cela n’est possible que grâce aux grands progrès technologiques qui ont permis de créer des marchés dont certains n’ont plus en quelque sorte qu’une existence informatiques en ce qui concerne les moyens matériels nécessaires à leur fonctionnement(28) . On s’inquiétera peut-être un peu de ce mode féodal de création des marchés qui risque d’engendrer une concurrence entre organisateur(29) qui pourrait bien affaiblir leur structures financières.. Il faut donc prendre en compte, quand bien même il y a création de chambres de compensation, de l’augmentation du risque systémique qu’implique la multiplication et la concurrence entre bourses de valeurs. Il faut bien avoir conscience de l’ampleur du désastre que représenterait la déconfiture d’une entreprise de marché pour les investisseurs.

La possibilité de créer un marché financier géré par une société commerciale n’existe pas, pour être exact, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 2 juillet 1996(30), mais depuis la loi du 14 février 1996 qui a permis la création du nouveau marché(31) .

On notera que l’exploitation d’un marché financier par d’autres personnes que les institutions boursières investies par la loi d’une mission d’intérêt public implique quelques nouveautés. Il est nécessaire en effet que ces entreprises de marché soient investies de prérogatives de puissances publiques. Les entreprises de marché ont ainsi le pouvoir d’établir un règlement général et de prendre des décision individuelles. Il va sans dire que ces sociétés commerciales ne s’investissent pas d’elles-mêmes de prérogatives de puissance publique.

La possibilité de créer un marché réglementé ne relève pas en effet de la compétence de personnes de droit privé. La loi du 2 juillet 1996(32) prévoit que la reconnaissance comme le retrait de la qualité de marché réglementé d’instruments financiers est décidé par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances pris sur proposition du Conseil des marchés financiers et après avis de la Commission des opérations de bourse ainsi que de la Banque de France. Quant au règlement général établit par l’entreprise de marché, il est approuvé par le Conseil des marchés financiers.

Une fois le marché crée par arrêté du ministre et son règlement homologué par le conseil des marchés financiers, l’entreprise de marché est responsable de l’organisation et du fonctionnement quotidien de son marché. L’entreprise de marché a en charge l’admission et la radiation des titres, la gestion des moyens de négociation des titres, la compensation, l’enregistrement et la publicité des négociations.

Il y a maintenant autant d’autorités boursières que d’Etats membres aptes à créer de nouveaux marchés financiers sur proposition de personnes de droit privé. Il est intéressant de voir quelle va être dans l’avenir la politique de création et de développement de ces nouveaux marchés réglementés.

4/ Les entreprises d’investissement:

L’article 6 de la loi du 2 juillet 1996 dispose que les prestataires de services d’investissement sont  » les entreprises d’investissement et les établissements de crédit ayant reçu un agrément pour fournir les services d’investissements. Ces nouveaux intermédiaires financiers qui bénéficient de l’obligation d’intermédiation pour les transactions d’instruments financiers forment une nouvelle catégorie juridique d’entreprises. Disparaissent donc les sociétés de bourse et les agents des marchés interbancaires. Vont donc adopter ce nouveau statut de sociétés d’investissement les sociétés de bourse, les sociétés de gestion d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les sociétés de gestion de portefeuille, à terme si elles en font le choix, les maisons de titre et autres société d’investissement.

Il existe ensuite une liste d’exceptions qui se trouvent à l’article 25 de la loi qui concerne un certain nombre d’entités qui pourront effectuer des prestation dans le domaine des services d’investissement sans avoir le statut d’entreprise d’investissement. Parmi les principales, on compte bien l’Etat, la Banque de France, la Poste, les entreprises d’assurance et de réassurance(33) , etc…..

5/ Les chambres de compensation:

Les chambres de compensation sont des institutions essentielles à la sécurité des marchés financiers. S’interposant entre les donneurs d’ordres, elles sont chargées d’acheter à l’acheteur et de vendre au vendeur les instruments qui ont fait l’objet d’une négociation sur un marché réglementé. Chargée par la loi d’assurer la bonne fin des opérations, les chambres de compensation sont chargées comme leur nom l’indique de compenser les éventuelles pertes d’investisseurs ne pouvant plus satisfaire leurs obligations de livraison d’instrument financiers ou de paiement. Comme exemple de chambre de compensation, on peut citer en France MATIF S.A et la Société des bourses françaises.

Les Chambres de compensation, c’est là une nouveauté de la loi, doivent avoir la qualité d’établissement de crédit ou être gérées par un établissement de crédit(34) . Leur mission est de surveiller la position des investisseurs, de procéder à des appels de marges au cas où les dépôts de garantie des investisseurs ne seraient plus suffisant et de procéder à la liquidation d’office des positions au cas où l’investisseur ne pourrait plus remplir ses engagements de paiement ou de livraison des instruments financiers.

Les chambres de compensation ont des adhérents. Les adhérents sont limitativement des personnes autorisées à devenir membres d’un marché réglementé, des établissements de crédit et des personnes morales ayant pour objet principal ou unique l’activité de compensation d’instruments financiers. Les chambres de compensation sont agréées et leur programme est approuvé comme c’est le cas pour les entreprises d’investissement. Il faut voir dans cet agrément et cette approbation les pièces maîtresses du contrôle des autorités boursières devant s’assurer que les chambres de compensation offrent un service de qualité.

On remarquera que les rapports entre les chambres de compensation et leurs adhérents sont de nature contractuelle. La loi le précise dans son article 47 et met fin à un silence considéré par certains auteurs comme une ambiguïté.

En ce qui concerne la responsabilité des chambres de compensation, l’article 48 de la loi prévoit que les chambres de compensation peuvent décider, de façon non discriminatoire, que leurs adhérents sont commissionnaires ducroire à l’égard des donneurs d’ordre dont ils tiennent les comptes. Cela signifie en d’autres termes que les adhérents se portent garant de l’exécution de l’obligation par la chambre de compensation.

DEUXIEME PARTIE: LES APPORTS DE LA LOI CONCERNANT LE FONCTIONNEMENT DES MARCHES:

1/ Le monopole des prestataires de services d’investissement et ses exceptions:

Quoiqu’aient pu en penser et dire certains praticiens, il existe toujours un monopole en ce qui concerne la négociation et la cession d’instruments financiers. Certes, ce monopole se trouve bien dilué au sens où il a maintenant une dimension européenne, où de nouveaux types d’intermédiaires peuvent en bénéficier, et du fait qu’il n’existe pas de numerus clausus. Mais monopole il y a par l’intermédiation obligatoire des négociations d’instruments financiers que pose la loi du 2 juillet 1996. Les sociétés de bourse qui avaient le monopole des négociations selon la loi du 2 janvier 1988 disparaissent donc au profit des  » prestataires de services d’investissement(35) .  » Par prestataire de services d’investissement, la loi entend  » les entreprises d’investissement(36) et les établissements de crédit(37) « . En plus de ces prestataires de services d’investissements, bénéficient aussi du monopole pour les marchés réglementés, les membres de ce marché réglementé(38) .

Pour le  » passeport européen « (39) , la loi du 2 juillet prévoit que dans la limite des services qu’elle est autorisée à fournir sur le territoire de son Etat d’origine et en fonction de l’agrément qu’elle y a reçu, toute personne morale ou physique agréée peut établir des succursales pour fournir des services d’investissement sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer. On notera cependant que les succursales n’ayant qu’une mission d’information, de représentation, ou de liaison ne sont soumis qu’à un régime de notification préalable au Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, qui en informe le Conseil des marchés financiers.

Une fois la règle du monopole posée, vient le temps des exceptions. L’article 25 de la loi nous en fournit un nombre finalement assez important. Parmi les personnes qui peuvent par dérogation à l’article 43, fournir des services d’investissement, on compte: le Trésor public, la Banque de France, l’institut d’émission des départements d’outre-mer et l’Institut d’émission d’outre-mer, La poste; les entreprises d’assurance et de réassurance régies par le code des assurances; Les O.P.C.V.M, les fonds communs de créances et les sociétés civiles de placement immobilier ainsi que les sociétés chargées de leur gestion, Les entreprises qui ne fournissent des services d’investissement qu’aux personnes morales qui les contrôlent directement ou indirectement au sens de l’article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 et aux personnes morales que ces dernières contrôlent au sens du même article; les entreprises dont les activités de services d’investissement se limitent à la gestion d’un système d’épargne salariale ; Les entreprises dont les activités se limitent à celles mentionnées aux c et d ci-dessus ; Les personnes celui fournissent un service d’investissement, de manière accessoire à une activité professionnelle et dans la mesure où celle-ci est régie par des règles qui ne l’interdisent pas formellement, les personnes dont l’activité est relative au démarchage financier et à des opérations de placement et d’assurance les courtiers en marchandises qui ne fournissent un service d’investissement qu’à leurs contreparties et dans la mesure nécessaire à l’exercice de leur activité principale.

En ce qui concerne les opérations soumises au monopoles par le droit positif, les négociations et cessions réalisées sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer et portant sur des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ne peuvent être effectuées que par un prestataire de services d’investissement ou une entité que la loi a habilité par dérogation. On remarquera bien que le monopole concerne tous les instruments financiers, c’est dire actions, obligations comme contrat à terme d’instruments financiers ou options à conditions que ceux-ci soient cotés sur un marché réglementé. Le marché hors-cote amené à disparaître se trouve par exemple exclu du monopole.

Les opérations qui ne sont pas soumises par dérogation de la loi au monopole sont les cessions effectuées entre :1/ Deux personnes physiques, lorsqu’elles portent sur des valeurs mobilières, deux sociétés lorsque l’une d’elles possède directement ou indirectement au moins 20 p. 100 du capital de l’autre, 2/ une personne morale autre qu’une société et une société lorsque la personne morale possède directement ou indirectement au moins 20 p. 100 du capital de la société ;3/ deux sociétés contrôlées au sens de l’article 355-1 de la loi du 24 juillet 1966 par une même entreprise, 4/ sociétés d’assurances appartenant au même groupe, 5/ personnes morales et organismes de retraite ou de prévoyance dont elles assurent la gestion.

La garantie que le monopole ainsi institué sera bien respecté se trouve dans la nullité prévue par la loi des négociations et des cessions qui ne s’y soumettraient pas. En plus de cette sanction civile, il y a des sanctions disciplinaires pour les intermédiaires peu scrupuleux et des sanctions pénales(40) .

L’ensemble du dispositif nous semble d’une grande complexité et il est possible au niveau européen que la pratique des textes révélera des possibilités que les rédacteurs ne soupçonnaient pas.

2/ L’agrément des prestataires de services d’investissement:

Dans ce nouveau système financier où le monopole de l’intermédiation financière est très dilué, où il n’existe pas de numerus clausus, il est apparu très important de mettre en place un dispositif d’agrément des intermédiaires financiers. Cet agrément permet un contrôle à priori des entreprises candidates à exercer le métier d’intermédiaire financier. mais cet agrément pouvant être retiré, les entreprises d’investissement font en réalité l’objet d’un contrôle assez resserré et relativement discrétionnaire des autorités boursières. Le système de l’agrément n’est pas nouveau dans le monde des marchés financiers. Le Conseil des bourses de valeurs pour les sociétés de bourse(41) , le Conseil du marché à terme pour les membres du marché à terme(42) , la COB pour les sociétés de gestion de portefeuille(43) délivraient des agréments. Mais le système de l’agrément prend encore plus d’importance avec cette loi du 2 juillet 1996 dans la mesure où le métier d’intermédiaire n’est plus réservé à des entreprises ayant un statut obligatoire (c’était le cas des sociétés de bourse) et que le monopole a des dimensions européennes.

L’agrément des intermédiaires financiers(44) nous apparaît donc bien comme étant la pièce maîtresse de la protection des investisseurs et de la stabilité du système financier européen. Cet agrément délivré par les autorités financières est destiné à s’assurer que les prestataires en services d’investissement offrent de bonnes garanties financières afin que leur solvabilité ne soit pas problématique dans l’exercice de leur métier. Le pouvoir d’appréciation que donne les textes aux autorités financières est très large. la loi du 2 juillet prévoit que  » le comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement apprécie la qualité des actionnaires de l’entreprise d’investissement au regard de la nécessité de garantir une gestion saine et prudente de l’entreprise d’investissement « . Est également étudié la structure juridique de l’entreprise et l’organisation de la direction.

On remarquera que la délivrance d’un agrément nécessite l’intervention de plusieurs autorités boursières. Le Conseil des marchés financiers approuve le programme d’activité pour chaque service d’investissement(45) , la commission des opérations de bourse approuve le programme d’activité en ce qui concerne la gestion de portefeuille pour le compte de tiers. La COB est l’autorité unique pour l’agrément des sociétés de gestion de portefeuille après avis du comité consultatif de la gestion financière(46) . Enfin, le comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement délivre l’agrément à l’entreprise d’investissement afin qu’elle puisse exercer son activité. La collaboration de ces différentes autorités est assez complexe, mais elle offre de bonnes garanties en ce qui concerne la qualité de l’agrément qui sera délivré. Les textes font en effet que les différentes autorités sont obligées de s’entendre pour qu’une entreprise d’investissement soit agréée.

Le contrôle de la société d’investissement se fait ensuite régulièrement comme cela était le cas pour les sociétés de bourse. On notera aussi que la loi crée une obligation d’information à la charge des entreprises d’investissement qui doivent avertir les autorités boursières des modification dans la structure de leur capital ou lorsqu’ils désirent exercer d’autres métiers que ceux prévus par la loi(47) .

. Enfin, il faut savoir qu’une entreprise d’investissement peut voir son agrément lui être retiré lorsque lorsqu’elle n’offre plus les garanties nécessaires à l’exercice de son métier d’intermédiaire financier(48) .

3/ La révision des textes concernant la gestion de portefeuille:

La gestion de portefeuille dont traite la Directive de 1993 concerne la gestion de portefeuille individuelle et non la gestion des organismes de placement collectif en valeurs mobilières.

La loi du 2 juillet 1996 subordonne l’exercice de l’activité de gestion de portefeuille à l’obtention d’un agrément délivré par la COB lorsque l’activité est exercé à titre principal ou à l’approbation d’un programme d’activité délivré aussi par la COB lorsque l’activité est exercée à titre accessoire. On remarquera quand même que les établissements qui exerçaient cette activité de gérant de portefeuille avant l’entrée en vigueur de cette loi n’auront pas à se soumettre à ces procédures d’agrément ou d’approbation. Leur seule obligation sera de déclarer leur activité au Comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement ou à la COB selon des modalités de répartition fixées par la loi.

Les personnes habilitées à faire de la gestion de portefeuille sont les établissements de crédit et les entreprises d’investissement (ex sociétés de bourse et sociétés de gestion de portefeuille).

Les dispositions spécifiques concernant la protection des investisseurs en matière de gestion individuelle de portefeuille se trouvent aux articles 63 à 65 de la loi du 2 juillet. Il faut retenir pour l’essentiel que les prestataires de services d’investissement(49) doivent protèger les droits de propriété des investisseurs sur les instruments financiers dont ils assurent la tenue de compte. Ils ne peuvent utiliser ces titres pour leur propre compte qu’avec le consentement explicite de l’investisseur.

Les entreprises d’investissement ne peuvent en aucun cas utiliser pour leur propre compte les fonds déposés auprès d’elles par leurs clients(50) .

Les prestataires de services d’investissement et les membres d’un marché réglementé assurent l’enregistrement de leurs ordres dans des conditions fixées par le règlement général du Conseil des marchés financiers.

La loi prévoit également à son article 64 que les prestataires de services d’investissement ne peuvent fournir le service de gestion pour le compte de tiers qu’en vertu d’une convention écrite.

Les actionnaires, sociétaires ou propriétaires d’une entreprise ou d’un établissement prestataire de services d’investissement habilité à gérer des instruments financiers pour le compte de tiers doivent s’abstenir de toute initiative qui aurait pour objet ou pour effet de privilégier leurs intérêts propres au détriment des intérêts des investisseurs qui sont les clients de l’entreprise.

Les dirigeants des entreprises et établissements mentionnés à l’alinéa précédent doivent, dans l’exercice de leur activité de gestion pour le compte de tiers, conserver leur autonomie de décision afin de faire prévaloir dans tous les cas l’ intérêt de leurs clients.

Enfin, il faut savoir qu’il est interdit aux sociétés de gestion de portefeuille de recevoir de leurs clients des dépôts de fonds, de titres ou d’or et d’effectuer des opérations entre le compte d’un client et leur propre compte ou des opérations directes entre les comptes de leurs clients.

4/ La révision des textes concernant les délits boursiers:

a/ La modification des différents délits de l’article 10-1:

La législation et la réglementation sur les délits boursiers sont apparus à nombre d’auteurs et de juge comme un droit en construction. Il est vrai que les textes applicables ont longtemps fait preuve d’une imprécision certaine quand à leur champ d’application et quand aux difficultés qu’ils causaient au juge pour qualifier certains faits. L’intervention du législateur de 1996 pour retoucher ces textes nous semble avoir largement réussi à remédier à ces imperfections.

En ce qui concerne le délit d’initié, l’article 10-1 de l’ordonnance de 1967 se trouve maintenant ainsi rédigé: »Est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 10 millions de francs dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d’une société mentionnée à l’article 162-1 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales et pour les personnes disposant, à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d’un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d’évolution d’un instrument financier admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre sciemment de réaliser, soit directement, soit par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations « .

On remarquera bien que la définition de la notion d’initié n’a pas subi de modification. la loi de 1996 n’a toujours pas intégré les dispositions de la directive européenne du 13 novembre 1989 qui inclue dans la définition de l’initié les personnes pouvant disposer d’une information privilégiée du fait de leur participation dans le capital d’une société. le nouveau texte de 1996 reste également plus restrictif que la directive européenne puisqu’il n’inclut toujours pas les personnes pouvant bénéficier d’une information privilégiée en dehors de leurs fonctions ou de leurs professions. Ces personnes pourront cependant être poursuivies sur la base du recel de délit d’initié dégagé par la chambre criminelle de la Cour de cassation(51) .

Les modifications concernant le délit d’initié portent sur leur objet. Désormais le délit d’initié concerne de façon très élargie  » les instruments financiers  » définis par l’article 1 de la loi de 1996(52) . On remarquera aussi que l’article 10-1 ne concerne que les instruments financiers admis sur un marché réglementé. Sont donc exclus du champ d’application les sociétés non cotées. Le problème du marché hors cote qui n’est pas qualifié de marché réglementé et voué à disparaître a fait l’objet d’un article 10-5. Cet article soumet les sociétés cotées sur le marché hors cote aux textes sur le délit d’initié(53) .

En ce qui concerne le type d’opérations effectuées avec les instruments financiers, le problème avec l’ancienne législation se posait de savoir si les cessions de gré à gré hors marché étaient soumises aux dispositions de l’article 10-1. Il faut savoir qu’avec la nouvelle rédaction de l’article 10-1 de l’ordonnance de 1967, les cessions de gré à gré hors-marché comme les cessions effectuées sur le marché réglementées sont soumises aux dispositions sur le délit d’initié.

En ce qui concerne le délit de communication d’information privilégiée, on ne remarque pas de nouveauté sur le délit en lui-même, la seule différence avec l’ancienne rédaction du texte est que la notion d’instrument financier remplace celle de valeurs mobilières et de contrats à terme. Par ailleurs, ce délit est applicable en vertu de l’article 10-5 aux opérations réalisées sur le marché hors cote.

En ce qui concerne le délit de fausse information prévu à l’article 10-1 al.3 de l’ordonnance de 1967, le même raisonnement peut-être fait que pour le délit de communication d’informations privilégiées. La définition du délit n’a pas changé, seule la notion d’instrument financier a été insérée en remplacement des valeurs mobilières et de contrats à terme. Ce délit est également applicable au marché hors cote puisque l’article 10-5 nous y renvoie.

Enfin, l’alinéa 3 de ce même article 10 ne modifie pas non plus les éléments constitutifs du délit de manipulation de cours. Seule la notion d’instrument financier se trouve insérée dans le texte en remplacement de celles de valeurs mobilières et de contrats à terme. On remarquera que le texte ne contient pas la notion de marché réglementé. Ainsi, on peut supposer que ce délit de manipulation de cours est applicable aux opérations de gré à gré.

b/ La responsabilité pénale des personnes morales:

Une des grandes innovations de la loi du 2 juillet 1996 se trouve sans doute dans l’article 10-4. Ce dernier prévoit que les personnes morales peuvent être pénalement responsables de délits boursiers. Cet article 10-4 dispose que les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2(54) du code pénal, des infractions définis aux articles 10-1 et 10-3 de la présente ordonnance. Les peines encourues par les personnes morales sont :

1° L’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38(55) du code pénal ;

2° Les peines mentionnées à l’article 131-39 du code pénal,

L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39(56) du code pénal porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.

Il résulte de ce texte que les personnes morales peuvent être condamnées pour délit d’initié, délit de communication d’information privilégiée, délit de fausse information et délit de manipulation de cours. On notera cependant que le principe de personnalisation des peines fait(57) que la juridiction doit tenir compte des ressources et des charges de l’auteur.

On remarquera par ailleurs que la loi du 2 juillet 1996 limite désormais le montant des sanctions pécuniaires qui peuvent être infligées à une personne ayant fait l’objet d’une double procédure à la fois devant la COB et le tribunal correctionnel. Le conseil constitutionnel(58) avait déjà précisé que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne devait pas excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues. le nouvel article 9-3 prévoit maintenant que  » Lorsque la Commission des opérations de bourse a prononcé une sanction pécuniaire devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les même faits ou des faits connexes, celui-ci peut ordonner que la sanction pécuniaire s’impute sur l’amende qu’il prononce « .

5/ Les dispositions relatives à la compensation:

Le système de la compensation étant la clef de voûte de la sécurité du fonctionnement des marchés, le législateur a renforcé les dispositions tendant à protéger les chambres de compensation dans l’exercice de leur activité. L’essentiel des précisions qu’apporte le nouveau texte concerne l’obligation de ducroire et le dépôt des fonds auprès de la chambre de compensation.

La nouvelle loi dispose que l’obligation de ducroire est nécessaire pour que les marchés d’instruments financiers puissent être reconnus marchés réglementés.

Dans tous les cas, les membres adhérents d’une chambre de compensation s’engagent à remplir, vis-à-vis de la chambre de compensation, l’intégralité des obligations découlant des transactions inscrites au nom des tiers dans leurs comptes. Le paiement des sommes dues à ce titre ne peut être différé. Toute clause contraire est réputée non écrite.

Les chambres de compensation ayant pour fonction d’éviter que la défaillance d’un ou plusieurs investisseurs ne finisse en défaillance général du marché où elles opèrent, il est apparu au législateur nécessaire de mettre en place un dispositif renforcé de protection des capitaux dont dispose l’institution afin d’assurer la sécurité de la place. Ainsi l’article 49 de la loi prévoit que quelle que soit leur nature, les dépôts effectués par les donneurs d’ordre auprès des adhérents d’une chambre de compensation, ou effectués par ces adhérents auprès d’une telle chambre en couverture ou garantie des positions prises sur un marche réglementé d’instruments financiers sont transférés en pleine propriété soit à l’adhérent, soit à la chambre concernée dès leur constitution aux fins de règlement, d’une part, du solde débiteur constaté lors de la liquidation d’office des positions et, d’autre part, de toute autre somme due soit à l’adhérent, soit à cette chambre. Aucun créancier d’un adhérent d’une chambre de compensation ou, selon le cas, de la chambre elle-même, ne peut se prévaloir d’un droit quelconque sur ces dépôts, même sur le fondement de la loi du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises ou de la loi du l° mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises.

La défaillance de l’adhérent est maintenant bien prévue par les textes pour éviter qu’elle ne remette en cause les droits du client qui opère sur un marché réglementé. L’article 51 de la loi prévoit ainsi qu’en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’un adhérent d’une chambre de compensation d’un marché réglementé, ou de tout autre cas de défaillance de cet adhérent :

1° La chambre peut faire transférer chez un autre adhérent les couvertures et dépôts de garantie effectués auprès de cet adhérent et afférents aux positions prises, sur un marché réglementé, par les donneurs d’ordre non défaillants ;

2′ La chambre peut transférer les positions enregistrées chez elle pour le compte des donneurs d’ordre de cet adhérent, et les couvertures et dépôts de garantie y afférents, chez un autre adhérent.

Les donneurs d’ordre se trouvent par conséquent parfaitement protéger en cas de défaillance de leur intermédiaire financier.

Enfin, en ce qui concerne le secret professionnel, le législateur a tranché en faveur des chambres de compensation. Celles-ci étant garantes du bon fonctionnement du marché, il est apparu nécessaire qu’elles puissent évaluer de façon précise les risques que chaque adhérent et chaque client font encourir au marché. Ainsi, l’article 51-II dispose que les adhérents des chambres de compensation des marchés réglementés ne peuvent opposer le secret professionnel aux demandes formulées par celles-ci aux fins d’assurer la surveillance des positions et, concernant l’identité, les positions et la solvabilité des donneurs d’ordre dont ils tiennent les comptes. L’article 340 du code pénal ne pourra donc plus être invoqué par les chambres de compensation pour protéger l’identité de leurs clients.

6/ La révision des textes concernant les offres publiques:

La loi du 2 juillet 1996 n’apporte que peu de retouches au régime des offres publiques. Cela s’explique essentiellement par le fait que l’objet de la loi est de transposer la directive européenne qui concerne essentiellement l’organisation, la structure des marchés financiers et non les procédures de fonctionnement de ces marchés. Il existe pourtant actuellement dans la presse un débat reflétant les inquiétudes de nombreux dirigeants de grandes entreprises en ce qui concerne les offres publiques. Plusieurs associations patronales ont demandé une modification de la réglementation des offres publiques pour pouvoir mieux se défendre en cas de raid. Le Président de la République Jacques Chirac répondant à ces inquiétudes a fait part de sa volonté de demander au gouvernement de préparer une réforme du droit des OPA. Le Chef de l’Etat a ainsi affirmé que  » S’il ne s’agit pas de revenir à un quelconque protectionnisme, nous ne devons pas pour autant être offert « (59) .

Il faut donc nous attendre dans les mois prochains à un renforcement des dispositions visant à protéger les entreprises cotées d’OPA hostiles.

En ce qui concerne notre loi du 2 juillet 1996, les petites modification qui ne changent pas grand chose à la teneur du régime général des offres publiques se trouvent dans l’article 33 de la loi qui substitue l’expression marché réglementé aux appellations de  » cote officielle  » et de  » second marché  » des textes antérieurs.

En ce qui concerne l’action de concert, le texte vise maintenant expressément l’article 356-1-3 de la loi du 24 juillet 1966 pour la définir.

Une autre ambiguïté est supprimée avec la suppression de l’expression  » droits de vote aux assemblées générales  » qui se trouve remplacée par  » fraction du capital ou droits de vote « . Il n’est donc plus nécessaire pour calculer une majorité de se référer aux droits de vote représentés dans une assemblée.

Enfin, en ce qui concerne l’application des textes concerne les offres et les demandes de retrait ainsi que le retrait obligatoire au marché hors-cote, l’article 33 de la loi prévoit que ces textes sont applicables à condition que les titres aient été au moins une fois cotés sur un marché réglementé.

Enfin, en ce qui concerne les mesures de garantie de cours, l’article 34 de la loi prévoit des mesures provisoires en attendant la suppression du hors-cote

L’article 34 dispose en effet qu’un décret prévoit la date et les conditions dans lesquelles il est mis fin au relevé quotidien du hors-cote. La procédure prévue au troisième alinéa (2°) de l’article 33(60) est applicable jusqu’à la date fixée par le décret prévu au premier alinéa et à compter de la date de publication de la présente loi aux sociétés dont les actions ont figuré une fois au moins au relevé quotidien du hors-cote pendant la période comprise entre le l° janvier 1995 et la date de publication de la présente loi. Il faut savoir qu’à compter de la date de publication de la présente loi, seuls les titres émis par les sociétés visées ci-dessus peuvent figurer au relevé quotidien du hors-cote.

Cette réforme fort louable dans son ensemble inspire tout de même quelques pensées critiques. On remarquera que cette loi du 2 juillet 1996 introduit une concurrence entre intermédiaire financier au niveau européen qui risque d’éroder très fortement leurs marges bénéficiaires. Or, une concurrence un peu trop vigoureuse peut impliquer un affaiblissement du métier d’intermédiaire financier et par ce biais une fragilisation globale du système financier européen. Certes, le droit a renforcé la sécurité juridique des transactions – on pense bien sûr aux chambres de compensation -, mais le droit n’a jamais empêché l’accumulation de pertes par des entreprises et les faillites qui peuvent en résulter.

On se demandera également comment va évoluer cette  » privatisation  » de l’organisation et du fonctionnement de certains marchés. On pense à ce nouveau statut de l’entreprise de marché dont l’objet social est de permettre à des investisseurs de droit privé de créer des marchés financiers qui sont d’accès libre pour les investisseurs et en concurrence au niveau européen.

Par ailleurs, la question se pose de savoir si les autorités boursières auront réellement les moyens de leur nécessaire coopération pour assurer la sécurité des investisseurs et la répression d’opérations frauduleuses de toutes sortes(61) .

Cette réforme de 1996 sera sans doute un des facteurs qui donnera lieu à de nouveaux rapports de puissances entre places et entre marchés financiers, surtout si la Grande Bretagne – dont la City exerce toujours sa suprématie européenne – ne participe pas à l’Union monétaire(62) . Tout cela ne se fera pas sans une concurrence qui sera pour certains trop forte. Espérons pour l’ensemble du système financier européen que les châteaux de cartes résistent bien au vent libéral…

Le 01 décembre 1996

Christophe LEROY

Maître de conférences

à l’Université de Paris XII Saint-Maur.

____________________________________________________________

(1) Le Figaro économie du mercredi 23 octobre 1996, p.6.

(2)Hubert de Vauplane et J.P. Bornet:  » Le défi de la transposition de la DSI « , Bulletin Joly Bourse, 1996, p.97.

(3)L’article l° alinéa 1 de l’ordonnance de 1968 modifié par la loi du 2 juillet 1996 dispose que: La Commission des opérations de bourse, autorité administrative indépendante (…).

(4)Décision n°89-260 DC du 28 juillet 1989, JO, 1°août 1989.

(5) » La COB est-elle une autorité administrative indépendante? « , Rapport d’Yves Guyon dans le livre  » Les autorités administratives indépendantes  » publié sous la direction de Colliard et Timsit.

Nicole Decoopman

 » L’encadrement juridique des marchés financiers par la puissance publique  » Christophe Leroy, Thèse soutenue le 28 juin 1993 à L’Université Paris XII Saint Maur.

(6)L’article l° alinéa 2 de l’ordonnance de 1968 modifié par la loi du 2 juillet 1996, J.o du 4 juillet 1996, p. 10063, dispose que: « Dans l’accomplissement des missions qui sont confiées à la commission par la présente ordonnance, le président de celle-ci a qualité pour agir au nom de l’Etat devant toute juridiction à l’exclusion des juridictions pénales. « 

(7)Décision n°89-260 DC du 28 juillet 1989 précitée, JO, 1°août 1989.

(8)L’article 2 de l’ordonnance de 1968 modifié par la loi du 2 juillet 1996 dispose que « Un représentant du ministre de l’économie et des finances est entendu par la commission sauf en matière de décisions individuelles. Il peut soumettre toute proposition à la délibération de la commission sauf dans les mêmes cas. « 

(9)Concernant l’homologation des règlements de la COB.

(10)Article 15 de la loi du 2 juillet 1996.

(11)Article 19 de la loi du 2 juillet 1996.

(12)Articles 58 et 70 de la loi du 2 juillet 1996.

(13)Article 70 de la loi du 2 juillet 1996.

(14)Article 71 de la loi du 2 juillet 1996.

(15)L’article 2 de l’ordonnance de 1967 est ainsi modifié :

1°/ Le premier alinéa est ainsi rédigé :

 » La commission est composée d’un président et de neuf membres.  » ;

2°/ Le troisième alinéa est remplacé par dix alinéas ainsi rédigés :

 » les membres sont les suivants :

 » – un conseiller d’Etat désigné par le vice-président du conseil ;

 » – un conseiller à la Cour de cassation, désigné par le premier président de la cour ;

 » – un conseiller-maître à la Cour des comptes, désigné par le premier président de la cour ;

 » – un représentant de la Banque de France, désigné par le gouverneur ;

 » – un membre du Conseil des marchés financiers, désigné par ce conseil ;

 » – un membre du Conseil national de la comptabilité, désigné par ce conseil ;

 » – trois personnalités qualifiées nommées, respectivement, par le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale et le président du Conseil économique et social, et choisies à raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur expérience en matière d’appel public à l’épargne.

Le nouveau collège de la COB a été mis en place le mardi 22 octobre 1996. Le président de la COB est Michel Prada.

(16)Voir avis du Sénat n° 264, session ordinaire de 1995-1996, par monsieur Charles Jolibois.

(17) » Art. 2 ter de l’ordonnance de 1958 actualisée par la loi du 2 juillet 1996 prévoit donc maintenant que:  » Le président et les membres de la commission doivent informer celle-ci des intérêts qu’ils détiennent ou viennent à détenir et des fonctions qu’ils exercent ou viennent à exercer dans une activité économique et financière ainsi que de tout mandat qu’ils détiennent ou viennent à détenir au sein d’une personne morale.  » Ni le président ni aucun membre de la commission ne peut délibérer dans une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat a un intérêt ; il ne peut davantage participer à une délibération concernant une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat a représenté une des parties intéressées au cours des trente-six mois précédant la délibération. « 

(18)Article 27 de la loi du 2 juillet 1996.

(19) CA de Paris, arrêt du 13 juillet 1988: Bull. Joly 1988, P.715 et aussi CA de Paris, arrêt du 24 juin 1991: Bull. Joly, 1991, p.771, AJDA 1991, p.358, Chr. De Maugüé et Schwartz.

(20)Il s’agit du règlement général du CMF.

(21)Voir le décret n°96-872 du 3 octobre 1996 relatif aux formations disciplinaires du Conseil des marchés financiers., J.O du 4 octobre 1996, p.14.627.

(22)Voir pour plus de précision, le décret n°96-869 du 3 octobre 1996 relatif aux recours exercés devant la Cour d’appel de paris contre les décisions du Conseil des marchés financiers., J.O du 4 octobre 1996, p.14625.

(23)La Banque centrale de compensation (TC, 25 mai 1988, Sté Georges Maurer, Lebon, 488 ; RDP, 1989, 251 ; CE, 20 janvier 1988, Sté Profimed, R, 22) ; le Conseil des bourses de valeur (CE, A, l° mars 1991, Le Cun, Lebon, 70; AJDA, 1991, 358, chr. C. Maugüé et Schwartz ; RFDA, 1991, 612, concl. M. de Saint-Pulgent ;

Quot. jur., 1991, 62, 7, note M. Rouault); la Banque de France (CE, 11 octobre 1989, Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France, Lebon, 186).

(24)Article 27 de la loi du 2 juillet 1996.

(25)On se reportera pour plus de précision au décret n°96-868 du 3 octobre 1996 relatif à la formation et à l’organisation du Conseil des marchés financiers, j.o du vendredi 4 octobre 1996, p. 14624.

(26)Le Conseil des marchés financiers comprend:

– six représentent les intermédiaires de marché, dont deux au moins les entreprises d’investissement ;

– un représente les marchés de marchandises ;

– trois représentent les sociétés industrielles ou commerciales dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé ;

– trois représentent les investisseurs, dont un les gestionnaires pour compte de tiers; un représente les salariés des entreprises ou établissements prestataires de services d’investissement, les salariés des entreprises de marché et ceux des chambres de compensation, – Deux membres sont choisis parmi des personnalités qualifiées en matière financière.

Le président du Conseil des marchés financiers est élu en son sein, par les membres du conseil.

(27)Art 40 de la loi du 2 juillet 1996: – Les entreprises de marché sont des sociétés commerciales qui ont pour activité principale d’assurer le fonctionnement d’un marché réglementé d’instruments financiers. sous réserve des dispositions de l’article 47, ces sociétés peuvent également gérer une ou plusieurs chambres de compensation. Elles délivrent les cartes professionnelles visées au 3″ de l’article 32 pour ce qui concerne l’accès au marché réglementé dont elles ont la charge.

(28)On notera que MATIF S.A conserve le système de cotation à la criée alors que ses homologues allemand la  » Deutsche Terminbörse  » (DTB) et anglais le  » Liffe  » sont passés à la cotation électronique

(29)Ajouter le marché Belges

(30)Loi n°96-109 du 14 février 1996, J.O. du 15 février 1996, p.2385.

(31)Le nouveau marché est un marché réglementé géré par la société du nouveau marché qui est une filiale à 100% de la société des bourses françaises. Le nouveau marché a été créé par un arrêté du 28 décembre 1995 en tant que nouvelle bourse de valeurs.

(32)Article 41 de la loi du 2 juillet 1996.

(33)Article 25 de la loi pour plus de précision.

(34)Article 47 de la loi du 2 juillet 1996.

(35)L’article 94 précise que dans tous les textes réglementaires et législatifs, les mots sociétés de bourse sont remplacés par les mots prestataires de services d’investissement.

(36)Article 7 de la loi du 2 juillet 1996.

(37)Article 6 de la loi du 2 juillet 1996.

(38)Article 43. Les négociations et cessions réalisées sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer et portant sur des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ne peuvent être effectuées, à peine de nullité, que par an prestataire de services d’investissement ou, lorsqu’elles sont effectuées sur un marché réglementé, par tout membre de ce marché.

(39)H. Synvet,  » La directive  » services investissement « : Première lecture: Bull. Joly Bourse, 1993, p. 545.

(40)voir l’article 82 de la loi du 2 juillet 1996.

(41)Article 4 de la loi du 22 janvier 1998.

(42)Article 6 de la loi du 28 mars 1885.

(43)Article 23 de la loi du 22 janvier 1988.

(44)L’article 11 de la loi du 2 juillet 1996 dispose que pour fournir des services d’investissement, les entreprises d’investissement et les établissements de crédit doivent obtenir un agrément.

(45)Article 14 de la loi du 2 juillet 1996.

(46)Nouveau comité institué par l’article 16 de la loi du 2 juillet 1996.

(47)Article 8 de la loi.du 2 juillet 1996.

(48)Article 18-1:Le retrait d’agrément d’une entreprise d’investissement autre qu’une société de gestion de portefeuille est prononcé par le Comité des élargissements de crédit et des entreprises d’investissement, soit à la demande de l’entreprise d’investissement, soit d’office, lorsque l’entreprise ne remplit plus les conditions auxquelles l’agrément est subordonné, lorsqu’elle n’a pas fait usage de son agrément dans un délai de douze mois ou lorsqu’elle n’exerce plus son activité depuis au moins six mois.

(49)et, le cas échéant, les personnes visées al. I de l’article 44 de la loi du 2 juillet 1996.

(50)Sous réserve des dispositions des articles 49 et suivants concernant les chambres de compensation.

(51)Cour de cassation, arrêt du 26 octobre 1995, affaire péchiney, le petites affiches du 24 novemebre 1995, note Ducouloux-favard.

(52)Art, l° de la loi du 2 juillet 1996:- Les instruments financiers comprennent:

1° Les actions et autres titres donnant ou pouvant donner accès, directenent ou indirectement, au capital ou aux droits de vote, transmissibles par inscription en compte ou tradition ;

2°Les titres de créance qui représentent chacun un droit de créance sur la personne morale qui les émet, transmissibles par inscription en compte ou tradition, à l’exclusion des effets de commerce et. des bons de caisse;

3° Les parts ou actions d’organismes de placements collectifs ;

4° Les instruments financiers à terme, et, pour l’application de la présente loi, tous instruments

équivalents à ceux mentionnés aux précédents alinéas, émis sur le fondement de droits étrangers.

Les instruments financiers ne peuvent être émis que par l’Etat ou par une personne morale.

(53)Art. 10-5 de la loi du 2 juillet 1996:  » Les dispositions des articles 10-1 et 10-4 sont applicables lorsque les informations portent sur un émetteur dont les titres figurent ou ont figuré au relevé quotidien du hors-cote. « 

(54)Article 121-2 du code pénal: Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement selon les dispositions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentant. (…) La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des même faits.

(55)Article 131-38 du Code pénal: Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction.

(56)Art. 131-39. Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes : – Pén. 434-43.

1° La dissolution. lorsque la personne morale a été créée ou lorsqu’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni en ce qui concerne les personnes physiques d’une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ; – Pén. 1 31- 45.

2° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ; – Pén. 131-28, 131-48.

3° Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ; – Pén. 131-46.

4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ; – Pén. 131-33, 131-48.

5° L’exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus : Pén. ]3]-34, 23]W8.

6° L’interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus de faire appel public à l’épargne ; – Pén. 131-47.

7° L’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ou d’utiliser des cartes de paiement ; Pén. 231-19, 131-48.

8° La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit ; – Pén. 131-21, 131-48.

9° L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de Communication audiovisuelle. Pen. 131-35, 131-48.

Les peines définies aux l° et 3° ci-dessus ne sont pas applicables aux personnes morales de droit public dont la responsabilité pénale est susceptible d’être engagée. Elles ne sont pas non plus applicables aux partis ou groupements politiques ni aux syndicats professionnels. La peine définie au 1° n’est pas applicable aux institutions représentatives du personnel.

(57)Voir en ce sens l’article 132-24 du code pénal.

(58)Décision du 28 juillet 1989, J.O. du 1 août 1989, p.9676.

(59)Voir  » La tribune desfossés  » du 4 octobre 1996, l’Hebdomadaire Valeurs actuelles du 5 octobre 1996 et le monde du 15 octobre 1996 p. 19, article d’Arnaud Leparmentier.

(60)Art. 33. – Afin d’assurer l’égalité des actionnaires et la transparence des marchés, le règlement général du Conseil des marchés financiers fixe les règles relatives aux offres publiques portant sur des instruments financiers négociés sur un marché réglementé ainsi que :

2° Les conditions dans lesquelles le projet d’acquisition d’un bloc de titres conférant la majorité du capital ou des droits de vote qu’une société dont les actions sont admises aux négociation) sur un marché réglementé oblige le ou les acquéreurs à acheter les titres qui leur sont alors présentés au cours ou au prix auquel la cession du bloc est réalisée.

(61)Sur ces problèmes de coopération, lire le livre de Denis Robert,  » la Justice ou le chaos « , Edtions Stock, Octobre 1996.

(62) » Les places européennes se préparent au choc de l’Euro « , article de Pierre-Antoine Delhommais,  » Le Monde  » du samedi 26 octobre 1996 p.19.

Le problème de l’opportunité des poursuites devant l’Autorité des Marchés Financiers

By Droit boursier

La lecture des textes réglementaires et des rapports annuels de la COB et de l ‘AMF révèle un long silence en ce qui concerne le problème de l’opportunité des poursuites. Cet aspect du droit s’en remettant très largement à l’appréciation du juge, voire au politique, est bien connu des parquetiers. Mais qu’en est-il en réalité des autorités administratives indépendantes ? L’étude du cas de l’AMF nous paraît d’autant plus intéressante que les transactions sur instruments financiers sont par nature opaques. L’identité des donneurs d’ordres –acheteurs comme vendeurs- n’est pas rendue publique au nom du respect du secret des affaires, du secret professionnel ou tout simplement du respect de la vie privée. Cette opacité des transactions au demeurant fort légitime implique cependant une grande difficulté pour les investisseurs qui viendraient à être lésés lors d’opérations sur les marchés. N’ayant pas connaissance de toutes les informations pour déterminer un choix rationnel, ils peuvent subir un préjudice en quelques sortes silencieux et invisible. On remarquera que ce type de difficultés tenant au degré de transparence des activités est moins importante par exemple dans le cadre concurrentiel du marché des biens et des services où l’on finit plus facilement par connaître publiquement les tenants et aboutissants d’une affaire. De ce point de vue, l’AMF se trouve en situation privilégiée pour ce qui est de la surveillance des marchés financiers et de la connaissance de l’identité des donneurs d’ordres. Elle seule – avec le ministère public – a officiellement accès aux détails que peut donner l’ordinateur de cotation et peut demander ensuite aux intermédiaires l’identité des donneurs d’ordre lorsque des opérations semblent suspectes. Une question dès lors se pose. L’AMF ouvre-t-elle systématiquement une enquête et engage t-elle systématiquement des poursuites lorsqu’elle détecte des pratiques suspectes ou a t-elle le pouvoir de classer certaines affaires sans suites ?

1/ L’ABSENCE D’UNE STRUCTURE JURIDIQUE ORGANISANT L’INDEPENDANCE DE L’AMF EN MATIERE DE POURSUITES:

A/ Les problèmes théoriques et politiques inhérents à l’exercice de son pouvoir

La COB ayant été aux prises avec de très sérieux scandales financiers qu’elle n’a jamais pu découvrir ou révéler par elle-même, ayant également connu de grandes difficultés à mener promptement ses enquêtes et à prononcer des sanctions exemplaires, une réforme de l’institution s’imposait. La loi du 1 août 2003 a fusionné le CMF et la COB pour en faire L’AMF. Le législateur, soucieux de renforcer l’indépendance de la nouvelle autorité, a qualifié cette dernière d’autorité publique indépendante en la dotant de la personnalité morale. D’autres nouveautés ont contribué à renforcer l’intégrité de l’institution comme la mise en place de deux instances distinctes que sont le collège et la commission des sanctions. Mais ces nouveautés fort louables traduisent aussi toutes les difficultés théoriques et politiques que le législateur rencontre avec les autorités administratives indépendantes et leur intégration au pouvoir d’Etat. Outre le fait que l’AMF ait à nouveau connu dès sa création le même type de difficultés face aux affaires défrayant la chronique financière, on remarque les mêmes faiblesses structurelles que celles de feu la COB quant aux problèmes d’impartialité, de transparence et de rapidité d’intervention. Il faut reconnaître que le concept même d’autorité indépendante au sein d’un pouvoir d’Etat, qui plus est en tant qu’administration, relève de la recherche de la quadrature du cercle.

Le problème, outre les très nombreuses études de doctrine, avait été évoqué devant le Conseil constitutionnel en 1989 pour ce qui est du respect du principe de la séparation des pouvoirs. Or, le Conseil avait admis sans donner de justification très convaincante que la COB pouvait être dotée d’un pouvoir de sanction sans que cela ne porte atteinte à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Après ce problème du pouvoir de sanction s’est posé celui du respect des droits de la défense auquel ont répondu deux arrêts de la Cour de cassation et une réforme de la procédure de sanction. A la suite de ces arrêts , la loi du 1 août 2003 a institué deux instances, le collège et la commission des sanctions. En définitive, tous les problèmes de théorie qui se sont posés lors de l’édification de l’Etat de droit se sont au fil du temps reposés pour les autorités administrative indépendantes. Tout récemment encore, le président de l’AMF souhaitait que l’autorité puisse entrer elle-même dans la procédure d’appel, soit en faisant appel directement – dans le cas où la décision de la commission des sanctions paraîtrait contestable au collège -, soit par le biais de la procédure de l’appel incident. 

Un des problèmes théoriques majeurs qui n’a pourtant pas été encore vraiment abordé est celui de l’indépendance de la justice. En l’occurrence, l’AMF a-t-elle les moyens juridiques de son indépendance vis-à-vis de l’exécutif pour ce qui est de ses pouvoirs d’enquêtes et de décisions de poursuivre ? 

Il faut savoir d’emblée que le ministère public ne voit pas l’AMF entrer dans son champ de compétence. En effet, l’article 32 du Code de procédure pénale dispose que le ministère public est représenté auprès de chaque juridiction répressive. Or, l’AMF n’est pas une juridiction. Par ailleurs, les articles 34 à 44 du même code de procédure pénale qui définissent les attributions des procureurs de la République ne mentionnent pas les autorités administratives indépendantes comme faisant partie de leur champ de compétence. Cela ne veut cependant pas dire que les procureurs n’aient pas à traiter des affaires relevant aussi de la compétence de l’AMF. En effet, L’article L 621-20-1 du code monétaire et financier – inexplicablement redondant avec l’article 40 du CPP – fait obligation à l’AMF de transmettre un dossier au parquet lorsqu’elle acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit. La non représentation du ministère public tel qu’il est exercé par les procureurs au sein de l’AMF n’est cependant pas anodine. En effet, si ce n’est eux, qui donc exerce leur pouvoir au sein de cette autorité? 

La grande problématique des autorités administratives indépendantes est finalement leur nécessaire intégration au pouvoir d’Etat tout en devant exercer leur pouvoir de façon autonome vis-à-vis du politique. Si une homologation des textes réglementaires de l’Amf est tout à fait concevable pour conserver l’unité hiérarchico-pyramidale de l’Etat, rien n’est moins légitime que la volonté du politique d’intervenir dans les affaires financières. Certes, les dernières réformes des textes offrent des garanties aux justiciables une fois une procédure engagée contre eux, mais les mêmes textes du Code monétaire et financier nous montrent qu’en amont de la procédure, tout est encore possible pour la délinquance financière qui a de bons appuis politiques. Pour l’heure, nous allons démontrer que l’AMF n’est juridiquement pas une autorité indépendante en matière de choix des poursuites à engager.

B/ Le manque d’indépendance quant au statut des membres de l’autorité

L’étude des textes organisant le statut des membres de l’AMF est pour le moins assez abscons pour la matière qui nous intéresse. Du moins, les rapports entre les principaux protagonistes ne résultent pas d’une lecture explicite des textes, mais d’une ou plusieurs lectures implicites qui en résultent. Le pouvoir semble ainsi s’exercer dans le silence des textes qui offre de plus ou moins grandes possibilités. 

Le président de l’AMF, tout d’abord, tient son pouvoir du Président de la République qui le nomme par décret pour un mandat de cinq ans non renouvelable. Tenir son pouvoir d’une décision du plus haut représentant de l’Etat sans avoir à chercher dans l’exercice de ses fonctions une légitimité pour un éventuel renouvellement donne au Président de l’AMF un ascendant sur l’institution qu’il dirige. Cela va sans dire, certes, mais cette autorité obtenue par nomination et non par l’élection donne aussi un caractère tout relatif à l’indépendance de l’AMF. En effet, le Président de la République choisira inévitablement un politiquement fidèle pour occuper la plus haute fonction au sein de l’AMF. On pourra, dès lors, aussi disserter sur le caractère tout autant relatif de la fidélité en politique. Il reste que la carrière des personnages amenés à occuper ce type de poste implique généralement la nécessité pour eux d’exercer d’autres fonctions à la fin de leur mandat de président de cette autorité financière. Et cela implique une nécessaire allégeance. Quant aux risques d’infidélité politique, un homme amené à diriger une autorité administrative indépendante n’est généralement pas en rivalité avec le chef de l’Etat. Son « amitié » politique en sera d’autant plus fiable. On notera que ce type d’argumentation avait été développé devant le Conseil constitutionnel pour le Président de la COB et le collège. Mais le Conseil avait estimé sans plus d’explication que le législateur en accordant au président un mandat d’une durée de six ans non renouvelable avait entendu garantir l’indépendance du président.

Le deuxième personnage intéressant notre étude est le secrétaire général de l’AMF. Le secrétaire général est nommé par le président de l’AMF, mais selon une procédure un peu complexe et longue. En effet, le président de l’autorité soumet une proposition au collège qui en délibère et formule un avis dans le délai d’un mois. A l’issue de ce délai, le secrétaire général est nommé par le président. Mais il faut savoir que cette nomination est soumise à l’agrément du ministre chargé de l’économie. Qu’en est-il donc des rapports de pouvoir entre le président de l’AMF et le secrétaire général ? Certes, le secrétaire général procède du Président de l’AMF, mais il doit en même temps convenir au Gouvernement ; Certes, le président dirige l’AMF et peut bien entendu donner des ordres au secrétaire général, mais c’est textuellement le secrétaire général qui décide de l’ouverture des enquêtes. Qu’en est-il, par exemple, en situation de cohabitation au plus haut niveau de l’Etat ? Un changement de secrétaire général en période de cohabitation doit effectivement donner lieu à d’âpres discussions informelles entre Gouvernement, Président de la République et président de l’AMF. Et une fois le personnage nommé, il sera aussi l’homme du Gouvernement. Imaginons une affaire sensible que la Présidence de la République ne souhaite pas voir se développer. Cette position ne sera peut-être pas celle du Gouvernement. Le secrétaire général se trouvera dès lors entre le marteau et l’enclume. Ouvrira t-il une enquête comme il en a le pouvoir ou classera t-il l’affaire? Certes, le collège a un pouvoir qui n’est autre que celui de l’ouverture des procédures de sanction. Mais encore faut-il que le secrétaire général ait ouvert une enquête et ait transmis un dossier complet au collège… Et quand bien même le secrétaire général transmettrait un dossier parfaitement complet après enquête au collège, ce dernier décidant de ne pas poursuivre, rien n’empêcherait que l’on découvre par voie de presse quelques indiscrétions obligeant le collège à revoir sa position… 

On peut ainsi supposer que Président de l’AMF et ministre de l’économie ont la démission en blanc du secrétaire général dans leurs coffres-fort respectifs: L’affaire se résoudra donc au plus haut niveau de l’Etat et en des termes assez peu juridiques.

Nous remarquons ainsi que la répartition des pouvoirs est mal conçue au sein de l’AMF comme d’ailleurs dans les rapports qu’elle entretien avec l’Etat.

Vient enfin l’étude de la composition du collège qui a l’appréciation de l’opportunité des poursuites. Evidence est de constater que tous les membres du collège de par leur mode de désignation sont tous acquis à la raison d’Etat. Le Président, comme nous l’avons déjà vu, est nommé par le Président de la République, quatre membres sont nommés par les grands corps de l’Etat et six professionnels sont nommés par le ministre de l’Economie et des finances. Le système de nomination des membres du collège de l’AMF est donc composé de personnages étroitement liés au pouvoir d’Etat. Discipline et allégeance, intelligence aussi – souvent la même -, les amènent à être nommés à ces postes. Certes, ce système de nomination des membres est une garantie pour l’intégration de l’AMF à la logique du pouvoir d’Etat et c’est effectivement par ce système de nomination et par l’homologation des règlements de l’AMF par le ministre de l’économie qu’il n’apparaît pas nécessaire de réécrire une théorie de l’Etat. Mais la qualification juridique de l’AMF comme autorité « indépendante » a le son d’une cloche fêlée. Son qui a son charme…

II DES POUVOIRS MAL DEFINIS RENDANT PROBLEMATIQUE LA TRANSPARENCE DE L’ACTION PUBLIQUE

A/ Des textes ne donnant pas une définition précise des pouvoirs exercés

Les textes régissant l’ensemble de la procédure concernant l’enquête sont assez embryonnaires au regard du code de procédure pénale qui distingue très clairement les fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement. En ce qui concerne l’AMF, les enquêtes sont ouvertes par le secrétaire général de l’institution. L’article L-621-9-1 du code monétaire et financier dispose en effet que lorsque le secrétaire général de l’AMF décide de procéder à des enquêtes, il habilite les enquêteurs selon les modalités fixées par le règlement général. De fait, et selon une lecture purement textuelle du problème, le secrétaire général se trouve investi d’un pouvoir de qualification des faits qui lui donne le pouvoir de décider de l’ouverture d’une enquête. Ce qui signifie que l’enquête n’est pas obligatoire. En effet, s’il a la faculté de décider, il n’y est aucunement contraint. Le secrétaire général ne nous semble donc pas en situation de compétence liée en ce qui concerne l’ouverture des enquêtes. On remarquera par comparaison que l’article 75 du code de procédure pénale ne donne pas dans sa rédaction cette faculté de ne pas ouvrir d’enquête lorsque des faits suspects sont portés à la connaissance d’un officier de police judiciaire ou d’un procureur. Mais on notera aussi que ce même article 75 nous dit que ces enquêtes relèvent de la surveillance du Procureur général, ce qui introduit à nouveau un doute sur la belle mécanique bien huilée que devrait être l’automatisme entre la constatation d’une infraction et l’ouverture d’une enquête.

En ce qui concerne notre secrétaire général, il devrait donc normalement ouvrir une enquête dès que les faits lui semblent suspects, mais, le diable étant comme à son habitude dans le détail, ouvrir ou non une enquête implique qu’il a en fait un pouvoir de qualification des faits qui peut l’amener à considérer pour diverses raisons que certains faits ne sont pas constitutifs d’une infraction boursière.

Le problème de la qualification juridique des faits est donc essentiel. Pour que des faits deviennent crimes ou délits, ils doivent être qualifiés comme tels avant de faire l’objet de poursuites par l’AMF et être transmis au parquet. Une infraction peut ainsi ne connaître aucune suite pénale parce qu’aucune enquête n’aura été ouverte, les faits n’ayant pas été considérés, nous le répétons, comme devant être qualifiés d’infraction. Ces commentaires soupçonneux en ce qui concerne le pouvoir accordé par l’article L-629-1 du Code monétaire et financier trouvent leur légitimité dans l’absence d’indépendance des membres de l’AMF que nous avons évoqué et dans l’étude de l’histoire des « affaires » qu’a connu le marché financier français. Ce travail de qualification des faits que doit effectuer le secrétaire général nous semble ainsi pouvoir dépendre de ce que les plus hautes instances de l’Etat pensent d’une affaire et de ce que la presse peut en connaître. On remarquera que la COB comme l’AMF ont a plusieurs reprises ouvert des enquêtes une fois que la presse avait révélé ces affaires au public. Les services de l’inspection du secrétariat général ressemblent donc par certains aspects aux services de police judiciaire. 

Pour la suite de la procédure, si le secrétaire général a bien décidé d’ouvrir une enquête et que les investigations de ses services se sont avérées fructueuses, celui-ci doit transmettre le dossier au président du collège de l’AMF. L’article R 621-38 du code monétaire et financier en date du 15 décembre 2005 donne au collège le pouvoir de décider de l’ouverture d’une procédure de sanction. Il résulte que le collège de l’AMF a le pouvoir de décider de l’opportunité des poursuites. Nous ne sommes pas avec l’AMF en situation de légalité des poursuites, mais bel et bien en situation d’opportunité. Mais à ce stade de la procédure, le classement sans suite des affaires sensibles devient beaucoup plus problématique. En effet, c’est le collège qui décide de l’opportunité des poursuites. Les affaires sensibles deviennent dès lors plus difficiles à évoquer, quoique le collège soit constitué en majorité d’esprits formés aux problématiques que pose la raison d’Etat qui se confond de temps à autre avec celle de la finance. 

Ce pouvoir de décider ou non de poursuivre un contrevenant ne se limite pourtant pas à l’engagement d’une procédure de sanction devant la commission des sanctions. En effet, l’article L621-20-1 du code monétaire et financier fait obligation à l’AMF d’informer le Procureur de la République de tous les crimes et délits qui seraient portés à sa connaissance. La lecture de cet article pourrait faire croire au non juriste que la décision d’engager des poursuites échappe enfin au pouvoir politique. Mais il n’en est évidemment rien puisque le trait fondamental de l’organisation du ministère public, tenant à ce qu’il représente le ministère public est la subordination hiérarchique. L’article 5 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 dispose en effet que les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du Garde des Sceaux. De cette subordination hiérarchique, il résulte que les magistrats du ministère public doivent obéir à leurs supérieurs et sont par conséquent amovibles et révocables. Une affaire sensible peut donc par ce biais être aussi classée sans suite sur intervention politique. Le code pénal pourra donc rester lettre morte pour ce qui est de son application à des délits financiers.

B/ Une absence de transparence de l’action de l’AMF

Certes, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 janvier 1994, rappelait que la transparence des activités publiques ou exercées pour le compte de personnes publiques ne constitue pas en elle-même un principe général à valeur constitutionnelle. Il reste cependant que le manque de précision des procédures et leur pratique accordant en dernier ressort la maîtrise des poursuites au pouvoir politique nuit considérablement à la réputation de la place boursière de Paris. Il peut être argué du fait que c’est bien au politique à qui revient la mission de déterminer et d’unifier la politique pénale en matière financière. Mais cet argument ne tient pas puisque le choix a été fait de créer une autorité dite indépendante. Peuvent être également évoqués la défense des intérêts supérieurs de la nation pouvant légitimer les interventions politiques dans certains dossiers. Outre le fait que ces interventions politiques restent extrêmement problématiques quant à leur articulation avec le respect de l’Etat de droit, elles heurtent de plein fouet le principe du respect de l’égalité des investisseurs devant la loi. Egalité qui sera d’autant plus rompue que notre droit français ne reconnaît pas encore la possibilité d’obtenir une indemnisation par une action en responsabilité intentée contre des personnes ayant commis un délit d’initié. Des textes fort louables tendant à renforcer l’indépendance de l’ex-COB et de l’AMF ont cependant été adoptés tout au long d’un parcours législatif au demeurant assez sinueux. Ainsi, La COB a obtenu le pouvoir réglementaire en 1985, le pouvoir de sanction en 1989 et une obligation a été créée pour les membres du collège de déclarer leurs participations dans les entreprises afin d’éviter les conflits d’intérêts. Enfin, l’AMF s’est vue dotée de la personnalité morale avec la loi de 1 août 2003. Il serait donc souhaitable que soit organisé dans un souci de rationalité juridique contribuant à établir sur les marchés financiers un indiscutable sentiment de justice une parfaite indépendance de l’AMF en ce qui concerne les enquêtes et les poursuites qu’elle doit mener. Exemple pourrait être pris sur l’article L462-8 qui dispose que  le conseil de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable pour défaut d’intérêt ou de qualité à agir de l’auteur de celle-ci, ou si les faits sont prescrits au sens de l’article L.462-7, ou s’il estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence. Il peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsqu’il estime que les faits invoqués ne sont pas appuyés d’éléments suffisamment probants. (….) Le conseil de la concurrence peut aussi décider de clore dans les mêmes conditions une affaire pour laquelle il s’était saisi d’office.(…). 

Il serait même souhaitable d’aller plus loin et que l’AMF soit soumise à un régime de légalité des poursuites au lieu d’être soumise au régime actuel de l’opportunité des poursuites. Par ailleurs, les solutions juridiques qui avaient été adoptées pour accorder son indépendance à la Banque de France et à la Banque centrale européenne nous semblent parfaitement transposables à l’AMF. Le texte pour la banque de France était qu’elle ne pouvait dans l’exercice de ses attributions, ni solliciter, ni accepter d’instructions du Gouvernement ou de toute personne. L’adoption d’un texte de ce type ferait véritablement de l’AMF une autorité publique « indépendante ».

Enfin, le rapport annuel de l’AMF devrait nous indiquer de façon précise le nombre d’enquêtes ouvertes, non ouvertes, le nombre d’enquêtes ayant donné lieu à des poursuites ou ayant été classées, le nombre d’affaires en cours et le nombre d’affaires non menées à leur terme au bout d’une certaine durée d’enquête.

L’ensemble de ces considérations nous amène à remarquer que les autorités administratives indépendantes et autres organismes assimilés posent de très sérieux problèmes quant à l’unité, la cohérence et la légitimité de l’Etat. Ce problème de l’opportunité ou de la légalité des poursuites en est une illustration et l’on pourra s’interroger sur les perspectives de ces enjeux de pouvoir. Deux grandes voies semblent en effet se profiler. Soit les autorités administratives indépendantes – et notamment l’AMF – gagnent en indépendance et elles devront aussi gagner en légitimité avec un mandat électif, soit elles seront réintégrées au pouvoir d’Etat et les responsables politiques devront faire preuve d’un peu plus de courage politique.

Christophe LEROY

Le 20 mai 2007.

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1- Sans compter qu’à cet opacité légitime s’ajoute le problème des ordres de bourse en provenance des pays pratiquant le secret bancaire le plus total.

2- Solveig Godeluck, « Entre gens de bonnes compagnies… », Ed Albin Michel, 2005. 342 p.

3- Coquelet Marie Laure, Brèves remarques à propos d’un fusion attendue : La création de l’autorité des marchés financiers », LPA 14 novembre 2003, p.6.

4- « 39 autorités sous surveillance », article journal « Le Monde »,Patrick Roger, mardi 27 juin 2006, p.20.

5- Journal « les échos », 1 juin 2006, p.34.

6- C.C Décision D.C. n°89260 du 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence des marchés financiers.

7- Art R621-38 du code monétaire et financier : Lorsque le collège décide de l’ouverture d’une procédure de sanction (…)

8- Article 75 du Code de procédure pénale: Les officiers de police judiciaire et, sous le contrôle de ceux-ci, les agents de police judiciaire désignés à l’article 20 procèdent à des enquêtes préliminaires soit sur les instructions du procureur de la République, soit d’office.

   Ces opérations relèvent de la surveillance du procureur général. (…)

9- Article R 621-38 : Lorsque le collège décide de l’ouverture d’une procédure de sanction, la notification des griefs est adressée… etc.

10- L 621-20-1 du Code monétaire et financier: Si, dans le cadre de ses attributions, l’autorité des marchés financiers acquiert la connaisance d’un crime ou d’un délit, elle est tenue d’en donner avis sans délai au Procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. Sous réserve des dispositions du 4° alinéa de l’article L 621-21, le Procureur de la République peut obtenir de l’Autorité des marchés financiers la communication de tous les renseignements détenus par celle-ci dans le cadre de l’exercice de ses missions, sans que puisse lui être opposée l’obligation au secret.

11- Art 39 du CPP : Le Procureur de la République représente en personne ou par ses substituts le ministère public près le tribunal de Grande Instance. (…)

Art 40 du CPP : Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. Il avise le plaignant du classement de l’affaire ainsi que la victime lorsque celle-ci est identifiée. (…).

12- Décision n° 93-335 DC du 21 janvier 1994 Loi portant diverses dispositions en matière d’urbanisme et de construction

13- Voir en ce sens Christophe Leroy, “ Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France ”, Les petites affiches, 18 juillet 1994 p.5.