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admin4583

Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France

By Droit constitutionnel

A propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 93-324 DC du 3 août 1993 et de la loi n°93-1444 du 31 décembre 1993.

Le problème central que posent la décision du Conseil constitutionnel du 3 août 1993 et la loi du 31 décembre 1993 sur l’indépendance de la Banque de France est celui des rapports qu’entretiennent la notion de souveraineté et le pouvoir monétaire. Il sera intéressant d’étudier à ce propos la reconnaissance par la puissance publique française d’une supériorité encore implicite, mais certaine du droit européen sur le droit constitutionnel français, notamment en ce qui concerne les articles 20(1) et 21 de la constitution de 1958.

Sur les liens qui unissent les notions de souveraineté et de monnaie, le Président Jacques Larché dans son rapport sur le projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification du traité de Maastricht s’interrogeait ainsi: La monnaie est-elle un attribut de la souveraineté? Existe-t-il une souveraineté monétaire dont la sauvegarde serait indispensable à celle de la souveraineté lato sensu? La réponse à cette question lui semblait devoir être négative. Cette position est à notre sens trop radicale, car face à un problème aussi délicat, bien des nuances s’imposent.

L’analyse juridique considère traditionnellement l’émission de monnaie comme une fonction régalienne. Les deux dispositions de la constitution qui lui font référence, l’article 34(2) et l’article 78(3) , confirment cette conception. Néanmoins, comment ne pas tenir compte, d’un point de vue économique, des contraintes externes qui pèsent aujourd’hui sur les Etats dans le domaine monétaire? Ces contraintes externes limitent fortement la marge de manoeuvre politique que les Etats peuvent avoir sur leur monnaie. En outre, l’histoire économique française souligne l’impossibilité d’utiliser librement la politique monétaire pour répondre efficacement à des objectifs internes tels que l’emploi et la croissance(4, 5) . Mais on remarquera qu’en réalité, le facteur prédominant du relâchement des liens entre la monnaie et la souveraineté est bien l’ouverture à l’extérieur des économies qui a conduit à la subordination des politiques internes aux contraintes externes. Cette subordination de la politique monétaire aux contraintes de change est devenue particulièrement sensible dans les années 80 avec l’expérience du système monétaire européen. Elle paraît définitive avec la libération des mouvements de capitaux entrée en vigueur le premier janvier 1993.

Cependant, l’histoire nous apprend que la monnaie est intrinsèquement un des attributs de la souveraineté des Etats(6) . Reflet de leur activité économique, protectrice des valeurs marchandes que produit un pays, la monnaie est l’expression de la puissance commerciale d’une nation sur la scène internationale. Peut-être vaudrait-il mieux alors considérer que les Etats n’exercent plus de pouvoirs réellement souverains sur leur monnaie. Mais alors vient l’interrogation de savoir qui exerce cette souveraineté sur les monnaies et, par delà, quelles autorités détiennent en dernier ressort une maîtrise – aussi relative soit-elle – du système financier international en général? La réponse à cette question ne peut être bien sûr univoque. Mais il semble que l’argent arrivant à se jouer des désordres financiers internationaux soit en passe de devenir son propre maître et qu’il tisse ainsi sa souveraineté aux dépends de celle des Etats(7) . On comprendra dès lors l’enjeu de cette réforme de la Banque de France(8) qui fait partie de la stratégie européenne de mise en place d’une monnaie unique. Il s’agit bien sûr à terme de mettre fin aux tentations des Etats de jouer de l’artifice monétaire pour aider leur politique intérieure(9) , de mettre fin aux excès de la spéculation, de donner à l’europe une forte puissance de négociation et de faire en sorte que le marché financier international soit plus équilibré. Cette stratégie européenne est déterminante pour restaurer le pouvoir d’Etat sur les marchés financiers(10) .

La décision du Conseil constitutionnel et la loi que nous nous proposons de commenter mettent bien en relief l’importance que peut avoir une monnaie pour un Etat. Nous verrons aussi comment l’abandon de souveraineté qu’impliquera à terme le transfert pour les Etats membres de leurs pouvoirs monétaires au niveau européen pose de délicats problèmes constitutionnels.

I/ LE REFUS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DE FAIRE REFERENCE AU TRAITE DE MAASTRICHT ET D’ACCORDER SON INDEPENDANCE A LA BANQUE CENTRALE FRANCAISE:

a/ Le refus du Conseil constitutionnel d’examiner la loi par rapport au traité de Maastricht:

L’indépendance des banques centrales nationales fait partie des objectifs déterminés par l’accord de Maastricht qui prévoit à terme la mise en place d’un système européen de banques centrales(SEBC)(11) . La loi d’août 1993(12) relative au statut de la Banque de France anticipait les obligations de la deuxième phase de l’union économique et monétaire prévoyant cette indépendance des banques centrales(13, 14) .

Dans leur requête, les députés, estimaient que les conditions mises à l’application de l’article 88-2(15) de la Constitution n’étant pas réunies, le législateur ne pouvait ni instituer ni organiser l’indépendance de la Banque de France par rapport aux pouvoirs publics constitutionnels.

L’argumentation des députés, pourra nous sembler assez curieuse. On notera en effet le caractère spécieux de leur raisonnement invoquant l’article 88-2 – et indirectement le droit européen – pour justifier une impossibilité, voire une interdiction d’organiser l’indépendance de la banque centrale. N’est-il pas en effet quelque peu paradoxal de chercher appui sur des dispositions organisant l’Europe financière pour justifier sur le fonds une position tendant à maintenir la souveraineté absolue de l’Etat français sur la Banque de France? La faille de cette argumentation apparaît sans nul doute dans le fait qu’aucune norme Européenne n’interdit à un Etat membre d’organiser l’indépendance de sa banque centrale. Il n’était par ailleurs pas nécessaire pour un Etat membre de se référer (du moins au moment où le Conseil à été saisi) au droit européen pour justifier une réforme tendant à rendre sa banque centrale indépendante(16) . L’exemple de l’Allemagne et des Pays-bas nous montre que ces Etats ont depuis longtemps accordé l’indépendance à leur banque centrale sans pour autant, loin s’en faut, contredire l’esprit des normes européennes. Le Conseil constitutionnel n’a pas retenu l’argumentation des députés.

La requête des sénateurs a également soulevé le problème de cette anticipation. Mais ces derniers ont fait valoir que la constitutionnalité de cette loi ne saurait être appréciée au regard de l’article 88-2 de la Constitution dès lors que le traité sur l’Union européenne en vue duquel cet article a été introduit dans la Constitution n’était pas entré en vigueur.

Par ailleurs, ils ont fait remarquer qu’en tant qu’elles mettaient en oeuvre le traité sur l’Union européenne, les dispositions contestées méconnaissaient l’article 55(17) de la constitution, la condition de réciprocité posée par cet article n’étant pas respectée du fait des positions prises par certains signataires de ce traité. Enfin, en ce qui concerne la date d’entrée en vigueur de la loi, prévue par son article 35(18) , elle serait contraire à l’article 88-2 de la Constitution en tant qu’elle ne respecterait pas les modalités de mise en oeuvre prévues par les dispositions du traité.

Le Conseil constitutionnel a retenu les griefs des sénateurs invoquant l’impossibilité de juger de la constitutionnalité de cette loi par rapport à l’article 88-2 de la Constitution. On remarquera pour être précis que le Conseil dans sa solution ne reprochait pas explicitement à la loi sur l’indépendance de la Banque de France d’anticiper la mise en oeuvre les dispositions financières du traité prévue pour le premier janvier 1994. Il retenait simplement que le traité de Maastricht ne pouvait être considéré comme étant entré en vigueur à la date du 1 janvier 1993 puisque tous les Etats ne l’avaient pas ratifié. Dès lors, notre juge constitutionnel estimait qu’il n’y avait pas lieu de contrôler la loi déférée par rapport à l’article 88-2 de la Constitution, ni par rapport à l’article 55 aux fins de savoir si la condition de réciprocité posée par ces deux articles était bien remplie pour que le traité soit applicable en France. Le Conseil justifiait aussi sa position par référence à l’article R du traité de Maastricht prévoyant que « le présent traité entrera en vigueur le 1 janvier 1993 à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés… ». L’article 88-2 de la Constitution devait donc rester lettre morte quant aux transferts de compétence qu’il est censé permettre tant que les instruments de ratification n’étaient pas encore déposés par tous les Etats-Membres.

Cette position du Conseil constitutionnel, juridiquement incontestable, confirme sa politique jurisprudentielle vis-à-vis du droit européen(19) . Elle lui a permis de se libérer des contraintes européennes pour apprécier dans un deuxième temps la conformité de la loi par rapport au droit interne.

b/ La volonté du Conseil de maintenir la Banque de France sous l’étroite tutelle du Gouvernement:

La décision du 3 août 1993 est sans doute une des meilleures illustration de la volonté du Conseil constitutionnel de protéger l’autorité de l’Etat en matière de politique financière. Certes, il faut rappeller que le Gouvernement n’était pas tenu par le traité de Maastricht de présenter dans l’année 1993 un projet de loi sur l’indépendance de la Banque de France. Cette volonté d’anticiper avait sûrement pour objectif de conforter le plus rapidement possible la crédibilité de sa politique économique et la stabilité du franc sur les marchés. Aussi, le législateur désireux d’organiser l’indépendance de la Banque de France à l’instar de la Bundesbank avait dans l’article 1 de sa loi prévu que: »la Banque de France définit et met en oeuvre la politique monétaire dans le but d’assurer la stabilité des prix. Elle accomplit sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement, sans pouvoir, dans l’exercice de ses attributions, ni solliciter, ni accepter d’instructions du Gouvernement ou de toute personne ».

De surcroît, l’indépendance de la Banque se trouvant assurée par la mise en place d’un Conseil de la politique monétaire offrant des garanties quant à la nomination de ses membres, l’exercice et la fin de leurs fonctions(20) , il pouvait être considéré que ce régime juridique présentait un compromis convenable entre indépendance et intégration du pouvoir monétaire au pouvoir d’Etat.

Le Conseil Constitutionnel en a cependant jugé autrement et considéré comme recevable les griefs des députés tirés de la méconnaissance par ces dispositions des compétences du Gouvernement et du Premier ministre. En effet, rappelons-le, selon les articles 20 et 21 « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation… et « le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement… ». Le Conseil a estimé à la lecture de ces deux articles que la définition de la politique monétaire est un élément essentiel et indissociable de la politique économique générale dont la détermination et la conduite incombent au Gouvernement, sous la direction du premier Ministre. Il a également jugé que les dispositions limitant les pouvoirs de la Banque de France à ne mener une politique monétaire que dans le cadre « de la politique économique générale du gouvernement » pouvaient être tenues en échec par l’interdiction faites à ce dernier de donner toute instruction à la Banque de France. Ces textes méconnaissant les compétences du Gouvernement, le Conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la constitution les dispositions qui faisaient la clef de voûte de cette réforme organisant l’indépendance de la Banque. Ainsi, au premier et deuxième alinéas de l’article 1 de la loi, la rédaction devenait: « La Banque de France met en oeuvre la politique monétaire ». D’autre part, découlant de la première non conformité, l’article 7 devenait: « Le Conseil de la politique monétaire surveille l’évolution de la masse monétaire et de ses contreparties ».

En réalité, cette argumentation du Conseil Constitutionnel cache mal sa volonté de maintenir avant tout une étroite subordination de la Banque de France au Gouvernement. En effet, si l’on reprend les considérations du Conseil prises à la lettre pour justifier l’annulation, on peut remarquer qu’elles n’entrent pas en conflit avec les dispositions initiales du texte de loi. D’une part, la Banque de France voyait les objectifs de sa politique définis puisqu’il s’agissait pour elle d’assurer la stabilité des prix. D’autre part, on remarquera que cette politique devait s’effectuer dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement. Ainsi, loin de dessaisir le gouvernement en matière de politique économique, ce projet de loi visait la seule politique monétaire interne dont il confiait la responsabilité certes à la Banque de France mais en encadrant strictement sa mission d’accompagnement de la politique gouvernementale. Rien dans ces dispositions ne contredisait vraiment les dispositions de l’article 20 de la constitution, sinon la marge de manoeuvre discrétionnaire accordée à la Banque de France. Ce refus d’accorder une simple marge de manoeuvre est revenu indubitablement à refuser toute indépendance à la Banque. Et le Conseil constitutionnel semble avoir une conception d’autant plus large de la notion d’indépendance qu’il la tient en méfiance. En effet, l’interdiction faite à la Banque dans le texte initial de recevoir des instructions ne signifiait pas qu’il ne pouvait y avoir dialogue entre le Gouvernement et la Banque de France. Là aussi, accorder une indépendance à un organisme pour effectuer une mission précise ne devrait pas nous conduire à envisager systématiquement le pire, c’est à dire une séparation de pouvoirs cloisonnée et la conduite de politiques économiques et monétaires durablement divergentes au point de devenir incohérentes. Cela est d’ailleurs d’autant plus difficile à envisager que l’internationalisation des échanges économiques, la subordination de la politique monétaire aux contraintes de change, la libération des mouvements de capitaux limitent très étroitement, comme nous l’avons déjà exprimé, les marges de manoeuvre des gouvernements en matière économique et encore plus des Banques centrales en matière monétaire. Mais le rôle du juriste étant aussi (toujours?) d’envisager le pire, les plus sceptiques sur les vertus du dialogue pour résoudre une crise politique ouverte entre les deux institutions donneront bien sûr raison au Conseil constitutionnel refusant toute indépendance à la Banque de France en raison de l’article 20 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel estime par ailleurs que l’article 21 de la Constitution, qui sous réserve des pouvoirs reconnus au président de la république, confère au premier ministre le pouvoir réglementaire, ne s’oppose pas à ce que le Conseil de la politique monétaire définisse « les obligations que la politique monétaire peut conduire à imposer aux établissements de crédit, et notamment l’assiette et les taux des réserves obligatoires ». Le Conseil confirme en cela sa jurisprudence antérieure du 17 janvier 1989 relative au conseil supérieur de l’audiovisuel(21) . Le législateur peut donc confier à une autorité de l’Etat autre que le premier ministre le soin de fixer des normes permettant de mettre en oeuvre une loi, à condition que cette mesure ne concerne que des mesures de portée limitée tant par leur champ d’application que par leur contenu. Ce qui est le cas en l’espèce pour la Banque de France.

La présente décision du Conseil constitutionnel n’est pas non plus sans rappeler certaines précédentes décisions rendues à propos de problèmes financiers. Un trait commun est de confirmer les textes de lois dans les dispositions qui tendent à accorder le maximum possible de pouvoir discrétionnaire aux autorités chargées d’élaborer, d’exécuter ou de juger les affaires financières. L’exemple des décisions rendues à propos des pouvoirs de la C.O.B(22) et du Conseil de la concurrence est à cet égard assez probant(23) .

On remarquera par ailleurs dans cette décision sur la Banque de France que ni le législateur, ni le Conseil Constitutionnel chacun dans leurs appréciations divergentes du problème n’ont envisagé une solution en demi-mesure qui aurait organisé l’indépendance de la Banque tout en réservant la possibilité au Gouvernement d’intervenir en cas de circonstances exceptionnelles. L’exemple du Conseil des bourses de valeurs et du Conseil du marché à terme montre qu’il est possible de combiner autonomie de ces autorités tout en accordant en dernier ressort au gouvernement la maîtrise des décisions en cas de problèmes graves(24) . Ainsi le Conseil des bourses et le Conseil du marché à terme voient leur intégration au pouvoir d’Etat assurée, en cas de crise grave, par des dispositions législatives qui prévoient qu’en cas de carences de leur part, le Gouvernement prend par décret les mesures nécessitées par les circonstances. Certes, le gouvernement peut toujours en vertu de ses pouvoirs de police et même en l’absence de textes(25) , prendre les mesures que nécessitent les circonstances, mais le prévoir par un texte législatif aurait réduit l’antagonisme de ce débat sombrant dans le tout ou rien (indépendance/refus d’indépendance). Surtout que juridiquement, rien n’interdisait lors de la phase 2 du traité de Maastricht l’insertion d’une réserve de souveraineté de ce type. Donner en dernier ressort et en cas de circonstances exceptionnelles la maîtrise de la politique au Gouvernement n’était pas incompatible avec les Articles 109 H et surtout 109 I du traité de Maastricht, ni avec la loi nationale prévoyant que la Banque de France doit définir et mettre en oeuvre sa politique monétaire dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement. Reste, bien entendu, que la qualification de situations relevant de circonstances exceptionnelles prête toujours à controverse et qu’il n’existe pas de définition juridique de la notion de « carence ». Seule dans ces conditions la pratique et sans doute le contentieux devant le Conseil d’Etat aurait pu nous dire -si cette solution du C.B.V et du C.M.T avait été transposée à la Banque de France- quel contenu le Gouvernement aurait donné à la notion de circonstances exceptionnelles et de carence dans ce domaine aussi sensible qu’est celui de la monnaie. Exprimée explicitement, cette solution en demi-teinte aurait eu le mérite d’être à mi-chemin entre la décision du Conseil Constitutionnel et la solution radicalement opposée qu’a choisi le législateur. Certes, ces dispositions seraient finalement entrées en conflit avec l’esprit du traité de Maastricht lors de la mise en oeuvre de sa phase 3(26) et il aurait sûrement fallu réviser la loi pour abroger ces dispositions donnant une réserve de souveraineté à l’Etat français. Mais la phase 3 du traité de Maastricht n’est-elle pas matériellement contraire à l’esprit de la constitution de 1958? Le Conseil constitutionnel dans son interprétation de l’article 20 semble nous démontrer que c’est bien le cas. Aussi, émettre une réserve de souveraineté en cas de carence avérée de la Banque de France et au niveau européen aurait été plus conforme à la phase de transition que nous vivons actuellement. Le respect de l’esprit des institutions de 1958 y aurait gagné et les rapports de pouvoirs existant entre l’Europe et la France auraient été plus clairement articulés pour l’avenir.

La décision du Conseil constitutionnel sur la Banque de France montre aussi à quel point l’Etat cherche à concentrer les pouvoirs entre les mains de l’autorité qui sera la plus prompte à déterminer, à réagir et à coordonner une politique financière. Ce problème correspond au grief soulevé par les sénateurs en ce qui concerne la méconnaissance du pouvoir du Parlement de fixer selon l’article 34 de la Constitution « …les règles concernant…le régime d’émission de la monnaie… ». On remarquera que le Conseil Constitutionnel a adopté une position consistant à entériner le déssaisissement du Parlement de ses pouvoirs en matière financière. Dans une motivation confinant à l’ironie lorsque l’on sait les rapports de pouvoirs existant entre la majorité parlementaire et le gouvernement sous la V° République, le Conseil a décidé que dans l’exercice de cette compétence financière prévue à l’article 34, il était loisible au législateur de renoncer à ses pouvoirs. Son refus d’exercer ses compétences en en transférant l’exercice au Gouvernement n’est donc pas inconstitutionnel. Les motivations implicites de cette décision sont bien entendu la rapidité d’exécution qu’exigent les problèmes financiers, la trop grande politisation des débats qu’ils engendrent et une trop grande rigidité de la loi en ce qui concerne son adaptation à une politique monétaire qui se fait de plus en plus au jour le jour. Il résulte de tout ceci que la tendance du pouvoir d’Etat semble consister à adopter pour les problèmes financiers une stratégie de quasi-circonstances exceptionnelles. Stratégie au demeurant fort adaptée au contexte de guerre mondiale économique dans lequel nous sommes maintenant bien engagés et où adversaires et alliés sont de plus en plus difficiles à identifier. L’inconvénient de cette tendance du droit est qu’elle remet en cause au moins partiellement certains principes fondamentaux en faisant du droit des circonstances exceptionnelles le droit commun.

Cette décision du Conseil constitutionnel est bien conforme à sa jurisprudence qui fait de lui encore une fois l’ultime rempart contre ce que certains auteurs appellent « l’invasion du droit européen ». Cette décision est également conforme à l’esprit des institutions de 1958, du moins à l’interprétation que l’on pouvait avoir d’elles dans la première moitié de leur existence. Mais les années 80 ont vu une sorte de démembrement ou délégation du pouvoir exécutif en diverses autorités administratives indépendantes s’occupant de problèmes souvent stratégiques pour la nation(27) . Aussi, il peut paraître curieux que le Conseil ait eu une interprètation aussi stricte de l’article 20 permettant une forte concentration des pouvoirs entre les mains du Gouvernement. Cela d’autant plus que la France semble avoir acquis le degré de maturité politique et une monnaie assez forte pour que soit rendue indépendante sa banque centrale.

Cette décision d’août 1993 aura cependant eu le mérite de mettre en évidence, au regard du vote que le parlement a émis quelques mois plus tard, à quel point le droit européen va pouvoir dénaturer la Constitution de 1958.

II/ LES IMPLICATIONS CONSTITUTIONNELLES DE L’INDEPENDANCE ET DES POUVOIRS NORMALEMENT TRANSITOIRES QUE LE LEGISLATEUR ACCORDE A LA BANQUE DE FRANCE:

A/ Les conséquences du rétablissement par le Parlement des dispositions initialement annulées par le Conseil constitutionnel:

Depuis le 5 janvier 1994, la Banque de France va enfin pouvoir « définir et mettre en oeuvre la politique monétaire dans le but d’assurer la stabilité des prix en accomplissant sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement ». De plus le Conseil de la politique monétaire « est chargé de définir la politique monétaire »(28) . Enfin, la Banque de France »accomplit sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement, sans pouvoir, dans l’exercice de ses attributions, ni solliciter, ni accepter d’instructions du Gouvernement ou de toute personne ». Avec la loi du 31 décembre 1993(29) , le législateur reprend donc mot pour mot les dispositions annulées par le Conseil constitutionnel quelques mois plutôt, le 3 août 1993, et rétablit l’indépendance de la Banque de France qui était prévue dans la loi initiale(30) . Voilà qui apparaît de prime abord comme une curiosité constitutionnelle inquiétante pouvant faire penser soit que le législateur viole la Constitution en ne respectant pas l’autorité de la chose jugée, soit que le Conseil n’est plus le juge suprême de la constitutionnalité des lois. L’explication de cette transitoire désorganisation institutionnelle se trouve en réalité dans la combinaison du droit Européen et du droit national par le biais de l’article 88-2 de la Constitution. Dans sa décision d’août 1993, le Conseil estimait qu’il n’y avait pas lieu de se référer aux accords de Maastricht étant donné que tous les instruments de ratification du traité n’avaient pas été déposés. Or, ces opérations de ratification ayant eu lieu entre temps, c’est à bon droit que le législateur a pu en se fondant sur l’article 88-2 – maintenant indiscutablement en vigueur – adopter une nouvelle fois les dispositions annulées par le Conseil constitutionnel. Le législateur en faisant valoir le 31 décembre dernier la volonté la plus récente du constituant a pu ainsi, fort paradoxalement, contredire la décision du Conseil constitutionnel tout en respectant la constitution. Ce raisonnement ne doit cependant pas cacher les problèmes implicites de hiérarchie des normes et de souveraineté que soulève ce cheminement constitutionnel. L’affaire est d’autant plus importante qu’il s’agit de l’article 20 de la constitution prévoyant que le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation appliqué au domaine de la monnaie qui est, comme nous l’avons déjà évoqué, un attribut essentiel de la souveraineté de l’Etat. Qu’on le veuille ou non, la décision du Conseil suivie du vote du législateur fondé sur l’article 88-2 établissent implicitement une hiérarchie constitutionnelle des normes en accordant une primauté du droit européen sur l’article 20 de la Constitution. Certes, le Juge européen avait déjà depuis longtemps affirmé cette supériorité du droit communautaire sur le droit national(31) , mais il restait aux législateurs et aux juges des Etats membres à se conformer à cette jurisprudence. C’est ce qui semble s’opérer avec cette affaire qui dépasse largement les problèmes de supériorité du traité par rapport à la loi que pose l’article 55 de la Constitution. Il s’agit là d’envisager la supériorité du traité de Maastricht par rapport à la Constitution.

Certains argueront de la différence de situation en matière de de ratification entre la décision du Conseil et le deuxième vote du législateur. Cela ne change en réalité pas grand chose à l’affaire et tous les raisonnements juridiques les plus subtils tendant à démontrer qu’il n’y a pas maintenant infériorité de l’article 20 au Traité de Maastricht buteront sur les faits. En l’espèce, la Banque de France est maintenant indépendante et elle sera avec l’Etat français, à terme, normalement dépossédée de toute possibilité de déterminer et conduire la politique monétaire de la nation à moins de méconnaître gravement le traité de la Communauté européenne. Cette supériorité implicite du traité de Maastricht sur l’article 20 établie par le biais de l’article 88-2 de la constitution doit cependant – il est important de le souligner – s’entendre comme limitée au dit traité et encadrée par le principe de subsidiarité( voir note 25).

Reste que par le biais de l’article 88-2, le législateur pourra au nom du droit européen, comme cela a été opéré en l’espèce au regard de la décision du Conseil, vider de sa substance l’article 20 sans qu’il y ait formellement le moindre problème de constitutionnalité. Autrement dit, la dernière révision constitutionnelle a introduit dans la constitution un article prévoyant que l’Etat français allait être dépossédé de sa souveraineté. Voilà qui, selon la théorie générale du droit, apparaît comme un paradoxe proche de la contradiction. Cela peut en effet nous faire penser que l’article 88-2 bien que faisant maintenant formellement partie intégrante de la constitution est en réalité matériellement inconstitutionnel(32) . Les décisions du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992 et du 2 septembre 1992 à propos de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 sont à cet égard assez frappantes(33) . Le Conseil constitutionnel a en effet estimé dans sa deuxième décision que les dispositions du traité de Maastricht insérées dans la Constitution de 1958 (article 88-2) étaient constitutionnelles alors qu’il les avait jugées avant la révision dans sa première décision comme inconstitutionnelles. Hélas, cette révision constitutionnelle ressemble fort à un tour de passe-passe dont le seul critère formel montre ses limites avec cette réforme de la Banque de France. Il existe par conséquent bel et bien une hiérarchie implicite entre l’article 20 de la constitution de 1958 et le traité de Maastricht par le biais de l’article 88-2.

Un autre raisonnement peut consister à soutenir que l’article 88-2 qui permettra à terme le transfert du pouvoir monétaire français au niveau européen n’est qu’une exception à l’article 20 et à la souveraineté de l’Etat français. Mais là aussi, ce raisonnement dans l’Etat actuel du droit positif constitutionnel ne peut-être valablement soutenu. En, effet le propre de la souveraineté d’un Etat est bien justement d’être souveraine… C’est-à-dire de ne pas souffrir d’exception, surtout d’exception du type et de la taille de celle que réprésente le pouvoir monétaire. L’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est d’ailleurs là pour nous le rappeller: « Le principe de souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». De même, les articles 2 et 3 de la Constitution de 1958 prévoient que « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale et que la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum… » « Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice… ». La simple lecture de ces articles nous montre qu’il est impossible de concevoir une exception au principe de souveraineté de l’Etat français. Certains auteurs(34) estiment pourtant que les contradictions apparentes entre les diverses dispositions de la Constitution se résolvent au besoin par l’interprétation d’ensemble du texte. Là aussi, cet argument peu sembler séduisant, mais lorsque la contradiction sur le fonds est un peu trop forte, il devient impossible de dégager une interprètation à tendance univoque. Des thèses proches de l’antagonisme se valent. Dans cette situation, le juriste ne peut plus organiser avec précision le fonctionnement du pouvoir d’Etat et le politique règne en maître. C’est sans doute là que réside l’insoluble problème des rapports dialectiques que le droit positif entretient avec le milieu qu’il doit régir. Les réformes de grande ampleur remettant en cause le droit existant sont souvent difficiles à accepter ou à comprendre par le milieux administré. Aussi, seules de nouvelles pratiques déviantes qui deviendront peut-être coutumes ou de nouvelles règles contredisant en partie les anciennes pourront adapter le système normatif aux objectifs politiques à atteindre. La dynamique de la construction européenne correspond tout à fait à cette logique. Si le juriste fait rarement preuve de prescience dans ces périodes de mutation, son devoir sera quand même de redonner au système juridique toute sa cohérence dans les plus courts délais. Or, les réajustements sont assez importants à effectuer. A l’occasion de cette seule réforme de la Banque de France fondée sur le droit européen, on aura pu observer le Conseil constitutionnel voir le législateur être constitutionnellement en mesure de ne pas respecter l’esprit de sa décision protégeant la souveraineté de l’Etat français (Ce qui est pour le moins inconstitutionnel…). Notre même législateur aura pu opérer une quasi-révision constitutionnelle par une loi ordinaire et déposséder le gouvernement d’une de ses prérogatives les plus importantes en temps de guerre économique, celle de diriger la politique monétaire. Ce dérèglement de la pratique des textes de la V° République montre à vrai dire une remise en cause des principes de souveraineté de l’Etat, de séparation des pouvoirs, de hiérarchie des normes et de révision constitutionnelle(35) . Or, ces notions de théorie générale du droit constitutionnel correspondent à une architecture qui avait fait ses preuves pour protéger les sociétés démocratiques et républicaines. Il serait par conséquent fort louable que le rôle de chaque institution soit réajusté ou redéfini afin que ces principes recouvrent leur complète effectivité.

B/ Les exigences européennes devant à terme déposséder les Banques centrales de leurs pouvoirs:

L’indépendance maintenant accordée à la Banque de France doit cependant être relativisée par le caractère normalement transitoire des pouvoirs que vont exercer les membres du Conseil de la politique monétaire. En effet, l’indépendance des banques centrales correspond à la deuxième phase selon l’article 109 E du traité de Maastricht. Mais cette deuxième phase n’est qu’une étape vers la troisième phase qui prévoit la mise en place de la monnaie unique et le transfert des compétences en matière de politique monétaire des Etats membres au niveau Européen. L’article 109 j dispose d’ailleurs entre autre que la troisième phase se caractérise par les institutions que sont la monnaie Unique et le système européen de banques centrales. L’article 106 du traité de Maastricht ainsi qu’un protocole spécifique qui lui est annexé définissent le système européen de banques centrales (SEBC), composé d’une banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales.

Il faut savoir que les textes prévoient une prééminence de la BCE sur les banques centrales. Cette prééminence se justifie par l’impossibilité de maintenir des politiques monétaires nationales sur une masse monétaire qui sera alors devenue commune. Le principe de subsidiairité(36) prévoit donc que les banques centrales nationales pourront garder des missions autres que les missions du SEBC, sauf opposition des gouverneurs exprimée à la majorité des deux-tiers des suffrages exprimées, pour cause d’interférence avec les missions du SEBC. Il faut savoir aussi que ces missions des banques centrales s’effectuent alors sous leur propre responsabilité et à leurs propres risques.

L’Etat français ne connaissant pas de difficultés financières trop graves et désirant toujours faire partie des douze sera donc à terme dépossédé de sa souveraineté financière. L’article 105 alinéa 2 du traité de Maastricht est sur ce point très clair puisqu’il prévoit que les missions fondamentales du SEBC consistent à définir et mettre en oeuvre la politique monétaire de la communauté. On remarquera à ce propos que lorsque la phase 3 sera entrée en vigueur, il ne sera pas possible, selon le traité, pour les Etats ayant adopté la monnaie unique d’invoquer une réserve de souveraineté pour résoudre leurs problèmes financiers intérieurs. Il est même prévu à l’article 104C paragraphe 11 un arsenal de sanctions pour contraindre les Etats membres à se soumettre à la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Mais l’étude de ces sanctions montre bien à quel point la construction européenne n’en est encore qu’au stade de la confédération. Ces sanctions et l’ensemble des dispositions du traité laissent en réalité de manière implicite une réserve de souveraineté aux Etats membres en matière financière. Cette réserve de souveraineté est potentielle et plutôt brutale à envisager. Mais elle existe bel et bien puisque les pouvoirs de police et la force armée des Etats membres ne font pas l’objet de transferts de compétence au niveau européen. Chaque Etat membre conservant le commandemant de sa force armée, il paraît donc raisonnable d’envisager qu’en cas de crise grave de l’union européenne, les Etats membres auront la possibilité de renationaliser leur politique monétaire.

Enfin, il nous reste à évoquer des dispositions importantes, sans lesquelles l’indépendance de la Banque de France et les pouvoirs qu’elle devra transférer au niveau européen seraient une réforme dénuée de tout sens. Ces dispositions sont contenues dans l’article 107 du traité de Maastricht qui organise l’indépendance de la Banque centrale européenne. Cet article dispose en effet en des termes très proches de ceux adoptés par le législateur français pour la Banque de France que dans l’exercice des pouvoirs et dans l’accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par le présent traité et les statuts du SEBC, ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme. Les institutions et organes communautaires ainsi que les Gouvernements des Etats membres s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la BCE ou des banques centrales nationales dans l’accomplissement de leurs missions.

CONCLUSION:

Il est sans doute dommage que le Conseil constitutionnel n’ait pas été saisi une nouvelle fois à la suite du vote de la loi du 31 décembre 1993 rétablissant les dispositions qu’il avait annulées quelques mois auparavant. Peut-être aurait-il pu dégager des critères nous permettant de mieux discerner comment vont désormais s’articuler et évoluer les rapports entre la loi française et les normes européenes en matière de transfert de souveraineté.

L’indépendance de la Banque de France a été qualifiée par la presse à juste titre comme une petite révolution(37, 38) . L’histoire monétaire de la France et les difficultés constitutionnelles que nous venons d’évoquer montre en effet que cette indépendance n’avait après tout rien d’évident et n’aurait sûrement pas vu le jour si le législateur n’avait pu finalement prendre appui sur le droit européen. Reste, rappelons-le, que cette réforme ne correspond normalement qu’à une phase transitoire de la construction européenne. Fondée sera l’interrogation sur la durée de cette phase transitoire. Le traité de Maastricht semble prévoir des délais bien courts. Il est fort à craindre que la crise économique du moment, les 17 millions de chômeurs que connaît l’Europe et les tendances à la divergence des économies(39) incitent plutôt les Etats membres à renationaliser en pratique leurs politiques monétaires et à reculer la date d’adoption d’une monnaie unique. Céder à cette tentation aurait des conséquences néfastes. Le transfert du pouvoir monétaire au niveau européen nous semble en effet être une nécessité et la meilleure solution pour restaurer la souveraineté de la puissance publique sur le pouvoir monétaire.

Le 04 août 1994

Christophe Leroy

Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université

Paris XII Saint-Maur.

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(1)article 20: Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le parlement dans les conditions et procédures prévues aux articles 49 et 50.

article 21: Le premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l’article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires. Il peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres. Il suplée, le cas échéant, le Président de la république dans la présidence des conseils et comités prévus à l’article 15. Il peut, à titre exceptionnel, le suppléer pour la présidence d’un Conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé.

(2)Article 34 : la loi fixe les règles concernant le régime d’émission de la monnaie..

(3)L’article 78 énumére les compétences de la Communauté. Il place la monnaie sur le même plan que la politique étrangère et la défense.

(4)J.P. Patat, « La politique monétaire », Revue Banque, mars 1991 in Problèmes économiques, n°2292 du 23/09/1991.

(5)Rapport du Sénat relatif au statut de l a Banque de France par M. Jean Arthuis, Sénateur. Rapport n°388, seconde session ordinaire de 1992-93, annexe au procès verbal de la séance du 23 juin 1993.

(6)Aux Etats-Unis, en Suisse ou en Allemagne, les Etats Fédéraux ont soustraits l’émission de la monnaie aux Etats fédérés, ce qui implique le lien entre monnaie et souveraineté. Dimitrys Triantafyllou, « L’activité administrative de la Banque de France », ed. Litec, 1992, p.5.

(7)Les effets les plus perceptibles sont, entre autre, des politiques monétaristes, la volatilité excessive des marchés monétaires, une concurrence effreinée dans le domaine industriel et commercial et une course à la productivité dans laquelle nombre de sociétés ne semblent pouvoir trouver leur salut qu’en ayant recours à des délocalisations vers des pays où les droits de l’homme et la protection sociale sont réduits en pratique au strict minimum.

(8)On remarquera que la Banque de France ne bénéficie pas d’un statut constitutionnel, à moins que l’on considère que son statut découle d’un principe fondamental reconnu par les lois de la république. Cf. Cons. Const. 22 juillet 1980, AJDA 1980, p.480 à propos de l’existence de l’indépendance et des fonctions de la juridiction administrative.

(9)Au Contraire, Pierre Lalumière conteste la nécessité d’un pouvoir monétaire qui puisse s’opposer au Gouvernement démocratiquement désigné. Les finances publiques, Paris A. Collin, 1976, P.435.

(10)La monnaie, « parcelle de souveraineté », est un facteur libéralisant le pouvoir étatique qui se voit même concurrencé par le pouvoir monétaire, Despaux A., Le pouvoir monétaire, Paris, Librairie M. Rivière et Cie, 1954, p.24.

(11)Nous en sommes actuellement à la deuxième phase se caractérise par un double objectif:

– La convergence des économies dont les critères sont un dégré élevé de stabilité des prix, un déficit public modéré, des marges de fluctuation normales et des taux d’intérêts convergents.

– L’indépendance des banques centrales.

(12)Voir le Projet de loi Assemblée nationale, n°158, deuxième législature, mai 1993, n°416, deuxième législature, juillet 1993, le projet de loi Sénat, n°356, Seconde session ordinaire de 1992-93, juin 1993 et la loi n°93-980 du 4 août 1993, J.O. du 6 août 1993, p.11047.

(13)Rapport assemblée nationale n°270 fait au nom de la Commission des finances, de l’économie générale et du plan sur le statut de la Banque de France. 3 juin 1993, deuxième législature, p.34 et s.

(14)Monsieur le Professeur Nguyen van tuong fait remarquer que si l’on se place dans la perspective de la troisième phase de l’Union économique et monétaire, la disposition de la loi pouvait apparaître comme prématurée, soit comme superflue. Préamturée parceque le traité sur l’union européenne n’était pas encore entré en vigueur à la date de la décision du Conseil constitutionnel et parce que la troisème phase ne débutera dans le meilleur des cas que le 1 janvier 1997. Superflue, parce que selon toute vraissemblance, les transferts de compétence prévus au nouvel article 88-2 de la constitution se feront, en matière de politique monétaire, directement entre la France et L’uinion européenne, sans l’intermédiaire d’une Banque de France indépendante. Voir semaine juridique, JCP, II, 22193 (Cette note de jurisprudence ne tient pas compte de la loi du 31 décembre 1993 rétablissant les dispostions annulées par le Conseil constitutionnel).

(15)L’article 88-2 de la constitution, issu de la loi constitutionnelle du 25 juin 1992, dispose que: « Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le traité de sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétence nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne… » qu’au terme de l’article R du traité: « Le présent traité entrera en vigueur le 1 janvier 1993, à condition que tous les instruments de ratification aient été déposés… »

(16)Dans l’exposé de ses motifs, la loi ne fait pas référence aux exigences européennes. Il s’agit selon M. Alaphandéry d’une décision autonome du Gouvernement prise au regard de l’intérêt intrinsèque de la réforme. M. Alphandéry attribue à une volonté purement française l’indépendance de la Banque de France. Le monde du 13 mai 1993.

(17)Article 55 de la Constitution: Les traités ou accord régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

(18)Article 35 de la loi du 4 août 1993: Les articles 8,12 et 13 de la présente loi, relatives à la nomination des membres du Conseil de la politique monétaire, du Conseil général; du Gouverneur et des sous-gouverneurs de la Banque de France entrent en vigueur à la date de sa publication (JO du 6 aout 1993, P. 11050). Jusu’à la date d’installation de ces conseils qui interviendra au plus tard le 1 janvier 1994, la Bnaque de France reste régie par les dispositions de la loi n°73-7 du 3 janvier 1993 sur la Banque de France. A compter de cette date, la loi n° 73-7 précitée est abrogée.

(19)On pense bien sur à la jurisprudence « IVG » du 15 janvier 1975 à la quelle le Conseil constitutionnel est resté fidèle. Cette jurisprudence exclut en effet tout contrôle de constitutionnalité des lois par rapport aux conventions internationales auxquelles la France peut-être liée, et, par conséquent, par rapport à toute source européenne fondamentale ou dérivée. Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel, Louis Favoreu, Loïc Philipp, Ed. Sirey, 6° Edition.

(20)Article 8 de la loi du 6 août 1993: Le Conseil de la politique monétaire comprend, outre le Gouverneur et les deux Sous-Gouverneurs de la Banque de france, six membres. Ces six membres sont nommés par décret en Conseil des ministres pour une durée de neuf ans…. Article 10: Il ne peut être mis fin, avant terme, aux fonctions des membres du Conseil de la politique monétaire que si ils deviennent incapables d’exercer celles-ci ou commettent une faute grave, par révocation motivée du Conseil de la politique monétaire statuant à la majorité des membres autres que l’intéressé. Les fonctions de membres du Conseil de la politique monétaire sont exclusive de toute autre activité professionnelle publique ou privée, rémunérée ou non, à l’exception, le cas échéant, après accord du Conseil de la politique monétaire , d’activités d’enseignement ou de fonctions exercées au sein d’organismes internationaux. Ils ne peuvent exercer de mandats électifs. S’ils ont la qualité de fonctionnaires, ils sont placés en position de détachement et ne peuvent recevoir une promotion au choix…

(21)Cons. const. 17 janvier 1989, dec. n°88-248 DC relative au Conseil supérieur de l’audiovisuel; L. Favoreu et L. Philip, les grandes décisions du Conseil constitutionnel, sirey, 6°ed., p.724 et s.

(22):C’est ainsi par exemple que certains articles de la loi du 2 août 1989 concernant les injonctions et les sanctions que la C.O.B peut prononcer à l’égard des contrevenants à la réglementation boursière ont fait l’objet de recours devant le Conseil constitutionnel. Les motifs invoqués par les requérants ayant déféré ces articles de lois, étaient que la possibilité donnée à la C.O.B, émanant du pouvoir exécutif, de prononcer des injonctions et des sanctions, constituait une atteinte manifeste à certains articles de la Constitution de 1958 et à certains principes contenus dans la Déclaration des droits de l’homme – Notamment le principe de séparation des pouvoirs -. Sur l’ensemble des articles incriminés, seul l’article 10 concernant la possibilité pour la C.O.B de se porter partie civile, de déposer des conclusions ou d’intervenir, a été annulé. Pour le reste, l’article 5 de la loi du 2 août 1989 formant les alinéas 1 et 2 de l’article 9 de l’ordonnance de 1967 lui permettant en tant que pouvoir exécutif de prononcer des injonctions et des sanctions ont été déclarés conformes à la constitution. Cela n’a pas manqué de laisser insatisfait le plus grand nombre des puristes de l’art juridique. Il était presque tentant de penser que la C.O.B était devenue une juridiction d’exception, mais le Conseil constitutionnel l’a qualifié d’autorité administrative, comme il l’a fait pour le Conseil de la concurrence.

(23)Décision « Conseil de la concurrence » du 23 janvier 1987, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 6° édition, p.709 et s. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a estimé que le transfert à la juridiction judiciaire du contrôle des décisions du Conseil de la Concurrence ne méconnaissait pas le principe de séparation des autorités administratives et judiciaire. Le Conseil à cependant estimé dans cette même décision que compte tenu de la nature non juridictionnelle du Conseil de la concurrence, de l’étendue des injonctions et de la gravité des sanctions pécuniaires qu’il peut prononcer, le droit pour le justiciable formant un recours contre une décision de cet organisme de demander et d’obtenir, le cas échéant, un sursis à l’exécution de la décision attaquée constitue une garantie essentielle des droits de la défense.

(24)Christophe Leroy, « L’encadrement juridique des marchés financiers par la puissance publique », Thèse, juin 1993, Université Paris XII-Saint-Maur, p.81.

(25)CE 8 août 1919, Labonne. Droit administratif, Les grandes décisions de la jurisprudence, Jean François Lachaume, Presses universitaires de France.

(26)Le passage à la troisème phase marquera le début de l’union économique et monétaire. Ce passage se fera soit le 1 janvier 1997 après un examen des critères de convergence de chaque Etat membre, soit automatiquement le 1 janvier 1999. Cette phase se caractérisera d’une part, par une fixation irrévocable de la parité des monnaies entre elles, dans le but d’introduire l’Ecu comme monnaie unique, d’autre par la création d’un système européen de Banque centrale composé de la Banque centrale européenne et des banques centrales nationales.

(27)On pense bien sûr au Conseil de la concurrence et à la Commission des opérations de bourse. Si la création de cette dernière remonte à une ordonnance de 1967, elle n’a reçu du législateur le pouvoir réglementaire qu’en 1985 et ses pouvoirs d’injonctions et de sanctions qu’avec la loi du 2 août 1989.

(28)Les six nouveaux membres du Conseil de la politique monétaire en plus des hauts foncfionnaires ont été désigné par décret pris en conseil des ministres. Les six nouveaux membres sont: Michel Albert, Bruno de Maulde, Jean-pierre Gérard, Jean Boissonnat, Denise Flouzat et Michel Sapin.

(29): loi n°93-1444 du 31 décembre 1993, J.O du 5 janvier 1994, p. 231.

(30)La loi n°93-24 du 13 juillet 1993

(31)C.J.C.E Costa c/ E.N.E.L 15 juillet 1964, C.J.C.E Acciaierie San Michele 1965, C.J.C.E Simmenthal, 9 mars 1978. Voir les Grands arrêts de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, p.158 et s.

(32): « La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht: Remarques sur la méconnaissance de la limitation de la révision constitutionnelle. « La constitution doit être interprétée comme protégeant non pas seulement les individus, mais aussi la souveraineté de l’Etat ». Olivier Beaud, Revue française de droit administratif, Nov. Déc. 1993, p.1049.

(33): Décision n°92-308 DC du 9 avril 1992, Decision n°92-312 du 2 septembre 1992. Loi constitutionnelle n°92-554 du 25 juin 1992 ajoutant à la constitution de 1958 un nouveau titre XVI: « Des communautés européennes et de l’Union européenne ».

(34)B. Genevois, « le Traité sur l’Union européenne et la Constitution révisée », Revue Française de droit administratif, Nov.Déc. 1992, p.937 et s.

(35)Voir en ce sens l’article d’Etienne Picard, « Vers l’extension du bloc de constitutionnalité au droit européen? », Revue francçaise de droit administratif, Jenavier-février 1993, p.47.

(36)Le principe de subsidiarité limite les interventions de la communauté . L’article 3B sur l’union européenne précise: « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats memebres et peuvent donc, en raison de dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

(37)Voir par exemple l’article de François Renard, « Naissance d’un pouvoir », Le Monde, Jeudi 6 janvier 1994, p.12.

(38) »Le Gouverneur de la Banque de France a déclaré: « Un évènement d’une telle ampleur se produit une fois par siècle. Il y a eu 1936 et maintenant ». Le Figaro du mercredi 5 janvier 1994.

(39)Voir l’article d’Eric Le Boucher, »L’union économique phase 2″, Le Monde, mardi 4 janvier 1994, p.1 et 15.

Les rapports contemporains entre l’Etat et le marché : essai d’interprétation

By Droit public économique

« Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur(1) . »

Jean Cocteau.

Il est des concepts qui perdent leur fondement dans la réalité présente au sens où ce qu’ils désignent et tentent de définir a subi une telle mutation que seule l’ironie permet de qualifier cette réalité présente par son concept originel. Certes, le concept évolue, s’aidant d’exceptions et de paradoxes, mais il arrive que les contradictions soient les plus fortes. Elles sonnent alors le glas du concept qui établissait un ordre et donnait un sens à une réalité.

Nombre d’Etats en cette fin de vingtième siècle ont opté pour des orientations politiques prônant une économie de marché fortement libérale qui soulèvent des questions de fond dont celles des rapports qu’entretiennent l’Etat et le marché(2) . Il est de nos jours quotidiennement constaté que le développement du commerce international pose des problèmes complexes aux Etats quant à leur souveraineté économique et à leur politique générale d’intervention vis-à-vis du marché. Aussi est-il peut-être intéressant de s’interroger sur les remises en cause fondamentales que peuvent impliquer pour l’Etat et le marché ce développement international des activités économiques de l’industrie, des services et de la finance dans un contexte de forte concurrence.

Les phénomènes économiques contemporains érodent, voire abrasent les conceptions classiques du pouvoir d’Etat, du marché et des rapports qu’ils sont censés entretenir. Dans cette nouvelle ère économique où ces concepts d’Etat et de marché semblent perdre pied avec la réalité, il nous est apparu pertinent d’étudier les causes de ce déclin et ce que l’avenir peut laisser entrevoir comme remède s’il en est. La difficulté de cette étude réside dans le choix des notions d’Etat et de marché qui font appels à une multitude de facteurs qui, bien qu’ayant une incidence normative, ne sont pas toujours facilement réductible au strict raisonnement juridique. Il est pourtant indéniable que les phénomènes économiques ont de nos jours une puissance normative qui entre en concurrence avec les moyens juridiques classiques dont dispose l’Etat. Vouloir l’ignorer est ce méprendre profondément sur l’évolution de notre monde contemporain. L’aborder et tenter d’étudier ces phénomènes de concurrence normative entre Etat et marché jusque dans leurs ultimes développements est extrêmement risqué. Le risque est pris de démontrer que l’économie de marché contemporaine qui est un facteur de déclin de l’Etat ne peut cependant se passer d’une puissance publique pour son organisation et son fonctionnement. Ceci étant, la restauration de la puissance d’Etat sur l’économie ne semble pouvoir s’opérer qu’au prix d’un abandon probablement irréversible de souveraineté des Etats-nations.

1/ LA MONDIALISATION DE L’ECONOMIE OU LA REMISE EN CAUSE DU CONCEPT D’ETAT-NATION:

A/ Les facteurs économiques du dépérissement de l’Etat-nation:

Les facteurs du dépérissement de la souveraineté des Etats sur les marchés sont multiples et il est difficile de faire une analyse globale systématisée de ce déclin tant la démarche qui a conduit à certaines situations de contradictions juridiques et économiques relève d’un manque de cohérence certain de la part des décideurs politiques(3) . Les causes du déclin de la puissance d’Etat sur les phénomènes économiques sont extrêmement complexes. Aussi, nous n’envisagerons dans cette étude que les principaux facteurs dont le rôle nous est apparu déterminant dans la transformation des rapports entre puissance d’Etat et puissance économique.

Pour mieux comprendre le contexte actuel, peut-être convient-il de reprendre certains principes à leurs prémisses afin de mieux apprécier les modifications de leurs actuels développements.

Un des principes fondamentaux qui de nos jours n’est plus respecté sur le plan économique et dont dépend pourtant l’existence même de l’Etat est le principe de sa souveraineté. Une des caractéristiques essentielles de l’Etat est pourtant bien d’être souverain(4) . L’oeuvre des dirigeants politiques et des juristes est d’ailleurs d’organiser par des règles de droit cette suprématie de l’Etat en la rendant compatible avec l’ensemble des activités humaines se déroulant sur son territoire. Il est ainsi communément admis que c’est par le pouvoir suprême de coercition, par le monopole légal de la violence physique légitime que l’Etat fait respecter sur son territoire son système normatif par ses administrés et les Etats tiers. Certes, et ceci est essentiel dans une démocratie libérale, toute activité humaine doit bénéficier de la présomption de liberté(5) . Mais ces activités doivent cependant respecter l’ordre public. C’est donc la loi et, dans le silence de celle-ci lorsqu’il y a urgence, la police qui doit s’assurer que les activités économiques se déroulant sur le territoire de l’Etat ne sont pas nuisibles à la société selon les termes de l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789(6) . Le problème contemporain en matière d’ordre public économique est que le système normatif actuellement en place considère comme licite au nom d’une idéologie libérale dominante certains dommages économiques causés au tissu économique national dont le moins que l’on puisse affirmer est qu’ils sont nuisibles à la société du fait de leurs incidences sociales. Cette prise de position politique des gouvernements actuels d’admettre par exemple comme licite les dommages très importants que peut provoquer la concurrence internationale à une économie nationale trouve aujourd’hui sa traduction juridique dans les constitutions, lois et règlements qui donnent un sens nouveau au contrat social des sociétés modernes.

Dans la conception classique de l’Etat, c’est la norme juridique qui dicte le comportement. Or, l’important développement de l’activité économique et sa médiatisation comme source de bonheur dans nombre d’Etats contemporains est venu bousculer cette conception de la souveraineté. C’est ainsi que le marché qui exprime la surpuissance de l’économie en est arrivé avec la complicité des médias à acquérir le pouvoir de déterminer des valeurs normatives existentielles (ce qu’il faut avoir pour être heureux…). Or, cette puissance de normalisation économique des comportements concurrence d’une certaine manière l’Etat chargé d’établir les normes qui font le contrat social d’une société. Le Professeur Jean-Pierre Henry démontre dans un article intitulé « le marché contre l’Etat » qu’à la norme étatique est entrain de se substituer de nos jours une normalisation industrielle des comportements(7) . Cette analyse nous amène bien sûr à nous interroger jusqu’à quel point cette concurrence du marché à l’encontre de la puissance publique peut être poussée et quels sont les moyens juridiques que cette dernière tient à sa disposition pour faire respecter en dernier ressort son autorité. Plus fondamentalement, il convient de s’interroger sur l’existence juridique et l’application contemporaine des principes qui gouvernent les rapports entre l’Etat et le marché.

L’idée commune de l’Etat que se sont faites pendant des siècles les hommes politiques comme les juristes ne concevait pas sérieusement, sauf à de rares exceptions(8), que le commerce et le marché en arriveraient un jour à concurrencer la puissance publique au point de remettre en cause sa souveraineté. La définition classique de la souveraineté de l’Etat n’envisage d’ailleurs pas explicitement le marché. Du moins, n’étant pas cité comme un des attributs de la souveraineté, il est considéré comme ne devant pas la remettre en cause.

L’idée assez souvent réductrice de l’initiative économique privée a été au cours des siècles qu’il fallait subir la puissance publique comme une pénible nécessité. Cela bien sûr sans mesurer l’enjeu exact de son rôle(9) . Il pouvait être fait pression auprès de certaines instances du pouvoir d’Etat pour tenter d’obtenir quelques avantages, mais les acteurs du marché percevaient l’Etat comme le maître en dernier ressort des forces économiques et financières en lutte sur son territoire et le maître de ses relations économiques internationales. Le Général de Gaulle n’envisageait pas autrement à ce propos les rapports entre l’Etat et le Marché(10) : « Le marché, Peyrefitte, il a du bon. Il oblige les gens à se dégourdir. Il donne une prime aux meilleurs. Il encourage à dépasser les autres et à se dépasser soi-même. Mais en même temps, il fabrique des injustices. Il installe des monopoles. Il favorise les tricheurs. Le marché n’est pas au-dessus de la nation et de l’Etat. C’est la nation, c’est l’Etat qui doit surplomber le marché ». Cette vision politique des rapports entre l’Etat et le marché est aujourd’hui quelque peu dépassée. Elle a cependant le mérite de nous montrer à quel point la puissance publique n’est plus véritablement souveraine, à quel point le marché est entrain de supplanter l’Etat en imposant une normalisation industrielle des esprits et à quel point enfin les forces économiques ont maintenant tissé une souveraineté financière trans-étatique à qui importe peu les problèmes sociaux de l’ensemble des régions du globe.

Ce dépassement de la puissance publique par le marché n’est pourtant pas nouveau. Déjà au XVII° siècle, l’Etat pour se développer recherchait une base économique plus large afin de subvenir aux besoins de ses ambitions. La stratégie de l’Etat était pour dépasser la puissance des villes-Etats commerçantes de créer un marché aux dimensions du territoire national(11) . Or, si au début l’Etat était en concurrence avec les villes, sa création d’un espace économique homogène à l’intérieur duquel les échanges pouvaient s’effectuer sans entrave l’a révélé comme beaucoup plus puissant que les villes qu’il a fini par absorber. On remarquera cependant d’une part que cette entreprise de domination économique de l’Etat était un moyen de donner une assise à sa souveraineté, d’autre part que le transfert de l’autorité publique s’est fait des villes-Etats à l’Etat. Enfin, l’enjeu n’était pas seulement économique. Il était certes militaire, mais la volonté était aussi d’unifier par la norme, la langue et la religion un peuple résidant sur un territoire déterminé dans le but de créer une identité nationale, une civilisation française, c’est-à-dire un Etat-nation.

Cette remarque historique nous montre que le siège contemporain de l’Etat par les forces économiques n’a pas le même objectif et la même signification que celle qu’avait l’entreprise de domination de l’Etat des XVII° et XVIII° siècles. Une des grandes différences semble être que la volonté de nos ancêtres était bien de créer un Etat surpuissant alors que la volonté de nos contemporains voulant créer l’Union européenne est avant tout de créer un marché surpuissant. Le mythe fondateur n’est plus le même. Alors que les grandes villes commerçantes du XVII° perdaient leur autorité sur leur marché au profit de l’Etat, celui-ci délègue aujourd’hui sa souveraineté pour que soit établi un gigantesque marché unique dont le souverain politique n’existe pas vraiment. Le problème dès lors est de savoir quels vont être les nouveaux rapports entre le marché et la puissance d’Etat. On peut ainsi légitimement se demander dans quelle mesure le marché peut ne plus dépendre de la puissance d’Etat. Les accords O.M.C, puis le Traité de l’Union européenne posent ce problème.

L’O.M.C, en premier lieu, est un traité de droit international économique visant à mettre en place un système juridique destiné à abolir les mesures protectionnistes et autres restrictions aux échanges commerciaux que les Etats peuvent avoir la tentation de mettre en place pour protéger leur économie. Certes, c’est par un libre consentement que les Etats ont décidé à l’origine de devenir membre de l’O.M.C et d’en respecter les règles. Mais le problème est actuellement que le développement des échanges internationaux dans un tel contexte de concurrence n’était pas vraiment imaginable par les membres fondateurs(12) . Cela a pour conséquence aujourd’hui d’empêcher les Etats occidentaux de protéger nombre de leurs industries nationales menacées de délocalisation ou de disparition(13) .

Les principales dispositions juridiques de l’accord GATT-O.M.C destinées à favoriser le commerce entre les Etats sont la clause du traitement national(14), la clause de la nation la plus favorisée(15), l’abaissement général et progressif des droits de douane(16) et la prohibition des restrictions quantitatives(17) .

Il existe bien sûr le système des exceptions(18), des clauses de sauvegarde(19), de dérogations(20) permettant la protection de certaines valeurs qui se rattachent à la souveraineté nationale ou à l’ordre public des Etats. L’ensemble de ces dispositions font effectivement office de soupapes de sécurité en cas de crise. Mais ces mesures dérogatoires sont trop souvent invoquées par les Etats sans qu’il y ait de réels problèmes. Cela a d’ailleurs fait écrire à certains que l’O.M.C ne survivait que grâce aux exceptions qu’il admettait à ses propres règles(21) . Ainsi, il n’apparaît pas faux d’écrire que les négociations que permettent ces exceptions sont en effet un des moyens pour les grandes puissances économiques de maintenir leur position dominante au détriment parfois de leur nation d’origine et surtout, bien sûr, au détriment des pays de puissance économique de second rang(22) .

En second lieu, et dans le même esprit d’internationalisation de l’économie que l’OMC, l’espace unique économique européen en tant que zone de libre échange a aboli, entre les Etats membres, les obstacles à la libre circulation des marchandises(23), des personnes, des services et des capitaux. On notera que cette abolition des frontières s’est opérée tout en maintenant l’Europe au stade de la confédération économique. Du moins n’y a t-il pas de Gouvernement européen exerçant les pouvoirs d’un Etat fédéral souverain sur les problèmes économiques. Cette faiblesse structurelle n’a cependant pas été compensée par une Union douanière protectrice du marché européen. En effet, la lecture du traité nous apprend que si les restrictions entre Etats membres sont interdites, le traité interdit également les restrictions entre les Etats membres et les pays tiers(24) dans certains domaines importants comme le libre mouvement des capitaux et des paiements par exemple.

A l’ensemble de ces dispositions s’ajoute la possibilité pour l’Union européenne d’accepter de nouveaux Etats-membres. On peut ainsi considérer à la lecture de ces textes que les Etats formalisant leurs décisions politiques par des règles de droit ont accordé de très grandes libertés au marché.

Il reste alors à s’interroger sur les extrêmes limites de la liberté qu’il peut être accordé par la puissance publique au marché. Le marché peut-il exister en tant que tel sans puissance publique souveraine de son organisation et de son fonctionnement? Est-il possible à la puissance publique « Etat » d’exister en tant que telle si elle n’arrive plus à subordonner le marché à son autorité pour éviter ses excès?

Une remarque importante est que l’Etat dans son essence a en charge des missions bien plus larges que celles du marché. Il est remarquable qu’il doit être rappelé à nombre d’esprits que certaines missions ne pourront jamais être remplies par le marché. Parmi ces missions on peut trouver l’établissement de normes impartiales, la police, la défense, la justice et l’enseignement(25) . Il peut aussi être affirmé que du bon accomplissement de ces missions dépend l’existence même du marché. Or, en plus de ses missions traditionnelles de puissance et de service public, l’Etat français s’est par exemple beaucoup investi de diverses façons dans l’interventionnisme économique au point de faire subir une rigueur budgétaire injustifiée à nombre de ses missions traditionnelles. Il peut même être remarqué que les restrictions financières qu’impose l’Etat à ses missions de base a pour corollaire sa participation active au développement de la puissance des entreprises et de l’activité économique en général se déroulant sur son territoire(26) . Et c’est indiscutablement de ce point de vue que la position de l’Etat relève d’une extrême ambiguïté. En effet, si le marché remet en cause la souveraineté des Etats, il est en même temps devenu une des composantes essentielles de cette même souveraineté. Quel Etat peut prétendre aujourd’hui donner assise à sa souveraineté sur la scène internationale en ne menant qu’une politique conforme à la définition classique de la souveraineté défendant stricto sensu les intérêts de la nation? De même, quel Etat peut prétendre maintenir l’ordre public sur le plan interne si la situation économique ne garantit plus un minimum de cohésion sociale(27) à la nation? Il est évident qu’user du pouvoir d’intervention unilatéral dont dispose l’Etat pour faire respecter un ordre économique conforme à des vues nationales n’est plus envisagé du fait de la division et de la spécialisation planétaire du travail qu’est entrain d’opérer le marché. Ce phénomène qui rend les mondes financiers et industriels des différents pays très dépendants les uns des autres entrave fortement les possibilités des Etats de recourir au pouvoir de police pour remédier à leurs problèmes internes. En ce sens, la politique que mènent les Gouvernements de nombreux Etats est plutôt de se lancer dans la fuite en avant en soutenant leurs entreprises afin de développer par tous moyens leur puissance économique sur la scène internationale. Mais on remarque que cette même puissance économique participe – exercée sur une zone d’échange aux dimensions bientôt planétaires – au déclin des Etats-nations sacrifiés sur l’autel des stratégies économiques qui dépassent leurs intérêts légitimes. Chaque Etat devient ainsi de nos jours un carrefour de flux économiques et l’Etat le plus puissant est celui qui aura conformément à la loi du marché – c’est à dire la loi du plus fort -, l’activité économique la plus puissante sur son territoire. Qu’en est-il dès lors des Etats dont la stratégie n’aura pas été assez tôt de favoriser le marché? L’Etat peut-il encore s’opposer aux excès du marché? La tentation isolationniste comme nous venons de l’expliquer est en réalité très dangereuse et seul un Gouvernement autoritaire pourrait aujourd’hui durablement fermer ses frontières au marché international et faire subir à son peuple de grandes difficultés économiques. Les démocraties, elles, ne peuvent plus faire marche arrière pour tenter de restaurer sur le territoire de l’Etat-nation son autorité sur les phénomènes économiques et leurs implications sociales.

Il apparaît pourtant fondamental en théorie qu’un Etat puisse agir contre le marché à moins de ne plus être véritablement souverain – est-il alors encore un Etat selon la définition classique? – et de ne plus voir les échanges économiques sur son territoire avoir lieu dans le cadre d’un marché où règne un minimum d’équité, c’est à dire un marché régi par des règles de droit(28) . Or, dans l’état actuel de ce que peut interdire le droit en matière économique, même la notion de circonstances exceptionnelles nous semble vidée de sa substance(29) . Un des plus édifiant exemple de cette inefficacité du droit des circonstances exceptionnelles en matière financière est bien le Krach boursier d’octobre 1987. Ce phénomène de château de cartes financier affectant en quelques heures l’ensemble des Etats dotés d’une Bourse de valeurs est la preuve que les circonstances exceptionnelles ne peuvent être envisagés de nos jours que d’un point de vue planétaire(30) . Mais cela en revient à dire qu’il n’y a en réalité qu’à constater le désastre en déplorant que la croyance planétaire en un système économique producteur continu de bien être matériel était une forme de duperie. Le droit des circonstances exceptionnelles servira donc en cas de crise à faire respecter l’ordre public de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique, mais il ne faudra pas attendre grand chose du droit en ce qu’il pourrait rétablir un ordre économique, c’est à dire, au fond, rétablir une croyance acceptée par des peuples entiers, croyance qui a fait la crise économique(31) . Ce qui est de toute façon indéniable, c’est qu’une puissance publique ne peut durablement plus invoquer seule une situation de circonstances exceptionnelles pour résoudre ses problèmes économiques. L’ensemble de ces facteurs nous semble caractériser un sérieux et semble t-il irréversible affaiblissement de la souveraineté des Etats actuellement existant. Il convient maintenant d’étudier les répercussions de ce laminage économique du pouvoir d’Etat sur le droit en tant que protecteur de la nation.

B/ La mondialisation des marchés comme déclin du droit protecteur d’une Nation:

Le développement du marché international nous apparaît maintenant comme étant effectivement un facteur de déclin de la souveraineté de l’Etat sur les phénomènes économiques. Les textes constitutionnels et les autorités chargées de leur application et de leur respect qui admettent le principe du libéralisme économique ne semblent plus pouvoir réellement empêcher ce déclin du système juridique garantissant la souveraineté de l’Etat.

Sur le plan international et européen, on remarquera que si le texte de l’OMC et le Traité de l’Union Européenne ne sont pas formellement supérieurs aux Constitutions des Etats membres, ils imposent toutefois de telles contraintes concurrentielles en matière économique que ces textes constitutionnels se trouvent un peu vidé de leur substance et de leur puissance normative(32) . Il ne faut donc plus attendre de ces textes fondamentaux, étant donné la volonté politique dominée par les dogmes du libre échange économique mondial, qu’ils fassent respecter un ordre public économique dans les Etats nations. Ces textes sont quelque peu hors-sujet en ce qui concerne les problèmes que cause le marché et il semble de toute façon que les Etats et l’Union européenne n’ont plus aujourd’hui la puissance d’imposer des limitations juridiques lui permettant de revenir sur la liberté accordée au libéralisme économique.

C’est ainsi que sont de plus en plus inopérants les moyens classiques dont dispose la puissance publique pour assurer son autorité sur le marché. En effet, ces moyens classiques que sont l’encadrement de la liberté du commerce et de l’industrie(33), la limitation du droit de propriété, la fiscalité, l’établissement de règles impartiales d’organisation et de fonctionnement des échanges économiques doivent s’adapter au droit communautaire qui est maintenant la source directe du droit économique national. Par ailleurs, ces moyens juridiques classiques d’encadrement de l’économie entrent en concurrence avec des législations plus clémentes d’autres Etats tiers à l’Union Européenne. Les entreprises peuvent donc choisir des pays où elles seront plus compétitives. C’est ainsi qu’un Etat voulant assurer une couverture sociale à l’ensemble de ses salariés peut faire fuir les investisseurs. Or, la puissance de l’Etat dépend étroitement de l’activité économique(34) – par le biais des recettes fiscales -, c’est à dire du marché pour assurer le financement de son activité consistant… de plus en plus à favoriser le marché. C’est ainsi que les investisseurs conscient de ce talon d’Achille de la puissance publique peuvent faire une sorte de chantage aux Etats afin d’obtenir toutes sortes d’avantages. Un Etat qui peut se voir en quelque sorte concurrencé par un Etat tiers, par ses propres Etats fédérés ou ses collectivités décentralisées ne se trouve plus réellement dans une situation de puissance publique qui peut imposer ses vues de façon unilatérale pour défendre ce qu’il estime être l’intérêt général, mais plutôt dans une situation de négociation où il doit convaincre les investisseurs en étant plus attractif que les autres(35) .

Certes, attirer le commerce et l’industrie correspond à satisfaire l’intérêt général des administrés. Mais, ces notions ne se recoupent pas complètement. Ce qui fait la solidité d’un contrat social, la solidarité d’une nation, l’identité d’une civilisation ne se confond pas complètement avec la production et la consommation de produits mondialement standardisés quoiqu’en disent les clameurs de nombreux médias inféodés au système économique. Or, la puissance publique de plus en plus prisonnière de ces choix politiques ultra-libéraux antérieurs ne se reconnaît qu’une très faible légitimité et n’a que peu de moyens juridiques pour limiter par un pouvoir de police économique les abus de la logique libérale dans ce qu’elle touche à l’essence même des valeurs d’un terroir où d’une société.

L’expression de la puissance se fait de nos jours surtout de façon économique et c’est donc beaucoup plus dans un esprit de négociations propre aux arrangements du monde commercial que dans un esprit d’intervention de la puissance publique imposant des normes protégeant les intérêts de ses administrés que se mènent les relations entre les Etats de l’Union européenne, entre les Etats-membres et les pays tiers et entre les Etats et les entreprises. Le marché acquiert ainsi force quasi supra-constitutionnelle et les rapports qu’il entretient avec le droit et les Etats membres deviennent de plus en plus abscons. Cet état de fait est inacceptable pour une puissance publique qui ne peut se satisfaire de faire respecter un ordre juridique apparent de droit privé et de droit international privé. Le droit privé laisse à l’initiative privée des pouvoirs commerciaux trop importants. Laisser trop de pouvoirs aux opérateurs privés qui n’ont aucune préoccupation directe du bien collectif, c’est accepter implicitement de voir la souveraineté de l’Etat laminée par des flux commerciaux et financiers. La puissance publique en l’occurrence ne remplit dès lors plus une de ses missions essentielles qui est de défendre la société et les valeurs qui la structure(36) .

Le marché érigé en toute puissance mondiale ignore les prodigieuses différences culturelles qui donnent autant d’assises à la personnalité d’un être humain et un sens un peu plus noble à la vie en société. Il semble falloir par conséquent rester très vigilant quant aux discours qui tendent à confondre la défense de l’intérêt général avec la défense des intérêts du marché. Bien que l’intérêt général soit aussi difficile à définir que l’intérêt du marché et quoiqu’en disent les discours favorables au droit de la concurrence, il ne peut être perdu de vue les fondements philosophiques du service public et de la concurrence sont bien différents. L’usager d’un service public est servi parce qu’il est un être humain alors que le consommateur est servi parce qu’il a de l’argent(37) . Cette différence fondamentale que cherche à occulter les chantres de la libre concurrence ne doit jamais être perdue de vue dans un pays dont une des principales finalités de l’entreprise politique est le respect des droits de l’homme et plus généralement de la personne humaine. En ce sens, considérer que la concurrence internationale peut remplacer le service public, c’est développer l’impuissance d’Etat à assurer ses missions de puissance publique, de service public et de façon plus générale de protection de la nation.

S’il est inexact à ce propos de dire que le service public est condamné à disparaître à cause du Traité de Maastricht, il peut être affirmé qu’il aura les plus grandes difficultés à maintenir l’étendue de son domaine d’intervention et qu’il est assez difficile de déterminer une frontière à son repli stratégique tant sont grandes les ambitions des entreprises privées(38) . Ces ambitions des entreprises privées trouvent leur fondement juridique dans la combinaison des articles 90-1 et 90-2 du Traité de Maastricht (voir note 71) qui posent le principe de soumission des entreprises publiques au droit de la concurrence. Ces textes obligent maintenant le service public à justifier son existence pour pouvoir déroger à ce droit de la concurrence. Certes, il a été reconnu par la Cour de justice des communautés avec l’arrêt Corbeau l’existence d’un service de base universel(39) . Mais dès lors qu’il ne s’agit plus d’un service de base, le monopole ne se justifie plus et les entreprises de droit privé doivent pouvoir proposer le service rendu jusque là par le service public(40, 41) . La seule limite à cette logique qui consiste à ne laisser au service public que le non rentable est posé par ce même arrêt Corbeau qui dispose que de soumettre au droit de la concurrence les activités rentables n’est possible que dans la mesure où le service de base n’est pas remis en cause(42) . De même, dans un arrêt Almélo(43) plus récent, la Cour de justice des communautés confirme sa première jurisprudence en expliquant que des restrictions à la concurrence, voire l’exclusion de toute concurrence doivent être admises dans la mesure où elles s’avèrent nécessaires pour permettre à l’entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci. Il faut à cet égard tenir compte, explique l’arrêt, des conditions économiques dans lesquelles est placée l’entreprise, notamment des coûts qu’elle doit supporter et des réglementations notamment en matière d’environnement auxquelles elle est soumise. La seule nuance de l’arrêt Almélo est l’utilisation de l’expression intérêt général alors que dans l’arrêt Corbeau il s’agit de l’intérêt économique général conformément au texte de l’article 90-2. Cela peut correspondre à une évolution de la notion qui tend à reconnaître un service public de base, mais ne change pas grand chose à la logique de très forte limitation du service public.

Ces deux arrêts de la Cour de justice des communautés semblent vouloir donner une garantie au service public en lui assurant dans un système économique libéral la possibilité au moins d’équilibrer ses comptes. Mais on notera tout de même la faiblesse de la garantie jurisprudentielle qui repose sur des critères financiers d’évaluation de rentabilité. Le droit s’en remet en l’occurrence à l’économie pour déterminer le droit, ce qui risque de donner lieu à de nombreux contentieux. En effet, un service de base qui peut par exemple assurer l’équilibre de ses comptes est un service qui intéressera des grandes entreprises du secteur privé toujours en quête d’augmenter leur chiffre d’affaire et capables de faire de très importantes économies d’échelle en assurant ce service sur le territoire de plusieurs Etats. Ces grandes entreprises en proposant des services annexes arriveront sans doute à rentabiliser des services que le service public arrive tout juste à équilibrer(44) .

Ces jurisprudences récentes nous montrent combien les critères financiers sont peu satisfaisant. Le problème est qu’aux critères financiers que nous venons d’étudier s’ajoutent les problèmes de délégation de service public ainsi qu’un nouveau critère dégagé par la Cour de cassation limitant le champ d’application du droit de la concurrence.

Le problème de la délégation de service public(45) est qu’elle reste soustraite par l’ordonnance de 1986(46) et la jurisprudence(47) à la soumission à une procédure préalable de mise en concurrence des candidats délégataires. Cet état de la législation reste conforme à une jurisprudence séculaire du Conseil d’Etat affirmant le libre choix du concessionnaire par le concédant. Mais on ne peut que remarquer la situation de porte-à-faux de ce droit par rapport à l’exigence européenne de soumission des personnes publiques au droit de la concurrence(48, 49) .

Le nouveau critère dégagé par la Cour de cassation concerne un arrêt du 12 décembre 1995 direction de la météorologie nationale(50, 51) . La Cour dans cette affaire a estimé que certaines données n’étaient pas commercialisables.

Dans un esprit presque contraire, un autre arrêt de la Cour de justice des communautés européennes en date du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurances (non encore publié), abordant le cas des organismes chargés de la gestion d’un régime complémentaire de protection sociale a jugé qu’ « un organisme à but non lucratif, gérant un régime d’assurance vieillesse destiné à compléter le régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant dans le respect des règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d’adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de la capitalisation, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité CE « .

C’est ainsi que la qualification d’activités comme étant soumises ou pas au droit de la concurrence nous semble devenir dans de nombreux cas difficilement prévisible. Les critères financiers que dégage la jurisprudence manquent de précision pour que l’on puisse à la lecture de ces derniers arrêts estimer que tel ou tel service sera soumis ou non au droit de la concurrence. Certes, il existe tout de même des critères de distinction comme les ont posés les arrêts CJCE 19 juin 1975 IGAV/ENCC(52) ou Ville de pamiers(53, 54) , mais les domaines où où il y a ambiguïté quand à la qualification juridique sont nombreux.

Ce qu’il faut essentiellement retenir de ces textes et jurisprudences est que le temps de la liberté des Etats dans la conception des services publics est bel et bien révolu(55) . L’Etat doit donc faire un repli stratégique de son intervention sur un service public universel de base dont la teneur est actuellement très difficile à définir, mais qui semble se limiter au strict minimum.

Un autre aspect de ce surdéveloppement du commerce international dans ses rapports avec la puissance publique est qu’il apparaît nécessaire pour les nations industrialisées de s’engager dans une fuite en avant technologique. Ainsi pour beucoup de dirigeants et penseurs économiques, il devrait revenir aux pays en voie de développement la fabrication de produits à faible valeur ajoutée ou les opérations de simple assemblage des produits. Quand aux nations développées, elles seraient chargées de concevoir le monde moderne. Or, ce partage économique(56) ne tient pas compte du fait que les Etats-nations développés ont une population qui ne se compose pas que d’intellectuels, de techniciens et de brillants gestionnaires. Il existe aussi une large frange de la population dont le type de travail est en voie de disparition en Europe. Cela à cause de l’automatisation, de l’informatisation, de la robotisation et à cause également de la délocalisation de ces travaux à forte main-d’oeuvre dans les pays en voie de développement – qui en sont aussi à la robotisation pour une productivité maximum -.

Il résulte de ces phénomènes que les Etats-nation des pays développés ne peuvent plus réellement prétendre offrir une protection juridique à peu près uniforme du travail de l’ensemble de leurs citoyens. L’Etat stratège économique se distingue alors de la nation, abandonne la défense de pans entiers de l’industrie et des services et abandonnera à terme en grande partie le soutien social de sa population(57) . Tous les paramètres économiques et financiers nécessaires s’accordent pour donner sa légitimité à un discours politique qui prônera au nom de la survie économique la réduction de la protection sociale, la justification du chômage comme une fatalité économique et l’appel à faire des efforts financiers pour être encore plus concurrentiel.

De cet abandon prématuré de l’exigence juridique au profit d’ambitions à but le plus souvent lucratifs, de ce desserrement prématuré de la souveraineté de l’Etat au profit du marché résulte une confrontation de l’industriel européen avec des acteurs économiques peu soucieux des droits de l’homme, parfois mafieux, excellents copieurs, ayant un sens très relatif du droit de la concurrence(58), pilleurs, mais aussi créateurs de technologie dont la foi qu’ils ont en la guerre industrielle ne se trouvera plus chez l’européen. La responsabilité des politiques et des industriels de cette situation se dilue bien sûr dans la collectivité des nations occidentales (comme est diluée la responsabilité des guerres) qui ont accepté cette mise en oeuvre trop rapide et sans conditions de l’idée européenne et mondialiste.

Juridiquement, les symboles de l’Etat(59) et de la nation dépassés par le marché européen sont Bien sûr les arrêts  » Jacques Vabre « (60),  » Nicolo « (61), ou les arrêts  » Alitalia « (62),  » Boisdet « (63) et  » Stés Rothmans et Philip Morris « (64) qui font s’effacer la majesté de la loi protectrice de la nation devant la réglementation européenne dont l’objectif nous semble essentiellement industriel et commercial(65) . De même, au niveau constitutionnel cette fois, la Loi constitutionnelle n°92-554 du 25 juin 1992 insère un article 88-2 dans la constitution de 1958 qui dispose que: « Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le traité de l’Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétence nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne… »

Certes, Le principe de subsidiarité défini à l’article 3B(66) du Traité de Maastricht limite les interventions de la communauté . Mais cette notion de subsidiarité est en réalité assez vague et à double sens(67) . Ce principe extrêmement souple permet certes de faciliter les transferts de pouvoir au niveau européen, mais il peut aussi être la justification d’un retour de certaines compétence dans le giron des Etats-membres. Actuellement, la subsidiarité est utilisée pour faire accepter le Traité de Maastricht et pour étendre la compétence de l’Union par le biais économique à un nombre très important de domaines. Selon John Major, la subsidiarité est le mot qui sauve le traité(68) . On remarquera dans ce principe de subsidiarité une source de confusion juridique permettant d’accroître les pouvoirs de l’Union Européenne.

Le droit européen – qui est un droit sans Etat(69) – a maintenant aussi enlevé la possibilité aux Etats-membres d’avoir une puissance économique dérogatoire au marché. Cela se déduit d’abord des textes communautaire qui n’accordent aux Etats-membres aucun régime dérogatoire au droit commun en ce qui concerne leur intervention dans les secteurs économiques soumis à la concurrence(70) . Cela résulte aussi de plusieurs textes déjà évoqués qui obligent les Etats-membres de l’Union européenne à aménager et à terme à mettre fin aux situations de monopoles(71, 72) de leurs entreprises publiques(73) . En fait de monopole, il est à observer que l’ensemble des textes en vigueur tendent à vouloir installer le secteur concurrentiel en situation quasi-monopolistique. On se demandera alors dans cet excès inverse quel sera le pouvoir économique régulateur en cas de crise grave. Le poids financier de l’Etat dans l’économie devant peu à peu réduire, la soumission de ses activités industrielles et commerciales au droit commun étant établie, le droit interne étant lié par des textes supra-nationnaux, la concurrence en situation quasi-monopolistique pourra oeuvrer sans réel contre-pouvoir à ses excès. La concurrence est en ce sens conçue par certains de manière aussi dogmatique qu’a pu l’être le service public du temps de sa splendeur.

Le droit du marché est maintenant supérieur au droit de l’Etat. Mais à bien lire le Traité de Maastricht et surtout son droit dérivé, on peut presque affirmer que ces textes ne sont pas du droit, mais de la réglementation. Les réglementations financières, industrielles et commerciales se trouvent ainsi au-dessus du droit de l’Etat-nation. L’accusation de « technocratie  » dont fait l’objet l’Europe actuellement révèle au moins en ce sens une démission des politiques et accessoirement des gouvernements(74)

II/ L’IMPOSSIBLE MARCHE SANS ETAT ET L’IMPOSSIBLE RECONQUETE DU MARCHE PAR LES ETATS-NATIONS:

A/ L’impossible mondialisation des marchés sans puissance publique souveraine:

Nombre de réflexions portent de nos jours sur la difficulté qu’a l’Etat de contrôler les phénomènes économiques qui résultent du fonctionnement du marché selon les principes de la loi de l’offre et de la demande. Le marché, quant à lui, est rarement étudié de près par les chantres de la logique libérale régnante qui s’obstinent à le percevoir comme le mécanisme impartial assurant que le meilleur gagne. Or, il est permis de douter à bien observer le développement du commerce international que la notion même de marché existe encore réellement. Force est de constater qu’il n’existe pas comme pour l’Etat de définition juridique de la notion de marché. Des principes semblent cependant pouvoir être dégagés de certains marchés réglementés comme les marchés de valeurs mobilières, les marchés de matières premières, les marchés publics ou la jurisprudence. Mais le marché au sens générique du terme, c’est à dire le marché où les transactions ont lieu de gré à gré au niveau national ou international ne peut juridiquement être défini en tant qu’entité. Un nombre incalculable de transactions ont cependant lieu quotidiennement selon les termes du droit privé et du droit international privé et selon les prix fixés par le jeu de l’offre et de la demande. Aussi, le marché pourrait être défini par la doctrine dans son acception actuelle comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande qui prétend manifester de façon impartiale la volonté de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix.

Il est cependant regrettable qu’il soit oublié dans ce raisonnement qu’un marché ne peut réellement être efficient que si l’ensemble des intervenants se trouvent sur un pied d’égalité(75) . Or, sur le plan interne et européen, le droit du marché de gré à gré permet des abus de pouvoir économique(76) .

Sur un autre plan, on remarquera qu’à la territorialité des Etats ne correspond plus de nos jours celle des marchés. Le marché ne connaît certes presque plus de frontières en ce qui concerne la libre circulation des biens et des personnes, mais il se heurte, en ce qui concerne son impartialité, à presque autant de civilisations, de modes de vie, de législations différentes qu’il y a d’Etats. Or, la logique libérale actuelle en voulant réduire beaucoup de phénomènes au marché occulte ces différences qui peuvent produire autant de distorsions du principe d’égalité. Le Traité de l’Union européenne ne tient pas assez compte de ces différences. Au lieu de chercher à établir une égalité dans le respect de ces différences, son objectif est l’uniformisation des comportements et des pensées autour de phénomènes économiques, ce qui est assez différent d’une volonté affirmée de faire respecter un principe d’égalité.

De même, les objectifs explicites du Traité de l’Union ne permettent pas à l’Europe de mener une politique à priori protectionniste pour rétablir un minimum d’égalité entre Europe et Pays Tiers(77, 78) . Il existe certes un règlement communautaire anti-dumping(79), qui offre une protection minimum aux pays de l’Union, mais à étudier de près ce règlement et la jurisprudence de la Cour qui doivent respecter les dispositions de l’O.M.C(80), on verra combien il difficile de déterminer des critères sérieux afin de juger qu’un produit fait l’objet de dumping(81) . Devant la multiplicité des critères et l’hétérogénéité des économies, il faut admettre que les institutions se sont reconnues une très large marge d’interprétation qui leur permet de favoriser leur politique d’ouverture aux pays tiers. On remarquera aussi que le contentieux antidumping produit une sorte de sélectivité non pas par pays, mais par firme.

Cette ouverture des frontières européennes aux pays tiers accorde en réalité un surcroît de puissance au marché en lui permettant de s’affranchir des contraintes qu’imposent les Etats des pays développés. Le texte du traité de Maastricht dans le respect des accords de l’O.M.C admet que soient développés des échanges commerciaux avec les pays tiers sans qu’il y ait subordination de ces échanges à des conditions à remplir concernant le régime politique de ces pays tiers, leur statut des droits de l’homme, les conditions de travail des populations, l’existence et le niveau de couverture sociale des salariés ou la politique fiscale menée pour les produits exportés. La seule condition posée pour les échanges avec les pays tiers est la condition de réciprocité. Le texte du traité dispose que les Etats membres sont disposés à contribuer au développement du commerce international (avec les Etats-tiers) et à la réduction des entraves aux échanges sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels. La clef de voûte du principe de développement des échanges internationaux est la notion de réciprocité(82) . Or, il n’existe pas de définition juridique précise de la notion de réciprocité. Il est ainsi envisagé plusieurs interprétations politiques de cette notion de réciprocité. On peut en distinguer trois principales(83) :

– La première est la thèse de la « réciprocité miroir » qui consiste à dire que la communauté européenne n’accorderait un traitement communautaire aux entreprises étrangères que si l’Etat dont elles relèvent accordent un traitement analogue aux entreprises de la communauté. Cette thèse à été vivement combattue par les Etats-unis et le Japon qui craignaient de voir l’Europe se transformer en « forteresse ».

– Dans la deuxième conception, la réciprocité résiderait dans l’octroi, par la communauté, du simple traitement national aux entreprises de ses partenaires commerciaux. cette thèse un peu trop libérale n’a jamais à vrai dire été envisagée car elle ôterait à la communauté européenne tous ses moyens de pressions internationaux en matière de négociation.

– La troisième conception qui est celle qui semble s’imposer consiste à n’accorder un plein accès au marché européen à des entreprises des Etats tiers qui n’accorderaient qu’un plein accès au marché des entreprises de la communauté.

On remarquera que ces trois conceptions de la réciprocité qui sont une vue juridique des problèmes ne tiennent pas compte de phénomènes ultra-nationalistes dont font preuve les consommateurs et industriels de nombreux Etats asiatiques. Admettre un principe juridique de réciprocité a donc une valeur de principe que les moeurs et coutumes des consommateurs locaux atténueront fortement en ce qui concerne son efficacité pratique. L’O.M.C et le Traité de Maastricht ne sanctionnent pas ces nationalismes consuméristes.

On notera que de ces trois thèses qui sont les plus logiquement défendues à la lecture du traité de Maastricht, pas une ne tient compte de la dimension humaniste qui est selon le droit positif des déclarations de droit la finalité de toute entreprise politique. Or, cette ouverture commerciale vis-à-vis de certains pays n’ayant pas mis en place de couverture sociale, ne respectant pas de manière satisfaisante les droits de l’homme ou jouant de l’artifice monétaire(84, 85) peut nous apparaître comme une curiosité vis-à-vis de la conception générale que se font les européens de la personne de l’être humain dans ses rapports avec l’économie et la puissance d’Etat. On remarquera à ce propos que les accords Uruguay round de l’O.M.C signés à Marrakech le 14 avril 1994 ne règlent pas les problèmes des liens entre commerce et politiques monétaires et entre commerce et environnement(86) . Quant à la clause sociale , elle n’a pas eu d’issue du fait de la réticences des pays en voie de développement(87) …

C’est ainsi que mettre en concurrence sur le marché européen des produits fabriqués par des entreprises européennes qui ont en charge les coûts sociaux du travail et des entreprises d’Etat tiers qui n’accordent aucune ou une très faible couverture sociale à leurs salariés(88) peut être qualifié de concurrence déloyale et ne manque pas de soulever de sérieuses interrogations sur la politique sociale de l’Europe qui connaît 16 millions de chômeurs. L’Union européenne ne réagit pas pour l’instant à ce cercle peu vertueux où les entreprises européennes voient leur marché cassé par des entreprises de pays tiers(89) où le statut de l’être humain ne relève pas de nos conceptions européennes. Pour les Gouvernements successifs, le rang de 4° exportateur mondial de la France avec une balance commerciale maintenant excédentaire n’encourage peut-être pas la limitation des conséquences que peuvent avoir les excès du marché international pour nombre d’entreprises nationales et pour l’emploi. Dans cette logique, on voit que certaines entreprises ne trouvent leur salut qu’en délocalisant leurs activités dans ces pays tiers desquelles elles réimporteront ensuite des produits devenus plus compétitifs sur le marché européen(90) . Cette fuite en avant dans la concurrence déloyale implique un alourdissement des charges sociales des entreprises qui deviennent alors de moins en moins compétitives et qui sont obligées de développer leur politique de délocalisation(91) . Arrive le moment où les systèmes sociaux ont de plus en plus de difficultés à prendre en charge le chômage, les retraites et les assurances maladies. La seule solution pour la puissance publique est alors d’admettre la loi que dicte le marché. C’est à dire abaisser le niveau de garanties sociales accordées à l’ensemble des salariés pour rendre les entreprises plus compétitives et tenter de résorber le chômage. Cette logique démontre que les marchés libres ne peuvent valablement fonctionner que s’ils sont constitués d’économies raisonnablement homogènes. Or, cette spirale concurrentielle entre économies hétérogènes que les Etats européens n’envisagent pas d’enrayer avec le traité de l’Union européenne remet en cause à terme non seulement les acquis sociaux, mais plus largement le mode de vie et la vie culturelle d’une nation. Cela au nom d’un soi disant marché planétaire de moins en moins capable de redistribuer les richesses de manière à assurer un minimum de cohésion sociale, qu’il s’agisse maintenant des nations industrialisées ou en voie de développement. C’est en ce sens que la concurrence inégalitaire telle qu’elle est pratiquée de nos jours sur le plan international avec ses répercussions nationales ne peut-être considérée comme remplissant une mission de service public. Un des aspects intéressant à étudier serait même d’estimer le coût pour la collectivité de la concurrence qui produit des faillites, des chômeurs et le difficilement quantifiable gâchis intellectuel que cela comporte. Là encore, la pensée qui envahit le champ presque entier des discours officiels est de ne présenter la concurrence que comme un facteur essentiel de progrès technologique et un bienfait pour les consommateurs. Les graves inconvénients que comporte un système concurrentiel mal maîtrisé sont occultés.

Le règne absolutiste du profit placé comme critère de réussite de toute entreprise finit par détruire les liens minimum de solidarité qui font le contrat social d’une société. Or, si le coût de la misère et de la déstabilisation sociale ne peut être évalué, c’est parce qu’il est effectivement incommensurable. La croissance économique et la recherche d’un bien être économique n’a de valeur que dans la mesure où elle renforce la stabilité des sociétés et fait augmenter ce que l’on pourrait appeler le contentement national brut.

Le terme de marché pour définir le commerce mondial nous apparaît donc inaproprié. En effet, peut-on qualifier des échanges économiques comme se déroulant selon les lois du marché lorsque la législation sociale, la fiscalité et la justice ne sont plus opérant pour tous les intervenants? Peut-on qualifier de marché des échanges commerciaux qui ne sont pas soumis à des règles de droit homogènes assurant une organisation et un fonctionnement impartial? Peut-on qualifier de marché des échanges commerciaux qui ne respectent plus le principe d’égalité des intervenants? Il convient donc d’admettre qu’un marché mondial ne peut exister sans pouvoirs d’Etats un minimum homogène dans les règles qu’ils imposent. Certes, les échanges économiques peuvent exister sans pouvoir normatif souverain, mais ils ne relèvent pas pour autant d’échanges organisés dans le cadre du marché. Le marché ne peut exister sans puissance publique. Lorsque la puissance publique n’est plus souveraine sur l’économie, les échanges commerciaux ne relèvent plus de la notion de marché, mais de la notion de guerre, c’est à dire en l’occurrence de guerre économique.

L’existence d’un marché est en effet bien subordonnée à l’existence d’une puissance capable d’imposer une législation. Mais qu’entend-on au juste par guerre économique?

Une thèse assez séduisante peut en effet être avancée qui fait remarquer que la division et la spécialisation mondiale du travail à permis aux différentes nations à apprendre à se connaître et à créer une telle interdépendance économique que les dérives politiques nationalistes et le recours aux conflits armés nous en apparaît comme d’autant plus limité. Le développement du commerce international a en cela des vertus éminemment pacifiantes, mais on ne peut en réalité qualifier ce commerce comme relevant d’une stratégie de paix, voire même de non-guerre. Le développement d’une concurrence effrénée qui tire vers le bas le marché du travail et les conditions générales de travail dans tous les pays correspond bien à un dommage causé aux nations et à la personne de l’être humain. Certes, dans les pays fortement industrialisés, il y a différents systèmes d’assurance chômage et d’assurance vieillesse qui permettent de garantir la perte d’emploi et une dignité minimum aux salariés et aux retraités. Mais ces systèmes structurellement déficitaires(92) sont à terme condamnés à ne plus pouvoir maintenir leur niveau actuel de couverture, le recours aux augmentations d’impôts et autres charges sociales devenant à terme difficile à supporter pour les entreprises rendues moins compétitives dans un tel contexte de concurrence internationale.

En effet, si les Etats-nations sont encore un repère pour définir quels sont les alliés et les ennemis dans cette guerre mondiale économique, il est beaucoup moins évident de déterminer quels sont les alliés et les ennemis lorsque l’on raisonne en terme de grandes et moyennes entreprises forcées de se lancer dans une stratégie planétaire d’investissements pour survivre(93) . C’est ainsi que certaines entreprises se lancent dans des stratégies d’internationalisation allant à l’encontre des intérêts de leur Etat-nation d’origine(94) . En ce sens les Etats sont une fois de plus dépassés par la guerre économique. On peut alors avancer l’idée de guerre civile économique mondialisée. On comprend dès lors que les dommages licites que peut causer la guerre civile économique mondiale sont devenus incommensurables.

B/ Le recentrage de l’Etat sur ses prérogatives régaliennes pourrait impliquer l’abandon de l’idée de nation:

Un marché qui n’a pas pour maître la puissance publique n’est plus un marché. Un Etat qui ne parvient plus à subordonner le marché à son autorité dans les domaines où son intervention est nécessaire n’est plus vraiment un Etat souverain. Le Traité de Maastricht permet bien sûr des interprétations politiques implicites à son texte. Mais lesquelles? Le texte peut servir de canevas aux interprétations les plus contradictoires tant il accorde de libertés.

Une démarche prospective se gardant de faire du futurisme pourrait imaginer un Machiavel aux louables intentions soutenant que l’ambition de l’Union européenne est de mettre en oeuvre une stratégie consistant à utiliser l’économie comme laminoir de la souveraineté des Etats membres. Les Etats membres une fois affaiblis et dépassés par les flux économiques, la situation justifierait alors la création d’un Etat fédéral européen comme le salut de la puissance publique voulant restaurer sa souveraineté sur les marchés. Mais les valeurs de ce futur et hypothétique Etat fédéral européen seraient sûrement économiques. Il n’existe pas en effet de clef européenne(95) universelle permettant d’affirmer qu’il existe une identité européenne, une civilisation suffisamment homogène. Il n’y a en quelques sortes qu’une identité négative constituée par le regard extérieur qui permet de dire qu’il y a une identité européenne diffuse par rapport au reste du monde. L’Europe est en réalité diversité culturelle. La stratégie de cet Etat fédéral serait alors pour asseoir sa souveraineté de maintenir en fonctionnement le laminoir économique à des fins d’uniformisation en gommant les différences culturelles, linguistiques et les modes de pensée. Le pluralisme, la diversité seraient alors menacés au nom d’un projet économique. Ce qui est pour le moins inquiétant. L’économie a elle seule n’apparaît pas comme pouvant être fondatrice d’une civilisation. Or, la préoccupation majeure considérée comme critère déterminant de la construction européenne est actuellement la monnaie unique…

Un autre scénario consisterait à concevoir l’Union Européenne en restant au stade de la confédération économique. Ce projet ne serait viable que s’il y a à terme convergence des économies des Etats-membres, ce qui n’a rien d’évident étant donné la diversité des puissances économiques que représente l’Europe. Par ailleurs, il est à craindre que cette situation continue à empêcher la puissance publique de restaurer son pouvoir sur l’économie afin de  » surplomber  » ce qui serait à ce moment là à nouveau le marché. En rester au stade de la confédération, c’est maintenir la puissance publique dans une situation de  » négociation  » où tous les Etats-membres sont les avocats de leur cause et où aucune stratégie cohérente ne peut être menée vis-à-vis des pays tiers de la communauté parce qu’il faut continuellement sacrifier une politique nécessaire à l’intérêt général de l’Union européenne au profit d’un intérêt économique stratégique d’un Etat-membre. Cette situation qui ne permet pas de construire une Europe économique cohérente a aussi pour inconvénient d’empêcher les Etats-membres de mener une politique économique cohérente sur leur territoire.

Une voie intéressante serait de tenter de rendre la puissance publique moins dépendante de l’économie. Cela suppose un recentrage de l’activité de l’Etat sur ses prérogatives régaliennes en abandonnant certaines activités industrielles et commerciales(96) . Mais ce recentrage ne serait envisageable qu’à la condition que ne soit pas remis en cause nombre d’activités de service public. Ce recentrage du pouvoir d’Etat sur ses activités de puissance publique et sur ses activités traditionnelles de service public aurait pour conséquence un repli stratégique de son mode d’intervention sur les instruments juridiques classiques. L’Etat renonçant à son activité industrielle pourrait ainsi mieux assurer ses activités classiques de service public. On pense bien sûr aux hôpitaux, à la justice, à l’enseignement et aux activités culturelles diverses. Mais le problème reste toujours qu’il est assez difficile de déterminer qu’elles sont les frontières exactes entre domaine concurrentiel et domaine relevant du service public. Les critères financiers de partage que nous avons évoqué étant peu satisfaisant, une solution serait peut-être à défaut de pouvoir exporter le service public à la française dans les autres pays de l’Union européenne d’essayer de créer au niveau Européen une liste de services relevant de la mission de la puissance publique, le reste étant laissé au domaine concurrentiel. Ecartant l’affrontement dogmatique entre droit de la concurrence et service public, il pourrait même être envisagé que les services relevant du droit public soient  » gérés  » selon les règles de la concurrence à condition que les exploitants de droit privé respectent tous une sorte de cahier des charges bien précis imposé par la puissance publique. La concurrence envisagée comme mode de gestion nous apparaît alors comme compatible avec les missions correspondant au service public.

Une autre solution serait de laisser le droit de la concurrence continuer de s’étendre à de nombreux domaines qui relevaient traditionnellement du service public. En contrepartie, il serait accordé à l’ensemble des administrés des droits fondamentaux correspondant à ce qu’accorde le service public. L’Etat serait le garant financier de l’exercice de ces droits grâce à un système financier de solidarité sociale.

Ces exemples de solutions à la crise du service public et à l’envahissement du droit de la concurrence sont en quelques sortes des voies médianes destinées à tenter de cumuler les avantages des deux systèmes. L’important est aujourd’hui de défendre ce que le service public a de difficilement remplaçable par le droit de la concurrence en matière de solidarité sociale et d’identité culturelle.

Le service public et plus généralement la souveraineté de l’Etat sur les phénomènes économiques nous semblent avoir pour vertu de limiter le pouvoir économique international qui a tendance à imposer par exemple à l’Etat-nation la langue(97) (anglaise), à imposer le mode vie (le travail le dimanche ou certains jours fériés), à imposer une conception gobe-tout à l’idée de culture, ce qui en revient à  » produire  » une sous-culture à but lucratif (dans le domaine musical, télévisuel ou le cinéma…), etc…

En ce sens, le strict repli stratégique de la puissance publique sur ses ancestrales prérogatives régaliennes ne nous apparaît pas judicieux. En effet, l’impuissance d’Etat et de ses instruments juridiques classiques est à la mesure de la puissance internationale de l’argent qui est un pouvoir standardisé et sans réel contre-pouvoir. Il apparaît donc préférable que l’Etat ne privatise pas complètement ses activités industrielles et commerciales afin de conserver un poids économique, une masse financière qui, couplée à son pouvoir normatif peut constituer un brise-lame efficace contre les tempêtes de la concurrence et des finances internationales(98) . Pour ce faire, l’Etat conserve une de ses prérogatives importantes qui est le pouvoir de nationaliser(99) . Ceci posé, on observera combien un recours aux nationalisations serait aujourd’hui peu légitime sur un plan politique. L’heure est plutôt dans les pays occidentaux aux privatisations.

Il reste que cette politique qui consiste à ramener l’Etat-nation à son rôle d’Etat-gendarme est problématique. L’Etat-nation dans cette logique ne sera bientôt plus en effet qu’un Etat territorial, c’est-à-dire un Etat et une nation déracinées de leur terroir, vaincus par la normalisation industrielle. Un Etat devant se plier au diktat économique de l’argent est en réalité un Etat qui a abandonné sa mission civilisatrice(100) ». C’est un Etat simplement chargé de faire respecter un ordre public économique sur un territoire déterminé. On devine la catastrophe que peut représenter pour une nation cette abdication par l’Etat de son pouvoir d’assurer au contrat social d’une société sa finalité humaniste.

L’échec des puissances publiques à dominer cette guerre économique vient de cette obscure et plus ou moins consciente complicité entre adversaires qui fait les guerres. Cette guerre économique vient en réalité tout simplement du fait que les Etats de cette fin du vingtième siècle participent à la guerre économique au lieu de faire la guerre à la guerre économique. Or, le rôle essentiel et premier de l’Etat est de faire la guerre aux désordres et en l’occurrence aux désordres économiques.

L’Europe serait certes un moyen de restaurer le pouvoir de la puissance publique sur l’économie, mais cela ne semble pouvoir se faire à terme qu’au prix de l’identité, de la diversité et de la richesse culturelle des nations.

L’Etat, bien sûr, n’est pas une fin en soi. Pas plus que la nation, le service public ou le marché. Ce qui compte, c’est la personne de l’être humain. Or, si l’Etat a toujours été désigné comme la principale menace contre les libertés individuelles et collectives, si c’est bien pour limiter sa puissance qu’ont été organisés par des textes la protection des droits de l’homme et du citoyen, c’est aujourd’hui, plus que jamais, faire erreur que de continuer à tenir en suspicion cette puissance publique. L’Etat est bien le premier, et peut-être le seul protecteur des libertés(101) . Le regard des défenseurs zélés des libertés individuelles ferait maintenant mieux de se tourner vers le marché. Il apparaît en effet aujourd’hui comme la force privative de liberté.

Le contrôle de la production et des richesses est le contrôle de la vie humaine elle même(102) . Si en ce sens le modèle d’administration soviétique de l’économie était une aberration, il semble que nous soyons aujourd’hui en marche vers l’expérimentation de l’excès inverse. S’il est certain – et cela est heureux – que la diversité et la complexité créatrice de l’activité économique qui est une des composantes essentielles de la vie en société échappera toujours en grande partie à l’Etat, il ne faut cependant pas en tirer pour conséquence que l’Etat est une institution en voie d’obsolescence et que le marché peut s’autoréguler et réguler une société. Il ne peut exister comme nous l’avons démontré de marché sans Etat. Par contre, la guerre civile économique ne suppose effectivement pas l’Etat.

La nation n’est pas non plus une fin en elle même. La nation a elle aussi été une source d’uniformisation et de nivellement(103) de la société, un facteur de destruction de la diversité linguistique par exemple. La nation n’a de valeurs que dans la mesure où son abandon serait justifié par la découverte d’un nouveau  » composant  » d’identification et de structuration de la société.

Le service public n’est évidemment pas lui non plus une fin en soi. Mais il faut bien retenir que le noyau dur du service public, le coeur du service public correspond à une logique républicaine non lucrative de l’Etat au service de la nation. La critique en partie justifiée du service public qui est faite actuellement vient de son extension sans réelle nécessité à des domaines qualifiés d’industriels et commerciaux. C’est ainsi que l’idée de service public qui était alors fortement inspirée des valeurs de solidarité sociales, d’utilités publiques, d’intérêt général s’est peu à peu dégradée(104) . Que le service public s’inspire d’une logique concurrentielle était louable, mais pas jusqu’à sa remise en cause qui le détruit dans ce qu’il a de plus noble pour le service de la nation. Il est évident que le service public est totalement inadapté à la logique de guerre économique à but lucratif qui s’impose sur le territoire français. Mais le service public avec sa mission d’intérêt général est infiniment supérieur pour la défense de la cohérence sociale d’une nation que ce que peut garantir la concurrence en matière d’égalité de tous(105, 106) . L’idéologie qui sous-tend le droit de la concurrence tel qu’il est envisagé et pratiqué au niveau européen et international relève d’un individualisme hédoniste forcené au service d’obscurs stratagèmes industriels et financiers en oubliant que le service public est une des garanties essentielles pour le contrat social d’une société.

L’Europe telle qu’elle est envisagée dans le Traité de Maastricht ignore en pratique l’idée de nation. Cette conception de l’Europe sera à terme extrêmement néfaste pour ce qui est de l’essence et de la diversité des nations européennes. Il est évident que le traité de Maastricht va subir des modifications. Il apparaît d’ailleurs au fond comme un texte transitoire. Mais il faut avoir présent à l’esprit que la révision de ce Traité va sûrement consister à reconsidérer son orientation politique trop libérale(107) .

Tragique serait l’échec de la construction européenne dû à un attachement dogmatique à de mauvais choix politiques mis en oeuvre dans la précipitation.

L’Etat ne fait donc plus aujourd’hui réellement contre-pouvoir au marché international. On se demandera par exemple sur le plan politique que sont les syndicats et l’opposition devenus?… Leur discours est complètement dominé par cette surpuissance du marché implicitement acceptée et leur critique les condamne à ne pouvoir mener que des combats d’arrière-garde. Il serait presque à craindre que les graves crispations identitaires que risquent à terme de produire ces phénomènes de guerre économique fasse le jeu des partis politiques les plus extrémistes bien que développant des idéologies complètement éculées.

La peur que le modèle américain avec ses échecs divers d’un point de vue social s’impose en Europe ne semble pas fondée. L’histoire montre que l’influence hégémonique d’un système de société sur un autre se fait de façon dialectique et qu’il n’y a donc pas à craindre une substitution pure et simple du modèle américain aux modèles européens. Il reste que les perspectives d’évolution des règles de fonctionnement des sociétés européennes restent au fond assez confuses.

Une des clefs de la solution se trouve sans doute dans la prise de conscience collective que les problèmes se trouvent maintenant transféré des Etats au un niveau mondial. Les moyens de cette prise de conscience par les nouveaux moyens de communication existent. Il faudra maintenant réflèchir à la défense de l’idée de puissance publique contre les excès du pouvoir économique international.

Le droit dont on dit qu’il a pour fonction d’organiser une société selon les aspirations du corps social produit aujourd’hui assez curieusement le désordre social. Cela n’est pour une fois pas dû aux limites des capacités intrinsèques du droit positif à organiser le contrat social(108) . Cela est du à des choix politiques visant à mettre en place grâce au droit un ordre économique ultralibéral. Mais peu importe au fond puisqu’il sera bientôt politiquement correct d’aller se recueillir sur le tombeau du salarié inconnu(109) …

                                                     Le 04 février 1997

Christophe LEROY Maître de Conférences à l’Université de Paris XII Saint-Maur.

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(1) »Les mariés de la tour Eiffel », Jean Cocteau, Ed. Gallimard.

(2)La notion de marché est assez difficile à définir juridiquement. Ce problème sera étudié en seconde partie. Mais, le marché au sens générique du terme peut-être défini comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande qui prétend manifester la volonté de façon impartiale de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix.

(3)En ce qui concerne le problème politique, lire par exemple  » Faire face à la mondialisation  » André Fontaine, Le monde du mercredi 20 février 1996, p.4.

(4)Lire en ce sens  » la Puissance de l’Etat « , Olivier Beaud, P.U.F, 1994.

(5) » Le conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété « , Recueil Dalloz Sirey, 1984, 1°cahier, Chronique, p.1., Jean-Louis Mestre.

(6)Article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: La loi n’a le droit que de défendre les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

(7) »La fin du rêve Prométhéen? Le marché contre l’Etat  » Jean-Pierre Henry, R.D.P 1991, p.632.

(8)Par exemple, le 12 août 1789, le député de la noblesse de Paris Duport expliquait que  » L’objet d’une constitution est de comprendre tous les droits quelconques. Qu’importe qu’ils soient contraires à une constitution? La déclaration est pour les établir, la constitution est pour les modifier et les circonscrire. Ainsi, par exemple, il est dit dans la déclaration des droits que tout citoyen a le droit de faire le commerce. C’est à la constitution de restreindre ce droit si toutefois il peut être restreint; mais comme il ne doit pas l’être, alors vous m’annoncez ce que tout le monde sait, puisque la loi n’a pas le pouvoir d’empêcher de faire le commerce « . A.P., p.451, col.2.

(9)Lire en ce sens  » Grands systèmes fiscaux contemporains « , Jean-Baptiste Geffroy, PUF, 1993, p.17 et s.

(10)Extrait de  » c’était de Gaulle », Alain Peyrefitte, fayard, 1994, p.523.

. (11)Voir Y. Crozet, Analyse économique de l’Etat, Paris, Armand Colin, 1991, p.175.

(12)Le volume des échanges du commerce international c’est multiplié par dix depuis 1945.  » Evolution et perspectives du commerce mondial « , Focus-Gatt, juin 1994, n°2400 p. 1à 5.

(13)Rapport d’information du sénat n°337 de Jean Arthuis,  » sur l’incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service « . Seconde session ordinaire de 1992-93.

(14)Clause du traitement national: Aux termes de l’article 3 de l’accord général, les parties contractantes sont tenues d’appliquer à tous les produits importés du territoire des autres parties contractantes le traitement national en matière d’imposition et de règlements intérieurs. Droit international économique, 3°édition, D. Carreau, T.Flory, P. Juillard, Editions LGDJ, 1990, p. 106 et 110.

(15)Clause de la nation la plus favorisée: (ou traitement de la nation la plus favorisée) – Clause selon laquelle les avantages commerciaux accordés à un pays signataire doivent être étendus aux autres pays signataires – constitue la clef de voûte de l’accord général et du système du Gatt. Ouvrage de Droit international économique précité, note 5.

(16)L’abaissement général et progressif des droits de douane: L’article XXVIII bis de l’accord général reconnaît néanmoins  » que les droits de douane constituent souvent de sérieux obstacles au commerce  » et invite les parties contractantes à procéder,  » sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels  » à un abaissement général et progressif des droits de douane par la voie de la négociation. Par le jeu de la clause de la nation la plus favorisée, les concessions qui ont été échangées entre deux ou plusieurs parties contractantes lors des conférences tarifaires sont étendues – sous une forme qui peut être variable, avec la possibilité de contrepartie – à l’ensemble des parties contractantes. . Ouvrage de Droit international économique précité note 4.

(17)L’article XI, §1 de l’accord général interdit de façon générale et absolue l’institution par les parties contractantes de restrictions quantitatives (ou contingents). Le champs d’application énoncé par l’article 11, §1 est large puisque celui-ci vise simultanément les restrictions à l’importation et les restrictions à l’exportation. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.

(18)Les exceptions de l’article XX ( » exceptions générales « ) et celles de l’article XXI ( » Exceptions concernant la sécurité  » peuvent lever l’application des règles de l’accord général lorsqu’il s’agit pour une partie contractante soit de protéger certaines valeurs se rattachant à la souveraineté nationale ou à l’éthique (énumérées dans l’article XX: ordre public, moralité et santé publique, conservation des trésors nationaux et des ressources naturelles, répartition des produits en cas de situation de pénuries), soit d’assurrer la sécurité internationale et interne ( article XXI): exigences dues à la sécurité et au respect des engagements de la charte des Nations Unies en matière de maintien de la paix en vertu de l’article 103 de la Charte. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.

(19)Dans ses grandes lignes, la clause de sauvegarde de l’article XIX de l’accord général permet à une partie contractante de recourir à des mesures d’urgence de protection contre des importations causant un préjudice grave à ses producteurs nationaux. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.

(20)En cas de circonstances exceptionnelles, les dispositions de l’article XXV, § 5 permettent aux Parties Contractantes (ou au conseil) de relever une partie contractante de d’une des obligations que lui impose l’accord général. S’il n’existe pas de condition de fond (la notion de  » Circonstances exceptionnelles  » n’ayant jamais été définie par le G.A.T.T.), une double condition de procédure est en revanche exigée. La décision d’autorisation de la dérogation doit être votée par les Parties Contractantes (ou le conseil) à la majorité des deux tiers des votes émis et cette majorité doit comprendre plus de la moitié des parties Contractantes. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.

(21)A.F.D.I, 1958, p.641.

(22) » Le Gatt démystifié « , Jean paul Frétillet et Catherine Véglio, Ed. Syros, coll. Alternatives économiques.

(23)Article 9 du Traité de l’Union européenne: La Communauté est fondée sur une Union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises, et qui comporte l’interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers.

(24)L’article 73 B du traité de l’U.E prévoit que toutes restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites.

(25)Lire  » Des justices du marché au marché international de la justice « , Yves Dezalay, Revue Justices, N°1 Justice et économie, Dalloz, 1995.

(26)L’action de l’Etat revêt plusieurs aspects. On pense à l’action de la Direction des relations économiques extérieures (DREE), le centre français du commerce extérieur (CFCE), les chambres de commerce et d’industrie. Mais on pense aussi à l’Etat actionnaire d’entreprises, à l’Etat banquier à l’action de la COFACE pour favoriser les exportations, etc… Lire en ec sens  » L’Etat en France: Servir une nation ouverte sur le monde. Mission sur les responsabilités de l’organisation de l’Etat présidée par Jean Picq. Collection des rapports officiels, La documentation française.

(27)La notion de cohésion sociale n’est pas définie juridiquement. Elle est souvent avancée comme argument politique. On notera que  » la cohésion économique et sociale  » est l’intitulé du titre XIV du Traité de l’union européenne (article 130A à 130E). La notion de cohésion sociale n’est pas non plus définie juridiquement par le Traité de l’Union. L’objet du titre XIV est de réduire les écarts entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisés, y compris les zones rurales.

(28)On entend par droit, bien sûr, un droit soucieux de concilier la liberté et l’égalité, et respectueux des droits de l’homme.

(29)Lire  » Les pouvoirs économiques exceptionnels « , Robert Savy, Revue Pouvoirs, n°10, 1979.

(30) »L’encadrement juridique des marchés financiers par la puissance publique », Christophe Leroy,Thèse, juin 1993, Université Paris XII-Saint-Maur.

(31)Voir en ce sens:  » Brêve Histoire de l’euphorie Financière  » de John Kenneth Galbraith. Editions du seuil.

(32)Voir en ce sens  » Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France  » Christophe Leroy, Les petites affiches, 18 juillet 1994 p.5.

(33)Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie: mythe ou réalité?, Moncef Kdhir, recueil Dalloz sirey 1994, 4°cahier, Chronique.

(34) On remarquera la part croissante de la T.V.A dans les recettes fiscales.

(35)Voir les avantages accordés à Eurodisneyland pour son implantation, à marne la vallée.

(36)Voir par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994, à propos de la contribution à l’emploi de la langue Française. Il ressort de cette décision que:

– Le Français ne peut être imposé aux particuliers: selon le CC, Les particuliers et les entreprises de radiodiffusion ne peuvent être assujettis au respect d’une terminologie officielle.

– La liberté de communication implique la possibilité donner à chacun d’utiliser les termes qui lui semblent les plus adaptés à l’expression de sa pensée.

– Les aides publiques à des travaux d’enseignement et de recherches ne peuvent être subordonnés à leur publication en français.

– La terminologie est imposée aux personnes morales de droit public comme aux personnes privées investies d’une mission de service public.

(37)Il s’agit là de la philosophie originelle du service public qui a depuis été gagné par la logique de la rentabilité, logique non dépourvue de sens mais impliquant un prix à payer par l’usager en dehors des prélèvements fiscaux.

(38) » Sur le service universel: Renouveau du service public ou nouvelle mystification? « , Par Marc debène et Olivier Raymundie, AJDA du 20 mars 1996, p.183.

(39)Arrêt Corbeau du 13 mai 1993 de la Cour de justice des communautés européennes.

(40)Rapport public du conseil d’Etat pour 1994, n°46 Service public, services publics: Déclin et renouveau, p.13 à 135.

(41) » Le service public « , Mission présidée par Renaud Denoix de Saint-Marc. Rapport au Premier ministre, collection des rapports officiels, Ed. La Documentation française, 1996.

(42)Revue de la Concurrence et de la consommation, Ateliers de la Concurrence,  » L’approche juridique « , Article de Marie-Anne Frison-Roche, Revue n°87, septembre-octobre 1995.

(43)Arrêt Almélo du 27 avril 1994 de la Cour de justice des communautés européennes.

(44)Il faut ajouter à cela l’évolution technologique dans certains domaines comme les postes qui est un service universel de base: La distribution du courrier devrait à terme disparaître au profit des fax, téléx et communication par Internet.

(45)Par délégation de service public, on entend essentiellement, la concession, l’affermage, la régie intéressée et la gérance. Voir  » La délégation de service public  » de Jean-François Auby, PUF, Collection que sais-je? 1995.

(46)L’article 53 de l’ordonnance de 1986 prévoit que toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques sont soumises aux règles de la concurrence, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

(47)T.C. 6 juin 1989, S.A.E.D.E, RFDA 1989, p.457, concl. stirn.

(48) » Point de vue: Délégation de service public et droit de la concurrence « . Martine Long, Les petites affiches du 4 septembre 1995, n°106, p.6.

(49) » La durée des conventions de service public « , Jean François Auby, les petites affiches du 13 mars 1996.

(50)Cour de cassation, arrêt du 12 décembre 1995, Ministre de l’équipement, des transports et de l’espace, direction de la météorologie nationale c/ société du journal téléphoné, AJDA du 20 février 1996, p.131, Note Bazex.

(51)Cour de cassation, arrêt du 12 décembre 1995, Ministre de l’équipement, etc… Note Dominique Berlin et Hugues Calvet, La semaine juridique, II, 810.

(52) »Les activités d’un organisme de caractère public, même autonome, si tant est que ses interventions ont lieu dans l’intérêt public et sont dépourvues de caractère commercial, ne relèvent pas des articles 85 et 86 du traité UE »

(53)Tribunal des conflits, 1989, Ville de Pamiers, ou CJCE 19 juin 1975 IGAV/ENCC, rec. p.699.

(54)Article du Professeur Jean-jacques Israël dans les mélanges Auby sur la jurisprudence Ville de pamiers.

(55)Article de Marie-Anne Frison-Roche, note 42.

(56)Auquel croient encore beaucoup d’occidentaux pour se rassurer…

(57)Les chiffres sont à cet égard très menaçant:  » L’ardoise  » de la sécurité sociale de 1992 à 1995 est de 230 milliards de francs. Pour 1996, le déficit du régime général de la sécurité sociale -hors charge d’intérêt et accident du travail – est attendu en tendance à 53, 3 milliards de francs Source: Journal Challenges de décembre 1995, p.8.

(58)XXIII° rapport sur la politique de concurrence 1993 (Commission européenne Lire p. 65 les difficultés d’application de la politique de concurrence dans les pays non-européens).

(59): »La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht: Remarques sur la méconnaissance de la limitation de la révision constitutionnelle. « La constitution doit être interprétée comme protégeant non pas seulement les individus, mais aussi la souveraineté de l’Etat ». Olivier Beaud, Revue française de droit administratif, Nov. Déc. 1993, p.1049.

(60)Cour de cassation, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre, D.1975.497,Concl.Touffait, A.J.D.A 1975.567, note Boulouis.

(61)CE 20 octobre 1989 Nicolo, Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 10° édition, ed. Sirey, p.743.

(62)CE 3 février 1989, Compagnie Alitalia, R..F.D.A, 1989,.391 notes Beaud et Dubouis. Grands arrêts de la jurisprudence administrative, ed. Sirey, p.731.

(63)CE 24 septembre 1990, Boisdet, RFDA 1991.172. Note Dubouis.

(64)CE 28 février 1992 Stés Rothmans et Philip Morris

(65)Adage Gaullien:  » On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance…  » L’événement du jeudi du 2 ou 8 novembre 1995, Michel Winock, p.20.

(66)L’article 3B sur l’union européenne précise: « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison de dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».

(67)La nature juridique de l’Union Européenne: En attendant Godot. Pierre Yves Monjal, Les petites affiches du 12 mai 1995 p.16.

(68)Pouvoirs n°60, J. Charpentier.

(69) » L’Etat, le marché et les principes du droit interne et communautaire de la Concurrence « . Marie-Anne Frison-Roche, Les petites affiches du 17 mai 1995, p.4.

(70) » A propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés  » Recueil Dalloz sirey, 1994, 22° cahier, Chronique, p. 163.

(71)Voir en ce sens l’article 90 du Traité de L’Union européenne: Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus. 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.

(72) » L’article 90-3 du traité CEE ou le grand chambardement « , M. Bazex, Gazette du Palais, 1991.1.doctr.271.

(73)L’article 53 de l’ordonnance de 1986 prévoit que toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques sont soumises aux règles de la concurrence, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

(74) » L’identité Européenne « , Patrice Rolland, Extrait du recueil identité politique, p.433 CURAPP, CRISPA, PUF, 1994.

(75)Le respect du principe d’égalité est pourtant un souci des marchés réglementés.

(76)On peut citer par exemple le cas de la grande distribution que le législateur cherche à brider en réformant l’ordonnance de 1986 pour limiter certains effets destructeurs qu’une concurrence trop forte peut produire sur le tissu économique.

(77)Le pari est en ce domaine que l’Europe fera mieux que les américains.

(78)Le droit douanier dans l’europe de 1993: Réglementation des échanges et libre circulation des marchandises, Colloque du 9 décembre 1991, maison de la chimie. Les petites affiches du 30 mars 1992, p.5.

(79)Règlement 3283/94 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part des pays non-membres de la Communauté européenne.

(80)C.J.C.E, 7 mai 1991, Nakajima c/Conseil, c-69/89, rec. p.1-2069. Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes a reconnu que la validité de la réglementation communautaire devait être appréciée notamment au regard des dispsoitions du GATT.

(81) » La réglementation antidumping communautaire: Un nouveau départ?  » Dominique Voillemot, Arnaud Michel, Hubert de Broca, Les petites affiches du 17 avril 1995, n°46, p.7.

(82) »Le marché unique européen », Emmanuel Gaillard, Dominique Carreau, William Lee, Editions Pédone, 1989.

(83)J. L.., Dewost, Conférence à l’association européenne pour le Droit Bancaire et financier, 26 mai 1989.

(84) » Le Piège « , Jimmy Goldsmith, Ed. Fixot, 1993, p.58.

(85) » La stabilité des changes, condition sine qua non du marché unique « , Financial Times, 17 septembre 1993.

(86) » La Communauté européenne et le GATT, Evaluation des accords du cycle d’Uruguay « , Sous la direction du Professeur Thiebaut Flory, Editions apogée, mars 1995.

(87) » Le débat sur l’introduction d’une clause sociale dans le système commercial international: Quels enjeux?  » Revue problèmes économqiues, 1994, n°2400 p. 5à 12.

(88) » Esclavage et économie mondiale font bon ménage « . L’ONU estime à deux cents millions le nombre d’esclaves aujourd’hui dans le monde. Article de Michel Nicolas, La Tribune Desfossés,

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(105)Telle que la concurrence est pratiquée actuellement.

(106)On notera quand même que service public et intérêt général sont deux notions voisines, mais qui ne se confondent pas complètement. Certains milieux coopératifs, associatifs, mutualistes estiment par exemple pouvoir prendre en charge des missions de service public en tant que personnes de droit de privé.

(107)Les graves mouvements de grèves de novembre et décembre 1995 qu’a connu la France qui sent son service public remis en cause sont bien la preuve qu’à terme la survie de l’Union européenne va passer par une révision du Traité qui lie les Etats-Membres.

(108) » Le droit positif comme désordre (paradoxe sur la valeur instrumentale de la technique juridique), par Louis Constans, Université de Perpignan. Etudes offertes à Jean-Marie Auby.

(109) » Comptines à vivre et à mourir « , Poésie, Paul Schwartz, Editions de l’âge d’homme; 1995.

Réflexion sur l’autonomie et la suprématie du droit économique

By Droit public économique

Le débat sur l’autonomie du droit économique rappelle les temps heureux de la seconde scolastique. Au sortir du moyen âge, les théologiens de la seconde scolastique voyaient, dans leur réflexion sur la chose publique, l’Etat s’ériger comme une sorte de double de l’Eglise. Pour ces penseurs de l’Eglise, ces deux puissances se distinguaient radicalement par leurs fondements, leurs fins et leurs moyens. L’Etat et l’Eglise relevaient de deux raisons différentes. L’approfondissement du débat nous a montré combien ils avaient en réalité de sens l’un par rapport à l’autre et combien ils ne pouvaient peut-être plus exister l’un sans l’autre(1) . En cette fin du XX° siècle, l’Etat voit à son tour se dresser devant lui la toute puissance du marché international. Comme les théologiens dissertaient des rapports entre l’Eglise et l’Etat, le juriste contemporain se trouve plongé dans l’étude des rapports entre la puissance de l’Etat et la puissance du marché(2) .

Le juriste étudie les rapports entre l’Etat et le marché à l’aune du droit et le droit se trouve d’une certaine manière devant la problématique des rapports qu’il avait avec l’Etat à la fin du XIX° siècle. Un des grands problèmes du droit public dans l’affirmation de sa juridicité fut en effet de subordonner le pouvoir d’Etat à son autorité par le biais de la théorie de l’Etat de droit(3) . Le droit avait en quelque sorte à dompter le pouvoir d’Etat. Le nouveau problème qui se pose au droit public de cette fin du XX° siècle est d’arriver à subordonner la puissance économique du marché international au droit. Et le problème est d’autant plus ardu à résoudre que les conceptions classiques de la dogmatique juridique n’apportent pas de solutions convaincantes. Bien plus, le domaine des relations internationales nous semble avoir complètement renouvelé les bases mêmes du droit public économique au point que l’on assiste à un véritable dépassement de la théorie étatiste du droit(4) . Il nous semble ainsi que nous assistons en cette fin du vingtième siècle à l’émergence d’un droit dont l’originalité est à la mesure de cette nouvelle civilisation en formation à un niveau planétaire. La mondialisation se construisant essentiellement autour de phénomènes économiques, il peut-être intéressant d’étudier comment le droit se recompose en fonction de ces phénomènes(5) . Nous en sommes actuellement à un niveau où un seuil a été franchi et bien que d’éminents auteurs(6) maintiennent dans les dernières éditions de leurs ouvrages qu’il y a toujours absence d’autonomie du droit économique, cette question de l’autonomie nous semble actuellement posée en des termes renouvelés. Le droit économique est-il un droit autonome à l’instar du droit civil ou du droit administratif ? Longtemps considéré comme étant en quelque sorte un appendice du droit administratif, le droit public économique ne s’en distinguait effectivement pas par ses éléments constitutifs essentiels. S’il y a peu d’évolution sur le plan des critères formels, la teneur du droit matériel a néanmoins maintenant évolué à un point justifiant une réflexion approfondie.

Evoquer l’autonomie d’une branche du droit est une question délicate car cette notion d’autonomie est imprécise. Il n’existe aucun critère qui permette en réalité d’affirmer de façon péremptoire qu’une branche du droit a une parfaite autonomie. L’autonomie d’une branche du droit se décèle plutôt par l’utilisation de la technique du faisceau d’indices qui met à un moment donné en relief certains aspects du droit où l’on peut remarquer l’émergence d’une spécificité. Selon le Doyen Vedel, une branche du droit supposerait l’existence de principes autonomes ou la combinaison de principes et de méthodes relevant jusqu’à présent de branches différentes(7) . Cette remarquable définition a le mérite de poser implicitement le problème du moment à partir duquel un droit peut être considéré comme autonome. Comme cette autonomie ne se décide pas par un acte de droit positif, il faut donc observer l’évolution de la matière juridique et décider, avec un souci d’objectivité scientifique, à partir de quel moment un glissement significatif s’est opéré. Il conviendra tout de même de reconnaître qu’affirmer qu’une branche du droit est autonome relève d’un jugement quelque peu politique fait d’approximations déformantes. A ce propos, l’ampleur du débat politique qui sous-tend cette mutation du droit n’est pas à sous estimer. Il nous semble même que le simple commentaire juridique n’étant pas suffisant, une étude critique des enjeux politiques s’impose(8) . Nous allons donc étudier quel a été le changement d’objectifs assignés au Droit public économique, comment il a été subordonné au droit européen et international avant d’aborder la mutation de sa teneur qui a fait son autonomie.

I/ LA REMISE EN CAUSE DE L’INTEGRATION DU DROIT PUBLIC ECONOMIQUE AU SEIN DU DROIT PUBLIC CLASSIQUE

A/ Le changement d’objectifs assignés au droit public économique

Le débat est ancien et la doctrine de la fin des années 1970 et du début des années 1980 nous montrait déjà fort bien la difficulté qu’il y avait à définir les rapports entre droit et économie. Droit économique, droit économique privé, droit économique public, droit public économique, plusieurs tentatives de définitions étaient avancées pour essayer de circonscrire le mieux possible les dernières évolutions du droit dont l’objet avait été dans le domaine économique de mettre en œuvre la reconstruction au lendemain de la seconde guerre mondiale, de faciliter le développement de nombreux services publics, pour ensuite encadrer la montée en puissance d’une économie libérale s’ouvrant à l’internationalisation. Le droit public économique pouvait-il être considéré comme une nouvelle branche autonome du droit où n’était-il qu’un développement du droit public et pour certains aspects du droit privé(9) ? Le droit économique n’était-il qu’une discipline autonome englobant le droit public et le droit privé(10)? N’était-il qu’une interdiscipline de ces droits publics et privés ne remettant en cause ni leur distinction, ni leurs principes fondamentaux, ni leurs caractéristiques essentielles? L’état du droit dans ses rapports avec l’économie permettait à l’époque de considérer que l’expression  » droit public économique  » relatait assez bien la situation. Le service public était à son apogée et des politiques quelque peu protectionnistes(11) limitaient l’internationalisation de l’économie.

On remarquera cependant que l’approche juridique ne suffisait pas à elle seule à éclairer le débat. Il fallait compter avec les sources idéologiques et les influences qu’elles pouvaient avoir sur les conceptions des systèmes juridiques en vigueur. Or, le monde était à l’époque au moins dualiste en ce qui concerne les idées politiques en vogue. Les Etats-Unis d’Amérique et l’Union soviétique présentaient une opposition idéologique radicale dans leur conception de l’Etat, de la société et du système économique. Le droit des systèmes économique était un des domaines majeurs de l’affrontement des thèses libérales et marxistes et les discours politiques de l’époque tenaient l’expression  » droit économique  » comme désignant le droit de la planification économique. C’est ainsi que le droit économique a pour connotation historique un droit antilibéral, c’est à dire un droit de l’organisation économique qui s’oppose aux mécanismes du marché(12) . Cette connotation nous semble aujourd’hui datée et, au delà des discours politique dogmatiques, on s’accordera à remarquer que les régimes marxistes comme les régimes libéraux ont connu un droit chargé d’organiser l’économie, voire de la planifier. Si pour l’ex-Union soviétique le planisme économique ne fait pas de doute, il a pu être dit qu’à partir du moment où un régime libéral a ses trusts et ses cartels, il y a rarement absence de planification. De même, si le libéralisme ne fait pas de doute aux Etats-Unis, il a pu être remarqué que l’Union soviétique avait laissé plus ou moins officieusement une économie de marché se développer parallèlement à son économie administrée. En ce sens, il peut être avancé que nous avons là les pôles inversés d’un même problème. Le droit de la concurrence a d’une certaine manière succédé au droit de la planification, quoiqu’il peut être vu dans le traité de Maastricht et son droit dérivé une forme redoutable de planification.

Il ressort de ces similitudes que lorsqu’il y a un Etat, il y a toujours un droit chargé d’organiser l’économie(13) . Mais nous pouvons cependant relever une opposition plus subtile entre les conceptions d’inspiration libérale et marxiste que nous venons brièvement d’évoquer. En effet, l’œuvre de droit public qui se propose de définir le plus précisément possible les termes du contrat social a une tendance à imposer, lorsqu’elle est au service de Gouvernements de gauche, une organisation quelque peu artificielle. Le droit public relève en ce sens des ordres fabriqués. A l’opposé, on remarquera que les tenants de l’ordre libéral n’assignent pas au droit public la même ambition de tenter de contrôler si précisément la société et d’imposer un ordre économique. Les dirigeants de l’Etat libéral dans un esprit de droit coutumier chercheraient plutôt a juridiciser l’ordre spontané et mûri de la société civile. Il reste que cette distinction séduisante sur le plan intellectuel nous semble assez peu convaincante lorsqu’on analyse par exemple les derniers développements du droit européen. Les  » grilles  » d’analyse et les critiques aussi bien marxistes que libérales ne rendent pas bien compte les dernières évolutions de ce droit européen. En ce sens, le droit européen et le droit international économique contemporain renouvellent profondément la problématique de l’autonomie du droit économique.

Les idées politiques dominantes du moment semblent en effet assigner au droit des objectifs à atteindre assez différents de ceux que nous connaissions par exemple avec notre droit public interne d’il y a à peine un peu plus d’une dizaine d’années. Ce changement d’objectifs assigné au droit public économique a en réalité bouleversé la teneur de ce droit au point de relancer le débat sur sa définition. L’appellation de droit public économique convient-elle encore à un droit dont les objectifs sont le désengagement de l’Etat du domaine économique et la mise en place de règles destinées à encadrer l’économie de marché sans réel régime dérogatoire pour la puissance publique? Le droit public économique se serait-il transformé en droit économique public ou en droit de l’économie?

La victoire des idées politiques du monde libéral a eu des répercussions multiples sur le système juridique français dont il convient maintenant de bien comprendre la mutation. Le droit public économique a pu être à juste titre considéré comme un appendice du droit administratif. Droit de la puissance publique, du service public dont l’objectif était de satisfaire l’intérêt général des administrés, le droit public économique ne se distinguait qu’assez peu du droit administratif classique quant à ses sources, son mode de formation et les moyens de sa mise en œuvre. La problématique se trouve bien entendu maintenant renouvelée avec la supériorité affirmée des normes communautaires et internationales sur le droit interne, normes axées pour l’essentiel sur l’organisation et le fonctionnement d’un marché européen, voire pour les accords GATT-OMC d’un marché mondial(14) . Or, ces normes européennes et internationales s’imposant au droit public interne français ne sont pas sous-tendues par les mêmes conceptions des rapports entre Etat et marché et ne posent pas les mêmes critères de fonctionnement de l’économie. Le phénomène économique n’est pas régi de la même façon. Notre droit administratif classique est avant tout un droit d’essence républicaine dont l’objectif affirmé est d’être au service des administrés. L’idéologie issue de la révolution française qui sous-tend la logique du droit administratif est bien celle de la célèbre trilogie  » Liberté, égalité, fraternité « . Ainsi, Le droit public classique fonde son action sur la notion d’intérêt général. L’intérêt général dont est juge la puissance publique n’a pas réellement de définition juridique précise. Il faut lire la jurisprudence du Conseil d’Etat pour se rendre compte de la souplesse de la notion d’intérêt général, qui permet de tenir compte dans l’intervention de la puissance publique d’une multitude de facteurs pour la satisfaction des administrés. L’administration et le juge disposent en ce sens d’une marge d’interprétation leur permettant de considérer une situation dans son ensemble(15) . Tel n’est plus le cas lorsqu’un domaine est régi par le droit de la concurrence où l’impératif économique devient le critère prépondérant.

On constate dès lors que les idées politiques qui sous-tendent le droit européen sont finalement assez éloignées de cette conception du droit public français. Droit d’inspiration anglo-saxonne, droit destiné avant toute chose à mettre en œuvre un marché unique, le droit européen a une tendance assez lourde à considérer avant tout l’activité humaine sous l’angle économique en créant des règles de droit destinées à favoriser le développement de la puissance industrielle, commerciale et financière des intérêts privés en général, puissance dont les bénéficiaires sont selon le discours libéral en vigueur les consommateurs.

Il faut bien considérer à cet égard que les dernières évolutions du droit européen et des traités économiques internationaux montrent maintenant assez clairement le changement d’objectifs politiques. Il suffit de se référer à ce qui était politiquement exigé du droit public économique classique pour mesurer le décalage.

Le droit public économique pouvait être considéré au moins jusqu’en 1986 comme le droit de l’interventionnisme direct de l’Etat et n’était en ce sens qu’un développement du droit administratif dans le domaine économique. Bien qu’il n’existe pas de définition juridique de l’interventionnisme de l’Etat en matière économique, on peut tout de même en déterminer les traits principaux par l’étude des instruments utilisés. Il suffit de penser aux actes unilatéraux, aux contrats administratifs, aux concessions, aux marchés publics ou au plan. Ces instruments étaient – et sont encore – les moyens juridiques dont disposaient la puissance publique pour mettre en œuvre sa mission d’intérêt général dans le cadre de ses missions de service public. Or, ces instruments ne se retrouvent pas au niveau européen tels que nous les connaissons en droit interne.

On peut également remarquer que jusqu’à la fin des années 80 la construction européenne en était encore à ses prémisses en ce qui concerne la force obligatoire de son droit. En effet, bien que la CJCE eût affirmé dans quelques arrêts(16) célèbres la supériorité du droit communautaire sur le droit interne des Etats membres, la reconnaissance de cette supériorité du droit européen par les autorités des mêmes Etats membres n’était pas pleinement affirmée. Aussi, l’Etat conservait-il les moyens juridiques lui permettant d’exercer sa souveraineté sur l’économie nationale. Frontière douanière, prix administrés, contrôle des changes, forte présence de l’Etat dans l’économie par le biais des entreprises publiques, régime juridique dérogatoire pour les personnes de droit public intervenant dans le domaine industriel et commercial, institutions de monopoles, droit des circonstances exceptionnelles, l’Etat détenait les pouvoirs clefs qui lui permettaient d’être le principal acteur du système économique libéral instauré sur son territoire.

De manière tout à fait symbolique pour le droit public économique sur le plan interne, la révolution s’est opérée pour l’essentiel avec l’ordonnance de 1986 qui met en place un droit de la concurrence très libéral et soumet les personnes morales de droit public au droit commun des affaires en matière de concurrence pour toutes les activités de production, de distribution et de services(17) . Il est clair que les commentateurs de ce texte n’ont pas toujours mesuré le bouleversement qu’il impliquait. D’un droit organisant une mission de service public qui faisait l’essence même du droit public économique, on est passé en quelque sorte à un droit dont la mission correspond à un encadrement du marché. La puissance publique dans ce contexte ne se trouvait plus être à terme un acteur aussi privilégié du monde économique mais, pour l’essentiel, en ce qui concerne le domaine industriel et commercial, un acteur de droit commun. L’objectif assigné au droit public économique changeait. Il ne s’agissait plus pour la puissance publique d’imposer de manière unilatérale au monde économique des mesures chargées de défendre l’intérêt général, mais de mettre en œuvre un cadre juridique chargé d’assurer la véritable mise en place d’une économie de marché. C’est ainsi que dans le domaine industriel et commercial, l’intervention directe de l’Etat au nom de l’intérêt général a progressivement marqué un recul assez net au profit du marché chargé par le jeu de l’offre et de la demande de satisfaire au mieux les besoins de la société. La puissance publique par le moyen du droit a donc pour mission d’assurer que soit mise en œuvre une libre concurrence dotée d’une régulation administrative et juridictionnelle efficace.

En fait de changements d’objectifs politiques, les nouveaux objectifs assignés au droit économique introduisent une sorte de renversement des valeurs. Au niveau européen, il est clair que l’Etat voulant créer un service public dans le domaine industriel et commercial doit de nos jours se justifier au regard du droit de la concurrence. Au niveau international, le libre échange des accords GATT-OMC s’effectue à l’heure actuelle en dehors de toutes règles de concurrence assurant un minimum de loyauté(18, 19) . On remarquera dans ce contexte que la conciliation entre l’authentique intérêt public tel que le concevait le droit administratif et le libre échange international devient problématique. En effet, le libre échange qui est au mieux un moyen devient la référence. C’est à l’intérêt public, qui apparaît plutôt comme une fin, de s’y adapter en devant faire la preuve qu’il est authentique(20) . C’est ainsi que le moyen devient la fin. Cette sorte de primauté du droit de la concurrence sur le droit du service public chargé de défendre l’intérêt général pourra apparaître comme une curiosité pour un Etat républicain et démocratique.

Le simple changement d’objectifs politiques ne nous semble pas être un critère suffisant pour affirmer qu’il y a eu une indiscutable mutation du droit public économique. Il faut aussi considérer la mutation de ce droit en examinant son intégration aux normes internationales.

B/ L’intégration juridique européenne et mondiale de l’économie

Un autre élément significatif de l’évolution du droit public des activités économiques est la reconnaissance de la supériorité des normes européennes et internationales sur le droit interne. C’est ainsi, par exemple, que les juridictions françaises ont reconnu la supériorité des traités communautaire et de leur droit dérivé sur les lois et les règlements. On ne peut toujours pas dire – quand bien même certaines jurisprudences de la CJCE pourraient le laisser penser(21) pour l’U.E. – que le traité de l’union européenne et les traités économiques sont supérieurs aux constitutions des Etats membres. On notera cependant que la constitution de 1958 ne contient pas vraiment de dispositions qui entrent explicitement en conflit avec les textes des traités économiques. La lecture du texte de la constitution de 1958 nous montre que la conception de la souveraineté à l’époque de la rédaction du texte n’envisageait pas explicitement l’économie comme un attribut de la souveraineté ou comme pouvant la limiter ou la remettre en cause. Il y a eu certes depuis 1958 révisions constitutionnelles et jurisprudences du Conseil constitutionnel pour rendre la constitution compatible avec le traité de l’Union. Mais on remarquera assez peu de contradictions explicites sur le fond entre les deux textes. Il pourra quand même être relevé des débats assez approfondis sur les limites du pouvoir constituant institué à réviser les textes. C’est ainsi que certains auteurs émettent de sérieuses réserves sur la possibilité d’aller au delà d’une stricte interprétation du texte constitutionnel alors qu’il nous apparaît comme certain en effet que ces limitations de souveraineté portent atteinte à la nature même de l’Etat. Il peut en ce sens être soutenu qu’une interprétation extensive de l’article 89 de la constitution de 1958 impliquerait une limitation matérielle et implicite au texte constitutionnel qui devrait être prise en compte au nom de principes considérés comme supraconstitutionnels. Une lecture de l’article 89 al.5 de la constitution est de considérer que la République est d’abord logiquement un Etat avant d’être un Etat républicain. La révision constitutionnelle mise en œuvre en 1992 ne pouvait par conséquent, selon ce raisonnement, porter atteinte à la « nature étatique » de la constitution(22) . Dans le même esprit, l’utilisation de l’article 88-2 de la constitution(23) pour transférer des compétences à l’Union européenne amène le même type d’interrogations. C’est ainsi par exemple qu’il a pu être remarqué dans l’affaire de l’indépendance de la Banque de France(24) l’établissement d’une hiérarchie constitutionnelle implicite des normes accordant une primauté du droit européen sur l’article 20 de la Constitution(25) .

Le débat sur ces différents points reste ouvert et on notera simplement que l’interprétation des textes constitutionnels reste favorable à la logique de la construction européenne.

De même, les traités internationaux ont une incidence de plus en plus importante sur le droit interne. Cela bien sûr par le biais de l’article 55 de la constitution de 1958 dont la force juridique a été confirmée par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’Etat(26) et de la Cour de cassation(27) . Il est clair que ces juridictions ont maintenant bien établi la supériorité du traité de l’Union européenne et de son droit dérivé sur notre droit interne(28) . Il est donc maintenant admis que le droit constitutionnel organise une supériorité du droit européen sur le droit interne (excepté le droit constitutionnel). Si les jurisprudences récentes imposent certaines nuances en rappelant la primauté du droit interne sur le droit international – on pense aux jurisprudences Koné(29) et Sarran(30) – les possibilités offertes par le droit constitutionnel de limiter le développement du droit européen ou du droit international économique est en réalité des plus limité. Sur la teneur même des textes, la constitution et la jurisprudence n’entrent que très rarement, comme nous l’avons déjà évoqué, sur le fond en conflit avec les dispositions du droit des activités économiques. On peut ainsi avoir l’impression que droit constitutionnel et droit européen sont sur le fonds en quelque sorte deux droits parallèles que seuls arrivent à lier des jurisprudences et des procédures constitutionnelles organisant une supériorité purement formelle ou des transferts de compétences. Mais cette première analyse doit être nuancée puisque sans qu’il y ait de liens juridiques obligatoires, le droit européen est souvent inspiré des mêmes principes qui sous-tendent le droit public interne. La formulation est différente et peut-être plus adaptée au monde économique (le principe d’égalité, par exemple, régit à la fois le service public et le droit de la concurrence, mais de manière différente). Par ailleurs, cette supériorité affirmée du droit européen se heurte parfois à des difficultés concernant le domaine de sa supériorité. On notera par exemple des points de friction dans le domaine des rapports entre service public et droit de la concurrence. L’Europe ayant une vision minimaliste du service public a pour dessein d’étendre le droit de la concurrence à nombre de domaines qui étaient autrefois l’apanage du service public. Les jurisprudences internes et communautaires montrent à ce propos toute la difficulté qu’il y a à définir ce que l’on pourrait appeler le noyau dur du service public(31) . Une des méthodes qui peut être employée pour soustraire certains services publics au droit de la concurrence est de les déclarer services publics constitutionnels(32) . Ils peuvent ainsi échapper au droit européen. Mais on notera que cette possibilité qu’offre le droit nécessite avant tout une volonté politique de limiter l’extension du droit économique communautaire à l’ensemble des domaines de la société. Or, la tendance politique est plutôt de nos jours à favoriser ce développement du droit de l’Union européenne. Le Conseil constitutionnel lui-même a toujours nettement affirmé que lorsqu’un traité a été régulièrement intégré à l’ordre juridique interne, il n’est possible ni de mettre en cause sa constitutionnalité, ni de s’opposer à son application(33, 34) .

Nous en sommes de nos jours arrivés à un stade d’intégration où il est intéressant de remarquer que les traités de droit international les plus importants comme le traité de l’Union européenne et les accords GATT-OMC traitent essentiellement de problèmes économiques. La reconnaissance de la supériorité de ces traités sur la loi et les règlements internes rend de plus en plus transparent l’ordre interne vis-à-vis de l’ordre international économique. Cette supériorité des normes internationales économiques sur l’ordre interne si elle est un excellent vecteur d’intégration des Etats-membres à l’Union européenne et de l’Union européenne aux accords GATT-OMC apparaît aussi comme le principal facteur de démantèlement du droit public économique conçu selon les critères du service public. Certes, les Etats-membres transposent par la loi ou le règlement les dispositions du traité de l’Union et de son droit dérivé, mais leur marge d’interprétation de ce droit communautaire est très faible et la conception juridique des rapports qu’entretiennent puissance publique et économie est fort différente de la conception que la France avait du droit public économique.

La hiérarchie ou compatibilité entre normes au niveau international est donc maintenant relativement clairement établie. Il y a nécessaire compatibilité dans le domaine du droit économique entre les différents textes internationaux et hiérarchie entre textes communautaires et internes(35) . Le droit interne des Etats membres de l’Union européenne est bien soumis, comme nous l’avons déjà évoqué, au droit communautaire, et le traité international et multilatéral GATT-OMC prévaut normalement sur le droit de l’Union européenne(36, 37) . En ce sens, la Cour de justice des Communautés européennes a reconnu que la validité de la réglementation communautaire devait être appréciée notamment au regard des dispositions du GATT(38) . Il ne faut donc plus attendre des textes constitutionnels, étant donnée la volonté politique dominée par les dogmes du libre échange économique mondial, qu’ils fassent respecter un ordre public économique dans les Etats nations.

II/ LES PERSPECTIVES D’EVOLUTION DU DROIT ECONOMIQUE COMME BRANCHE AUTONOME DU DROIT

A/ La mutation de la teneur du droit dans ses rapports avec l’économie

La mutation de la teneur du droit dans ses rapports avec l’économie est complexe et échappe en grande partie à l’analyse strictement juridique. Le propos ne prétend donc pas à l’exhaustivité. L’étude de certains concepts, de certains thèmes nous semble cependant bien mettre en relief cette mutation du droit. Ainsi en est-il des rapports entre service public et droit de la concurrence, du droit de la concurrence et de la notion de régulation comme nouveau paradigme de l’intervention de la puissance publique.

En ce qui concerne les rapports entre service public et droit de la concurrence, il est intéressant d’étudier les rapports existants entre les notions d’intérêt général et les notions de concurrence. Il peut être ainsi remarqué que ces deux notions entretiennent des rapports assez complexes. En effet, il clair que les textes de droit européen et de droit interne qui organisent la soumission des personnes morales de droit public au droit de la concurrence dans certains domaines(39) , leur interdisent dans de nombreux cas de déroger à ce droit au nom de leur mission d’intérêt général. C’est ainsi que l’Etat français ne peut empêcher le droit de la concurrence de s’exercer au nom de l’intérêt général sauf, bien sûr, circonstances exceptionnelles. L’Etat créant un service public industriel et commercial doit donc en quelques sortes se justifier lorsqu’il veut déroger au droit de la concurrence au nom de l’intérêt général(40) . Et la conception des juridictions européennes en ce qui concerne le champ d’application du droit de la concurrence est assez large(41) . L’intervention directe de l’Etat au nom de l’intérêt général semble donc devoir faire place à une intervention indirecte qui consiste pour la puissance publique à poser le cadre juridique du droit de la concurrence en laissant ensuite le jeu du marché faire son œuvre. Cela ne revient pas à dire que la défense de l’intérêt général par la puissance publique ne se fait plus. Il peut être en effet soutenu que le droit de la concurrence œuvre pour l’intérêt général, mais la notion d’intérêt général n’est plus une justification juridique directe. L’intérêt général se trouve en quelque sorte satisfait par le marché encadré par le droit de la concurrence.

Par ailleurs, Il existe toujours les domaines réservés aux contours jurisprudentiels imprécis correspondant plus ou moins à nos services publics administratifs. Vient ensuite l’intervention, en cas de circonstances exceptionnelles, dans les domaines qui relèvent en temps normal du droit de la concurrence. Il est clair que l’intervention de la puissance publique pour faire respecter l’ordre public se fait dans ce dernier cas au nom de l’intérêt général(42) . Enfin, vient la notion européenne de service universel(43) qui est la version minimaliste du service public à la française(44) . Là aussi le droit de la concurrence est écarté pour faire place à une intervention plus classique des services publics au nom de l’intérêt général. En dehors de ces domaines réservés à une intervention directe de l’Etat au nom de l’intérêt général, il peut être affirmé que le marché fonctionnant dans le cadre du droit de la concurrence remplit d’une certaine manière une fonction d’intérêt général – il s’agit là d’une intervention indirecte de l’Etat – puisqu’il arrive à satisfaire des millions de consommateurs.

Il peut maintenant être dit que le droit de la concurrence est « la règle » en ce qui concerne les activités industrielles et commerciales. Quant aux interventions directes de la puissance publique au nom de l’intérêt général, elle sont, dans ces domaines économiques, maintenant l’exception. Hors circonstances exceptionnelles, l’intervention directe de l’Etat dans le domaine économique au nom de l’intérêt général ne peut donc être considérée comme étant juridiquement soustraite du droit de la concurrence.

Il résulte de tout ceci que le problème pour bien mesurer la place actuelle du service public comme mode de gestion de la société est d’en donner une définition précise. Le service public – est-il utile de le rappeler – se décèle à partir de trois éléments entrant dans sa définition: Activité d’intérêt général assurée par une personne publique ou privée et soumise à un régime juridique plus ou moins particulier ou la part du droit public est plus ou moins prononcée(45) . C’est avec cette définition à laquelle on ne peut objectivement donner une plus grande précision qu’il est couramment soutenu que si le service public a reculé dans son œuvre d’intérêt général face au marché, ledit service public existe toujours puisque l’organisation du marché relève d’une mission de service public. En ce sens, comme l’a exprimé un éminent auteur,  » Exercer le pouvoir réglementaire n’est pas moins exercer une activité de service public que transporter des voyageurs en chemin de fer « (46) . C’est ainsi qu’on peut soutenir que le service public indéfiniment souple et extensible intègre le droit européen transposé et que le droit européen remplit à sa manière une mission de service public. Toute la force du service public est en effet que l’on ne peut en donner une définition précise, ce qui permet ce genre d’acrobatie conceptuelle. Mais ce raisonnement a ses limites. La limite à partir de laquelle la conception du service public n’a plus réellement prise sur une activité, c’est au fond quand le marché par le jeu de l’offre et de la demande internationale donne un prix à un produit et à un service. Or, ce prix obtenu dans un environnement concurrentiel fixe à sa manière les normes qui imposent un droit de l’organisation et du fonctionnement du marché(47) , c’est-à-dire les critères qu’un Etat doit respecter pour attirer les investisseurs sur son territoire et les critères qu’une entreprise doit impérativement respecter pour survivre dans son secteur économique. En ce sens, le droit s’en remet à l’économie pour fixer la norme et la norme se trouve être le prix fixé dans un environnement concurrentiel international. Cette norme trouve sa source tant sur le plan économique que juridique dans la négociation internationale. on voit donc mal comment il pourrait être soutenu que la notion de service public sous-tend l’organisation et le fonctionnement du marché international(48) . Il nous semble résulter de ces observations que le service public suppose un Etat juridiquement et économiquement souverain ou des relations entre Etats souverains ayant les mêmes conceptions et pratiques idéologiques en ce qui concerne les rapports entre puissance publique et économie. Or, ce temps est bien révolu.

Il pourrait être objecté que la mutation de la teneur du droit ne l’empêche pas de remplir les mêmes missions. Les moyens changent mais la finalité reste au fond la même. En reprenant l’exemple du service public, on peut observer que les lois de Rolland concernant l’égalité, la continuité et l’adaptation du service public semblent trouver leur pendant dans le droit de la concurrence. Il peut être ainsi soutenu que le principe du respect de l’égalité des administrés devant le service public à pour équivalent le droit de la concurrence, droit sous-tendu par le respect d’une certaine égalité dans la compétition entre professionnels. Quant aux consommateurs, le droit de la consommation assure une sorte d’égalité entre consommateurs.

La règle de continuité du service public trouve elle aussi une équivalence dans le droit commercial des entreprises en difficultés, du redressement judiciaire et des faillites. C’est ainsi qu’un secteur économique ayant un minimum de demande, trouve toujours des entreprises pour vendre un bien et assurer un service. La continuité se trouve donc assurée, mais par d’autres moyens.

Quant à l’adaptation, elle est, dans le secteur concurrentiel, inhérente à la survie de l’entreprise qui doit rester compétitive pour s’inscrire dans la durée.

Ce rapprochement doit cependant être nuancé dans la mesure où l’application de ces trois principes de fonctionnement du service public est justifiée par la satisfaction de l’intérêt général, notion très large et souple qui englobe l’ensemble des problèmes qui peuvent se présenter à la société. Il ne peut en être dit autant du marché. Les règles du marché ont une finalité première différente. Elles organisent un système juridique où l’idée de profit, de rentabilité est mise en avant, quand bien même et fort paradoxalement le consommateur est considéré comme devant être le bénéficiaire privilégié de ce nouvel ordre juridique et économique. Sans entrer dans ce débat sans fin sur les privilèges respectifs des producteurs, distributeurs ou consommateurs, on s’attachera plutôt à mesurer l’étroitesse de conception consistant à n’envisager toute activité que sous l’angle économique. Il résulte de cette analyse que la teneur actuelle des textes de droit économique correspond bien à la doctrine libérale, voire ultra-libérale qui les a inspirée. De même, l’ensemble de la jurisprudence nous semble aussi conforme à  » l’esprit  » du texte du traité de l’Union européenne et des traités économiques internationaux. Ceci étant, il faut bien considérer que ces textes et leur interprétation jurisprudentielle n’ont bien sûr rien de définitif. Il pourrait par exemple être envisagé une interprétation moins libérale du texte. Le gouvernement et le juge pourraient ainsi donner une interprétation plus proche des conceptions juridiques que nous avons connues jusqu’à présent. Les textes communautaires nous semblent en effet permettre une conception accordant une place plus importante à la défense de l’intérêt général. Une interprétation plus extensive de l’article 90-2 du traité de l’union européenne en ce qui concerne le service universel, un développement des cas d’exemptions, des régimes d’aides, une politique plus protectionniste au niveau européen nous semble une lecture des traités communautaire tout à fait envisageable. Ainsi, une inflexion des orientations politiques en un sens moins libéral pourrait avoir sa traduction juridique sans qu’il soit nécessaire de réviser le traité de l’Union. Toute puissante interprétation… L’exercice de contorsionniste auquel devraient se livrer les gouvernements et les juges serait cependant intéressant à observer….

Un autre aspect du droit économique intéressant à étudier est le droit de la concurrence au niveau international. On remarquera en effet que si les droits interne et européen ont mis en place un droit de la concurrence homogène, l’étude des règles de concurrence au niveau international soulève de nombreuses questions. Force est de constater en effet qu’il n’existe pas au niveau international de droit de la concurrence structuré et homogène. Les instances GATT-OMC qui ont largement œuvré pour favoriser le développement du commerce international ne sont pas arrivées pour autant à développer et à imposer au niveau mondial un droit de la concurrence s’appliquant à tous les pays signataires des accords. Cette carence du droit économique qui ne connaît toujours pas au niveau mondial de règles de concurrence est assez paradoxale. Il est en effet piquant de remarquer que le droit de la concurrence est souvent présenté comme le cœur même du droit économique et qu’il n’existe toujours pas à l’heure de la mondialisation de droit international de la concurrence. Les seules manifestations juridiques que nous pouvons remarquer sont les applications extra-territoriales du droit de la concurrence comme le pratiquent fréquemment les Etats-Unis et l’Union européenne(49) . Mais ces applications relèvent plus de l’entente (ou de la mésentente…) entre grande puissance que d’une démarche juridique rationnelle. On notera enfin que cette absence de droit mondial de la concurrence est en réalité une source de distorsions considérables en ce qui concerne l’efficience du droit interne et européen.

Le dernier élément qui peut nous faire douter de la viabilité du droit de la concurrence tel qu’il est conçu actuellement est la quasi absence de dispositions concernant l’excès de concurrence. S’il est très difficile de définir juridiquement la notion d’excès de concurrence, il est pourtant reconnu qu’une concurrence beaucoup trop vive peut parfois être destructrice du tissu économique et porter atteinte par ce biais à l’intérêt public d’une région ou d’un pays. Or, dans ce nouveau cadre d’une économie de libre échange international telle qu’elle est pratiquée actuellement, il est clair que l’excès de concurrence, sans tomber sous le coup des règlements anti-dumping(50) , peut amener par exemple la fermeture de certaines entreprises au niveau français et européen, la fabrication des produits étant délocalisée vers des pays aux coûts de production plus attractifs(51) . Si l’on peut voir apparaître dans la loi de juillet 1996 réformant l’ordonnance de 1986 des dispositions tendant à limiter en droit interne les excès de concurrence visant certains agents économiques, on remarquera qu’il n’existe pratiquement aucune disposition en droit interne ou européen, hors circonstances exceptionnelles, pour limiter les effets d’une concurrence internationale déloyale. La puissance publique se trouve ainsi privée de moyens juridiques pour la défense de l’intérêt général. La puissance publique se trouve également privée – dans l’optique d’une analyse plus libérale – des moyens juridiques de réguler la concurrence. Le marché par le biais de l’offre et de la demande internationalisées exerce en ce sens un pouvoir souverain et sans appel de fixer le prix d’un produit.

Il est intéressant d’observer le développement de l’idée de régulation dans le discours politique et la doctrine actuelle. La notion de régulation fort difficile à définir pour un juriste nous apparaît comme consistant à envisager l’ensemble des instruments juridiques comme des moyens destinés à limiter les dysfonctionnements conjoncturels de l’économie par le droit(52) . On remarquera que cette idée de régulation comme cela est le cas pour le droit de la concurrence signifie implicitement que l’économie libérale ne peut réellement s’autoréguler comme l’ont soutenu nombre d’économistes et d’hommes politiques. Le problème de la régulation telle qu’elle est actuellement envisagée par la doctrine est qu’elle nous apparaît difficilement applicable dans les faits. L’idée de régulation suppose en effet une autorité souveraine d’un système comportant plusieurs moyens juridiques pour limiter les dérèglements ou les excès de l’économie. Or, la perméabilisation par le droit international économique des frontières des Etats a impliqué un très net affaiblissement des moyens juridiques permettant de réguler une économie. C’est ainsi qu’il nous semble que l’idée de régulation est actuellement employée à des fins idéologiques pour légitimer une désorganisation économique et financière à l’échelle mondiale. La notion de régulation qui se présente comme un nouveau paradigme du droit économique nous apparaît peu convaincante d’un point de vue scientifique, peu satisfaisante pour relater les nouvelles fonctions du droit dans ses rapports avec l’économie. Que penser en effet de la régulation au regard des différents krachs boursiers et monétaires que connaissent à l’heure actuelle différentes régions du globe. Il ne peut être question de régulation en tant que démarche rationnelle lorsqu’il y a réalisation d’un risque systémique financier à l’échelle planétaire. Cette analyse critique de la notion de régulation employée à l’échelle planétaire ne doit cependant pas impliquer à contrario qu’il serait souhaitable de revenir à l’ère du protectionnisme et de l’isolationnisme. Cette attitude réactionnaire outre qu’elle est parfaitement inadaptée à l’évolution des sociétés modernes n’est plus dans les possibilités qu’ont les Etats de s’opposer à l’internationalisation de l’économie. Plus curieuse, dans ce contexte d’internationalisation de l’économie, est l’idée selon laquelle la régulation suppose l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. Cette idée qui peut apparaître comme légitime sur le plan interne dans le cadre de l’activité de régulation pratiquée par les autorités administratives indépendantes, nous semble très contestables sur le plan international. En effet, il nous semble que la restauration du pouvoir des Etats sur les désordres économiques internationaux ne peux passer que par une initiative politique de représentants politiques ayant un mandat électif.

B/ L’originalité du droit économique de la globalisation

Pour comprendre l’originalité et la spécificité du droit économique contemporain, il faut d’abord accepter de ne plus raisonner avec certains concepts, du moins dans l’acception que nous leur donnons traditionnellement. Un des défauts bien connu du juriste est souvent de continuer à raisonner sur la base de concepts qui ne correspondent plus la réalité. C’est ainsi que nombre d’analyses se fondent encore sur une conception étatiste du droit économique au sein de laquelle on distingue les deux grandes familles de droit économique, l’ancien droit économique des Etats marxiste et le droit économique des Etats libéraux. Notre propos va consister maintenant à démontrer que la vision étatiste du droit économique contemporain n’est plus adaptée pour relater fidèlement les dernières évolutions du droit dans ses rapports avec l’économie. Pour ce faire, nous allons reprendre en les résumant à leur plus simple expression ce que sont les deux grandes théories étatistes du droit économique.

Force est d’abord d’admettre que le véritable droit public économique était en théorie celui de l’ex Union Soviétique. Nous avions là une économie qui ne connaissait ni propriété privée, ni liberté du commerce et de l’industrie, ni par conséquent marché avec libre confrontation de l’offre et de la demande pour la formation des prix des biens et services. L’économie officiellement entièrement administrée reposait sur le plan dont la mission était d’organiser l’exploitation des ressources nécessaires à la satisfaction des besoins de la société. L’histoire a montré, par la faillite retentissante des pays communistes, combien était illusoire cette ambition pour la puissance publique de vouloir assurer par le droit, et dans le moindre détail, l’organisation et le fonctionnement d’un système économique.

Le libéralisme économique conçu comme une entière liberté laissée à l’économie de marché mondialisée nous semble être une chimère idéologique d’un autre genre dont la compatibilité avec l’idée d’un Etat démocratique respectueux des droits de l’homme nous paraît douteuse. L’histoire des faits économiques nous montre qu’il n’y a pas en réalité d’autorégulation économique possible. Le fonctionnement d’un système économique suppose la règle de droit. En ce sens, le droit de la concurrence doit être perçu comme une forme d’interventionnisme de la puissance publique et suppose fondamentalement qu’il n’y a pas autorégulation économique. L’intervention de l’Etat est donc nécessaire pour limiter les concentrations, les abus de position dominante, les ententes, etc., c’est à dire tout ce qui peut éliminer la concurrence et porter, par ce biais, atteinte à la liberté des intervenants sur un marché. L’économie a donc bien besoin d’une liberté juridiquement organisée pour fonctionner convenablement. Le problème est la détermination du degré de liberté optimum que le droit doit accorder à l’économie pour son bon fonctionnement(53) . Un manque de liberté empêche l’activité économique de se développer et trop de libertés accordé par le droit implique également des dérèglements de tous ordres.

La conception étatiste des rapports entre droit et économie dans un système libéral présentait une forme de cohérence qu’il convient de rappeler pour bien mesurer la différence de nature qu’il y a de nos jours entre droit public économique classique et droit économique nouveau.

Pour résumer l’architecture juridique générale d’un Etat à économie libérale, il peut être distingué en quelques sortes deux niveaux juridiques: Le premier niveau concerne les droits fondamentaux. Le deuxième niveau concerne les moyens juridiques permettant de mener une politique plus conjoncturelle, à court terme. Au premier niveau, en ce qui concerne les bases, les droits fondamentaux, on peut distinguer principalement le droit de propriété, la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le principe d’égalité. Au deuxième niveau, on trouve les moyens juridiques qui permettent de gouverner l’économie à court et moyen terme: On retiendra surtout à ce niveau l’action sur la monnaie et le crédit, le contrôle des changes, le régime douanier, la fiscalité, tous les régimes d’autorisation d’investissement et de rachat d’entreprises par les Etats tiers. L’ensemble de ces droits sont élaborés et appliqués dans le but de satisfaire l’intérêt général. C’est dans ce contexte que se sont développées les différentes branches du droit telles que nous les connaissons avec principalement le droit civil et le droit public.

Ces deux architectures étatistes du droit économique nous semblent aujourd’hui dépassées. Cela pour plusieurs raisons. On remarquera par exemple que le droit est toujours un pour les juristes parce qu’il se confond avec l’Etat dans un milieu social donné(54) . Un seul Etat peut logiquement trouver place. Le monisme s’est implanté dans la pensée juridique et règne encore en monarque absolu. Le paradigme  » moderne  » de notre science juridique fondé sur un faisceau de concepts englobant abstraction et axiomatisation du droit, subjectivisme, simplicité et sécurité des relations juridiques, séparation de la société civile et de l’Etat, universalisme et unité de la raison juridique est en voie d’être dépassé(55) . C’est ainsi que raisonner dans les termes qu’inspire le monisme n’est plus adapté à l’étude et au commentaire des dernières évolutions du droit contemporain. Il y a en effet une forme d’incohérence au regard du principe de souveraineté à vouloir établir une hiérarchisation entre droit interne, droit européen et international vu le nombre d’Etats et d’autorités chargés de produire, d’appliquer et de faire respecter ces droits. L’idée de souveraineté bien qu’elle admette qu’un Etat puisse se lier par des traités internationaux suppose néanmoins une conception plutôt monolithique de son système de fonctionnement. Très schématiquement, on peut rappeler que l’Etat ayant le monopole de la violence physique légitime a seul le pouvoir de produire des règles de droit et de les faire respecter par la sanction. Or, tel n’est plus tout à fait le cas avec les rapports qu’entretiennent droit interne, européen et international. Nous avons là une multiplicité d’Etats et d’autorités produisant par la négociation, le transfert de compétences et la délégation de pouvoirs un droit international économique très étoffé. On remarquera que ce droit, fruit d’une collégialité très élargie, ne correspond pas vraiment à la conception du droit public classique des Etats, dont notamment le droit public français. Le droit économique international n’est pas à proprement parlé un droit d’Etat et imposé par ce dernier de façon unilatérale, mais un droit résultant de continuelles négociations multilatérales. Il nous faut dès lors prendre acte des faits. Et les faits sont têtus…

Il nous faut donc accepter, pour comprendre la teneur du droit économique, que les Etats n’ont plus le monopole de la création du droit applicable sur leur territoire et que la norme de droit n’a plus le monopole de la détermination des comportements(56) . Cela se traduit par la multiplication des autorités ayant le pouvoir de produire du droit et le fait que la règle de droit doit partager son pouvoir normatif avec ce que le marché peut imposer comme standard technologique(57) . Le coup est rude pour la dogmatique juridique, mais la notion de souveraineté de l’Etat n’est plus un concept déterminant la production normative. Il y a bien plus souvent, rappelons-le, actes de négociation que de souveraineté. En ce sens, le concept de souveraineté ne garantit plus à l’Etat la maîtrise de la teneur et de la cohérence de l’ordre juridique économique. L’évolution en est à tel point qu’aucun Etat n’a de nos jours la réelle maîtrise des normes économiques que l’ordre international impose sur son territoire(58) . L’histoire économique et financière la plus récente le prouve. Si le souverain est celui qui a la maîtrise des circonstances exceptionnelles, on peut affirmer qu’il n’y a de nos jours aucun Etat souverain en matière économique(59, 60) .

Il nous reste maintenant à utiliser les critères les plus usuels pour bien mettre en valeur le décalage qu’il y a entre la conception du droit public économique interne et le droit économique tel que nous le percevons. Nous allons donc étudier ce droit au regard des dernières évolutions de la construction européenne et au regard du droit international avant de nous référer aux critères on ne peut plus classiques et révélateurs que sont les sources, les principes, l’objet et les moyens d’un droit

Les dernières évolutions juridiques de la construction européenne peuvent tout d’abord nous permettre d’affirmer qu’il n’existe aujourd’hui presque plus de droit public des activités économique français. Le droit européen ne lui ressemble guère. La principale source du droit en matière économique est maintenant européenne et la transparence des normes françaises à l’égard du droit européen ne fait plus de doute à quelques exceptions près. A ce stade d’intégration du droit français au droit communautaire et vu l’importance de l’acquis communautaire, il pourrait presque être affirmé de manière un peu provocatrice que le droit européen est un droit public économique interne nouveau. Mais cette appellation sonne faux. En effet, si ce droit a une pleine valeur juridique à l’égal du droit des Etats membres, des nuances s’imposent lorsque l’on examine la nature de l’autorité source de ce droit économique européen. Le droit économique européen est un droit sans l’Etat. Il n’existe pas en effet d’Etat fédéral européen(61) . Ce droit ne répond donc pas aux critères d’un droit public des activités économiques interne. En effet, Il n’est pas le fruit d’un Etat souverain mais une production résultant de négociations entre plusieurs Etats ayant accepté par accord international et révisions constitutionnelles des limitations de souveraineté. Il ne peut donc lui être reconnu la qualité de droit interne bien qu’à quelques nuances près il s’impose comme tel.

Vient ensuite la question de savoir si l’on peut raisonner selon les termes du droit international pour analyser ce qu’est le droit économique. Au niveau européen, l’esprit du droit international semble dépassé par le niveau d’intégration juridique des Etats-membres à l’Union. Le droit international pourrait donc plutôt nous servir pour étudier ce qu’est le droit économique au niveau mondial. Mais les instruments d’analyse qu’offrent le droit international ne nous semblent plus parfaitement adaptés à la situation. La gène que l’on peut rencontrer à utiliser les méthodes du droit international se décèle dans les termes mêmes de l’expression. Le terme de droit en tout premier lieu. L’argument n’est pas nouveau, mais il est peut-être encore plus vrai de nos jours que la règle de droit international économique est la mise en forme juridique de rapports de forces économiques où la puissance politique semble avoir très distinctement pris le pas sur le droit. L’œuvre politique en cette fin de vingtième siècle étant inféodée au pouvoir économique libéral, l’objectif assigné au droit est avant tout d’accompagner, d’encadrer le développement de l’économie de marché au point où les puissances économiques et financières sont en passe d’arraisonner le droit, de l’instrumentaliser à leurs fins. Cette évolution nous fait bien sûr penser à la thèse de l’analyse économique du droit(62) selon laquelle les règles juridiques sont déterminées par les mécanismes de l’économie de marché et finalement réductibles à ceux-ci(63) . Le droit donne dans cette optique toute sa juridicité à  » la loi du plus fort  » selon les uns – les esprits les plus sulfureux vous expliqueront qu’au droit public économique a été substitué le droit privé des trusts -, à la  » démocratie du marché  » selon les autres… Quant à l’autre terme de l’expression – international – , il ne semble plus non plus relater fidèlement les dernières évolutions de la situation. Il ne s’agit plus vraiment d’un droit véritablement inter-nation-al(64) . L’importance des nations semblent s’effacer au profit de l’uniformisation économique. En ce sens, le domaine des relations internationales nous apparaîtra comme un terreau particulièrement fertile pour le dépassement de la théorie étatiste des sources du droit : Sous le nom de  » Lex mercatoria « (65), il nous est proposé d’admettre l’existence d’un droit destiné à assurer la régulation des opérations marchandes sans passer par le canal des voies étatiques(66) . Ainsi, au droit et à la territorialité des Etats-nations ne correspond plus la territorialité du marché et l’affaiblissement du pouvoir des Etats vis-à-vis de la puissance d’un marché devenu planétaire nous amène à nous interroger sur la capacité de ces Etats à faire respecter dans une négociation économique la spécificité de leur droit(67) . Le droit, dans ses rapports avec un marché mondialisé, semble plus enclin à accompagner le développement de la surpuissance du marché qu’à en limiter les excès et les effets indésirables pour le respect des spécificités et identités nationales(68) . En ce sens, le droit international économique qui voulait une perméabilisation des frontières a fait son œuvre. C’est ainsi que l’expression de « droit de la globalisation économique » nous semble maintenant plus adaptée que l’expression droit international économique. Cette expression de droit de la globalisation économique fait également bien ressortir que les Etats ne sont plus les seuls acteurs privilégiés ayant la maîtrise en dernier ressort des problèmes économiques. En fait d’Etat souverain, l’expression fait bien ressortir que nous avons avant tout une idéologie souveraine. Cette idéologie a ses lois, celles du libéralisme économique qui donnent sa trame au droit économique en vigueur. Le traité de l’Union européenne et les traités de droit international économique sont d’une certaine manière la juridicisation de ce qui est communément appelé la pensée unique…

Il nous reste maintenant à démontrer en reprenant les critères les plus classiques qu’il y a effectivement originalité et autonomie du droit économique. Parmi les critères les plus usuels qui permettent de déterminer si un droit est autonome, on distingue principalement: ses sources, ses principes, son objet et ses moyens. Nous allons étudier successivement ces trois critères:

Les sources d’abord forment un ensemble cohérent de règles et assurent une continuité de cette cohérence dans leur développement. Ce qui peut être d’abord constaté, c’est que la matière économique est maintenant essentiellement régie par le droit communautaire et par le droit des traités économiques internationaux. L’Union européenne est de loin la principale source du droit chargé de régir l’activité économique. Le parlement, la Commission et la CJCE ont développé un droit dont l’objectif est d’unifier, d’uniformiser les économies au niveau européen en éliminant les particularismes des Etats membres. Ce droit économique européen a maintenant les traits de la supériorité hiérarchique au droit administratif français et ne lui ressemble guère quant à sa teneur même. Ce droit économique européen (69) serait plutôt d’inspiration anglo-saxonne pour ses grands traits. Il n’a en tout cas pas grand chose à voir avec le droit administratif français pour les diverses raisons déjà évoquées. Il ne peut plus être affirmé aujourd’hui que ce droit économique européen est un appendice du droit administratif français. Ce droit économique européen semble bien une branche autonome du droit au regard du critère des sources.

En ce qui concerne les principes, on remarquera que le droit européen et le droit international économique ont des principes de base destinés à favoriser le libre échange économique international. Si le droit de propriété tel qui est conçu en France n’est pas remis en cause par le droit européen(70) et les traités internationaux, les conceptions de la liberté du commerce et de l’industrie et du principe d’égalité du droit public économique à la française se trouvent très largement battues en brèche(71) . Les principes de base du traité de l’Union européenne sont la liberté de circulation des marchandises, des personnes, des capitaux, des services(72) . En ce qui concerne les accords GATT-OMC, les principes de base sont la clause de la nation la plus favorisée, la clause du traitement national, l’abaissement général et progressif des droits de douane et la prohibition des restrictions quantitatives(73) . Ces principes fondamentaux qui générent un droit dérivé assez important assurent l’organisation et le fonctionnement de la majeur partie du commerce mondial. Or, il s’agit là d’un droit qui n’entend régir l’activité humaine que sous l’angle économique(74) . Ces principes fondamentaux placés au plus haut niveau de la hiérarchie normative européenne – ce qui n’était pas toujours le cas en droit public économique interne – peuvent être considérés comme un indice majeur de l’autonomie du droit économique par rapport aux autres branches du droit. Ce droit économique régit les termes du contrat social avant tout sous l’angle économique. On notera cependant que les libertés qu’accordent ces principes fondamentaux du droit européen et du droit international économique connaissent au fil de leur évolution des exceptions et certains aménagements au profit de normes sanitaires ou de sécurité. Bien qu’il ne soit pas encore réellement question de négociations sérieuses concernant des clauses sociales ou des régimes sociaux en général, on remarquera une volonté de ne plus limiter l’œuvre normative aux seuls problèmes strictement économiques du libre échange. Des éléments ressemblant aux préoccupations d’intérêt général dans le style du droit administratif classique semblent voir le jour depuis quelques années dans les règlements et directives communautaires et dans certains accords sectoriels négociés au sein des instances GATT-OMC. Ces nouvelles normes sont autant de limitations à l’application stricto sensu de ces principes fondamentaux. Sur un autre plan, on remarquera que les déclarations ou convention de droits de l’homme quelle que soit leur valeur juridique ne sont jamais interprétées comme entrant en conflit avec la politique économique libérale que met en œuvre le traité de l’Union européenne ou les accords GATT-OMC. Elles ne semblent pas être un obstacle au développement du droit économique tel qu’il est conçu actuellement.

En ce qui concerne l’objet du droit européen: Son champ d’application est bien le domaine économique. La lecture du traité de l’Union européenne est bien là pour nous en convaincre. L’objet même du texte et son champ d’application sont essentiellement économiques.

Enfin, en ce qui concerne les moyens juridiques, il peut-être affirmé que le droit européen et le droit des accords GATT-OMC ont des moyens juridiques spécifiques. L’union européenne utilise bien sûr le traité mais aussi le droit dérivé que sont les règlements, les directives et les avis. L’organisation mondiale du commerce quant à elle privilégie les instruments de négociations que sont les accords sectoriels plurilatéraux(75) et multilatéraux(76, 77) . Il apparaît donc clairement que ces autorités européennes et internationales ne reprennent pas à leur compte, les moyens juridiques spécifiques au droit public économique français qui était considéré comme une branche du droit administratif. L’acte administratif unilatéral, le contrat administratif, la concession, la planification à la française sont autant de moyens juridiques ignorés par le droit européen et international économique. Il est clair que ces moyens toujours en vigueur en droit français peuvent être utilisés pour la transposition des normes européennes, mais la recherche d’une spécificité par le type d’instruments juridiques utilisés nous amène à penser qu’il existe bien une originalité du droit économique.

Reste maintenant à tenter de délimiter les frontières du droit économique et les branches du droit qui s’y rattachent. Cette démarche, qui semble au premier abord la plus rationnelle, ne nous semble pas en réalité la plus adaptée. Certes, le droit européen et les accords GATT-OMC forment la clef de voûte du droit économique contemporain, mais il nous semble difficile à partir de ce tronc commun de distinguer clairement des branches et sous-branches du droit économique. L’autonomie du droit économique par rapport aux autres droits nous semble résulter d’un phénomène plus subtil que la mise en catégorie. Il peut en effet être remarqué que le droit économique recompose en fonction de ses principes les droits déjà existants jusqu’à les modifier dans leur teneur même. Le droit public se voit ainsi en charge d’un aspect du droit de la concurrence qui vient fortement limiter le service public. Ce même service public devient peu à peu dans nombre de domaines économiques le service universel de base et on ne compte plus les différentes branches du droit où un règlement ou une directive européenne changent profondément la teneur même d’un droit interne. Un des traits caractéristiques du droit économique est qu’il hypertrophie les aspects économiques et techniques de la matière qu’il régit. Cette recomposition des différents droits par le droit économique pourrait faire l’objet d’une théorie de la contamination du droit par l’économie. Il y a de ce point de vue une recomposition de l’espace juridique telle que les esprits les plus académiques n’y retrouvent pas leurs catégories.

Pour l’heure, nous pouvons retenir que le droit économique envisage avant tout ce qu’il régit sous un angle économique au détriment parfois d’autres considérations d’ordre éthique, culturelle, etc qui ont pourtant une grande importance. A ce stade de son évolution, le droit économique nous apparaît bien comme  » un ordre juridique répondant aux normes et aux besoins d’une civilisation encore en voie de formation « (78) .

La fin de notre étude va s’attacher à retenir une expression pour notre nouvelle branche du droit. Nous allons donc reprendre les expressions usitées, tenter de mesurer leur décalage et proposer une nouvelle appellation.

L’expression droit public économique vient en premier lieu. Elle ne nous semble plus adaptée pour relater les dernières évolutions des rapports entre puissance publique et économie. Le droit public économique était considéré comme un appendice du droit public. Le droit public économique s’inscrivait comme le droit public dans une logique d’interventionnisme direct de l’Etat par le biais du service public et au nom de l’intérêt général. Le très net recul du service public, l’extension continue du champs d’application du droit de la concurrence et la supériorité du droit européen et du droit international économique sur le droit français rendent impossible l’utilisation de l’expression droit public économique pour donner une image à peu près fidèle de l’état actuel du droit de la puissance publique dans ses rapports avec l’économie.

Vient en second lieu l’expression droit public de l’économie. Elle tendrait à prendre en considération les dernières évolutions du droit public que nous venons de relater. Mais cette appellation sous entend qu’il y a encore une primauté affirmée de la puissance publique sur l’économie. Que l’esprit – si l’on peut s’exprimer de la sorte – du droit public classique français prévaut encore en dernier ressort sur le droit européen et le droit international économique. Il est également implicitement affirmé que le droit tient l’économie, que le droit en position de surplomb tient le monde économique à distance pour mieux le régir. Cette expression nous apparaît comme inadaptée pour relater la réalité de l’état actuel du droit.

Vient ensuite l’expression droit public des affaires. Elle ne nous semble pas non plus des plus satisfaisante. En effet, cette expression jette un trouble quand au rôle assigné à la puissance publique. L’expression droit des affaires est de surcroît quelque peu ambiguë au regard de ce qu’était l’esprit du droit public classique. Le droit public des affaires sous-entend en effet que l’Etat fait des affaires, qu’il recherche le profit dans ses missions. Il nous semble que cette recherche du profit à l’instar des entreprises privées se marie mal avec l’idée du service public soucieux avant tout de défendre l’intérêt général dans une volonté de rendre plutôt un service que de faire un profit. Il pourra être certes rétorqué que l’administré peut y gagner si l’Etat fait des profits en participant au jeu économique, mais il peut aussi y perdre, et le résultat global des entreprises de ces dernières années nous fait plutôt envisager la seconde solution. Par ailleurs, le désengagement de l’Etat par le biais des nombreuses privatisations nous amène à ne pas retenir cette expression de droit public des affaires.

Reste enfin l’expression  » droit économique  » qui nous semble relater le plus fidèlement ce qu’est cette branche autonome du droit. Mais l’expression est aussi un peu surannée. Il nous reste donc l’expression droit de la globalisation, qui sonne un peu futuriste, mais nous semble la plus adaptée pour décrire ce droit en formation de la société mondiale.

Conclusion

Le droit économique à, parmi ses défauts, celui de ne ressembler parfois qu’à un ordre technique au service de puissances économiques. On pense à un droit exempt de valeurs éthiques se contentant de faire de la cybernétique économique. Il y a apparemment une cohérence technique d’un système économique. Le bloc de la légalité fait penser un peu à ces circuits imprimés informatiques qui font preuve à n’en pas douter d’un fin discernement pour ce qui est de distinguer le bien du mal et leurs rapports secrets …

Pour comprendre le droit économique, le juriste analyse le nouvel ordre international à l’aune des règles architecturales qui ont fait la cathédrale du droit public classique. Il essaye ainsi de déceler ici une clef de voûte, là une ogive, là encore un linteau. Erreur funeste… Les critères classiques de la souveraineté, de la hiérarchie des normes ne nous permettent plus de déceler la cohérence de la nouvelle architecture. Cette dernière est pourtant aussi une formidable cathédrale, mais fort différente de Notre Dame de Paris. La nouvelle cathédrale juridique aux dimensions planétaires fait penser à une sorte d’abstraction végétale dont les forces créatrices et les règles seraient celles de la jungle. Mais il est pourtant toujours question de civilisation(79) …

                                                 Le 03 mars 2000

Christophe LEROY Maître de conférences à l’Université Paris XII Saint-Maur

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(1)Marie-France Renoux-Zagamé, « La seconde scolastique », Dictionnaire de philosophie politique, sous la direction de Stéphane Rials et Philippe Raynaud, P.U.F, 1°Ed., 1996, p.604.

(2)Christophe Leroy  » Les rapports contemporains entre l’Etat et le marché : Essai d’interprétation « , Revue administrative, sept.oct.1996, n°293, p.515.

(3)Jacques Chevallier, « Le droit administratif entre science administrative et droit constitutionnel », le droit administratif en mutation, P.U.F, 1993 p.11.

(4)Ghassan Al-Khatib,  » La part du droit dans l’organisation économique internationale : essai d’évaluation « , Ed. Bruylant, Ed. de l’université de Bruxelles 1994.

(5) » Mondialisation des échanges et fonctions de l’etat « , Ouvrage sous la direction de françois Crépeau, Ed. Bruylant, Bruxelles, 1997. Cet ouvrage comprend les articles suivant:  » La mondialisation, une hypothèse économique galvaudée aux effets dramatiques  » par A. Lebel ; Mondialisations et mutations normatives : Quelques réflexions en droit international, Par Katia Boustany et Normand Halde ; Du plein emploi à la productivité par Christian Beblock ; La mondialisation de l’économie et le rôle de l’Etat par jean Paul Proulx ; Mondialisation et structures étatiques : L’expérience européenne par Philippe manin ; Reconceptualisation de l’Etat au sud- Participation démocratique ou managérialisme populiste par Bonnie Campbell ; L’Etat désétatisé et ses fonctions sociales: Eléments de réflexions par Lucie Lamarche ; Mondialisation et démocratie, la notion de société civile globale, Par dominique Leydet.

(6)Pierre Delvolvé,  » Droit public de l’économie « , Précis Dalloz, 1998 et  » Droit public économique  » de Hubert Gérald Hubrecht, Dalloz, coll. Cours, 1997. Voir à propos de ces deux ouvrages  » L’ambiguïté du droit public économique (à propos de deux ouvrages récents) « , Jean-Jacques Sueur, Revue internationale de droit économique, 1998, p.335.

(7)Georges Vedel,  » Le droit économique existe-t-il? « , Mélanges Vigreux, 1981, p. 767.

(8)Il n’y a pas de technique juridique neutre. Ne faire que de la technique, c’est défendre implicitement la politique que ce droit met en œuvre.

(9)André de Laubadère, Pierre Delvolvé, Droit public économique, Précis Dalloz, 5° éd. 1986, p.18 et s.

(10)Didier Truchet,  » Réflexions sur le droit économique public en droit français « , R.D.P 1980, p.1009.

(11)On pense par exemple aux frontières douanières et au contrôle des changes.

(12)Cette connotation idéologique et datée donnée à l’expression devrait de nos jours s’estomper et nous ne retiendrons que son sens littéral, c’est à dire « scientifique « .

(13)Gérard Farjat, « La notion de droit économique », Archives de philosophie du droit, Ed. Sirey, 1992, tome 37, p.27.

(14) »Mondialisation et domination économique, la dynamique anglo-saxonne », Marie-claude Esposito, Martine Azuelos, Jacques -Henri coste, alain Crochet, Olivier Frayssé, Michel Peron, Ed. Economica.

(15)Didier Truchet, L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat: retour aux sources et équilibre, Conseil d’Etat, rapport public 1999, p.361.

(16)C.J.C.E Costa c/ E.N.E.L 15 juillet 1964, C.J.C.E Acciaierie San Michele 1965, C.J.C.E Simmenthal, 9 mars 1978. Voir les Grands arrêts de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, p.158 et s. ainsi que CJCE du 17 décembre 1970  » Internationale Handelgesselchaft (aff. 11/70 rec. p.1125).

(17)Pour être précis, l’article 53 de l’ordonnance de 1986 prévoit que toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques sont soumises aux règles de la concurrence, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

(18)Nicolas Ligneul,  » L’élaboration d’un droit international de la concurrence entre les entreprises, Thèse de doctorat, soutenue le 17 décembre 1998, 376 pages.

(19)Nicolas Ligneul,  » Droit international de la concurrence : playdoyer pour une approche intégrée et progressive, A paraître dans la revue du marché commun.

(20)Bernard Cassen,  » Les impostures du libre échange « , Manière de voir, n°42, Nov. Dec. 1998, p.70.

(21)On pense surtout à l’arrêt CJCE du 17 dec. 1970 aff. 11/70, Internationale Handelsgesellschaft rec. P.1125.

(22)Lire pour ce débat Bruno Genevois,  » Les limites d’ordre juridique à l’intervention du pouvoir constituant  » Revue française de droit administratif, , sept.oct.1998, , p.913 ; Olivier Beaud,  » La puissance de l’Etat « , PUF, p.481 et 482, ainsi que Olivier Beaud, « La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht: Remarques sur la méconnaissance de la limitation de la révision constitutionnelle « , Revue française de droit administratif, Nov. Déc. 1993, p.1049.

(23)Article 88-2 résultant de la révision constitutionnelle de 1992 et selon lequel (…)  » la France consent aux transferts de compétence nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne… « .

(24)Voir en ce sens Christophe Leroy,  » Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France « , Les petites affiches, 18 juillet 1994 p.5.

(25)Article 20 de la constitution de 1958 : Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation (…).

(26)CE 20 octobre 1989 Nicolo, Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 10° édition, ed. Sirey, p.743; CE 3 février 1989, Compagnie Alitalia, R..F.D.A, 1989, 391 notes Beaud et Dubouis. Grands arrêts de la jurisprudence administrative, ed. Sirey, p.731; CE 24 septembre 1990, Boisdet, RFDA 1991.172. Note Dubouis.

CE 28 février 1992 Stés Rothmans et Philip Morris.

(27)Cour de cassation, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre, D.1975.497,Concl.Touffait, A.J.D.A 1975.567, note Boulouis.

(28)Assez intéressant dans cette logique développant un droit économique supranational est la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes Brasserie du pêcheur et factortame qui reconnaît à la suite de l’arrêt Francovitch la responsabilité de l’Etat législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire. (non pas sur le terrain de la faute, mais sur celui de l’illégalité). Arrêt CJCE Brasserie du pêcheur et factortame, Louis Dubouis, RFDA, mai, juin 1996, p.583.

(29)CE, ass., 3 juillet 1996, Koné, Rec. P.255. Voir à propos de cet arrêt, Denis Alland,  » Un nouveau mystère de la Pyramide : remise en cause par le conseil d’Etat des traités conclus par la France « , , RGDIP 1997, p.237 et s.

(30) » L’accord de Nouméa et la consultation de la population « , Conclusions sur Conseil d’Etat, assemblée, 30 oct. 1998, MM. Sarran et Levacher et autres, Christine Maugüé, R.F.D.A 1998 p.1081 et « Consécrations d’un paradoxe : primauté du droit interne sur le droit international (Réflexions sur le vif à propos de l’arrêt du Conseil d’Etat Sarran, Levacher et autres du 30 octobre 1998) par Denis Alland, R.F.D.A 1998 p.1094.

(31)Michel Bazex,  » Le droit public de la concurrence « , Revue française de droit administratif, juillet-août 1998, p.781.

(32)Louis Favoreu,  » Service public et constitution « , AJDA du 20 juin 1997, p.16.

(33)Ainsi, en 1977 les députés socialistes contestent la constitutionnalité des règlements communautaires instituant les prélèvements parafiscaux sur le lait à l’occasion de la saisine de la loi de finances rectificative qui en faisait application. Dans sa décision, le Conseil rappelle qu’en vertu du Traité de Rome, les règlements communautaires « sont obligatoires dans tous leurs éléments et sont directement applicables dans les Etats membres  » et  » qu’il suit de là que la force obligatoire qui s’attache à leurs dispositions n’est pas subordonnée à une intervention des autorités des États membres, et notamment du Parlement français  » . Autrement dit la mise à l’écart des assemblées ou la limitation de leur rôle en ce qui concerne les mesures d’application des règlements communautaire n’est pas contraire à la constitution. Dominique Rousseau : Contentieux constitutionnel, ed. Montchrestien, 4°ed, 1995.

(34)DC 91-308 du 9 avril 1992, R. p.55.

(35)Thiébaut Flory, « La communauté européenne et le GATT, évaluation des accords du cycle d’Uruguay », , Ed. Apogée, 1996.

(36)Les articles du traité de l’Union en ce qui concerne l’adoption de traités et la manière dont est liée l’union européenne avec les Etats-tiers et les organisations internationales sont les articles 113, 228 et 238. Voir aussi l’avis 1/94 de la CJCE sur la répartition des compétences entre communauté et Etats-membres pour passer des accords internationaux. Enfin, il faut savoir que l’OMC effectue un contrôle sur le traité de l’Union par le biais de l’article XXIV du traité GATT-OMC. Cet article a permis aux Etats tiers comme les Etats-Unis, le Japon, le Canada d’exercer un droit de contrôle et de critique parfois harcelant sur la politique menée par l’Union européenne.

(37)Dominique Carreau, Thiébaut Flory, Patrick Juillard, Manuel de « Droit international économique « , , LGDJ, 1990, 3°ed. p.129 et s.

(38)C.J.C.E, 7 mai 1991, Nakajima c/Conseil, c-69/89, rec. p.1-2069.

(39)Article 53 de l’ordonnance de 1986. Article 90 du traité de l’Union européenne.

(40)Nathalie Marcon,  » Service public et droit de la concurrence « , Thèse, Université Paris XII Saint-Maur, Janvier 1999.

(41)Arrêt Corbeau du 13 mai 1993 de la Cour de justice des communautés européennes. Arrêt Almélo du 27 avril 1994 de la Cour de justice des communautés européennes.Voir aussi un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes en date du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurances abordant le cas des organismes chargés de la gestion d’un régime complémentaire de protection sociale a jugé qu' »un organisme à but non lucratif, gérant un régime d’assurance vieillesse destiné à compléter le régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant dans le respect des règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d’adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de la capitalisation, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité CE « . Voir l’arrêt CE société française des sociétés d’assurance.

(42)Article 1 al.3 de l’ordonnance 86-1243 du 1 décembre 1986 concernant les circonstances exceptionnelles.

(43)Marc Debène et Olivier Raymundie,  » Sur le service universel: Renouveau du service public ou nouvelle mystification?  » AJDA, 20 mars 1996, p.183.

(44)Service public et communauté européenne: Entre l’intérêt général et le marché », travaux de la cedece sous la direction de Robert Kovar et Denys Simon, (actes du colloque de strasbourg), La documentation française, 1998.

(45)Jacqueline Morand-Deviller, Cours de droit administratif, ed. Montchrestien, 5°ed., 1997, p.459.

(46)René Chapus, Droit administratif général, ed. Montchrestien, 1996, p.542.

(47)On pense au droit de la concurrence qui régit le marché de gré à gré, lequel droit de la concurrence est conforme au droit européen et international. Pour les marchés réglementés, on pense aux marchés financiers dont l’organisation et le fonctionnement a été prévu par la directive européenne de 1993 transposée en France par la loi du 2 juillet 1996.

(48)Sur le plan des marchés financiers, par exemple, l’organisation des marchés en différentes autorités boursières résulte de la loi du 2 juillet 1996 qui n’est que la transposition de la directive européenne investissement de 1993.

(49) »Sanctions unilatérales, mondialisation du commerce et ordre juridique international », livre sous la direction de Habib Gherari et Sandra Szurek, Cedin Paris X Nanterre, ed. Montchrestien, 1998.

(50)Dominique Voillemot, Arnaud Michel, Hubert de Broca  » La réglementation antidumping communautaire: Un nouveau départ?  » , Les petites affiches du 17 avril 1995, n°46, p.7.

(51)Rapport d’information du sénat n°337 de Jean Arthuis,  » sur l’incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service « . Seconde session ordinaire de 1992-93.

(52)Droit de la concurrence et de la consommation: N°103 mai-juin 1998.

(53)Jean Philippe Colson,  » Droit public économique « , L.G.D.J, 2°Ed., p.13.

(54)Jean Carbonnier,  » Flexible droit « ,6° ed. L.G.D.J.

(55)André-Jean Arnaud,  » Entre modernité et mondialisation, cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’Etat « , L.G.D.J,1998, p.152.

(56)Jean-Pierre Henry « La fin du rêve Prométhéen? Le marché contre l’Etat « , R.D.P 1991, p.632.

(57)On pense par exemple au standard informatique imposé par la firme américaine Microsoft et son logiciel windows.

(58)Dominique Carreau, Encyclopédie Dalloz, Répertoire de droit international, rubrique Etat : paragraphe c :  » Etat : sujet concurrencé dans l’ordre international « , p. 1998.

(59)On notera par exemple que la crise financière internationale qui est actuellement en passe de toucher toutes les régions du globe est impossible à contenir, à réguler, à étaler dans le temps par un droit des circonstances exceptionnelles. Une crise de confiance généralisée des investisseurs aboutit actuellement à des krachs boursiers et monétaires retentissants qui impliquent des dérèglements économiques profonds. Les solutions adoptées en matière de faillite bancaire dans les pays asiatiques consistent à appeler l’Etat en garantie, ce qui pour les tenants de idéologie libérale nous semble pour le moins assez curieux. On remarquera par ailleurs que ces nationalisations, garanties ou cautions des Etats n’empêchent pas les monnaies de continuer à se dévaluer.

(60)Robert Savy,  » Les pouvoirs économiques exceptionnels « , Revue Pouvoirs, n°10, 1979.

(61)Anne Levade,  » Souveraineté et compétences des Etats « , Thèse, Université Paris XII Saint-Maur, 13 janvier 1997.

(62)Thèses du mouvement Law & économics développées aux Etats-Unis dans les années soixante.

(63)Benoît Frydman, Guy Haarscher,  » Philosophie du droit « , ed. Dalloz, p.67.

(64)André-Jean Arnaud,  » Entre modernité et mondialisation, cinq leçons d’histoire de la philosophie du droit et de l’Etat  » , L.G.D.J,1998.

(65)B. Goldman,  » Frontières du droit et lex mercatoria « , archives de philosophie du droit, Tome IX, 1964, p.177.

(66)Ghassan Al-Khatib,  » La part du droit dans l’organisation économique internationale : essai d’évaluation « , Ed. Bruylant, Ed. de l’université de Bruxelles 1994.

(67)Mohamed Salah Mohamed Mahmoud,  » Mondialisation et souveraineté de l’Etat « , Journal du droit international, 1996 n°3 p.611.

(68)Patrice Rolland,  » L’identité Européenne « , Extrait du recueil identité politique, CURAPP, CRISPA, PUF, 1994, p.433.

(69)Economique et européen est un peu redondant…

(70)L’article 295 du traité d’Amsterdam (ex-article 222) dispose que le présent traité ne préjuge en rien le régime de la propriété dans les Etats-membres.

(71)Antonis Manitakis,  » La notion d’égalité en droit public économique « , Travaux du centre de philosophie du droit de l’Université de Bruxelles,  » Légalité « , volume IV, Ed.Bruylant, 1975, p.105.

(72)J.Schapira, G. Le Tallec, J B. Blaise, Droit européen des affaires, PUF, p.151.4°ed.1994.

(73)Dominique Carreau, Thiébaut Flory, Patrick Juillard, Manuel de « Droit international économique « , , LGDJ, 1990, 3°ed. p.129 et s.

(74)Et l’argument de la limitation de compétence ne nous semble pas justifier cette vision du « tout économique ».

(75)(4) L’annexe 4 comprend les quatre accords plurilatéraux : Accord sur le commerce des aéronefs civils, Accord sur les marchés publics, Accord international sur le secteur laitier, Accord international sur la viande bovine.

(76)Thiébaut Flory,  » Remarques à propos du nouveau système mondial issu des accords du cycle d’Uruguay « , Journal du droit international, Oct. Nov. Dec. 1995, p.877.

(77)Les Accords multilatéraux comprennent l’Accord instituant l’organisation mondiale du commerce ainsi que les accords inclus dans l’annexe 1 (les accords sur le commerce des marchandises, l’Accord général sur le commerce des services, l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), l’annexe 2 (le Memorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends) et l’annexe 3 (le Mécanisme d’examen des politiques commerciales).

(78)Cl. Champaud,  » Contribution à la définition du droit économique « , D. 1967, Chron., p. 215.

(79)René Sève,  » Droit et économie : quatre paradigmes « , Archives de philosophie du droit, tome 37, ed. Sirey, 1992, p.63.

Et vint l’ère des démocraties financières…

By Droit public économique

L’Etat contemporain et le contrat social qu’il est chargé de faire respecter sont consubstantiels à l’idée d’un droit légitimé par la démocratie, du moins est-ce le dogme rassurant auquel le discours politique dominant tend à se conformer. L’œuvre civilisatrice nous semble se prolonger au niveau international par la signature de nombreux traités concernant les droits de l’homme ou le respect des droits de l’environnement. Cela au point même d’instituer sur certains thèmes une police médiatique du discours à rendre envieux les régimes totalitaires les plus zélés. S’il reste un domaine qui accuse une faiblesse persistante dans l’élan mondialisateur de la civilisation occidentale, il s’agit bien du domaine économique et financier. L’idéologie du libre échange tient l’entreprise juridique en échec et plus particulièrement le droit public qui recèle pourtant des spécificités pouvant limiter l’uniformisation des cultures et des économies du monde entier. Il pourrait par exemple être utilisé le droit de la concurrence dont le maillage juridique appliqué au niveau mondial contribuerait à la mise en œuvre d’un libéralisme plus cohérent. Les pères du GATT avaient bien senti cette nécessité en proposant dès 1947 avec la charte de la Havane un droit de la concurrence censé remédier aux désordres que peut susciter une trop grande liberté. Ces négociations n’ont pas abouti et c’est le mode du libre échange qui s’est imposé comme clef de voûte du nouvel ordre économique mondial. Sans entrer dans le détail des explications juridiques sur les accords OMC, on retiendra pour l’essentiel que l’ensemble du dispositif tend à vouloir supprimer les obstacles de tous ordres qui peuvent entraver le commerce international (droits de douanes, obstacles non tarifaires, licences d’importation, traitement différenciés des entreprises, contrôle des capitaux, etc..). Une des grandes difficultés de l’OMC vient de nos jours du grave déséquilibre dont est atteint son libre échange. En effet, il nous semble clair que le développement mondial du commerce et de la finance selon les termes libre-échangiste ait abouti à une hiérarchisation économique mondiale dans un classement assez curieux où sont maintenant confondus Etats et sociétés transnationales. Cet état de fait nous semble aujourd’hui constituer une rupture d’égalité constitutive d’une atteinte à la liberté des Etats et des entreprises partie-prenantes au commerce mondial.

Cette situation de vide juridique en matière concurrentielle, conjuguée au libre échange, au lieu de faciliter un développement équitable et équilibré du commerce mondial a en réalité permis aux Etats et aux entreprises les plus développés d’engager un processus de cartellisation de la planète en dehors de tout processus démocratique. Ainsi, l’essentiel du commerce mondial résulte donc d’une entente entre grands que condamnerait fermement les droits internes, européen et américain de la concurrence. Il convient dès lors de négocier essentiellement avec les sociétés transnationales pour savoir quelle est sa place dans la hiérarchie du pouvoir économique et financier mondialisé. Et les candidats au marché planétaire comprennent souvent très vite que les moyens industriels et financiers à mettre en œuvre pour être dans le standard économique mondial ne laissent la place qu’à une poignée d’entreprises dominantes. Les entreprises comme les Etats qui n’ont pas atteint le seuil économique critique du standard mondial (selon le produit fabriqué) doivent comprendre que leur rôle, comme ceux de leurs employés, de leur peuple, est la sous-traitance, et parfois le rachat ou la disparition pour les seules entreprises. Cette hiérarchisation économique et financière implique bien sûr que les échanges ne sont pas libres et que le commerce mondialisé est souvent, pour l’essentiel, du commerce intra-firme ou du commerce pratiqué selon les termes mêmes du chantage économique et de l’abus de position dominante. L’inévitable question se pose alors de savoir qui est le souverain de ce nouvel ordre mondial ? Selon les juristes, le souverain est celui qui a la maîtrise des circonstances exceptionnelles. Or, il apparaît clairement que nos juristes ne peuvent donner de nos jours de réponse à cet état de fait . Aucun gouvernement n’a en effet la maîtrise de la logique guerrière dans laquelle le monde de l’économie et de la finance est engagé. La mondialisation n’est vue que par les meurtrières de l’offre et de la demande et les constructions juridiques les plus évoluées semblent être prises sous le feu du financièrement rentable. L’actualité récente se fait l’expression de ce réductionnisme avec, par exemple, la création de la Zone de libre échange des Amériques. Cet accord se révèle mettre en oeuvre un démantèlement de toute forme d’entrave juridique au marché avec en prime la possibilité pour les investisseurs de mettre en cause la responsabilité des Etats s’ils s’estiment lésés par leurs décisions prises au nom de l’intérêt général. On remarquera dans cette logique que la montée en puissance de ces zones de libre échange est une manière de remise en cause progressive des accords OMC qui commençaient à offrir une structure juridique minimale au commerce international. En être à regretter l’OMC dont les carences en matière de droit de la concurrence, de clause sociale et environnementale sont notoires nous donne la mesure de la régression juridique que constitue cette Zone de libre échange des Amériques. Ce dumping juridique génère certes des profits maximum sur le court terme, mais cela au détriment des droits les plus fondamentaux des démocraties. Reste qu’il faudra bien un jour prendre acte des effets dévastateurs de cette globalisation économique sur les systèmes juridiques démocratiques fondés sur l’intérêt général qui ne seront plus qu’une façade. Cela nous donnera un droit public d’un vertigineux minimalisme.

Ceci posé, les transnationales comme les Etats les plus développés ne sont pas libres de toutes contraintes par le seul fait qu’ils arrivent à jouer à l’international sur les vides juridiques et autres silences politiques. Si le droit positif des démocraties a quelques faiblesses sur le plan international, la démocratie de marché, la démocratie d’opinion et la démocratie financière nous semblent assez contraignantes à leur manière. De ce point de vue, il convient d’être toujours en phase avec le marché. Il faut vendre le produit qui est dans le « standard », savoir habilement gérer son «image»  et enfin satisfaire les «actionnaires». Pour le marché, nul n’est censé ignorer qu’il n’est pas de salut hors du standard industriel, qu’ « on » le crée ou que l’ « on » doive s’y soumettre. Mais les standards, aussi géniaux soient-ils, ne peuvent plus être imposés par le droit des Etats. Il faut donc l’appui de la puissance des financiers pour les imposer. Pour l’image, nul n’est censé ignorer qu’on ne peut pas ne pas être pour la gouvernance, la transparence, la régulation, la protection de l’environnement et le commerce équitable. Les financiers adhèrent généralement publiquement très volontiers à ces notions puisqu’elles n’ont en pratique aucune valeur juridique réellement contraignante au niveau mondial. Enfin, en ce qui concerne les peuples actionnaires, nul n’est censé ignorer -surtout l’élite financière- que la bourse manifeste très clairement leurs exigences par le critère du profit à tout prix, notamment au prix de l’intérêt général que défendent les vieilles démocraties. « Standard », « image » et « profit » sont donc les principes « constitutionnels » de base de la normativité financière mondiale auxquelles se soumettent les Etats comme les sociétés transnationales. Mais force est de constater tout de même que le « profit » exerce sa suprématie, hiérarchise le monde et n’est autre que le Dieu visible de la globalisation. Nous devons nous y résoudre, nos vieilles étatiques démocraties ne sont plus à la mode. Mais dans le même temps, leur droit nous semble un acquis indispensable, comme une garantie pour des acquis sur lesquels il serait inadmissible de céder. Ainsi, à moins de rétablir l’esclavage dans quelques dictatures tempérées par l’assassinat, il reste à Sisyphe à tenter de reconstruire une économie de droit comme il s’est construit depuis la fin du XIX° siècle un Etat de droit. Soit en développant sur les bases juridiques existantes un droit international qui distinguera plus clairement et rééquilibrera les relations entre Etats et puissances économiques. Soit en acceptant cet ordre mondial libéral hiérarchisé au sein duquel devront être conquises ou reconquises toutes les avancées sociales, les droits de l’homme, le droit de l’environnement, etc… La seconde version du scénario nous semble la plus probable bien qu’étant architecturalement la plus novatrice pour les juristes. Il leur faudra pourtant bien vite admettre que le pouvoir échappe de plus en plus aux Etats démocratiques pour s’exercer au sein des grandes entreprises dont une des préoccupations premières est de tenter d’instrumentaliser le politique au bénéfice de leur logique financière. En ce sens, il faut reconnaître que les gouvernements des Etats ne trouvent plus de légitimité à s’opposer à la logique du plus rentable que leur impose la standardisation économique et financière. Cette logique de domination des grandes entreprises a sans doute une cause inavouable de la part des instances démocratiques : Le politique traditionnel est de plus en plus relégué au second plan. Cette secondarisation vient sans doute du fait que les élus n’ont pas de projets alternatifs à proposer à la logique ultra-libérale qui fait pour le moment le consensus planétaire le plus large. Le caractère aussi monopolistique que légitime (avec certains malentendus et autres manipulations…) de l’économie de marché induit donc ces nouvelles formes de démocraties aux effets extrêmement dommageables aux démocraties traditionnelles. Il conviendrait dès lors de trouver un biais pour redonner un réel contrôle démocratique à ce pouvoir transféré au grandes sociétés d’envergure mondiale. Plusieurs solutions sont envisageables, de l’écriture d’un droit constitutionnel des sociétés transnationales à la signature de traités multilatéraux où les Etats comme les sociétés s’engageraient à respecter les droits fondamentaux les plus aboutis sous un étroit contrôle juridictionnel. Il est clair que ces projets ont les accents de l’utopie et dans le même temps, le droit communautaire d’un impressionnisme conceptuel douteux et le droit public interne des Etats membres -devenus de vagues barronies- prennent peu à peu l’air charmant de la ligne Maginot. Le genre humain cède une fois de plus à sa manie consistant à déplacer les problèmes au lieu de les résoudre. Nous passerions ainsi de l’ère des Républiques Bananières à celle des Démocraties Financières…Athènes avait bien ses esclaves…

Christophe LEROY

Maître de conférences

A l’Université paris XII Saint-Maur.

De la normativité économique en démocratie de marché…

By Droit public économique

La mondialisation semble de nos jours opérer un transfert de pouvoirs des Etats nations vers les puissances économiques dominantes au point d’amorcer une sorte de redéfinition du contrat social des démocraties Etatiques . Les libertés accordées à l’économie de marché génèrent de ce fait un nouveau mode de démocratie qui a lui même engendré une nouvelle normativité des comportements. Fruit d’une surinterprétation de l’émergence de ce nouveau pouvoir économique et financier qui ne durera peut-être qu’un temps ou réel problème de légitimation d’un nouvel ordre mondialisé en quête de fondements éthiques et juridiques, il nous a semblé intéressant d’étudier dans une démarche prospective les grandes problématiques de ces nouveaux enjeux. Si cette perspective pose plus de questions inquiétantes qu’elles n’offre de solutions assurées, elle est au moins une nouvelle illustration de l’histoire de l’impossible capture de l’humanité dans les rets de l’esprit de système .

I/ LA NORMATIVITE ECONOMIQUE COMME REFONTE DU CONTRAT SOCIAL:

1/ La langue juridique nouvelle d’un pouvoir émergent :

L’expression de langue juridique semble au premier abord relever de la métaphore, du néologisme catégoriel pour universitaire à l’afféterie en mal d’inspiration. Il est pourtant évident qu’en plus de la langue vivante usuelle, le juriste s’exprime en un langage spécifique composé de mots et d’expressions qui semblent pour le moins ésotériques au profane. Et le profane n’est pas toujours celui que l’on croit. Sans évoquer le non-juriste, le publiciste est souvent le profane du civiliste. Ainsi, la notion de langue juridique ne relèverait pas de la seule métaphore. En plus du langage, existent bien une structure intellectuelle de concepts, une hiérarchie de valeurs et enfin un style qui font du droit privé ou du droit public des langues juridiques au sens littéral de l’expression.

. Dans le même esprit, si la langue usuelle, le langage et la langue juridique sont compris, les choix politiques qui président au fonctionnement des systèmes juridiques amènent l’alter-mondialiste à dire au libéral qu’ils ne parlent pas la même langue. Là aussi, le propos ne relève pas de la simple métaphore. On le remarque fort bien lorsque ces différentes politiques expriment leur esprit de système respectifs et trouvent leur application dans les faits. L’intervention divine nous laissant apparemment libre de nos choix, langages et langues ne manquent pas et l’impressionnisme de leur sens donne lieu à l’interprétation .

Les Etats ont leur langage et leur langues sont formées de différents discours politiques et de différents droits et branches du droit. Les Etats occidentaux dans un souci de légitimité, de rationalisation et de sécurité juridique ont tous optés pour la technique du droit positif pour imposer leur ordre juridique à la société civile. Cette technique est maintenant éprouvée et démocratiquement légitimée. Il nous apparaît cependant que le développement du droit économique européen et international renouvelle assez profondément la problématique de la normativité des comportements en droit public en ce début de XXI° siècle . En effet, reprenant la notion de langue juridique appliquée au droit français, il nous semble clair que le droit économique nouveau affecte la langue du droit administratif. Le droit public français fondé sur l’intérêt général tel qu’il est encore en partie en vigueur dans le secteur économique devient peu à peu une langue morte, une langue supplantée par le droit économique européen . Ceci posé, nous remarquerons que ce n’est pas parce qu’elle n’est plus parlée qu’une langue meure. Une langue dite morte n’est autre chose qu’une langue qui a perdu, si l’on ose ainsi dire, l’usage de la parole. Mais on n’est pas en droit de dire qu’elle soit morte comme le serait un animal ou un végétal, quel qu’il soit. Ainsi, comme les langues, il suffirait par exemple que le droit administratif soit dans le domaine économique à nouveau parlé pour qu’il ressuscite, comme cela a été le cas par exemple pour l’Hébreu .

Le choix politique de pratiquer une langue juridique plutôt qu’une autre n’est pas sans conséquence sur la faculté même de langage. Croire à l’innocuité du changement de langage juridique est une erreur majeure. Ainsi, un Etat qui change de langage et de langue juridique est non seulement un Etat qui change de contrat social, mais cela peut-être aussi un Etat dont les facultés de langage vont se trouver altérées. Or, il nous semble clair que le choix politique de la langue du droit économique implique une altération de la faculté de langage des Etats en ce qui concerne leur intervention dans le secteur économique. La faute n’en est pourtant pas à l’idée libérale qui est avant tout une philosophie politique plutôt tempérée, mais à son travestissement par un capitalisme surpuissant – le concept d’hyperpuissance a même été inventé – qui l’utilise pour légitimer un très lucratif commerce aussi planétaire qu’inique . Le mutisme étatique grandissant dans le domaine économique et financier est à la mesure du développement des libertés accordées au marché établissant une sorte de normativité économique selon la loi du marché, « loi mondiale du marché » dépassant largement la souveraineté comme les frontières d’Etat . Plus techniquement et sans pourtant entrer dans le détail, le droit de la concurrence fortement libéral , l’abrogation progressive de toutes règles protectionnistes, la suppression du contrôle des changes et autre indépendances de banques centrales ont accordé au marché un statut qui pourrait nous faire penser, assez paradoxalement, que la liberté a pris le pas sur le droit. Voilà bien une curiosité intellectuelle puisqu’il nous semblait en effet incontournable de considérer que la liberté, et cela même dans le domaine économique, résulte bien d’une construction juridique . Peut-être convient-il d’envisager que le dogme étatique selon lequel le droit positif a toujours le monopole de la détermination des comportements de la vie en société est à réétudier. En effet, il nous semble intéressant de remarquer que la teneur même du concept de normativité a évolué et a largement abandonné la forme du droit positif, du moins dans le domaine économique.

Cette mutation vient en grande partie d’une sorte de glissement du pouvoir de la lettre vers le chiffre. En effet, le chiffre est aussi une norme. Pour Pythagore, le chiffre donne la mesure de la limite et de l’illimité . De l’indéterminé sort le déterminé. Le chiffre a intrinsèquement par la limite qu’il donne un contenu normatif . Et il a cet avantage sur la lettre qu’il exprime une apparente forme de perfection normative, ce qui ne manque pas d’exercer une certaine fascination que les mots n’exercent qu’à un degré bien moindre. Si les mots ont un sens imprécis, les chiffres sont bien sûr relatifs (ne serait-ce que financièrement par rapport à la monnaie, l’inflation, etc…), mais ils ne contiennent pas au prime abord ce flou artistique que les mots recèlent de façon plus évidente. L’apparente perfection du chiffre fascine notre époque.

De façon moins abstraite, il nous semble que ce glissement du pouvoir normatif de la lettre au chiffre se soit opéré de la façon suivante: Les Etats dont l’instrument d’expression du pouvoir était « la lettre » du droit positif légitimé par le vote démocratique du citoyen et le concept d’intérêt général voient leurs prérogatives rognées par le marché dont l’instrument d’expression du pouvoir est « le chiffre » de l’économie légitimé par l’acte d’achat du consommateur défendant son intérêt économique. Il est clair que les rapports qu’entretiennent la lettre et le chiffre dans ce phénomène de transfert de pouvoir sont d’une extrême complexité et difficilement réductibles à une explication systématisée. Mais la logique générale émergente est très sensiblement perceptible. Il ressort de tout ceci que langue et langage du marché l’emportent sur la langue et le langage des Etats. Il y a ainsi altération de la faculté de langage des Etats au sens où l’idéologie libérale leur a progressivement ôté le droit, puis le pouvoir par l’effet « mondialisation », d’intervenir dans le domaine économique. Ils s’en trouvent ainsi de plus en plus cantonnés à l’exercice de leurs prérogative régaliennes. Il y a donc altération de la langue juridique au sens où la normativité économique du marché prend le pas sur le droit positif étatique . Nous voyons dans ce phénomène l’expression d’une refonte politique et juridique du contrat social dont les enjeux ne nous semblent d’ailleurs pas très clairement perçus par le politique.

Un dernier élément qui atteste selon nous de l’altération de la faculté de langage et de la langue juridique des Etats libéraux contemporains est le critère des circonstances exceptionnelles. Est souverain affirme Carl Schmitt, celui qui décide de l’Etat d’exception . Les récentes crises monétaires et financières internationales nous ont montré des Etats incapables de résoudre seuls leurs problèmes économiques par des solutions juridiques. Les solutions ont été essentiellement financières par le biais du FMI . Cette désorganisation du pouvoir d’Etat par l’économie est assez intéressante à observer eu égard aux thèses assez séduisantes de certains auteurs sur l’origine de l’Etat comme Hume par exemple . Pour ce dernier, La nécessité économique secrète le conflit qui donne naissance à une hiérarchie militaire (Etat) qui se transforme, la paix venue, en hiérarchie civile et système de gestion politique. L’Etat contemporain serait ainsi incapable de résoudre les problèmes à l’origine desquels il a pourtant été créé. Mais peut-être n’avons nous là qu’une différence de degré dans la crise, et non un problème de changement de nature du pouvoir. Seul un grave effondrement économique mondialisé nous l’apprendra.

Dernier point qu’il est normalement inutile de préciser : La langue vivante usuelle de la normativité économique est l’anglais. Elle est aujourd’hui juridiquement imposée comme langue de travail dans le domaine financier . L’anglais est pourtant la langue la plus mal parlée du monde, preuve s’il en fallait que les facultés de compréhension et de langage de la plupart de ceux dont elle n’est pas la langue maternelle sont altérées.

2/ Le difficile fondement éthique du nouveau contrat social:

Un des problèmes centraux de la normativité économique dans son œuvre politico-juridique de redéfinition du contrat social est celui du sens et de la norme. Dans les régimes démocratiques, la représentation nationale a pour mission d’adopter des lois dont le sens respecte les termes et l’esprit constitutionnels déterminés par les constituants originaires et dérivés. C’est ainsi que les distorsions qu’il peut y avoir entre sens et norme ont la possibilité d’être sanctionnées à des niveaux différents par les élections ou par le juge. Ce rapport entre sens et norme structuré par le droit positif offre à l’Etat un moyen de gouvernement assurant que les fins politiques recherchées seront encadrées par un droit garant du sens qu’il doit être donné à l’esprit des lois . Qu’en est-il maintenant du rapport entre sens et norme en matière de normativité économique?

La légitimité de la normativité économique trouve son fondement dans la démocratie de marché. Mais vient alors la question des fondements éthiques de la démocratie de marché. S’il nous semble clair que les valeurs éthiques de la démocratie d’Etat sont par exemple celles de la République et des droits de l’homme dont l’ensemble du droit positif à une lointaine, mais certaine filiation biblique en ce qui concerne ses principes fondamentaux, les valeurs éthiques qui fondent la démocratie de marché nous semblent plus difficiles à appréhender comme déterminant la teneur même de la normativité économique .

La liberté de fixation du prix et du standard technique accordée au pouvoir financier par le biais du marché est une atteinte à la lettre et au sens du pouvoir d’Etat en tant que gardien d’un choix de civilisation. Il est cependant clair que les choix de civilisation peuvent changer et que les Etats souverains des démocraties doivent s’incliner devant le choix supra-constitutionnel du peuple redéfinissant le contrat social par la démocratie de marché. Il reste que ce contrat social nouveau ne pourra trouver que difficilement des fondements éthiques dans des données chiffrées. En effet, c’est le sens des mots pris sous forme de droit positif des Etats qui exprime précisément les choix existentiels du contrat social, cela quelles que soient l’Ethique et les valeurs morales sous-jacentes. Seuls les mots sont, pour ces questions éthiques, porteurs d’un sens profond et ont les nécessaires puissance et précision d’expression. En revanche, la normativité économique de la démocratie de marché s’exprimant essentiellement par les chiffres fait œuvre d’un puissant réductionnisme, ne connaissant pour l’heure que la liberté qui aliène, c’est-à-dire celle du plus fort . En ce sens, la normativité économique se trouve mise en concurrence avec le droit positif des Etats. La norme économique a même pour effet de déstructurer l’Etat de droit et les valeurs morales sous-jacentes considérées par ses contraintes comme un obstacle à la liberté du toujours plus rentable.

Et l’encadrement du droit positif libéral laisse une très grande liberté aux intervenants. En l’occurrence, le caractère indéterminé des règles de droit économique ne provient pas seulement selon la critique des réalistes américains des termes vagues rendant problématique leur application à des cas concrets, mais de la formulation générale et abstraite d’une texture, d’un maillage très ouvert au niveau interne et surtout international dont l’objectif est le transfert du pouvoir normatif au marché . Et cela a tel point que la capacité normative d’un marché dans une économie fortement libérale et internationalisée a amené certains auteurs à créer l’école de l’économie du droit. Le droit étatique est alors perçu comme ayant un coût qu’il faut savoir intégrer à une activité économique pour pouvoir satisfaire aux exigences du marché qui impose ses standards technologiques et financiers . Cette école de l’économie du droit est en réalité peu intéressante au sens où elle est pour l’essentiel déconnectée de toute idée morale et qu’elle n’est au fond qu’une utilisation parasite, cynique et purement financière des failles du droit étatique. La question centrale de cette vision de l’économie du droit et de savoir si elle peut être à terme considérée comme porteuse d’un projet de société viable. La lecture des philosophes nous démontrera combien l’économie du droit, comme les diverses entreprises marxistes d’ailleurs, relèvent d’une méconnaissance profonde de la nature de l’homme et de sa vie en société. La lecture de Kant, par exemple, nous le démontre simplement .

On remarque ainsi que la normativité économique, qui a cet atout de puiser sa légitimité dans une sorte de démocratie directe du marché, n’éprouve pas une grande nécessité à s’engager dans une recherche de fondements ontologiques et éthiques . D’un point de vue éthique, il est intéressant de remarquer que l’acte d’achat de la majorité des biens est déconnecté de tous enjeux et débat éthique, bien que certaines considérations morales commencent à être évoquées sans qu’il y ait encore de fondement ou de contraintes juridiques véritables . L’utilisation avec le plus grand sérieux et cynisme du concept de régulation en droit économique illustre bien le problème. La normativité économique de la démocratie de marché trouve son fondement dans ce Dieu visible qu’est l’argent et dans l’acte d’achat renouvelé du consommateur .

Le contrat social nous semble donc bien être en grande partie redéfini. Tout d’abord par son mode d’expression de la volonté générale. L’Etat n’ayant plus le monopole normatif, une part importante de cette fonction normative se trouve transférée au marché, ce qui n’est pas négligeable lorsque l’on constate que toutes les activités humaines sont de plus en plus envisagées sous l’angle économique . Par ailleurs, on observe une division et une spécialisation planétaire du travail ordonnées par un marché lui aussi mondialisé. Il est donc clair que la très forte majorité des Etats du monde ont renoncé à garder la compétence de leur compétence dans le domaine économique et financier . Le pacte du contrat social, qu’il soit de soumission ou d’association, ne repose donc plus seulement sur l’Etat-nation, mais également sur le marché mondialisé. Il est clair que cette redéfinition du contrat social impliquait évidemment une interrogation légitime quant à ses fondements éthiques, sa langue juridique et sa teneur démocratique.

Il est remarquable que cette normativité économique libérale ait trouvé aussi à se développer dans des pays où l’interventionnisme étatique dans le secteur économique était assez fort, et cela sans grande crise de légitimité . Cette mutation juridique dont le trait essentiel est le désengagement de l’Etat a pourtant eu un coût social non négligeable, ce qui aurait pu apparaître comme inacceptable dans un pays démocratique. Cet ordre juridique économique internationalisé a pourtant trouvé différentes sources de légitimité. Ces sources sont des plus diverses. Il est clair que cet ordre libéral a amené une forme de prospérité économique qui s’est dans un premier temps déroulé selon un mode de redistribution des richesses équitable. Du moins, cela a été le cas en occident durant ce qu’il convient maintenant d’appeler les trente glorieuses. Le développement des droits de l’hommes a également contribué à légitimer l’ordre libéral adopté par les Etats. Cela d’ailleurs de manière assez paradoxale puisque ces droits offrent surtout des garanties contre l’abus de pouvoir d’Etat et sont très peu développés en ce qui concerne les garanties économiques. Vient ensuite l’effondrement politique des Etats de type marxiste qui a – assez curieusement – clos le débat sur les choix fondamentaux de société que peuvent mettre en œuvre les Etats . On relèvera pour finir que le maintien des systèmes sociaux fondés sur la solidarité de l’assurance maladie, des retraites et du chômage ont également très largement contribués a l’acceptation par les pays européens du modèle économique libéral nord-américain.

Les deux écueils traditionnellement à éviter étaient celui d’une séparation du droit et de la morale qui risquait d’aboutir à une conceptualisation cynique de l’autonomie du droit et celui de la confusion du droit et de la morale qui risquait d’aboutir à un ordre en réalité dictatorial. L’équilibre critique s’était donc établi avec cette sorte de théorie politique de l’Etat de droit qui était un compromis trouvant une légitimité par le biais de la démocratie représentative. Cet équilibre est aujourd’hui rompu par le pouvoir économique. A la problématique classique de la confusion du politique, du juridique et de la morale s’ajoute en effet le paramètre économique. Il nous semble que les forces économiques ont arraisonné le politique des systèmes démocratiques classiques. De cette secondarisation du politique qui n’a pour l’instant pas de projets alternatifs sérieux à proposer à la logique ultra-libérale résulte une réécriture du droit. Le droit économique est bien en effet cette vision hypertrophiée de la société sous son aspect économique. Et cette vision économique du droit se développant au point de générer une normativité économique pose bien entendu de nombreux problèmes éthiques et culturels . Le néant éthique mondialisé dans lequel œuvre l’économie et la finance nous en donne la mesure .

On remarquera la faiblesse des instruments classiques qu’offre la philosophie du droit pour appréhender ce concept contemporain de normativité économique. Cela vient à n’en pas douter de la nouveauté de la situation. Il y a surdéveloppement de l’activité économique et de l’innovation technologique dans le cadre d’une mondialisation débordant complètement la souveraineté et par conséquent le droit des Etats. Quand au droit international, il accorde une liberté économique qui n’offre plus les garanties contre l’abus de pouvoir telles que celles développées pour encadrer et limiter juridiquement l’autorité de l’Etat .

Le débat éthique réduit à sa plus simple expression, la démocratie de marché légitime et se trouve elle même légitimée par un ordre économique qui assure des découvertes technologiques et un développement économique concourant au bien-être de l’humanité . Il s’agit là d’un scientisme peu soucieux de problèmes ontologiques et fonctionnant en vase clos. Un des grands problèmes du contrat social à base de normativité économique reste donc de restaurer la primauté des valeurs éthiques sur la logique financière plutôt mécaniste du marché.

II/ LA NORMATIVITE ECONOMIQUE COMME RENOUVELLEMENT DES ENJEUX DEMOCRATIQUES :

1/ Les conditions institutionnelles d’un rééquilibrage des pouvoirs:

Un des grands dangers des rapports qu’entretiennent chiffres et lettres en matière de Gouvernement est bien entendu l’esprit de système qui consiste à mettre de façon dogmatique une doctrine économique sous forme de droit positif. Les libéraux mettent leur doctrine sous la forme d’un droit positif fortement libéral. Ainsi, la langue juridique du marché doit être, pour les plus orthodoxes (dans la filiation d’un B. Constant ou d’un G. Molinari), d’un minimalisme vertigineux . Le droit de la concurrence ne fait en réalité qu’encadrer le marché et laisse ensuite à l’offre et la demande le soin de régler les comportements des investisseurs et des consommateurs. Les marchés réglementés sont en réalité à peine différents. Le marché boursier est très précis quant aux procédures, mais laisse ensuite les investisseurs œuvrer librement pour la détermination de la valeur de chaque instrument financier. La langue juridique du marché est une langue financière. En son sein sont hiérarchisés valeurs, comportements d’entreprise et si possible politique d’Etat, autour de l’idée centrale qu’une activité économique doit être avant tout bénéficiaire pour celui qui détient le pouvoir financier. Et cela comme était hiérarchisé avant 1986 au sein de la langue du droit public économique de l’Etat français les valeurs et les comportements autour de certaines valeurs comme l’intérêt général . Les pays communistes mettaient également leur doctrine économique sous forme de droit positif par la planification. L’intervention de l’Etat pour avoir la maîtrise de l’économie aboutissait dans ce cas à une volonté de juridiciser l’ensemble des activités économiques. Le problème de cette entreprise de domination de l’économie par l’Etat est qu’elle s’est avérée extrêmement liberticide et incohérente . En effet, pour que le droit dirige réellement l’économie dans les faits, les pays communistes en étaient venus à terme à mettre en œuvre un système total : Politique, économique, social, historique, philosophique et juridique. La planification de type soviétique relevait en ce sens de l’esprit de système porté à un point d’absurdité pour l’instant inégalé .

Les démocraties représentatives des Etats ont par la séparation des pouvoirs développé une faculté de gouverner au nom de l’intérêt général en offrant des garanties contre l’excès de pouvoir. Or, on remarquera que la démocratie également représentative du marché ne connaît pas de mécanismes assurant une garantie contre ses excès. Il est de ce point de vue assez piquant de noter qu’à notre époque fort soucieuse de développer toutes les voies de recours possibles pour donner droit à un procès équitable afin d’éviter toutes sortes d’abus du pouvoir d’Etat, il n’existe aucun véritable recours juridique contre la sentence du marché qui peut faire s’effondrer les monnaies, délocaliser les industries, licencier des milliers de salariés ou sonner le glas d’un standard technologique. En ce sens, aucune structure ne permet aujourd’hui la construction d’une économie de droit comme il s’est construit un Etat de droit grâce à la séparation des pouvoirs. Et l’on perçoit bien sûr au-delà du problème de structures institutionnelles qui empêche le débat et la formation d’un jugement éclairé, la faiblesse endémique de l’appareil éthique de la démocratie de marché. Trouvant sa légitimité par le consommateur et les profits de l’élite économique, elle concentre le pouvoir aux mains des financiers et exige du pouvoir d’Etat la liberté de tout soumettre à la loi de l’offre et de la demande. Ce mouvement de libéralisation économique à l’échelle planétaire a, à notre sens, opéré dans les faits un transfert de compétence suffisamment important pour qu’il soit nécessaire de redonner une nouvelle structure institutionnelle offrant une possibilité de contrôle de l’excès de pouvoir.

L’économie de droit est ainsi à bâtir comme l’État de droit s’est construit à partir de la fin du XIX° siècle. Pour l’heure, la normativité économique ne répond qu’à une logique de profit ultra-libérale qui donne un prix mondial pour la production de biens et de services par le jeu de la concurrence et subordonne de plus en plus les droits étatiques et le comportement des acteurs économiques à un système normatif financier . En ce sens, la théorie politique du droit dont l’objectif essentiel a été de légitimer les décisions des hommes politiques ne suffit plus. Il faut maintenant au moins dégager les termes d’une théorie politico-économique du droit. Les enjeux sont de taille en matière de contre-pouvoirs. En effet, la normativité économique a généré une hiérarchisation économique du monde qui nous semble déconnectée de tout devoir de droit et de conscience.

Les deux grandes voies exploratoires pour l’élaboration d’une nouvelle théorie nous semble être les suivantes : Soit la voie du développement sur les bases juridiques existantes d’un droit international qui distinguera plus clairement et rééquilibrera les relations entre États et puissances économiques. Soit la voie de l’acceptation de cet ordre mondial libéral financièrement hiérarchisé au sein duquel devront être conquises ou reconquises toutes les avancées sociales, les droits de l’homme, le droit de l’environnement, etc. La seconde version du scénario nous semble la plus probable bien qu’étant architecturalement la plus novatrice pour les juristes.

On remarquera enfin la déficience des conditions institutionnelles de la mise en oeuvre du débat démocratique. Il est clair en effet que ce débat repose déjà depuis quelques décennies beaucoup plus sur la compétition intellectuelle des élites relayée par les médias que sur le débat démocratique organisé au sein de la structure institutionnelle classique de l’État démocratique . Le débat des enjeux les plus importants quitte progressivement l’hémicycle parlementaire, du moins son manque d’acuité prouve qu’il est bien de seconde main. L’élite intellectuelle en matière politique se recoupe ainsi de moins en moins avec la classe politique qui vote la loi. Cela est bien sûr problématique en démocratie. Il peut y être vu un signe d’inféodation à d’autres pouvoirs. Sans tomber dans les théories un peu simplistes du complot international de la haute finance, on pourra au moins s’interroger sur l’indépendance d’esprit des élites vis-à-vis des puissances économiques qui ordonnent le monde à leur façon. Certains exemples comme celui de l’exception culturelle – alors que les États-Unis sont en réalité l’exception en la matière – nous montrent à quel point le sujet est sensible. Le marché est le législateur et le débat démocratique sur cette normativité économique du champs culturel ne repose pas encore sur des fondements éthiques assurés. Quant au mode institutionnel de l’organisation et de la diffusion de ce même débat, il peut sembler parfois sujet à caution quant à son intégrité.

Ce débat émerge pourtant, mais il en reste au stade de la joute politique et quand bien même une opinion dominante se dégage au sein de la classe politique et de l’opinion publique, il arrive souvent qu’elle reste lettre morte, qu’elle ne soit pas traduite sous forme de droit positif. Ce qui est un comble en démocratie.

2/ La juridicisation d’une nouvelle légitimité démocratique:

Il est intéressant maintenant de s’interroger sur la manière dont s’élaborent et entrent en vigueur les « règles » produite par la normativité économique. On remarquera en premier lieu que le processus est fort différent du droit positif. Le mode de formation et d’édiction de la règle écrite de droit étatique n’est pas, aussi bien théoriquement que techniquement, transposable à la règle économique quand bien même les deux ordres sont en interaction permanente. La normativité économique qui s’exprime comme nous l’avons dit par le biais du marché exprime ses normes de la façon suivante : Le marché par le truchement de l’offre et de la demande établit pour chaque produit le standard technologique et le prix auquel il doit être produit. Ainsi, le comportement des entreprises, des consommateurs comme des investisseurs est très largement déterminé par ces standards technologiques, financiers et publicitaires émergents dans un environnement concurrentiel. Et la coercition exercée par ces standards est par certains aspects beaucoup plus contraignante que celle des normes établies par le droit positif. En effet, dans une économie libérale, la concurrence implique pour les entreprises de découvrir ou de s’adapter rapidement à de nouveaux standards sous peine de disparaître . Pour l’investisseur, le choix de l’entreprise dans laquelle investir est tout aussi important sous peine d’enregistrer de lourdes pertes. Quant aux consommateurs, leurs actes d’achat font ces standards technologiques et financiers. Mais faire le standard, c’est aussi le subir lorsqu’il change un peu trop souvent. La majorité des consommateurs ayant tendance à plébisciter l’innovation, on constate que le feu roulant de la croyance consumériste fait son œuvre: le consommateur achète à nouveau. C’est à n’en pas douter dans cet acte d’achat du consommateur que réside tout l’édifice de la nouvelle architecture normative de type économique ainsi que sa légitimité démocratique.

La normativité économique adopte d’une certaine manière le processus coutumier de formation des normes. En dehors du droit positif, si ce n’est le cadre très large des accords OMC et du droit de la concurrence, la norme se forme par la conjonction de l’accord des entreprises, des consommateurs et des investisseurs qui, par le biais du marché, établissent ce qu’est la norme mondiale pour un produit ou un service . Il y a dans ce processus une économicisation, une financiarisation du droit et de la même façon une juridicisation de l’économie. On remarquera que cette normativité économique a de surcroît cette faculté de donner à la démocratie une souveraineté et une rapidité de révision de ses normes que le droit Etatique des démocraties classiques n’avait jusqu’à présent jamais accordé à un peuple souverain. Une objection peut pourtant apparaître en remontant l’échelle de causalité. On pourra en effet faire remarquer que nombre de règlements, notamment en droit européen, sont à caractère technique et qu’ils ordonnent l’économie autour de leurs exigences. Mais il nous semble que ce raisonnement fait erreur quant à la réalité de la source normative des comportements. En effet, ces règlements techniques de toutes sortes ne font que prendre acte des avancées technologiques de l’industrie. La réplique nous dira alors que ces règlements fixent parfois aux industriels des objectifs techniques à atteindre dans un délai déterminé , instituant ainsi une sorte de rapport dialectique entre droit, économie et industrie. Cela sonne juste, mais il nous semble cependant que la force créatrice de la norme et sa substance même relèvent plutôt de l’œuvre industrielle et financière que de l’œuvre législative européenne ou nord américaine. A contrario, on remarquera aussi un aspect obscurantiste du phénomène. Il arrive en effet comme dans l’industrie pharmaceutique que certaines découvertes ne soient pas commercialement exploitées où que certains domaines restent inexplorés parce que jugés commercialement sans part de marché importante et par conséquent financièrement peu rentables.

Il faut dès lors à ce stade de notre réflexion distinguer droit économique et normativité économique. Le droit économique est à n’en pas douter un droit positif étatique d’inspiration fortement libérale instituant un marché mondial. Les libertés les plus importantes politiquement mises en œuvre par le droit économique sont au niveau européen la liberté de circulation des personnes , des marchandises , des services et des capitaux . Au niveau mondial, ces libertés économiques sont mises en œuvre par les principes fondamentaux de l’OMC qui sont pour l’essentiel la clause de la nation la plus favorisée , la clause du traitement national et l’interdiction des restrictions quantitatives .

La normativité économique, quant à elle, est née de ces libertés accordées et détermine de façon autonome, parce que mondialisée, et de façon aussi contraignante que peut le faire un droit positif, des standards techniques et financiers pour la production de produits manufacturés ou de services. Le prix est dorénavant mondial pour les produits ou services. La où le « coup d’Etat » réussit, c’est lorsque les Etats arraisonnés par le marché international reprennent sous forme de droit positif les standards techniques et financiers déterminés par la normativité économique, et cela quels que soient leurs coûts sociaux, environnementaux ou économiques.

Un sérieux problème demeure cependant à appréhender cette démocratie nouvelle en tant que telle. En effet, si l’on considère que le vote du citoyen des démocraties représentatives étatiques à pour pendant l’acte d’achat du consommateur de la démocratie directe et mondialisée, il n’en reste pas moins que les bases électorales et consuméristes n’ont pas la même surface. De la sorte, si la démocratie des États tend à s’imposer jusque dans les faits comme modèle de référence dans toutes les régions du globe, il n’en est pas de même pour la démocratie de marché. Elle est aussi une référence, mais a le plus grand mal dans les faits à élargir sa base de consommateurs-électeurs. Et cela assez paradoxalement d’ailleurs, puisqu’il importe plus à l’homo sapiens de consommer que de voter. Acheter et capitaliser est le grand rêve du moment, mais l’accession du citoyen votant à la démocratie de marché est problématique. En effet, il apparaît très clairement en fait que si le suffrage est généralement universel dans les démocraties étatiques classiques, il n’en va pas de même en démocratie de marché. Celle-ci est très fortement « censitaire » si l’on peut l’exprimer ainsi. Ainsi, le jeu économique et financier libéral semble connaître là un sérieux problème de redistribution des richesses. Cela limite à la fois fortement au niveau mondial le nombre de consommateurs tout en réduisant également le nombre de possédants qui décident des orientations que doit prendre cette démocratie de marché. Or, acheter, selon notre réflexion, c’est en quelque sorte « voter » pour des standards économiques et financiers qui finissent par s’imposer avec la force contraignante d’une règle de droit. Quant à investir, dans tel ou tel secteur industriel, c’est d’une certaine manière gouverner. La concentration des pouvoirs par le jeu de l’économie libérale tend à réduire considérablement sa base électorale au niveau mondial. La démocratie se heurte là au gouvernement par les chiffres. Les rapports entre sens et norme basés sur les données chiffrées de la finance impliquent toutes sortes de blocage à l’aune de l’esprit démocratique. Et le blocage majeur est bien sûr d’ordre idéologique. Le critère prépondérant de gouvernement des démocraties de marché étant la rentabilité financière, celles-ci deviennent assez logiquement totalitaires. Toutes les activités de la vie en société sont envisagées selon le critère économique et financier qu’elles doivent satisfaire sous peine de perdre leur légitimité et à terme de disparaître. On retrouve d’une certaine façon par la finance un système total tel que l’union soviétique l’avait institué par le droit.

Le remède à cette dérive par les chiffres se trouve bien sûr dans les mots. Seuls des concepts de philosophie politique fondés sur des mots pourront redonner un rapport moins univoque entre sens et norme. Le champ des possibles se trouvant à nouveau élargi, la démocratie de marché redeviendra à nouveau gouvernable. De là l’idée d’une approche épistémologique qui développerait en matière économique une sorte de droit du droit. Le champs et la teneur même de cette étude restent à définir . Sur le fonds, il s’agira toujours de problématiques à base de droits et devoirs et d’interrogations sur la liberté d’autrui qui est aussi mon égal. Il est cependant d’ores et déjà possible de deviner qu’elle sera une des principales clefs de voûte de cette architecture juridique nouvelle. Il suffit pour cela de remonter à la source pour découvrir que cette clef de voûte sera bien sûr la langue. Si l’on veut éviter la mise en coupe réglée par l’économique du pluralisme culturel, il faudra veiller à ce que chaque langue encore vivante développe l’originalité de sa langue juridique et subordonne à son empire le savetier et le financier.

Les enjeux sont donc assez bien mis en valeur: rétablir un rapport clair entre sens et norme, démocratiser cette démocratie de marché, mettre en œuvre des contre-pouvoirs et corriger le problème de la redistribution mondiale des richesses. Il s’agit là sûrement de réécrire une langue normative universelle comme remède à cette écrasante et totalitaire souveraineté de la haute finance. A moins que cette langue nouvelle n’en soit plus définitivement l’allier, quelques peuplades fort minoritaires de consommateurs occidentaux en ayant décidé ainsi.

Il reste que les Etats-nations occidentaux ne peuvent plus continuer à prôner un universalisme des droits de l’homme et dans le même temps laisser le pouvoir économique redéfinir un contrat social mondialisé sur des bases aussi profondément inégalitaires et iniques. Les raisons de croire à une reprise en main politique au plus haut niveau sont pour l’instant assez minces. Il convient donc de se réjouir d’être en occident. Ici, le cauchemar est climatisé…

Le 20 janvier 2002.

Christophe LEROY

Maître de conférences en droit public

A l’Université paris XII Saint-Maur.

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Pythagore: Les éléments ultimes du chiffre sont d’une part le peiras (la limite) et d’autre part l’apeiron (l’illimité), mais le déterminant est finalement le peiras, c’est lui qui fait que le chiffre est chiffre et que le chiffre donne la clef de l’univers.

Le décret fixe un tarif, il subordonne le chiffre, lorsqu’il s’en remet à liberté de l’offre et de la demande du marché du tarif il affecte gravement le pouvoir de l’auteur du décret. Lorsque la norme de droit positif s’en remet au chiffre pour faire la norme, elle perd de son pouvoir normatif et enlève par voie de conséquence à l’auteur de l’acte une partie de son pouvoir. Les valeurs morales qui sous-tendent le système ne peuvent dès lors qu’être plus difficilement gérées par la règle de droit positif. Il convient donc de reconnaître que la normativité économique est bien née des libertés économique internationales qu’a accordé le droit positif des Etats.

Carl Schmitt, « Théorie de la constitution », Coll. Léviathan, Puf 1993.

Les krachs financiers qui se sont enchaînés en asie: Corée du sud, Thaïlande, Indonésie, etc… La question est effectivement de savoir quelle langue juridique parleront les Etats si nous sommes un jour confronté à une crise monétaire internationale généralisée.

Hume (1711 – 1776) : Traité de la nature humaine (1740), Du contrat originel (1748), Enquête sur les principes de la morale (1751), De l’origine du gouvernement (1774).

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Selon la célèbre phrase de Henri Lacordaire: «  Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit  ». Extrait de la quarante cinquième conférence de notre dame.

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Comme par exemple dans le cadre du commerce équitable.

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Alain (Emile Auguste Chartier), « Propos sur la religion », PUF, Ed. 1969, Chapitre LXXIV, le nouveau Dieu. Alain nous démontre dans ce chapitre que la société même est le nouveau Dieu.

Pour beaucoup, Claude Debussy est une part de marché et Claude Monet un bon placement

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Le point de rupture entre ordre ancien et nouveau en matière de droit public économique nous semble être constitué par l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence.

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On pense par exemple aux normes anti-pollution.

Articles 39 et 40 du traité instituant la communauté européenne.

Articles 23 et 24 du traité instituant la communauté européenne.

Articles 49 et 50 du traité instituant la communauté européenne.

Articles 56 et 57 du traité instituant la communauté européenne.

Article 1 de l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce GATT de 1947 repris par l’accord de 1994.

Article 3 de l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce GATT de 1947 repris par l’accord de 1994.

Article 11 de l’accord sur les tarifs douaniers et le commerce GATT de 1947 repris par l’accord de 1994.

« La difficile naissance du droit de demain » Mireille Delmas-Marty, Le Monde, vendredi 16 novembre 2001, p.16.

Libre échange et droit de la concurrence

By Droit public économique

La libre concurrence mondialisée : Essai sur les rapports entre le droit du libre échange et le droit de la concurrence.

« L’influence n’a jamais d’effet néfaste que sur les esprits susceptibles d’être domestiqués, ou pour mieux dire, qui prennent le mot influence dans le sens d’imitation »1.

Claude Debussy.

    L’étude de la signification profonde que peut avoir un droit ne peut se réduire à sa mécanique juridique positiviste quand bien même on replacerait celle-ci dans une perspective historique. Le droit public de la concurrence comme le droit du libre échange méritent d’être régulièrement resitués dans les enjeux de pouvoirs économiques et normatifs qui influent sur  leur qualité même de droit censé imposer un maillage juridique bien précis aux réalités économiques. Ces vingt dernières années ont vu l’OMC et l’Union européenne, conformément à leurs objectifs clairement définis, abaisser les droits de douane à un niveau encore jamais atteint. Or, la faiblesse de ces taxes aux frontières a développé le libre échange mondial dans des proportions et selon des termes qui n’avaient vraisemblablement pas été envisagés par les rédacteurs de nos textes sur le droit de la concurrence. Les dernières évolutions du droit du libre-échange nous semblent ainsi donner un sens nouveau au droit de la concurrence.

    L’objet de cette étude est de tenter de mettre en évidence les importantes différences qu’il y a entre droit de la concurrence et droit du libre échange quant aux objectifs politiques qui leurs sont assignés et quant aux moyens juridiques de leur mise en oeuvre. La thèse soutenue consistera principalement à démontrer que la liberté économique et financière mondialisée aura avant tout été employée contre la règle censée normalement organiser cette même liberté. C’est par ce biais que nous tenterons de démontrer en quoi le libre échange peut être perçu comme l’instrument de déstructuration du droit classique de l’encadrement juridique de l’économie au profit d’une normativité économique des comportements23 qui nous semble devoir appeler à terme la construction d’une économie de droit.

I/ Les divergences quant aux objectifs politiques et aux structures juridiques des droits du libre-échange et de la concurrence

A/ Les différences quant aux objectifs politiques

    Le droit de la concurrence et le droit du libre échange n’ont pas les mêmes objectifs. Si le coeur du droit de la concurrence est bien l’égalité appliquée au libéralisme économique afin de maintenir une sorte d’équilibre dans la compétition entre les différents acteurs économiques4, le libre-échange a pour objectif premier le développement des échanges économiques mondiaux quel que soient -sauf circonstances exceptionnelles- les incidences qu’il peut avoir sur le droit et l’économie interne d’un Etat ou d’une union douanière5. Le point commun du droit de la concurrence et du libre échange est bien sur la compétition économique. C’est ainsi que les prix dans une économie libérale se forment selon l’offre et de la demande et sont déterminés par le libre jeu de la concurrence6. De façon plus précise et toute doctrinale, le marché pourrait être défini dans son acception actuelle comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande qui prétend manifester de façon impartiale la volonté de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix7.

    Ces deux droits considèrent comme légal le préjudice économique que peut causer une entreprise à une concurrente en lui prenant des parts de marché. Les esprits politiques et habilement réducteurs jouent d’ailleurs de cette ressemblance pour imposer le libre-échange. Le ballon n’est-il pas rond pour tout le monde? Voilà l’argument des jeux de balle qui met en valeur une sorte d’égalité dans la compétition que l’on soit sous l’empire du droit de la concurrence, du libre échange ou des deux. Cette réduction de la compétition au jeu n’est pas nouvelle. Pascal dans ses Pensées ne nous disait-il pas déjà que: Les hommes s’occupent à suivre une balle et un lièvre: c’est le plaisir même des rois8. Le droit de la concurrence et le droit du libre échange sont pourtant profondément divergents. 

    Leur divergence se révèle essentiellement à la lecture des objectifs politiques assignés à ces deux droits de la compétition économique. Dans le cas du droit de la concurrence, l’Etat va chercher à éviter les ententes, certaines concentrations et les abus de positions dominantes pour défendre les intérêts des consommateurs. En ce sens, le droit de la concurrence nous semble sous tendu par l’idée d’intérêt général. Il s’agit là en quelque sorte de maintenir un équilibre dans la compétition. Ainsi, une sorte de principe d’égalité gouverne ce droit dont la finalité est de favoriser la concurrence qui doit in fine s’exercer au bénéfice des consommateurs. Il faut savoir que pendant longtemps, la conception étatique du droit de la concurrence était accompagnée par l’idée de protection des entreprises vis-à-vis des concurrents de pays tiers. Mais cette protection n’était pas non plus systématique, la logique de ce droit de la concurrence était la recherche d’un équilibre économique optimal consistant à favoriser la compétition pour qu’il y ait innovation et prix relativement bas. La limite à cette logique d’action du droit de la concurrence sur l’économie était également prévue lorsque la concurrence trop vive devenait destructrice du tissu économique. Dans ce cas, un soutien aux entreprises en difficulté était mis en oeuvre à fin de préserver les emplois censés développer le nombre de consommateurs à pouvoir d’achat capable d’assurer une bonne croissance économique. L’intérêt général peut ainsi nous apparaître comme le régulateur du droit de la concurrence. Se tenant à l’écart d’une application systématique et mécaniste d’un droit de la concurrence qui peut être destructeur pour le tissu économique, l’intérêt général nous apparaît alors comme la possibilité pour le politique, pour la démocratie, de reprendre la main et de gouverner en lieu et place du marché et de ses mécanismes défaillants. Si cela n’est désormais plus possible au niveau du droit interne du fait de la supériorité du droit européen et si les instances européennes ont dans un premier temps utilisé le droit de la concurrence de manière quelque peu systématique pour imposer un marché unique et homogène, on notera une très nette inflexion de cette vision du droit de la concurrence à la lecture de deux arrêts de la CJCE du 5 octobre 1995 Centro Servizi Spediporto (C-96/94) et du 1 octobre 1998 Autotrasporti Librandi (C38/97) qui considèrent que lorsqu’un secteur économique se trouve en difficulté, il est possible d’instaurer un tarif minimum obligatoire pour défendre l’intérêt général d’un secteur économique où les mécanismes du marché sont défaillants9. L’intérêt général nous apparaît alors comme une norme de mesure, de contrôle et de raison10. L’intérêt général se représente dès lors comme l’intelligence du droit public de l’économie, comme l’intelligence même du libéralisme recherchant l’équilibre économique optimisé, insufflant dans l’esprit des textes le respect de l’égalité des chances1112 et du principe de sécurité juridique qui nous semble essentiel à l’édifice juridique du libéralisme13.

    Venons-en maintenant au libre échange qui relève d’une autre logique. Le Libre -échange mis en oeuvre par l’OMC a également pour finalité de favoriser la compétition économique comme le droit de la concurrence, mais il place dans sa hiérarchie normative la libre circulation des marchandises entre les différents Etats membres comme objectif premier. Il ne se soucie guerre de l’égalité ou de l’équilibre que cherche à maintenir le droit de la concurrence. On notera d’ailleurs qu’il n’existe pas de droit mondial de la concurrence. La reconnaissance des interactions entre le commerce international et la politique de concurrence date pourtant de 192714, c’est à dire vingt ans avant la négociation du GATT. Elle a été réaffirmée dans le chapitre V la Charte de La Havane du 22 mars 1948 qui prévoyait même l’édiction de règles internationales de concurrence. A la suite de l’échec de cette charte, le GATT n’a jamais créé de normes de concurrence, ni l’OMC15. La logique du droit de l’OMC est donc la recherche avant tout autre considération d’un abaissement général et progressif des droits de douanes aux fins de développer le commerce mondial16. Le droit économique de l’OMC peut ainsi être perçu comme le droit du libéralisme ayant pour dessein d’abolir toutes les mesures protectionnistes qui entravent le commerce international. Instrument politique des Etats-Unis et de l’Europe du temps de la guerre froide, utilisé pour coordonner les stratégies libérales pour mieux lutter contre l’URSS et ses pays satellites, le GATT devenu OMC a pu avec l’effondrement des régimes communistes étendre ses pratiques économiques à presque tout l’ensemble de la planète17. Dès lors, sa stratégie du libre-échange pouvait uniformiser le droit économique de la plupart des pays. A bien lire le droit de l’OMC et à bien observer sa pratique depuis une quinzaine d’années, rien n’est très satisfaisant lorsque l’on compare les idées politiques qu’elle revendique comme étant ses références et l’évolution des pratiques financières, industrielles et commerciales entre les différents pays membres. Le jugement global porté sur l’OMC peut être ainsi très différent en fonction de l’éclairage politique que l’on donne à son droit et à sa pratique. L’arsenal juridique de l’OMC a pour ambition politique d’abaisser les barrières protectionnistes entre les différents pays en se basant sur la théorie des avantages comparatifs. Ainsi, chaque pays développant ses spécialités économiques devrait bénéficier d’un marché mondial pour ses débouchés tout en profitant des meilleurs prix et de la technologie la plus avancée pour les importations nécessaires à son développement économique. En ce sens l’OMC serait en quelque sorte le défenseur de l’intérêt général économique mondialisé. Or, si ce point d’équilibre à pu être atteint à un moment donné du développement des relations commerciales entre les différents pays du monde, il nous semble que des logiques de pouvoirs ont fortement déstabilisé ce développement économique harmonieux tel qu’il était encore prôné par l’OMC au début de la décennie. Mais Il conviendra là aussi, puisque tout est «design», de faire la part de ce qu’à pu être l’angélisme de marketing qui voyait dans la mondialisation «la fin de l’Histoire» de ce que cette même mondialisation a pu réellement apporter pour le développement économique et la paix dans le monde. 

    Si l’Europe a pu donner une nouvelle dimension à la concurrence, aux concentrations d’entreprises en assurant un cadre juridique à l’économie, la mondialisation a continué sur cette dynamique sans pour autant avoir préalablement prévu un encadrement juridique précis des échanges mondiaux. Or, nous avons affaire pour l’Europe comme pour la mondialisation à une même technique d’encadrement juridique du droit international qui est le Traité. Mais leurs objectifs politiques respectifs comme leurs moyens juridiques  sont fort différents.

    En ce qui concerne les Etats membres comme les instances européennes, ont-ils considéré la construction européenne comme un enjeu dont la perspective est à terme la mise en place d’un Etat fédéral? En ce sens, les transferts de compétences accordés à l’Europe par ses Etats membres tendent à lui accorder une compétence universelle basée sur une construction juridique hiérarchico-pyramidale fondée sur la doctrine de l’Etat de droit. C’est ainsi que les Etats membres ont cherché depuis l’origine à construire un Etat fédéral construit à leur image. Certes, la clef économique a largement été employée pour construire l’Europe, au détriment peut être de la recherche d’une identité culturelle ou religieuse, mais le droit a toujours été l’armature de la construction économique. Tel n’est pas exactement le cas du Traité de l’OMC. Ce dernier n’ayant pas d’ambition étatique (quoique les théoriciens du complot vous dirons qu’il n’est qu’un acte dérivé de la constitution américaine…), il a essentiellement mis en oeuvre un droit laissant une place prédominante à la liberté de négociation, le droit étant considéré comme ne devant pas entraver la liberté des intervenants. La contractualisation de la relation fondée sur une économie de marché prévalant sur un libéralisme d’Etat fondé, lui, sur un marché réglementé censé satisfaire l’intérêt général impliquait de profondes divergences de perspectives. A cette différence de nature s’ajoutait la spécialisation de l’OMC dans le seul domaine économique que l’on peut opposer à la compétence quasi universelle du législateur européen. Là aussi, défendre l’initiative privée contre toute tentative de réglementation n’est pas la même logique que celle consistant à défendre l’intérêt général. La liberté prenant le pas sur la règle, l’OMC nous apparaît maintenant comme un espace de liberté économique et financier où se développe une normativité économique des comportements. La hiérarchie des normes n’est plus celle que Kelsen développait fort judicieusement pour nous décrire le fonctionnement du droit d’Etat, mais une hiérarchisation économique et financière  des entreprises et des Etats dans un même classement. Il aurait même pu être envisagé un droit constitutionnel des sociétés multinationales… Aussi choquant qu’elle puisse paraître, cette hiérarchisation du monde relève d’une incontestable réalité factuelle. Ainsi, la Conférence ministérielle qui est l’organe suprême de décision de l’OMC a beau juridiquement disposer qu’à chaque Etat membre correspond un seul et même droit de vote, la réalité du pouvoir résultant de la pratique des négociations internationales révèle un pouvoir qui tente de s’exercer presqu’en dehors de tout droit public d’encadrement du marché. La liberté de fixation du prix et du standard technique accordée au pouvoir financier par le biais du marché est une limitation du pouvoir d’Etat en tant que gardien d’un choix de civilisation. Mais dans le même temps, ces critiques doivent être fortement tempérées par la légitimité que cette normativité économique trouve dans la démocratie de marché. Chaque consommateur exercerait ainsi par son acte d’achat comme un droit de vote légitimant la mondialisation18. Il reste que les raisons de cette division et de cette spécialisation internationale du travail permises par les accords OMC auxquels les Etats ont librement consenti sont bien connues: réduction du coût du travail, recherche d’économie d’échelle, avantages donnés par les Etats aux investissements, avantages fiscaux. Cette vision purement financière de la liberté pourrait même apparaître comme liberticide pour les industriels en ce sens que la mondialisation aurait confirmé les position acquises des grandes firmes qui, en mondialisant leur marché ou en le cartellisant auraient limité l’accès au marché pour les nouveaux entrants. La mondialisation ne serait alors, comme le dénonce de manière quelque peu excessive les altermondialistes ou autres démondialisateurs, qu’un commerce intra-firme ne correspondant en aucune façon aux objectifs de développement et de progrès économiques pourtant inscrits dans les Traités européens ou les accords OMC. Aussi étranges que puissent paraître ces divergences entre droit de la concurrence et libre-échange pour le juriste occidental formé dans le respect de l’Etat de droit et dans la recherche de la sécurité juridique, on soulignera une nouvelle fois avec force la légitimité que le commerce mondial a trouvé auprès des consommateurs, légitimité également puisée en des termes quelque peu différents auprès d’une très très forte majorité de la classe dirigeante des Etats du monde entier.

B/ Les différentes conceptions institutionnelles de ces divergences politiques:

    Pour bien comprendre la situation institutionnelle et la cohérence générale de la structure juridique du droit économique contemporain, il faut se référer aux conceptions que les politiques se faisaient de l’Etat dans ses rapports avec l’économie avec l’étude des moyens mis en oeuvre avant que la construction européenne et le multilatéralisme du GATT, puis de l’OMC ne viennent limiter – certes de façon consentie par ces même politiques – lesdits moyens d’intervention. 

    Construite autour de l’idée de souveraineté, la politique de l’Etat était considéré comme ayant la maîtrise en dernier ressort des problèmes économiques relevant de sa compétence territoriale. Toute emprunte de Colbertisme, cette politique  était à la fois interventionniste, au sens où la puissance publique se sentait responsable de la définition et de la mise en oeuvre de la politique industrielle du pays et en même temps assez protectionniste au sens où il s’agissait de protéger les industriels nationaux19. L’Etat souverain s’était donc doté des moyens juridiques indispensables à la mise en oeuvre d’une politique économique censée défendre les intérêts de la nation20.  Parmi ces moyens, l’on pouvait dénombrer selon un inventaire à la Prévert:

– L’obligation de s’exprimer dans la langue officielle qui est le français dans les contrats ainsi que dans les documents techniques et commerciaux.

– Le monopole du privilège de battre monnaie permettant de mener une politique monétaire autonome21;

– Une protection constitutionnelle du droit de propriété. 

– Une protection constitutionnelle de la liberté d’entreprendre et un encadrement législatif de la liberté du commerce et de l’industrie.

– Un droit des relations financières avec l’étranger permettant de contrôler les flux financiers pouvant défavoriser l’économie nationale2223;

– L’établissement d’un tarif douanier permettant de pratiquer une protection ciblée de l’économie ainsi qu’une stricte application du droit du contrôle douanier24;

– L’organisation et le fonctionnement des marchés financiers par le biais d’un service public sous monopole d’Etat25.

– La soumission à autorisation pour les investissements directs internationaux2627;

– L’instauration d’une action spécifique pour préserver l’intérêt national dans les secteurs économiques stratégiques28.

– Un régime d’autorisation pour les transferts de technologies venant en complément de la protection qu’offrent les brevets.

– Le droit de nationaliser des entreprises et de leur accorder des droits exclusifs29.

– La préférence nationale pour l’achat de matériels ou de services par la commande publique30.

– L’institution de la compensation entre importateur et exportateur par le biais des offices publics de compensation31.

– Des aides accordées aux entreprises en difficulté ou développant un projet industriel d’intérêt national32.

– Des régimes fiscaux incitatifs pour favoriser le tissu économiques national.

– Une politique industrielle qui visait à garantir l’indépendance nationale dans tous les secteurs économiquement stratégiques.

– Une politique de planification économique33.

– Un droit de la concurrence pouvant encadrer la liberté des prix.

    On notera que de tous ces moyens juridiques, pratiquement aucun n’avait acquis valeur constitutionnelle exceptés la monnaie, la langue française, les nationalisations et bien sûr la fiscalité. En ce qui concerne la monnaie, le Conseil Constitutionnel avait dans sa décision n°1992-308 DC du 9 avril 1992 décidé que l’institution de la monnaie unique imposait une révision de la Constitution. Pour la langue française, celle-ci a acquis valeur constitutionnelle par la loi constitutionnelle du 15 juin 1992 qui pose le principe que « la langue de la République est le français ». Mais la décision du Conseil constitutionnel n° 94-345 DC du 29 juillet 1994 a fortement limité les ambitions de la loi du 4 août 1994 qui avait été prise en application de l’article 2 de la Constitution. Pour les nationalisations, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 198934 et l’alinéa 9 de la Déclaration de 1946 permettent à l’Etat de procéder à des nationalisations. Ces dispositions restent cependant limitées quant à leur intérêt par la soumission des personnes publiques au droit de la concurrence selon les dispositions de l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne35. Enfin, en ce qui concerne les aides par le biais de la fiscalité, si celle-ci trouve une protection constitutionnelle à l’article 14 de la DDHC (La levée de l’impôt doit faire l’objet d’une loi préalablement votée par le Parlement), protection réaffirmée par l’article 34 de la Constitution 1958 qui attribue au Parlement une compétence générale en matière fiscale, il faut reconnaître que les aides fiscales ne  manquent généralement pas de tomber sous le coup des articles 107 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne3637.

    Cette liste à la Prévert n’est pas exhaustive et si les moyens d’action nous apparaissent comme hétéroclites, ils permettaient de manoeuvrer l’économie comme, selon Jean baptiste Colbert, un navire peut être à la manoeuvre. Ces moyens juridiques préalablement évoqués ont été supprimés avec l’abrogation des textes qui réglaient leur fonctionnement et permettaient au Gouvernement de déterminer et conduire la politique de la nation38. Aussi, ces éléments de droits sus évoqués pourraient-ils être considérés comme ayant valeur constitutionnelle, si ce n’est valeur supra-constitutionnelle. Si l’on considère que 2+2=4 a bien valeur supra-constitutionnelle, alors, il faut bien considérer que les dispositions permettant d’encadrer le pouvoir économique par un Etat sont bien consubstancielles à celui-ci et que ces règles ont bien valeur supra-constitutionnelle. La seule limite à ce raisonnement est qu’il est loisible à un peuple de renoncer à son identité ainsi qu’à  l’Etat qui, par ses moyens juridiques est le gardien d’une civilisation. Dès lors, s’il n’est pas possible d’accorder valeur supra-constitutionnelle à ce droit public économique, il devrait au moins avoir valeur constitutionnelle pour que le pouvoir constituant dérivé soit pleinement conscient de ses choix, le jour où il décide par révision de la constitution de renoncer à un encadrement souverain de l’économie. On remarquera que l’échec de l’Europe vient surement de son manque de volonté à se doter de ces pouvoirs juridiques nécessaires à la protection de son économie. Son incapacité à défendre le marché européen l’a rendue presque parfaitement transparente à la mondialisation par le biais des accords OMC. Faire en sorte que les règles du marché ne soient pas elles-mêmes soumises au jeu du marché est une des missions fondamentales de l’Etat de droit libéral39. L’Europe qui, il est vrai, n’est pas un Etat aurait dû au moins essayer d’éviter cet écueil. Elle est, hélas, sur ce point, en faillite. 

    Pour mieux comprendre les enjeux contemporains, il est maintenant préférable d’étudier de manière plus approfondie le maillage juridique et la teneur même du droit du libre échange et du droit de la concurrence interne et européen.

Si le droit de la concurrence n’a pas d’existence formelle dans les accords OMC, il en est un peu de même pour le droit du libre-échange dans le traité sur l’union européenne et le fonctionnement de l’Union européenne. Mais qu’entend-on au juste par droit de la concurrence et par droit du libre échange? Les droits de la concurrence internes et européen sont relativement semblables quant à l’esprit qui les anime. Hiérarchisés et par ce biais structurés autour des mêmes concepts, ils ont pour mission de lutter contre les ententes, les abus de position dominante et les concentrations. Le droit interne respecte et complète le droit européen. Leur évolution convergente les a également amenés au fil de la jurisprudence à soumettre les personnes publiques au droit de la concurrence dans leurs activités de production, de distribution et de services. Le droit de la concurrence européen apparaît ainsi comme un tout structuré et homogène pour l’ensemble des pays membres de l’Union européenne.     D’un point de vue doctrinal, le libre-échange est un système de commerce international reposant sur l’absence de barrières douanières et non douanières à la circulation des biens et des services. Au sens strict, la notion ne s’étend normalement pas aux mouvements de travailleurs ou de capitaux. Le droit du libre échange entre l’union et les Etats tiers est ainsi quelque peu implicite aux traités européens et coexiste avec le droit de la concurrence qui lui est formellement identifié et défini. Le libre-échange résulte ainsi de la combinaison de plusieurs articles. On notera principalement l’article 21 du traité sur l’Union européenne qui encourage la suppression progressive des obstacles au commerce mondial40. Vient ensuite l’article 28 qui concerne l’adoption d’un tarif douanier commun vis-à-vis des pays tiers41, ce qui relève effectivement d’une compétence exclusive de l’Union prévue à l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne42.  L’article 206 prévoit par le biais de cette union douanière la contribution de l’Union dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. Enfin, corollaire de toute entreprise de libre échange, l’article 63 de ce même traité qui prévoit que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. Pour la France, l’article L151-1 du code monétaire et financier dispose de même que les relations financières entre la France et l’étranger sont libres.

    Au niveau des accords OMC, le libre-échange ne connaît pas non plus de définition juridique explicite. Il résulte de l’ensemble des clauses qui forment les principes fondamentaux repris par la plupart des accords. Ainsi la clause de la nation la plus favorisée43, la clause du traitement national44 l’interdiction des restrictions quantitatives45 et la définition de la valeur en douane46 sont autant de mesures qui, dans la perspective de l’application continue de la clause de l’abaissement général et progressif des droits de douane abouti à créer cet effet juridique que l’on nomme le libre-échange, synthèse de toutes les clauses de l’OMC47. Toutes ces clauses seraient autant de mesures interdisant les discriminations que pourraient être tentés d’imposer les Etats par le biais de leur droit interne pour favoriser les entreprises relevant de leur nationalité. De même l’accord anti-dumping, l’accord sur les obstacles techniques au commerce ou les dispositions concernant la limitation des subventions seraient également efficaces pour lutter contre des pratiques de concurrence déloyales. Les chantres du libre-échange s’ils admettent qu’il n’existe dans les accords OMC aucun droit de la concurrence structuré comme nous en avons en droit interne ou européen, font donc remarquer qu’il existe en quelque sorte en filigrane de tous les accords OMC un droit de la concurrence implicite aux différents texte en vigueur. Ainsi, bien qu’agissant différemment du droit de la concurrence étatique ou européen, les clauses des accords OMC sus-évoquées auraient un effet semblable au droit de la concurrence classique et le complèteraient au niveau mondial. Il existerait ainsi un droit de la concurrence implicite à tous les accords OMC. Pour être précis, les effets juridiques superposés ou cumulés de tous les accords OMC correspondraient d’une certaine manière au maillage juridique plus classique des droits de la concurrence internes et européen. C’est ainsi que le libre-échange de l’OMC serait plutôt à comparer à la libre circulation des marchandises en droit européen qu’au droit de la concurrence de la même Europe. Seraient ainsi gommées les différences quant à «l’esprit des lois» animant ces deux ordres juridiques distincts participant à la grande mondialisation. Cette ressemblance entre le droit européen et le droit de l’OMC est pourtant trompeuse. En effet, bien que l’Europe soit composée d’Etats présentant encore une diversité certaine quand à leurs différents droits en vigueur, le droit européen a assez profondément harmonisé les différentes législations relatives à l’industrie et au commerce. La libre circulation des marchandises, des services, des personnes comme des capitaux opère donc sur un territoire doté d’une relative homogénéité des différentes législations ayant une incidence sur la compétitivité des entreprises. Il existe ainsi dans beaucoup d’Etats membres des textes de droit interne ou européen imposant des contraintes sociales et environnementales aux entreprises. La libre circulation et le droit de la concurrence opèrent donc dans des économies relativement homogènes en ce qui concerne les coûts imposés aux entreprises par l’ensemble de la législation. Or, tel n’est pas le cas du droit de l’OMC. Le droit et l’action de l’OMC restent cantonnés au seul domaine de la politique commerciale. Le libre-échange s’impose donc en ignorant la diversité des différences législations qui ne concernent pas directement l’économie et qui imposent cependant des coûts très importants aux entreprises. Ainsi, alors que l’espace européen tend à faire converger les législations par un processus d’harmonisation et d’unification, les Etats hors Europe comme les entreprises cherchent à accentuer ces divergences de législation qui sont une source de profit considérable.

II/ Une hiérarchisation et une convergence des normes fort complexe au regard des objectifs de défense de l’intérêt général économique européen.

A/ Les limitations et transferts de souveraineté en droit économique.

      L’étude de la mécanique juridique positiviste qui permet de rendre compatibles le droit de la concurrence et le droit du libre échange est intéressante à étudier tant sous l’optique de la hiérarchie des normes que sous l’optique de la teneur même de ces deux droits. On notera en tout premier lieu qu’ils relèvent de deux ordres juridiques différents. L’un – le droit de la concurrence- relève de l’ordre juridique interne et européen constitutionnellement intégré. L’autre, le -droit du libre échange- relève du droit conventionnel et plus précisément du Traité de l’Organisation mondiale du commerce auquel la France et l’Europe sont adhérentes.

    En ce qui concerne la hiérarchie des normes, Il faut partir des Etats souverains qui ont librement consenti leur limitation de souveraineté au profit à la fois de la construction européenne et de l’Organisation mondiale du commerce. 

    Pour la France, et sans reprendre toutes l’évolution juridique de son adhésion aux différentes Traités européens, on retiendra pour notre étude la révision constitutionnelle résultant du Traité de Maastricht et l’adoption par le congrès du Traité de Lisbonne. Ces limitations de souveraineté pour la France puisent leur constitutionnalité dans l’article 88-1 résultant de la constitution de 1958 qui dispose que: «La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du Traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007». On notera que le constituant a ainsi, selon le conseil constitutionnel, consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international48.

    En ce qui concerne maintenant l’OMC, l’adhésion de la France à ce Traité en tant que membre de l’ancien GATT remonte à la loi de ratification du 27 décembre 199449. Conformément à l’article 55 de la Constitution de 195850 et à l’alinéa 14 de la déclaration de 194651, l’Etat français ayant adhéré au traité multilatéral de l’OMC accepte donc la supériorité de ce Traité international par rapport à la loi sous réserve de réciprocité en ce qui concerne le respect des textes par les autres parties contractantes. Il y a donc une sorte de différence implicite entre le droit de la concurrence européen et le droit du libre-échange de l’OMC quant à leur stabilité. L’un, le droit de la concurrence, relève d’un ordre juridique intégré et s’impose comme un droit quasi étatique, bien qu’il faille toujours avoir à l’esprit qu’un Etat membre puisse envisager son retrait de l’Union européenne selon l’article 50 du TUE52. L’autre, le droit du libre échange, relève de l’article 55 de la constitution et se trouve donc pleinement soumis à la condition de réciprocité pour ce qui est de l’application de ce droit international économique. Mais une complication survient lorsque l’on remarque que l’adhésion au Traité multilatéral de l’OMC par la France se combine avec son adhésion cette fois-ci au Traité européen qui contient également des dispositions sur l’adhésion de l’Europe à l’OMC. Il y a donc une relation de pouvoir triangulaire. La France adhère à l’OMC, aux Traités européens et l’Europe est également membre de l’OMC. Il y a donc 28 membres européens de l’OMC, ce qui crée bien entendu un réseau de négociation commerciale fort complexe (On pourrait également ajouter les instances du G8,du G20 et le FMI, enceintes au sein desquelles ont lieu de manière incidente des négociations en rapport avec le commerce international, mais gardons un cadre pour notre étude… ) Aussi, ne nous y trompons pas, ce réseau de pouvoirs bien qu’ayant été simplifié par le Traité de Lisbonne ne met certainement pas oeuvre une instance dotée d’une autorité aussi unifiée et cohérente dans son action que ne peut le faire un Etat fédéral. Les Etats-Unis, pour leur politique commerciale extérieure, ne négocient pas préalablement avec les Etats fédérés alors que les Etats membres expriment souvent de très fortes exigences contradictoires avant que l’Europe ne puisse s’exprimer d’une seule voix. Par ailleurs, le Traité de Lisbonne vient de doter le parlement européen d’un pouvoir d’approbation en ce qui concerne les accords signés entre l’Union et les pays tiers (article 218TFUE). Ce qui peut apparaître comme un gain d’un point de vue démocratique peut également être envisagé comme une entrave pour l’efficacité des négociations internationales53. En effet, la transparence démocratique peut nuire dans le contexte de l’OMC où la règle est l’opacité en ce qui concerne les discussions de couloir et les concessions réciproques que s’accordent les Etats. Vu sous un autre angle, sous un éclairage souverainiste cette fois, cette adhésion en chaîne des Etats membres à l’OMC et de l’Europe à l’OMC implique de très fortes limitations juridiques de souveraineté pour les Etats membres. En effet, le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit à son article 3 la compétence exclusive de l’Union dans les domaines entre autres de l’Union douanière et de la politique commerciale commune54. Ainsi, si les États membres coordonnent leur position à Bruxelles et à Genève, seule la Commission européenne parle au nom de l’Union et de ses membres à presque toutes les réunions de l’OMC. Cette limitation de souveraineté pour les Etats membres se trouve d’ailleurs précisée à l’article 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui dispose que lorsque les traités attribuent à l’Union une compétence exclusive dans un domaine déterminé, seule l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union (…). Ceci étant, ces dispositions sont à considérer au regard de la révision qu’à introduite le Traité de Lisbonne en ce qui concerne la substitution au niveau européen de la règle de la majorité qualifiée à celle de l’unanimité au sein du Conseil. Comme le notait le conseil constitutionnel dans sa décision de 200755, ce changement a pour conséquence de priver ainsi la France de tout pouvoir d’opposition, soit en conférant un pouvoir de décision au Parlement européen, lequel n’est pas l’émanation de la souveraineté nationale, soit en privant la France de tout pouvoir propre d’initiative. Une révision de la constitution s’imposait donc. La loi constitutionnelle du du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution a ainsi été adoptée pour permettre la ratification du Traité de Lisbonne56. Dès lors, la souveraineté de la France comme des autres Etats européens se trouve fortement limitée et transférée au niveau européen relativement à la politique commerciale commune et l’Union douanière57.

    Ce transfert et cette limitation de souveraineté étant établis, il nous reste à mesurer le degré d’intégration de l’Europe à l’OMC. De ce point de vue, l’Etude du Traité européen, de la jurisprudence de la Cour de justice européenne et de l’Organe de règlement des différents de l’OMC ne présente pas de grandes difficultés. En ce qui concerne le Traité, l’article 3 du traité sur l’Union européenne prévoit entre autre que l’Union contribue au strict respect et au développement du droit international. De même, l’article 21 prévoit que l’action de l’Union vise à promouvoir le respect du droit international. Dans le même sens, l’article 216 du TFUE dispose que les accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres. Un élément de droit fort intéressant est l’article 2 paragraphe 2 du règlement (CE) no 3286/94 modifié par le Règlement (CE) no 125/2008 du Conseil du 12 février 200858 qui dispose à son article 2 que  les «droits de la Communauté» sont les droits commerciaux internationaux dont elle peut se prévaloir en vertu des règles commerciales internationales. Dans ce contexte, les «règles commerciales internationales» sont essentiellement celles qui sont établies par l’OMC et qui figurent dans les annexes à l’accord sur l’OMC, mais il peut aussi s’agir des règles d’un autre accord auquel la Communauté est partie et qui régit les échanges commerciaux entre la Communauté et des pays tiers ». Il s’agit là d’accord bilatéraux qui peuvent parfois être plus contraignants que les règles de l’OMC. On les appelle d’ailleurs « OMC plus ». Tout apparaîtrait donc assez simple si le contentieux ne révélait les nuances qu’il faut apporter à l’apparente sécurité juridique que semblent offrir les Traités en première lecture. Dans un arrêt de la CJUE (grande chambre) c-120/0 du 9 septembre 2008 traitant des rapports entre droit de l’OMC et droit communautaire, les requérantes invoquaient le principe pacta sunt servanda, qui figure effectivement au nombre des règles de droit dont le respect s’impose aux institutions communautaires en tant que principe fondamental de l’ordre juridique international59. Mais la Cour maintenant sa position antérieure a réaffirmé en l’espèce que le principe pacta sunt servanda ne peut être utilement opposé aux institutions défenderesses, étant donné que, selon une jurisprudence constante, les accords OMC ne figurent pas, en principe, compte tenu de leur nature et de leur économie, au nombre des normes au regard desquelles le juge communautaire contrôle la légalité de l’action des institutions communautaires6061 – On notera à ce propos dans des arrêts plus anciens concernant les accords du GATT qu’ils n’étaient pas plus utilement invocables par un Etat plaignant6263 -. Poursuivre la lecture de l’arrêt du 9 septembre 2008 nous éclaire ensuite pour mieux justifier cette position et nous apprend que si l’accord instituant l’OMC est fondé sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels, on peut remarquer que certains États tiers instaurent une certaine asymétrie des obligations. C’est ainsi, selon la Cour, que certains des partenaires commerciaux les plus importants de la Communauté ne font pas figurer les accords OMC au rang des normes au regard desquelles leurs organes juridictionnels contrôlent la légalité de leurs règles de droit interne. Un contrôle de la légalité de l’action des institutions communautaires au regard de ces normes risque donc d’aboutir à un déséquilibre dans l’application des règles de l’OMC, privant par là même les organes législatif ou exécutif de la Communauté de la marge de manœuvre dont jouissent les partenaires commerciaux de la Communauté64. Ce n’est donc que dans l’hypothèse où la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou dans l’occurrence où l’acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords OMC qu’il appartiendrait au Tribunal de contrôler la légalité du comportement des institutions au regard des règles de l’OMC65. Le droit de l’OMC, comme toute norme de droit international public sauf si le juge communautaire reconnaît l’effet direct de certaines dispositions du Traité doit donc, pour être applicable en droit interne ou communautaire subir une transposition. Ces difficultés tiennent finalement au fait que l’accord OMC ne contient aucune disposition réglant son application et ses effets dans les autres ordres juridiques. En droit interne, un arrêt du Conseil d’Etat du 9 juillet 200766 -légèrement antérieur il est vrai – ne donnait pas une solution différente en nous expliquant qu’il ressort de la jurisprudence de la CJCE, et en particulier de son arrêt C-377/02 du 1er mars 2005, Léon Van Parys NV, que l’accord OMC sur les marchés publics ne figure pas parmi les normes au regard desquelles la Cour contrôle la légalité des actes des institutions communautaires; qu’il n’en va autrement que lorsque la Communauté a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC ou lorsqu’un acte communautaire renvoie expressément à des dispositions précises des accords de cette organisation; que la seule référence par le préambule de la directive 2004/17/CE à la décision du Conseil du 22 décembre 1994 approuvant l’accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les marchés publics ne suffit pas à faire regarder cet accord comme utilement invocable à l’encontre des actes communautaires67. Une autre question d’importance est de savoir quelle est la portée des décisions de  l’Organe de règlement des différents de l’OMC en droit communautaire. D’après un panel de l’OMC en 1974 68, les accords de l’OMC n’apportent pas de réponse à la question de l’applicabilité du droit de l’OMC en droit interne. La Cour de Justice des Communautés Européennes nous apprend elle, en revanche, dans son arrêt de 1999, que les décisions de l’ORD ne sont pas d’application directe dans l’ordre communautaire. Ceci signifie que des particuliers ne peuvent en aucun cas fonder une action devant les tribunaux européens en arguant d’une décision de l’ORD. De même, dans l’arrêt Biret précité, la CJCE a exclu l’effet direct des décisions de l’ORD en s’appuyant sur l’article 23 III de l’Accord sur le règlement des différends. Ainsi, si l’Organe de règlement des différends a permis à l’arbitrage des différends au sein de l’OMC de gagner en efficacité, il ne constitue pas pour autant une juridiction de droit économique international accessible à tous les acteurs des relations économiques au niveau international. Le système communautaire offre en comparaison un système de protection des droits beaucoup plus poussé que le système de l’ORD. On peut donc estimer qu’il existe comme un plafond de verre en ce qui concerne la reconnaissance des règles de droits de l’OMC par les juridictions européennes. Certains qualifient cette situation juridique de pouvoir invisible69. Le fait est que ces règles de droit qui peuvent lourdement obérer la situation économique de certaines entreprises ne peuvent pourtant pas être utilement invoquées devant une juridiction européenne. Il faut y voir une mise en échec de l’Etat de droit, une atteinte manifeste à la sécurité juridique, au concept européen de confiance légitime et une impossibilité de faire valoir son droit à un procès équitable. Certes, ce plafond de verre a ses imperfection puisqu’il est possible à un Etat de saisir l’organe de règlement des différends de l’OMC. En ce sens, l’article 4 du règlement (CE) no 3286/94 du 22 décembre 1994 révisé en 200870 dispose que toute entreprise de la Communauté ou assimilées qui estime que ces entreprises ont subi des effets commerciaux défavorables du fait d’obstacles au commerce ayant un effet sur le marché d’un pays tiers peut déposer une plainte par écrit. Mais il faut savoir que cette plainte ne débouchera pas systématiquement sur une plainte déposée par l’Europe devant l’organe de règlement des différents de l’OMC. En effet après instruction et débats, il est prévu à l’article 11 du règlement sus évoqué que lorsqu’il résulte de la procédure d’examen qu’aucune action n’est nécessaire dans l’intérêt de la Communauté, la clôture de la procédure est décidée. On comprendra dès lors que l’examen des instances européennes consiste essentiellement à bien apprécier le poids économique de l’entreprise ou de la branche de production qui a porté plainte. Un illégalité avérée  au regard des règles de l’OMC qui ferait subir un préjudice important à des entreprises européennes pourra très bien ne pas déboucher sur une plainte auprès de l’ORD s’il est estimé que le poids économique du secteur en cause ne représente pas un enjeu significatif au regard des négociations multilatérales en cours. Il y a donc bien une qualification juridique des faits en fonction d’une hiérarchisation économique non juridicisée des entreprises européennes qui pourront ou ne pourront pas bénéficier de l’appui des instances européenne devant l’OMC. Or, cette décision de porter plainte ne sera décidé qu’en fonction du poids économique ou du groupe de pression que représentent la ou les entreprises plaignantes. Nous sommes donc bien dans une situation d’opportunité des  poursuites, et non dans un cas de légalité des poursuites. On notera aussi qu’il n’existe pour l’heure pas de voie alternative à un classement sans suite de la part des instances européennes. S’il existe devant les juridictions de droit interne une possibilité pour le justiciable d’agir par voie de citation directe en cas de classement sans suite par un Procureur de la République ou une AAI, tel n’est pas le cas pour le classement sans suite opéré par la commission saisie d’une plainte d’une entreprise pour violation des règles de l’OMC. Le classement dans suite ne pourra pas donner lieu à une saisine directe de l’ORD de l’OMC par le justiciable. On comprendra aussi que le droit à un procès équitable dans cette situation où le droit de l’OMC n’est pas directement utilement invocable est quelque peu compromis. Or, si l’article 6§1 de la CEDH comme l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne peuvent être invoqués devant la CJUE pour se défendre contre une application du droit communautaire de la concurrence, pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour le droit du libre-échange des accord OMC7172? Surtout que cette impossibilité (sauf transposition) d’invoquer le droit de l’OMC faisant grief lors d’un contentieux devant la CJUE n’est pas contrebalancée par une acceptation de la part des institutions communautaires de leur responsabilité quand bien même ces dernières auraient été condamnées par l’Organe de règlement des différends de l’OMC. Dans l’arrêt FIAMM précité, la Cour de Justice rejette à la fois la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute des organes de l’Union européenne dans le contexte de la réparation des préjudices consécutifs aux mesures de rétorsion autorisées par l’OMC73. Le problème est que la reconnaissance des normes OMC repose sur le paradigme classique d’un droit international public dont seuls les États et organisations internationales sont sujets à part entière. Et ce paradigme a pour corollaire le maintien des mécanismes fondés sur la réciprocité comme principale sanction, voire comme seule sanction efficace.

    Ces rapports relatifs et nuancés du droit de l’OMC et du droit européen doivent cependant compter avec le droit de la concurrence européen qui peut avoir une incidence internationale dans la mesure où il est applicable à des opérations extra européennes qui auraient un effet sur le territoire européen. Ainsi en a par exemple décidé la CJCE dès 1972 avec l’arrêt ICI qui nous démontre que le droit des ententes s’impose à des sociétés qui ont leur siège social en dehors de la communauté, mais opèrent à l’intérieur de celle-ci par l’intermédiaire de filiales dépourvues d’autonomie. La Commission peut également sanctionner l’abus de position dominante dans le même cas (voir en ce sens l’arrêt CJCE 21 février 1973 Continental Can74) Enfin, s’agissant d’une opération de concentration, l’affaire mac donnell douglas- Boeing a montré que ces sociétés acceptaient pour leur fusion de se soumettre au droit européen de la concurrence75. Il en a été de même pour les affaires GIE, Honeywell et Microsoft en 200476. En revanche, en ce qui concerne les ententes, il semblerait, selon certaines décisions de la Cour, qu’il faille q’une partie au moins à l’accord opère à l’intérieur du territoire communautaire (voir en ce sens un arrêt CJCE Ahlsthröm du 27 septembre 198877). On notera, dès lors, une faille dans le droit de la concurrence européen qui ne trouve pas de remède au niveau de l’OMC puisqu’il n’existe pas au niveau OMC de droit de la concurrence et donc pas de de droit concernant les ententes. Mais en plus de ces carences juridiques s’ajoutent des considérations économiques liées au droit douanier. En effet, l’Europe étant une union douanière et la détermination du tarif douanier relevant maintenant d’une compétence européenne exclusive78, les droits internes et européen de la concurrence se trouvent en quelques sortes attaqués dans leur cohérence même par l’abaissement général et progressif des droits de douane qui est une des clauses les plus importantes des accords OMC reprise par le Traité sur l’Union européenne. Celui-ci dispose à son article 21 que l’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin: e) d’encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international. Or, l’ensemble des obstacles au commerce devant selon l’OMC être de nos jours éliminé et transformé, consolidé sous forme de droits de douane, les obstacles au commerce sont avant tout les droits de douane qu’il convient d’éliminer pour favoriser le libre -échange de l’OMC. Si éliminer les droits de douane pour favoriser le commerce mondial apparaît dans un premier temps comme fort louable, ce constat devra pourtant être un peu plus nuancé lorsque l’on observe de plus près l’hétérogénéité des systèmes juridiques et économiques que l’on met en quasi libre communication. Ainsi, des Etats ne respectant pas les droits de l’homme, n’ayant pas une économie devant supporter des coûts sociaux très élevés, n’ayant aucun droit de l’environnement, peuvent exporter quasi librement des produits manufacturés ou des services vers des Etats dont les économies supportent les couts financiers inhérents à ces droits. Les droits de la concurrence internes et européens étant devenus économiquement inopérants pour remédier à ces différences très importantes quant aux couts de production de ces produits ou services, une concurrence que l’on qualifiera d’un seul point de vue éthique comme parfaitement déloyale peut s’exercer de la part des pays tiers à l’encontre de l’Union européenne.

B/ Les obstacles à la convergence de ces droits de la compétition économique.

    Les obstacles à la convergence des droits de la concurrence et des droits du libre-échange sont assez nombreux. Le droit de la concurrence est le fruit de la logique engendrée par l’Etat de droit. Il est intégré à un ordre juridique interne et communautaire qui impose aux entreprises évoluant souvent dans un même espace monétaire toutes sortes de textes concernant le droit social, environnemental ou fiscal. Certes, des distorsions existent encore entre les différents droits des Etats membres qui peuvent imposer des contraintes économiques et financières différentes aux entreprises et par ce biais fausser encore l’égalité des chances qui peut exister dans la compétition entre entreprises. En ce sens, le droit de la concurrence et les doits connexes qui influent sur son effet normatif exercent une contrainte de convergence sur l’ensemble du maillage juridique européen, et ce afin de créer un marché homogène. Le droit de la concurrence est intégré au bloc de la légalité interne et européen et forme un tout juridiquement et financièrement indissociable. Cette architecture juridique est consubstantielle à la technique de l’Etat et ce qui forme la cohérence du tout, la clef de voute de l’édifice en somme, est la notion d’intérêt général79. Certes, les instances européennes qui dans un premier temps voulaient avant tout mettre en place un marché européen homogène avaient donné une interprétation des Traités particulièrement défavorable à l’intérêt général des services publics tel que le concevaient les Etats membres. Ces services publics avaient été considérés comme contraires au droit de la concurrence interne et européen. Puis les jurisprudences Corbeau et Almélo de la CJCE ont reconnu qu’il y avait un intérêt économique général irréductible à une simple logique de marché80. Par la suite, et bien que ne reconnaissant pas au service public une sorte de vocation universelle comme avait pu le faire la France, les autorités ont mis en place dans certains secteurs les services d’intérêt économique général (poste, transport, énergie, télécommunication), aujourd’hui consacrés par l’article I4 du TFUE81. Est même apparue avec le Protocole no.26 annexé au Traité de Lisbonne la notion de service de non intérêt économique général. Elle est reconnue dans le droit primaire sans être pour autant définie. Dans sa sphère et son contenu, l’on retrouve une sous-partie des SIG qui ne relève de la compétence communautaire que pour les principes généraux des traités (transparence, non-discrimination, égalité de traitement, proportionnalité), et n’est donc pas soumise au droit communautaire de la concurrence et du marché intérieur. L’article 2 du Protocole n°26 annexé au Traité de Lisbonne dispose donc que: «Les dispositions des traités ne portent en aucune manière atteinte à la compétence des Etats membres pour fournir, faire exécuter et organiser des services non économiques d’intérêt général.»

    Mais cette cohérence conceptuelle et cet esprit de convergence n’est malheureusement qu’interne au droit des pays européens. En effet, l’entreprise juridique ayant pour ambition de  réguler la compétition économique ne devrait pas juridiquement isoler le droit de la concurrence des autres droits qui ont une très nette influence sur la compétition économique. Ainsi en est-il du droit social, du droit de l’environnement, du droit fiscal ou du droit de la propriété intellectuelle qui ont une très nette incidence sur l’égalité des chances et la structure des coûts économiques qui s’imposent aux différents opérateurs économiques en compétition. Ainsi, les droits de la concurrence interne et européen s’appliquent à des entreprises qui se voient appliquer également un droit de l’environnement, un droit et des charges sociales et fiscales qui peuvent être assez élevées. Si les rapports entre le droit de la concurrence et ces autres droits impliquant des charges financières ne sont pas toujours clairement établis, on remarquera que les Etats comme l’Europe imposent aux entreprises des contraintes fiscales, sociales et environnementales qui ont pourtant une incidence évidente sur leur compétitivité. Or ces entreprises européennes se trouvent lourdement pénalisées par rapport à leurs concurrentes des pays tiers à l’Europe qui ne supportent pas ces mêmes contraintes mises en oeuvre au nom de l’intérêt général.

    On attendait donc du droit de l’OMC qu’il corrige ces distorsions de concurrence pouvant exister du fait de l’instauration d’une libre circulation des marchandises entre des zones économiques. On pouvait ainsi attendre de l’OMC qu’elle corrige ces distorsions de concurrence en admettant que des droits de douane compensateurs viennent aplanir les inégalités de charges. Tel n’est pas le cas. Le droit du libre-échange exercerait plutôt une contrainte de divergence sur le marché mondial en ne restant cantonné qu’au droit de la politique commerciale. Ainsi les Etats les moins développés cherchent à obtenir un avantage compétitif en limitant pour les entreprises toutes les contraintes juridiques pouvant peser sur la compétitivité des entreprises. De même, les entreprises tirant très souvent leur profit du manque d’harmonisation entre les différents membres de l’OMC n’hésitent pas à délocaliser leur production industrielle ou leurs services vers les pays les moins exigeant sur le plan législatif. La seule contrainte de convergence qu’exercerait le droit du libre-échange serait celle consistant à tenter d’aligner la législation des Etats européens sur celle des pays dont l’économie serait la moins juridicisée. Il y aurait donc un «marché du droit» implicite à toutes les stratégies financières des entreprises. On comprendra dès lors que «l’esprit des lois» qui anime le droit du libre échange n’est pas celui de l’Etat de droit en ce sens que ce dernier construit une économie de droit dont il est le souverain. Le libre-échange serait même l’adversaire de l’économie de droit. Si le droit de la concurrence est un droit de l’économie libérale civilisée, le droit du libre échange est un droit de la prédation financière et il tend à jouer sur la confusion qui peut être entretenue entre liberté et prédation. Continuant dans cette logique, il peut même être affirmé que le libre échange est un adversaire du marché. Cette lutte sans merci des financiers à mettre en coupe réglée le droit public économique des Etats par le chantage financier et à faire avorter tout projet de protection du marché européen n’est-elle pas en train d’aboutir à la disparition en pratique du concept même de marché? Un rappel de la règle du jeu nous semble dès lors indispensable: toute liberté suppose une construction juridique, c’est-à-dire une représentation juridique conceptualisée des différentes libertés économiques afin de leur donner un sens compatible avec le contrat social dont l’Etat est le garant. Admettre cette simple règle de base consiste à être libéral. Or, que nous disent les prétendus libéraux depuis vingt ans ? Qu’il faut jouer la liberté contre la règle : l’idée pouvait évidemment paraître suspecte. Elle a alors été érigée en dogme idéologique, voire quasi religieux : L’Etat, même démocratique, c’est économiquement le mal et, le marché sans foi ni loi, le bien… Ces dynamiques du libre échange tendant à bloquer, voire à faire régresser les textes structurant un marché aboutissent à sa dénaturation. Au marché libéral se substitue des situations purement factuelles de guerre économique. 

    A lire la doctrine économique, on s’apercevra que jamais ne s’est formée depuis les débuts de la réflexion économique une telle coalition des représentants de la discipline82. Alors que l’histoire des théories économiques est tissée d’une succession de controverses, ardentes, le plus souvent, et parfois violentes, sur la valeur, la nature de la monnaie, les formes de la concurrence, le rôle présumé du capital, les bienfaits ou les dangers de l’intervention publique dans la marche des affaires, le débat d’aujourd’hui nous offre une morne plaine83. La vulgate néo libérale a pu dès lors s’en prendre aux Etats et à leur droit public de l’économie pour mieux les asservir à la mondialisation financiarisée. 

    La preuve de ces qualifications doctrinales avancées dans cet article à propos de l’état du droit mondial de l’économie se trouve justement dans la nomenclature douanière évoquée en introduction. Les chiffres sont de ce point de vue aussi expressif que le droit: Près de 40% des importations industrielles de l’Union européenne s’effectuent sans droits de douane. Le niveau moyen des droits de douane pour les 60% restant est de 3,5%. Il y a donc un prix mondial pour chacun des produits cités dans la nomenclature douanière. Or, la France où les prélèvements obligatoires sont de l’ordre de 43,5 en % du PIB84 se trouve en concurrence frontale avec le Japon pour la fabrication d’un même produit où les prélèvements obligatoires ne sont que de 27,4% du PIB8586.  Les mêmes entreprises françaises se trouvent aussi en concurrence avec la Chine où les prélèvements obligatoires sont presque aussi importants qu’en France, mais où les salaires sont en moyenne de 260 euros par mois avec un minimum de 62 euros (pas de sécurité sociale ni de retraite). L’avantage compétitif pour les occidentaux par l’innovation (dépôts de brevets) et la productivité se résorbent également. Les pays émergents innovent et leurs usines se robotisent. La libéralisation des services est également entré dans la même logique avec l’accord général sur le commerce des services de l’OMC. Il faut savoir de surcroît que les services sont exempts de droits de douane. 

    Comme autre échec pour le droit de la concurrence, on pourra citer l’émergence des pays financièrement opaques qui sont autant de possibilités pour les entreprises d’échapper à la fiscalité des pays développés. Ces montages juridiques et financiers qualifiés d’off shore utilisant par exemple la technique des prix de transfert sont autant d’atteintes manifestes à l’égalité des entreprises dans la compétition économique et un nouvel échec pour l’Etat de droi87t88.

L’abrogation des textes qui permettaient à la puissance publique de pratiquer un interventionnisme direct dans le domaine économique ne pouvait rester sans substitut. En effet, le démantèlement de ce classique  pouvoir d’Etat au profit de la construction européenne et au profit des accords OMC se devait de trouver une légitimation politique à ce nouvel ordre du droit public. En remplacement de ces textes qui faisaient de l’économie une affaire régalienne a donc été proposé le concept de régulation. La régulation serait l’ensemble des techniques permettant d’instaurer et de maintenir un équilibre économique optimal requis par un marché qui n’est pas capable, en lui même, de produire cet équilibre89. Cette définition est fort intéressante, mais le juriste peut tout de suite y détecter deux graves imperfections pour le droit moderne. La première tient au doute qu’inspire l’aspect peu scientifique de la régulation appliquée au droit en l’état actuel de sa pratique. La seconde tient aux valeurs morales qui sont consubstantielles à la règle de droit. Comment la régulation transmet-elle le juste à la règle de droit chargée de mettre en oeuvre une politique? Un petit retour en arrière s’impose sur les origines de la régulation. Initialement et dans un contexte d’esprit de système, la notion de régulation est apparue avec la Cybernétique, la robotique de Norbert Wiener. Mais, à vrai dire, et bien avant l’avènement de l’ère robotique, les hydrauliciens de toutes les civilisations cherchaient eux aussi à réguler des fluides. Mais on observera que la régulation restait dans son domaine qui est celui du machinisme. Quelle ne fut sûrement pas la surprise des rédacteurs de traités sur l’hydraulique de voir un beau jour leur instruments conceptuels utilisés pour la conduite d’un Etat. Il suffisait tout simplement de se référer à l’étymologie grecque du mot hydraulique pour mesurer l’ampleur de la révolution en cours. Hydraulique vient de Hydros (eau) et de aulos (flute), ce qui implique donc un fonctionnement à l’aide d’un liquide dans un conduit… Voilà qui aurait du faire réagir les démocrates les plus orthodoxes ainsi que les spécialistes des droits de l’homme. Mais non, le ravalement d’un peuple à l’Etat de fluide hydraulique n’était pas dans l’esprit des légistes une inconstitutionnalité infamante. La régulation n’ayant pas rang dans la hiérarchie des normes, elle pouvait user de son pouvoir de séduction et irradier tout le système juridique. Ceci étant, les chantres de la régulation pouvaient, du moins dans leur idéologie affichée, être soupçonnés au départ de louables intentions. Pour remédier aux déficits de légitimité abyssaux de la classe politique, l’idée de créer des régulateurs, c’est à dire des autorités administratives indépendantes composées de «sages» crédités d’une expertise incontestée était une bonne idée. Mais la régulation reste un concept extrêmement difficile à juridiciser90 et elle est en ce sens l’alliée du libre-échange puisqu’elle lui permet de justifier la déréglementation de l’économie tout en maintenant tout de même l’idée qu’un ordre juridique informel et bienveillant est à l’oeuvre. La régulation est en tout cas la preuve manifeste de la crise que traverse l’intérêt général, crise perçue comme un scepticisme aigu des modalités classiques d’intervention de l’Etat (et pour cause, après avoir été idéologiquement discrédités, les textes permettant de défendre l’intérêt général ont été abrogés sans pour autant que soit créé au niveau européen le même arsenal juridique). On notera cependant que l’idéologie libérale du libre-échange reposant sur le postulat simplement supplétif de l’action administrative dont la seule mission ne serait plus que de pallier l’éventuelle et passagère défaillance des mécanismes économiques naturels commence à éveiller de sérieux doutes91. Même la banque mondiale après avoir longtemps prôné un Etat minimal souligne dans un rapport de 1997 l’importance du rôle de l’Etat quand bien même il n’est toujours envisagé que comme un «régulateur»92. Les défenseurs de la régulation admettent qu’elle est en crise et qu’elle doit maintenant intégrer les problèmes de risques systémiques93. Il reste donc de ce débat que l’intérêt général défendu par l’Etat nous semble irréductible. Preuve a été faite de la supériorité de l’Etat et de son action sur l’économie au nom de l’intérêt général lors de la crise financière de 2008. Il reste que la défense de l’intérêt général par les moyens classiques d’intervention de l’Etat ne devrait pas se cantonner aux circonstances exceptionnelles. Pour finir, on remarquera que les vrais spécialistes de la régulation ayant une approche scientifique, c’est à dire les hydrauliciens spécialistes du génie mécanique, trouveraient surement parfaitement insoutenable que l’on désigne par régulation ce qui est effectivement pratiqué en droit94.

    Ces problèmes d’harmonisation et de complémentarité du droit économique international avec le droit européen impliquant des problèmes de compétitivité pour les entreprises européennes n’ont pas laissé les parlementaires européens indifférents. En effet, dans une résolution du Parlement européen du 24 avril 2008  intitulée « sur la voie d’une réforme de l’Organisation mondiale du commerce »95, les députés européens soulignent que l’OMC est la seule organisation mondiale habilitée à élaborer des règlementations qui ne fasse pas partie de la famille des organisations des Nations-unies et, par conséquent, que l’action de l’OMC reste cantonnée au seul domaine de la politique commerciale. Ils invitent donc la Commission à inscrire ce problème structurel en tête des priorités de l’ordre du jour de la réforme de l’OMC. Ces mêmes députés invitent à examiner en profondeur la question d’une meilleure intégration des préoccupations non commerciales dans le champ d’application des règles de l’OMC, afin de permettre aux membres de poursuivre des objectifs politiques légitimes tout en préservant l’accès au marché. Ils soulignent, à cet égard, que les efforts visant à adopter des critères internationaux devraient être soutenus fermement par l’Union et que l’aide nécessaire devrait être accordée aux pays en développement pour leur permettre de respecter ces critères. Enfin, le parlement européen est d’avis, dans un souci de cohérence entre le système des Nations-unies et l’OMC, que le défi le plus ambitieux sera pour l’OMC de garantir que les règles commerciales respectent pleinement la législation en matière de droits de l’homme ainsi que les critères sociaux et environnementaux. Allant dans le même sens, le même jour, donc le 24 avril 2008, le Parlement européen adoptait par 530 voix pour, 14 voix contre et 9 abstentions, une résolution sur l’accord de libre-échange entre la CE et le Conseil de coopération du Golfe (CCG), déposée par la commission du commerce international. Dans cette résolution, le Parlement estime qu’un accord commercial avec le CCG est un complément utile au système multilatéral de l’OMC, à condition qu’il aille bien au-delà des réductions des droits de douane et qu’il aborde les conditions qualitatives liées aux échanges commerciaux, y compris les dispositions opérationnelles sur les droits de l’homme et les normes sociales et environnementales. Mais ne nous leurrons pas, ce qui compte avant tout pour l’Europe, c’est le débouché commercial qu’il faut à juste titre favoriser face à la concurrence notamment des Etats-Unis et des pays asiatiques. Les parties du texte sur les droits de l’homme, les normes sociales ou environnementales resteront lettre morte si la compétitivité à l’exportation des entreprises européennes devaient s’en ressentir.

Conclusion

    Cette étude en appelle une autre consistant à s’interroger sur les extrêmes limites de la liberté qu’il peut être accordé par la puissance publique au marché. Le marché peut-il exister en tant que tel sans puissance publique souveraine de son organisation et de son fonctionnement? Est-il possible à la puissance publique « Etat » d’exister en tant que telle si elle n’arrive plus à subordonner le marché à son autorité pour éviter ses excès96?

    Les négociateurs de l’OMC quels que soient les pays ou les zones économiques qu’ils représentent ont jusqu’à présent toujours agit par intérêt et non par intelligence. L’intérêt commandait que l’Europe entre en guerre économique pour ne pas  abandonner le marché mondial aux Etats-unis. L’intérêt commandait que la Chine fit son entrée à l’OMC puisqu’elle représentait un nouveau marché pour les occidentaux et qu’elle allait devenir l’atelier du monde à bas coût. L’intérêt commandait que la liberté maintenant mondiale pour la circulation des capitaux serve à échapper à l’impôt des pays développés. L’intelligence, elle, commande de remarquer que le contrat social d’un Etat fondé sur l’intérêt général envisage tous les aspects de la société comme un tout indissociable. La même intelligence commande que les libertés économiques soient juridiquement construites par des Etats dotés de tous les attributs de la souveraineté. Une Europe qui revendiquerait sa très forte diversité et identité culturelle et son originalité juridique pourrait peut être arriver à subordonner à son autorité l’économie et la finance. Les termes de l’échange mondial pourraient s’en trouver inversés. Il suffirait pour cela d’opposer des droits de douane aux pays qui ne respectent pas les droits fondamentaux qui ont fait l’Europe. L’Etat fédéral européen se construira-t-il par la souveraineté de son marché?

Christophe LEROY

Maître de conférences à l’Université Paris 12 Saint-Maur (UPEC).

20 mars 2012

Existe t-il un marché du droit public?

By Droit public économique

La clef de voute de l’intervention des Etats dans le domaine économique et financier est bien sûr l’intérêt général dont a découlé tout un droit dénommé en France «public économique». Ce droit public économique relevait en réalité d’un «esprit des lois» faisant de l’Etat le garant de la cohérence et du développement de l’économie libérale. C’est ainsi qu’admettre la compétition économique avait pour corollaire la nécessité d’imposer un droit social, environnemental, fiscal et financier limitant les excès engendrés par l’ultra-libéralisme. Cette logique d’encadrement juridique du marché au nom de l’intérêt général a été remise en cause au fil du temps par divers facteurs. Parmi les plus importants, on peut compter la construction européenne qui a aboli les frontières économiques entre les différents Etats-membres et mis en oeuvre au bénéfice de l’union certaines compétences stratégiques en matière économique et financière. Viennentt ensuite l’OMC et son droit du libre échange venus très largement influer sur la structure juridique de l’Europe et de ses Etats-membres au point d’interdire toute politique de protection ciblée de l’économie européenne. Cette étude va ainsi démontrer que la logique de marché a quelque peu supplanté l’interventionnisme classique des Etats exercé au nom de l’intérêt général au point de soumettre leur droit à cette même logique de marché. Or, il nous semble que cette soumission du droit à l’économie a au fil du temps engendré un profond dérèglement du concept de souveraineté.

I/ Les facteurs de mise en concurrence des droits de la puissance publique:

A/ Les mutations juridiques imposées par la libre concurrence du droit européen.

Existe t-il un marché du droit? Le surdéveloppement de l’économie de marché envahissant tous les domaines de l’existence peut légitimement nous amener à nous poser cette question toute simple de la soumission du droit à la loi de l’offre et de la demande de cette même économie de marché. Reconnaître que les Etats doivent garder le monopole normatif est une des prérogatives régaliennes les moins contestées par les libéraux les plus orthodoxes. L’égalité, la nécessaire impartialité liées à l’idée démocratique imposent que l’Etat soit le seul à faire la loi. Force est pourtant d’admettre que ce dogme de la souveraineté de l’Etat-nation a subi quelques limitations et autres aménagements visant à le rendre compatible avec les idées du grand marché européen et du grand marché mondialisé. La première grande limitation consentie du droit souverain des Etats-membres européens vient ainsi des Traités européens avec les libertés de libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux, libertés qui auraient presque acquis valeur constitutionnelle selon l’arrêt Melki1. Mais l’Union européenne n’en est pas restée au stade de la zone de libre échange. Nombre de compétences étatiques ont progressivement été transférées au niveau européen sans que soit considérée comme relevant d’une priorité absolue l’harmonisation des différentes législations2. Et cette situation a eu pour effet implicite de mettre en concurrence les systèmes juridiques des Etats-membres. La règle de droit pouvait dès lors être en tout ou partie soumise à l’analyse économique. En rabaissant la norme à un simple coût à évaluer pour la fabrication d’un produit ou la fourniture d’un service, les entrepreneurs bénéficiant de la liberté d’établissement européenne3 ont sans hésité mis en compétition les règles de droit des Etats membres de l’Union. Cette mise en concurrence des différents systèmes juridiques des Etats membres n’étaient cependant pas une finalité dans la construction européenne. Au contraire même, puisque les Traités, le droit dérivé et les différentes jurisprudences ayant accompagné la construction de l’Union prévoyaient à terme l’établissement d’un monopole normatif de type étatique au niveau européen. On retiendra que l’oeuvre n’est pas achevée et qu’a déjà été mise en place, à défaut d’un Etat fédéral européen, une hiérarchie des normes visant à assurer la suprématie des normes européennes sur les normes de droit interne à l’exception, bien sur, des textes constitutionnels. Mais on retiendra aussi que l’argument économique comme vecteur d’unification l’a emporté sur la cohérence juridique que défendent tous les grands théoriciens de l’Etat. Le marché pouvait dès lors déborder la compétence des Etats. Tel est bien l’esprit des Traités européens qui a fortement limité l’intervention de la puissance publique dans le domaine économique tout en laissant les législations fiscales, environnementales ou sociales des Etats-membres continuer à diverger. Observons bien les domaines dans lesquels le droit européen est prioritairement intervenu: Il s’est agit d’aménager les monopoles d’Etat4, de soumettre les personnes de droit public au droit de la concurrence dans leurs activités de production, de distribution et de services5 et d’interdire les aides d’Etats qui risquaient également de fausser le droit de la concurrence6. A ces mesures s’ajoutait de manière encore plus efficace en agissant au coeur même de l’activité étatique d’obliger les Etats lorsqu’ils adoptaient une norme de tenir compte du droit de la concurrence. On citera à ce propos la jurisprudence Million et Marais. Le Conseil d’Etat précise dans cet arrêt que l’ordonnance de 1986 et le droit communautaire font partie des dispositions dont le respect constitue une condition de la légalité des actes administratifs. Le droit de la concurrence est ainsi opposable non seulement aux activités économiques des collectivités publiques, mais aussi à leur activité normative. On citera dans la même veine l’arrêt du 26 mars 1999, Société EDA dans lequel le Conseil d’Etat dispose que l’autorité gestionnaire du domaine public doit veiller à n’accorder d’autorisation d’occupation que dans le respect du droit de la concurrence7. Nous retiendrons aussi l’avis L et P publicité, du Conseil d’Etat du 22 nov 2000 qui impose aussi aux autorités de police lorsqu’elles doivent prendre des mesures de tenir compte de la liberté du commerce et de l’industrie au sens large et du principe de libre concurrence89. Cette soumission de l’activité normative au droit de la concurrence ne serait au demeurant pas devenue problématique si l’Europe avait réussi à synchroniser l’entrée en vigueur de ce droit applicable aux personnes publiques et privées avec l’harmonisation des autres droits également applicables à l’ensemble des activités économiques. Il aurait ainsi fallu pour que l’ensemble du bloc de la légalité conserve sa cohérence que le droit social10, le droit fiscal, environnemental et les réglementations techniques11 soient harmonisés dans le même temps pour éviter les distorsions de concurrence. Mais l’harmonisation, la synchronisation et la cohérence ont toujours été un des problèmes majeurs de la construction européenne. L’incohérence juridique qui a consisté à mettre en place une monnaie unique sans avoir dans le même temps transféré le contrôle budgétaire des Etats-membres au niveau européen est actuellement une bonne illustration du problème12. Nous retiendrons en tout état de cause que ces défauts d’harmonisation des systèmes juridiques pouvaient s’analyser en termes économiques. Nous avons ainsi pu observer les opérateurs privés se lancer dans cette analyse économique comparative des différents systèmes juridiques européens aux fins de profiter de la légalité la moins coûteuse pour développer leurs activités économiques. Et cette analyse économique a bien introduit l’idée de compétitivité normative entre les différents pays de l’Union européenne. Cette soumission du droit public au droit de la concurrence en introduisant cette analyse économique du droit a profondément modifié l’idée même de ce que nous considérions comme étant l’intérêt général. En effet, l’intérêt général était autrefois essentiellement défendu par le biais du droit public classique au moyen de la loi, des actes règlementaires et des contrats administratifs. Or, ces moyens d’intervention sont en recul. Non pas quant à leur nombre, mais quant à leur teneur même comme reflétant cet esprit des lois qui faisait le droit public économique. Le droit interne dans nombre de domaines n’est plus qu’une transposition du droit européen qui ne reflète plus une stratégie d’Etat. C’est ainsi que l’intérêt général selon le droit européen doit plutôt être défendu par des logiques de marché laissant une très grande marge de manoeuvre à l’initiative privée. Le recours à l »intérêt général au sens classique du terme n’est donc plus envisagé que pour réguler un marché déficient13 ou en cas de circonstances exceptionnelles comme ce fut le cas pour la crise de 2008 nécessitant le renflouement des banques suite à la crise des subprimes.

B/ Les mutations juridiques imposées par le libre échange de l’Organisation mondiale du commerce

L’Europe des Etats membres n’est pas la seule responsable de ces distorsions de concurrence dues aux coûts économiques qu’engendre le respect de la loi. La politique juridique de l’Union européenne doit donc aussi être étudiée dans ses relations avec les pays tiers. Ainsi, la commission européenne ayant la compétence exclusive de la politique commerciale extérieure a mené conformément aux accords OMC dont elle est signataire une politique de libre échange avec les pays tiers à l’Union européenne. Or, cette politique commerciale a abouti à un abaissement très important des droits de douane entre les pays de l’Union européenne et ces pays tiers, cela au point de mettre en concurrence le droit des Etats membres de l’OMC. Il s’en est suivi que cette démarche d’analyse économique du droit qui veut, entre autre critère, qu’un Etat doit être de nos jours «juridiquement attractif» a pu également s’appliquer aux 160 Etats membres de l’OMC. Son bloc de la légalité doit être ainsi le mieux disant économiquement. Un des effets incontestables de cette mise en concurrence aura été la logique des délocalisations industrielles basée sur cette analyse économique du droit. Or, ces logiques de délocalisations se basent sur les importantes différences de coûts liées aux différentes structures juridiques d’Etats mises en valeur par le libre échange de l’OMC. Ce libre échange ayant en effet créé la mondialisation économique, les investisseurs doivent faire face à un prix mondial pour chaque produit fabriqué ou service rendu, et ces mêmes investisseurs ont ainsi été à l’initiative ou contraints de baser leurs stratégies d’investissements sur le calcul du coût financier de chaque norme imposée dans les différentes régions du globe. On notera qu’aucune concertation juridique sérieuse n’a été envisagée entre les différents Etats membres de l’OMC sur un éventuel programme d’harmonisation mondiale des législations ou sur l’instauration de montants compensatoires. La «régulation», idéologie juridique du moment, a été particulièrement inopérante ou n’a servi de par son flou juridique qu’à justifier les nouveaux désordres économiques et financiers mondialisés. Mieux, les Etats occidentaux, sûrs de leur avance technologique, ont accueilli favorablement l’abaissement des droits de douanes en dehors de toutes concertations juridiques, croyant par là même favoriser leurs exportations. Quand aux pays émergents, ils ont vu dans la mondialisation le moyen de faire valoir leurs avantages comparatifs en offrant une main d’oeuvre à bas coûts ainsi que des normes fiscales et environnementales a minima. On comprendra que ces stratagèmes financiers mettant en concurrence les systèmes normatifs ne ressemblent en aucune façon aux constructions juridiques que l’Europe avait conçues au XX° siècle. Il s’agit là de pures stratégies économiques et financières. Il s’agit même de politiques hostiles aux constructions juridiques d’Etat dont l’objectif est d’arraisonner ce même pouvoir d’Etat pour le mettre au service des intérêts supérieurs de la finance mondialisée. Nous pouvons ainsi considérer qu’un des facteurs les plus puissants de la déstructuration de l’Etat de droit économique aura été sans nul doute le droit de l’OMC, et à vrai dire le «non droit» de l’OMC. Il faut comprendre par non droit toutes les clauses que les membres de l’OMC ont toujours refusé d’adopter et qui auraient rendu compatible la mondialisation de l’économie avec la construction juridique classique de l’Etat de droit économique. Or, le refus d’insérer dans les accords OMC une clause environnementale, une clause sociale14, une clause monétaire, une clause fiscale et une clause de droit de la concurrence ont abouti à mettre en oeuvre une compétitivité économique où le juridiquement moins-disant devenait le plus compétitif. Ces non droits de l’OMC conjugués à l’abaissement général des droits de douane inhérent au libre échange ont ainsi abouti à mettre en exergue le coût économique de chaque norme environnementale, sociale, fiscale, etc… dans les pays les plus développés sans pouvoir opposer aux frontières des montants compensatoires pour éviter les distorsions de compétitivité dues aux différentes législations. On notera de ce point de vue une incohérence (peut être que d’apparence…) de la politique menée par la commission européenne qui n’a eu de cesse par exemple de vouloir renforcer la réglementation environnementale communautaire tout en abaissant les droits de douanes à des niveaux proches de zéro15. Il est en effet peu contesté que le niveau actuel du tarif douanier extérieur commun est devenu beaucoup trop faible pour lui permettre d’exercer une influence significative sur les prix des produits importés par l’Union européenne. Il est ainsi très sensiblement en dessous du seuil d’efficacité économique. Les négociations en cours pour le grand marché transatlantique sont d’ailleurs sur ces différents points assez intéressantes à étudier dans la mesure où elles se font dans la même perpective que celles ayant prévalu jusqu’à présent dans les discussions de l’OMC. A ceci près que les droits de douane étant maintenant très faibles ou, là aussi, proches du niveau zéro, les négociations portent actuellement pour l’essentiel sur l’harmonisation des normes américaines et européennes16. Les points les plus révélateurs des négociations sont par exemple la question du principe de précaution qui n’est pas reconnue aux Etats-unis1718 ou la volonté de mettre en oeuvre un mécanisme de règlements des différents d’Etat à Etat ou d’investisseur à Etat qui aurait pour conséquence de désaisir les juridictions nationales1920. Il est en tout état de cause certain que le droit est soumis dans ces négociations à une analyse économique dont l’objectif est d’abaisser les coûts qu’il engendre. Ainsi, la recherche de l’équilibre économique entre l’Europe et les Etats-unis dans le travail d’harmonisation des normes porte bien pour l’essentiel sur le coût économique de chaque norme. Et celle analyse tient compte du fait que l’Europe et les Etats-Unis doivent éviter d’adopter de nouvelles normes qui risqueraient de les rendre moins compétitifs avec le reste du monde. On ne manquera pas pour comprendre cette logique mondialisante de lire la dernière édition de Doing Business qui compare les réglementations s’appliquant aux entreprises dans 189 pays (la France est classée 38ième derrière le Royaume d’Arabie saoudite 26ième et derrière le Rwanda 32ième)21. A travers ses indicateurs, Doing Business mesure et suit l’évolution des réglementations applicables aux petites et moyennes entreprises des plus grandes mégapoles d’affaires de chaque économie et ce, sur 10 étapes de leur cycle de vie : création d’entreprise, obtention des permis de construire, raccordement à l’électricité, transfert de propriété, obtention de prêts, protection des investisseurs, paiement des taxes et impôts, commerce transfrontalier, exécution des contrats et règlement de l’insolvabilité. Doing Business mesure aussi la solidité des institutions juridiques dans le domaine des affaires, mais aussi au travers des indicateurs relatifs à la complexité et au coût des procédures réglementaires. On y apprend ainsi que la préparation, le dépôt et le paiement des impôts annuels de l’entreprise peuvent dans certains pays nécessiter que le personnel y consacre jusqu’à 268 heures. L’exportation d’une seule cargaison de produits finis peut nécessiter 6 documents, 22 jours et des frais supérieurs à 1500 $. Il va sans dire que si la pression du libre échange sur ces réglementations excessives nous semble tout à fait justifiée, il en va autrement lorsque l’on constate les conditions de travail de millions de personnes dans les pays les moins avancés. Le rapport de l’Organisation internationale du travail expose que 839 millions de travailleurs sont dans l’impossibilité de gagner suffisamment pour vivre, avec leur famille, au dessus du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour et par personne22. Le rapport relève pourtant que les pays qui investissent dans la qualité de l’emploi sont ceux qui progressent le plus. On pourra bien sûr s’interroger sans fin sur ce qu’est la qualité de l’emploi et le progrès suivant l’optique adoptée: Gouvernement, multinationale ou simple salarié. Le diapason reste pour l’heure le libre échange de l’OMC.

II/ Les tentatives de subordination du droit économique aux lois du marché:

A/ Le déclin de l’Etat de droit économique

Plusieurs facteurs ont favorisé le développement des libertés économiques internationales et on peut compter parmi eux l’abrogation de nombreux textes garantissant la suprématie du pouvoir d’Etat sur l’économie dans ses relations internationales. Or ces abrogations de textes de nature plus ou moins régalienne ont mis le droit interne des Etats en situation d’être comparé et évalué. Cela a permis aux investisseurs de choisir librement de par le monde les zones géographiques où il leur semble préférable d’investir. Parmi les textes abrogés ou fortement limités, nous pouvons citer:

– Le droit de battre monnaie;

– Le droit des relations financières ou contrôle des changes;

– l’établissement d’un tarif douanier national;

– L’organisation des marchés financiers sous monopole d’Etat.

– La soumission à autorisation pour les investissements directs internationaux;

– L’action spécifique préservant l’intérêt national dans les secteurs économiques stratégiques;

– Les régimes d’autorisation pour les transferts de technologies.

– Le droit de nationaliser des entreprises pour leur accorder des droits exclusifs.

– La préférence nationale pour la commande publique.

– L’institution de la compensation entre importateur et exportateur par le biais des offices publics de compensation23.

– Les aides accordées aux entreprises en difficulté ou développant un projet industriel d’intérêt national24.

– Les régimes fiscaux incitatifs pour favoriser le tissu économique national.

– Une politique industrielle visant à garantir l’indépendance nationale dans tous les secteurs économiquement stratégiques.

– La planification économique.

– Un droit de la concurrence pouvant encadrer la liberté des prix.

Plus généralement, le libre échange est un pouvoir très important de désorganisation du droit de la concurrence interne et européen. Un de ses traits caractéristiques est de mettre en communication des systèmes juridiques où la structure des coûts économiques et juridiques sont très différents. Alors que le droit de la concurrence cherche toujours à établir une sorte d’égalité des chances dans la compétition pour justement préserver la concurrence, le libre échange n’a pour effet que de favoriser les entreprises les plus puissantes jusqu’à installer des oligopoles dans nombre de domaines de l’industrie et des services25. Le libre échange a ainsi tendance à geler les positions acquises et à mettre en oeuvre un effet d’éviction des entreprises entrantes sur un marché. Si le droit de la concurrence n’est plus tout à fait opérant au niveau mondial, l’effet de concurrence existe toujours et viendrait plutôt de nos jours de bouleversements technologiques dans nombre de secteurs. Les exemple de la société Kodak, de l’application Uber26 et les perspectives que nous offrent les imprimantes 3D sont de ce point de vue édifiants. Les bouleversements technologiques semblent devenir bien plus déterminants dans la compétition économique que la concentration d’entreprises, les ententes ou les économies d’échelles. Or, les moyens pour la puissance publique d’encadrer ces bouleversements technologiques ont été soit abrogés, soit n’ont jamais été créés. L’Etat de droit économique nous semble ainsi sur le déclin. Ce qui émerge ne ressemble en aucun cas à une économie de droit. Ce qui semble au contraire se mettre en place est une sorte de normativité technologique et économique des comportements tendant à se développer en marge du droit public économique classique au point justement de le marginaliser27.

La construction européenne et les accords OMC auront donc oeuvré dans ce même sens et aura consisté à mettre en oeuvre une dynamique de déjuridicisation des libertés économiques. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’un nombre important d’articles ont été insérés dans les traités européens pour les rendre compatibles avec l’OMC28. Il s’est donc agit de juridiciser à un des plus haut niveau de la pyramide des normes la doctrine économique de l’ultra libéralisme, ce qui peut être considéré comme un échec pour le droit public et une forte limitation pour la démocratie. Cette dernière ne peut dès lors plus agir que dans un cadre bien défini ou le droit n’a plus en charge l’encadrement de l’économie. Un des résultats les plus désastreux de ce recul du droit dans ses tentatives de régler l’économie aura été sans nul doute la crise des subprimes dont la cause est l’abrogation aux Etats-Unis d’un nombre important de textes ayant permis la titrisation des créances immobilières et des montages contractuels fort douteux.

Il faut entendre par déjuridicisation le processus par lequel les libertés économiques ne seront plus désormais tout à fait des libertés juridiquement construites, mais des libertés presque exclusivement livrées au jeu de la finance capitalistique. A la liberté économique organisée par le pouvoir d’un Etat de droit fondée sur la défense de l’intérêt général est donc en train de se substituer la liberté économique et financière du marché mondialisé presque parfaitement libre de toutes contraintes juridiques de ce même pouvoir d’Etat. La déjuridicisation des libertés économiques autrefois juridiquement construite a donc engendré une liberté nouvelle construite autour de la normativité technologique, économique et financière. Nous assistons à n’en pas douter à une mutation de la notion même de normativité. C’est ainsi que le prix fixé par le marché mondial pour la fabrication d’un produit finit par déterminer quel est le territoire sur lequel la structure juridique apparaît comme la plus compétitive. La finance a en ce sens pris le pouvoir sur le droit. C’est l’analyse financière du droit qui doit donc être utilisée pour bien comprendre ce nouveau phénomène normatif aux dimensions planétaires. La question simple est donc de savoir quelle est la structure financière des coûts juridiques pour chaque territoire en intégrant ensuite le coût du transport. Internet et les portes-containers ayant uniformisé la géographie économique, tout l’effort du pouvoir normatif de la finance peut maintenant porter sur la règle de droit dont il faut essayer de mesurer et d’amoindrir les coûts financiers qu’elle impose. Or, il nous apparaît clairement dans cette logique qu’est en train de s’opérer progressivement une substitution de pouvoirs. Au pouvoir du droit étatique pour ordonner la société est en train de se substituer le pouvoir de la finance qui, envisagée au niveau mondial, semble avoir de moins en moins de contraintes juridiques. Au pouvoir des mots se substitue le pouvoir des chiffres. Au libéralisme juridiquement construit se substitue le libéralisme financièrement structuré. Il y a bien sûr dans cette logique une sorte de disjonction entre libéralisme et capitalisme, ce dernier étant en réalité profondément liberticide tant pour l’initiative privée que pour les Etats. Et l’on remarquera à ce propos que toute la politique européenne aura bien consisté à limiter le droit public des Etats-membres sans pour autant reconstruire au niveau européen cette structure juridique de droit public organisant «l’Etat de droit économique».

Peut-on dès lors considérer que nous sommes entrés dans une nouvelle ère où l’économie ne serait plus encadrée et gouvernée au nom de l’intérêt général? Cela supposerait en en tout état de cause un profond renouvellement de notre conception de la représentation et de l’action démocratique par le biais du pouvoir d’Etat. L’histoire relativement récente semble cependant nous prouver le contraire. En effet, la crise des subprimes a engendré un tel désastre financier que les Etats ont du intervenir au nom de l’intérêt général pour faire face à ces circonstances exceptionnelles qui menaçaient le monde bancaire d’un effondrement mondial. De même, la crise grecque appelle les Etats à agir au nom de l’intérêt général pour trouver des solutions à cette incroyable escroquerie à la dette d’Etat. Et nous remarquerons à chaque fois que l’abandon des cadres juridiques de la souveraineté structurant le pouvoir d’Etat sur l’économie au nom du marché s’achève généralement en véritable désastre économique et financier. Le problème est qu’un nombre assez important d’Etats n’auront plus la ressource financière lors de la prochaine crise pour arriver à secourir une économie et un système bancaire au bord du gouffre. Le remède viendra alors par la constatation comptable de la faillite des économies occidentales. C’est dans ce processus que semble s’être engagée la banque centrale européenne avec son programme d’achat massif de dettes d’Etat29. Nous retiendrons que là aussi le remède n’est pas juridique, il est purement financier et risque en violation des Traités européens d’engendrer une inflation phénoménale qui ne nous semble en aucun cas être une logique de défense de l’intérêt général. Il s’agit bien d’une logique de faillite. Preuve s’il en fallait que la monnaie est une prérogative régalienne ne pouvant être mise au dessus des Etats-membres sans fédéraliser aussi leur budget.

B/ L’impossible marché du droit public

Il est très difficile dans cette partie de notre étude de démontrer scientifiquement ce qui va être avancé tant il n’existe que très peu de statistiques officielles sur l’évolution contemporaine du droit économique. Nous allons donc essentiellement raisonner en termes d’intérêt pour essayer de comprendre les dernières évolutions de ce droit. La notion d’intérêt est bien sûr sujette à caution tant les interprétations peuvent être des plus variées à propos d’un même problème. Les juristes de droit public le savent mieux que tout autres qui ont quotidiennement à comprendre, à mesurer et à contrôler ce que peut être l’intérêt général dans telle ou telle affaire. Convenons ainsi que le concept d’intérêt est en quelque sorte un bon compas de marine. La très forte limitation du pouvoir d’Etat dans ses interventions l’économiques étant acquise, la conséquence logique de cette évolution a été pour les investisseurs d’avoir recours au droit contractuel anglo-saxon destiné à mettre en forme ces nouvelles libertés économiques mondialisées. Or, ces conceptions du droit dans leur action sur l’économie sont de plus en plus éloignées de ce que représentait notre conception du droit public fondée sur l’intérêt général. Là aussi, les logiques de marché semblent ainsi inexorablement l’emporter sur les logiques d’Etat. Le droit des contrats anglo-saxon est ainsi de plus en plus libre des entraves que lui imposait le droit public économique. Il s’est donc en quelque sorte opéré une déjuridicisation des libertés économiques au sens où elles étaient autrefois construites et encadrées par le droit public et ces même libertés ont été peu à peu juridicisées autour des moyens qu’offre le droit anglo-saxon. Cette analyse toute doctrinale est bien sûr assez peu juridique quoiqu’il soit indispensable d’être juriste pour bien comprendre nombre d’enjeux, notamment celui consistant à bien mesurer la force obligatoire de chaque règle en cause. Si la liberté contractuelle anglo-saxonne semble maintenant prééminente, peut-on dire pour autant qu’elle a instauré un marché du droit? La logique de marchéïsation de l’économie a t-elle soumis à sa logique de l’offre et de la demande la règle de droit? Ce que nous pouvons constater est qu’il n’existe pas à proprement parler de marché structuré et – sans ironie aucune – «réglementé» de la règle de droit. Il n’existe donc pas de système de «bourse» du droit comme cela existe pour les instruments financiers représentant toutes sortes d’actifs comme les valeurs mobilières ou les matières premières. Le «marché» du droit n’étant pas institutionnalisé, il ne peut donc exister que sous la forme d’un «marché» de gré à gré où les investisseurs soumettent au jeu de la compétition économique les systèmes normatifs des Etats. Mais qu’entendons nous par marché ? Il n’existe à vrai dire qu’une définition doctrinale du marché de gré à gré. Le marché de géré à gré juridiquement non défini a ainsi toujours été considéré comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande prétendant manifester de façon impartiale la volonté de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix. Cette définition, il est vrai assez générale, avait le mérite de cerner en quelques traits ce que pouvait être un marché encadré par un Etat souverain maître de ses relations internationales. Mais la construction européenne et le développement de la mondialisation imposent désormais une précision essentielle: Il faut ajouter en effet en plus des « données fondamentales économiques, sociales et politiques », la donnée «juridique». On attend ainsi des analystes économiques du droit un bilan économique qui devra évaluer financièrement chaque règle considérée comme incontournable et ce que pourra couter son éventuelle transgression. Ces analyses effectuées, les comparaisons entre les différents systèmes normatifs sont effectués et les investisseurs vont tenter de déterminer quel système leur apparaît comme le plus avantageux pour leur activité économique. Et l’on notera que l’oeuvre de l’OMC tendant à vouloir harmoniser le droit de ses Etats membres pour favoriser son oeuvre uniformisante n’a pas encore atteint son objectif. Il reste encore de très fortes différences de coûts liés à la structure juridique qu’imposent les Etats de par le monde. Ainsi, la clause de la nation la plus favorisée et la clause du traitement national, les accords sur les obstacles techniques du commerce ou l’accord relatif aux mesures concernant les investissements, l’accord relatif à l’inspection avant expédition, etc…30 sont autant d’accords et de clauses qui mettent en relief les droits faisant encore obstacle au développement du commerce international. On remarquera d’ailleurs que ce qui produit de nos jours des distorsions de compétitivité entre les différents systèmes normatifs est essentiellement lié aux domaines dans lesquels les Etats sont restés souverains, c’est à dire en matière fiscale, sociale, environnementale et monétaire pour certains. Or, si l’incidence économique de ces règles de droit interne est encore considérable, on remarquera que l’OMC du libre échange exerce une pression économique concurrentielle permanente sur les droits internes des Etats. Les logiques de délocalisation des entreprises en sont une preuve irréfutable et l’objectif politique des ultra-libéraux est bien de laisser la compétition économique mondialisée faire pression sur le droit fiscal, le droit social et environnemental pour limiter les coûts économiques qu’ils imposent. Ces mêmes Etats ont d’ailleurs conscience de ce «jugement» financier que porte les investisseurs internationaux sur leur attractivité. En ce sens, l’agence française pour les investissements internationaux ( Business France depuis peu…) publie chaque année un « Tableau de bord de l’attractivité de la France ». L’environnement normatif n’est pas le seul critère d’évaluation de l’agence, mais ce critère est en réalité sous-jacent à tous les autres31. Le «marché» du droit que nous venons de décrire nous apparaît donc comme informel, implicite au droit positif et pourtant assez déterminant pour le comportement des investisseurs. Mais existe t-il un marché officiel du droit ? Le seul exemple de marché officiel du droit que nous pouvons citer est le marché des droits à polluer. En réalité ce marché des permis d’émission ne confère aucun «droit à polluer», mais fixe seulement un prix de marché à la pollution en tant qu’externalité, dotée d’un coût environnemental. Ce marché des droits à polluer ne doit cependant pas être négligé au sens où son concept général est très intéressant quand bien même il ne pourrait en réalité être que très difficilement étendu à d’autres domaines. On pense bien sûr à celui des externalités sociales résultant du refus des entreprises de prendre en compte les dépenses de santé inhérentes à tous les salariés employés de par le monde. Il y aurait ainsi un marché des «droits sociaux» comme il existe un marché «des droits à polluer». Mais payer des droits pour éviter de payer une couverture sociale à ses salariés apparaît d’un cynisme moralement inacceptable. S’il n’est toujours pas possible de produire de l’acier sans polluer, il est surement possible d’employer des salariés en leur assurant un minimum de sécurité sociale. Mais dès lors, le débat sur la liberté complique à nouveau le débat éthique. Les pays les moins avancés invoquent leur liberté pour défendre leur avantage comparatif constitué pour l’essentiel d’une main d’oeuvre travaillant pour de bas salaires. Ces derniers restent les fervents défenseurs de ce travail à bas prix. Quant aux pays développés, leur position est plus nuancée. Leurs entreprises pouvant profiter des stratégies de délocalisation industrielles défendent le libre échange. Quant aux Etats, ils restent pris dans un discours contradictoire sur les droits de l’homme et les droits sociaux qui s’opposent à la défense des intérêts supérieurs de leurs grandes entreprises vivant du commerce international. La clef du problème nous semble dès lors se trouver dans le comportement des consommateurs qui nous apparaît comme un plébiscite en faveur du commerce mondial et de ses prix à la consommation les plus bas possibles. Le libre échange puiserait ainsi sa légitimité dans la démocratie de marché des consommateurs qui approuveraient implicitement par leurs actes d’achat la logique même du libre échange. Ce modèle économique et financier du libre échange est pourtant un modèle de déséquilibre et il est constant que si les pays européens veulent en profiter tout en y voyant une menace pour leur industrie, leurs droits sociaux et environnementaux, on peut aussi observer tout aussi paradoxalement que les peuples des pays les

moins avancés tentant de s’enrichir par le libre échange aspirent dans le même temps à l’établissement dans leur pays d’un environnement juridique de type occidental. Quelles solutions apporter à ces situations? Nous observerons que des solutions de compromis avaient été envisagées par plusieurs auteurs pour tenter de réguler le libre échange. On retiendra par exemple l’idée de Maurice Lauré (inventeur de la TVA) qui avait mis au point une taxe sur les importations européennes (dites «taxe Lauré»)32. Les sommes collectées par cette taxe devaient être créditées au pays exportateur et ne pouvaient être utilisables que pour l’achat de marchandises européennes. Ainsi, Maurice Lauré proposait que le produit de ces droits, au lieu de tomber dans le budget général, soit entièrement destiné à subventionner nos exportations, notamment de biens d’équipement, à destination des pays dont nous aurions taxé les importations chez nous33. D’autres proposition comme celle de Bernard Cassen consistait à inventer ensemble un « protectionnisme altruiste et d’affecter les recettes de la taxe « à des fins sociales, environnementales et éducatives» dans le pays exportateur34. D’autres, enfin, comme Jacques Bichot ciblaient d’autres financements: celui de l’agence mondiale du médicament35, celui de l’aide aux pays pauvres pour lutter contre le changement climatique par l’investissement dans des dispositifs économisant l’énergie36. Mais les taxes énoncées ci-dessus n’ont jamais fait l’objet d’un consensus. Selon leurs défenseurs, ces taxes auraient la double vertu de permettre une amélioration des conditions de vie dans les pays les moins avancés (PMA) et de diminuer les incitations à la délocalisation. Il s’agirait donc de protéger les conditions de travail dans les pays importateurs comme exportateurs sans nuire au développement des échanges internationaux en les rendant simplement plus justes. Dans cette logique, le dumping social serait donc devenu impossible. Mais selon leurs détracteurs, ces taxes sont surtout une bonne manière d’organiser un protectionnisme sous couvert de solidarité internationale. Et cela suppose aussi, à tort ou à raison, que ces pays ne peuvent pas ou ne veulent pas taxer eux-mêmes leurs exportations alors qu’il serait peut être de leur intérêt de le faire. Enfin, comme dernière illustration des difficultés du droit à reprendre la main sur l’économie et la finance mondialisée, nous remarquerons les problèmes que rencontrent les Etats voulant imposer la taxe sur les transactions financières, dites taxes Tobin sur la scène internationale37.

Ce que nous retiendrons de ces tentatives de régulation du commerce international cherchant à mettre en oeuvre un protectionnisme raisonné et ciblé ou une régulation de la finance internationale est qu’elles sont un échec total. Un consensus assez diffus émanant des instances étatiques, des organisations internationales, des grandes entreprises et des consommateurs s’est instauré. Il semble accepter l’idée que le marché mondial doit être parfaitement libre et que le droit, selon les préceptes de la common law, doit s’adapter aux évolutions économiques et financières du monde. Dans cette perspective, le droit est aussi soumis à la loi du marché et il appartient aux Etats et à l’initiative privée de s’organiser autour de ces phénomènes économiques et financiers. Cette logique de compétition s’exerçant sur le droit connaît pourtant quelques limites qui font souvent reculer les grands investisseurs internationaux. Ces limites sont bien sur d’ordre politique. C’est ainsi que certains pays éventuellement propices à l’implantation de la logique concurrentielle du libre échange s’avèrent des pays politiquement instables où la sécurité juridique des investisseurs n’est pas assurée. Par ailleurs, les infrastructures sont souvent inexistantes ou de très faible qualité. Dans la même logique calculatrice, les financiers remarquent que le niveau d’éducation des personnes est également assez bas. Or, il est rare que les grands argentiers acceptent d’internaliser ces coûts en matière d’éducation ou d’infrastructures. Elle s’oppose à leur logique de collectivisation des coûts et de privatisation des profits. On remarquera ainsi que ces dynamiques de subordination du droit aux logiques de l’offre et de la demande économique ne peuvent pas vraiment être institutionnalisées car elles font preuve d’un cynisme politiquement intenable sur le long terme. Cette situation d’ensemble est enfin très inquiétante au regard de nos conceptions en Europe de l’Etat et du droit. En effet, l’abrogation des textes qui organisaient la souveraineté des Etats sur l’économie, la juridicisation de certaines doctrines économiques comme celle du libre échange dans les Traités européens a provoqué ce que l’on pourrait appeler une déjuridicisation du droit public économique, cela aux fins d’y substituer comme nous l’avons dit une sorte de normativité économique des comportements entérinée par le droit des contrats anglo-saxons. La question posée par ces évolutions sera de savoir si un Etat dont le droit est soumis aux lois du marché peut encore justement être considéré comme un Etat eu égard à la définition de la notion de souveraineté que nous avions apprise par coeur. Peut être faudrait-il inventer un nouveau droit de la concurrence qui serait applicable au droit lui même pour éviter toutes les distorsions et autres déséquilibres engendrés par le libre échange. Les déséquilibres autrefois imposés par le droit public économique étaient moralement justifiés par la défense de d’intérêt général. Il n’est pas certain que nous soyons traversé par un même sentiment de justice à la lecture des clauses léonines que recèlent les contrats inspirés par la Common Law. Nous ne nous étonnerons donc pas de l’instabilité politique que peut engendrer cette même Common Law. Voilà donc au moins une raison pour estimer que le droit ne peut être soumis aux seules logiques du marché mondialisé.

Christophe LEROY

Maître de conférences

à l’Université de Perpignan Via Domitia.

1Arrêt Melki du 1§ avril 2010: Dans son cet arrêt, la Cour de cassation fait valoir que l’article 78-2 alinéa 4 du code de procédure pénale est contraire au principe de libre circulation des personnes posé par l’article 67 TFUE et que, par le truchement de l’article 88-1 de la Constitution, cet article 78-2 alinéa 4 est aussi contraire à la Constitution. Cette argumentation, tendant à faire entrer le droit de l’Union dans le bloc de constitutionnalité, est tout à fait contestable et contestée (voir notamment Denys Simon Conventionnalité et constitutionnalité, Revue Pouvoirs n°137 – La question prioritaire de constitutionnalité – avril 2011 – p.19-31. pp. 22-23).

2 L’élimination des entraves techniques aux échanges de produits industriels se base normalement sur l’article 115 du traité sur le fonctionnement de l’UE (ex-article 94 TCE) prévoyant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché commun. Sur cette base juridique, la Commission a, pendant de longues années, tenté d’aligner les réglementations nationales sur de normes communautaires convenues dans des directives du Conseil. Toutefois, cet alignement n’est pas aussi facile qu’il semble de prime abord. Comme les réglementations techniques concernent les systèmes de production et, par conséquent, les investissements déjà effectués et comme leur harmonisation implique parfois la nécessité pour les industriels de certains États membres de changer leurs systèmes de production en faisant de nouvelles dépenses d’investissements, l’élimination des entraves techniques aux échanges par l’harmonisation des législations passait par d’interminables discussions. Chaque pays membre essayait de convaincre ses partenaires que ses propres réglementations techniques étaient les meilleures et devaient être adoptées par la Communauté européenne.

3 Liberté d’établissement dont les bases juridiques sont les articles 26 (marché intérieur), 49 à 55 (établissement), et 56 à 62 (services) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

4Article 106 (ex-article 86 TCE):

1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus.

2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

5 Article L-410-1 du code de commerce: Les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.

6 Article 107 à 109 du TFUE.

7 G. Gonzalez, «Domaine public et droit de la concurrence», AJDA 1999.387

  • 8 Berlin, «Les actes de la puissance publique et le droit de la concurrence», AJDA 1995.259.

9 M. Bazex, «La libre concurrence, nouvelle source de l’action administrative», Gaz. pal. 25 juillet 2001.

10 «L’égalité de traitement en matière de prestations sociales dans l’Union européenne, au regard de l’ordonnance du Bundessozialgericht» (B 4 AS 9/13 R) du 12 décembre 2013, par Mélanie Reuter. Si l’égalité de traitement des travailleurs relative à l’emploi, la rémunération et aux conditions de travail est acquise, la prise en compte de prestations sociales de type Hartz IV demeure encore incertaine.CJUE «Bundesdruckerei», 18 septembre 2014, ou l’effacement de la protection sociale des travailleurs face à la libre prestation de services, par Audrey Broche le 03/04/2015. Le 18 septembre 2014, la CJUE a jugé qu’un salaire minimum ne peut en principe pas être imposé au sous-traitant à un marché public établi dans un autre Etat membre. Cette décision illustre la question de la difficile conciliation du respect de la libre prestation de services avec celui des droits sociaux nationaux.

11 L’élimination des entraves techniques aux échanges de produits industriels se base normalement sur l’article 115 du traité sur le fonctionnement de l’UE (ex-article 94 TCE) prévoyant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché commun.

12 Une solution semble pourtant s’esquisser avec l’entrée en vigueur le 21 mais 2013 du « two pack« , paquet sur la gouvernance visant à renforcer la coordination et la surveillance économiques et budgétaires au sein de la zone euro.

13«L’intérêt général comme régulateur des marchés», C. Leroy, revue trimestrielle de droit européen, juin 2000

14 Tiphaine Régnier, «La protection internationale des travailleurs à l’épreuve de la libéralisation des échanges : la clause sociale dans le système de l’omc ». In « Mutations de l’Etat et protection des droits de l’homme», Presses universitaires de Paris Ouest, p.223.

15Ainsi, le TDEC (tarif douanier extérieur commun) a baissé de 7,5 % lors du Dillon Round (1961-1962), de 35 % lors du Kennedy Round (1964-1967), de 30 % lors du Tokyo Round (1973-1979) et enfin de 38 % lors de l’Uruguay Round (1986-1994). À chaque cycle de négociations, le niveau du TDEC a suivi la réduction globale négociée des droits de douane. Sa moyenne qui était de 40 % environ après la Seconde Guerre mondiale, s’établissait à 12,8 % en 1960, puis à 6,9 % en 1972, et est aujourd’hui de l’ordre de 3 % (quand les droits ne sont pas supprimés totalement, ainsi qu’il en a été décidé pour huit secteurs dans le cadre de l’Uruguay Round).

16 «Le Traité transatlantique et autres menaces», Alain de Benoist, éditions Pierre Guillaume de Roux, janvier 2015, 230 pages.

17Article 25 du mandat de négociation en date du 17 juin 2013 du Conseil de l’Union européenne

18 «L’approche du principe de précaution par l’Union Européenne et l’OMC, illustrée par le cas de la viande aux hormones», par Blandine Gayral, le 14/04/2011, publication internet, Le débat sur les OGM pose de nombreuses questions, en particulier en raison des liens étroits qu’il entretient avec les règles du commerce international. L’Union Européenne et l’OMC ont adopté une attitude différente par rapport à ces problématiques. Tandis que l’Union Européenne prône une approche fondée sur le principe de précaution, l’OMC nie la valeur coutumière de ce principe et requiert une évaluation des risques fondée sur des preuves scientifiques solides.

19Articles 22 et 23 du mandat de négociation en date du 17 juin 2013 du Conseil de l’Union européenne.

20 «Le grand marché transatlantique», Raoul Marc Jennar, Les éditions du Cap Béar, 63 pages.

21Doing Business, 11° édition, 2014, p.2, Publication de la Banque mondiale, disponible sur internet.

22Rapport 2014 de l’OIT, p.4, en ligne sur internet.

23Les chambres de compensation qui n’existent plus en Europe viennent d’être instituées en Chine: «La longue marche du Yuan vers la convertibilité», P. Fay. Journal les échos du vendredi 17 avril 2015, p. 28.

24Article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ex-article 87 TCE) Sauf dérogations prévues par les traités,sont incompatibles avec le marché intérieur,dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

25C. Leroy «Les rapports entre le concept de libre échange et le droit de la concurrence». Revue LAMY droit de la concurrence, Mars 2012.

26 Tenir compte cependant de la Décision n° 2015-484 QPC du 22 septembre 2015.

27C. Leroy « De la normativité économique en démocratie de marché »  Mélanges offerts à Monsieur Le Professeur Jacques Dupichot, 2004.

28 On notera principalement l’article 21 du traité sur l’Union européenne qui encourage la suppression progressive des obstacles au commerce mondial. Vient ensuite l’article 28 qui concerne l’adoption d’un tarif douanier commun vis-à-vis des pays tiers, ce qui relève effectivement d’une compétence exclusive de l’Union prévue à l’article 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’article 206 prévoit par le biais de cette union douanière la contribution de l’Union dans l’intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. Enfin, corollaire de toute entreprise de libre échange, l’article 63 de ce même traité qui prévoit que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

29 Ce programme de rachat de dettes vise à acheter de la dette aux détenteurs de dettes. Il s’agit pas de racheter des titres pour les annuler. Il n’y a donc pas diminution de la dette des Etats.

30 On peut citer aussi: L’accord relatif aux règles d’origine, l’accord relatif aux procédures en matière de licences d’importation, l’accord sur les subventions et mesures compensatoires, l’accord relatif aux sauvegardes et l’accord sur les obstacles techniques au commerce.

31 L’AFFI utilise neuf « déterminants de l’attractivité » (taille et dynamisme du marché, éducation et capital humain, recherche et innovation, infrastructures, environnement administratif et réglementaire, environnement financier, coûts et fiscalité, qualité de vie et croissance verte). Edition 2014 du «Tableau de bord de l’attractivité de la France» (AFFI).

32«Modestes propositions pour sortir de la crise… Des pistes à explorer », Le Monde diplomatique, février 1996.

33 Lauré, Maurice « La fin de l’avantage comparatif de la révolution industrielle » [archive]. La jaune et la rouge, N° 521, janvier 1997.

34 Contre la prolifération du commerce international. Inventer ensemble un « protectionnisme altruiste » [archive], Le Monde diplomatique, février 2000.

35 Bichot, Jacques «Des médicaments accessibles, La Croix, 29 Novembre 2001.

36 Bichot, Jacques «Copenhague : redécouvrir la taxe Lauré» , 18 décembre 2009.

37 Taxe sur les transactions financières: Cet instrument poursuit trois objectifs qui semblent pourtant légitimes: pénaliser les opérations financières purement spéculatives, substituer à la logique court-termiste l’investissement de long terme répondant aux besoins de l’économie réelle et enfin dégager des ressources indispensables en ces temps de contrainte budgétaire.