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Chronique de Favilla (les échos du 18 août 2006), article de Guy Carcassonne et Olivier Duhamel (le monde du 8 mars 2006), des voix s’élèvent pour nous proposer diverses solutions pour éviter un nouveau 21 avril. Or, donner dans la discipline de parti (interdiction pour les maires de parrainer un candidat autre que celui désigné par le PS) ou la modification de modes de scrutin (Instauration d’un tour intermédiaire éliminant les candidats qui n’ont pas atteint un certain seuil de voix) nous paraissent être la dernière des solutions à envisager si l’on veut justement éviter que l’histoire ne se répète.

A moins de réécrire toute une théorie de l’argumentation, il nous semble légitime que le jeu démocratique œuvre en faisant confiance au jugement du peuple sur la politique menée et à venir. Remédier par l’autoritarisme de parti ou le bricolage électoral aux dénis de politique des gouvernements successifs depuis plus de vingt ans, au point d’en rendre l’alternance gauche/droite parfaitement stérile, ressemble fort à ce que conçoivent les stratèges aux abois. Le peuple français depuis 1981 a toujours éconduit les majorités sortantes. Le même peuple du 21 avril 2002, du 5 mai 2002 et du 29 mai 2005 s’est également clairement exprimé. Aucune inflexion décisive n’a été apportée sur les politiques menées au plus haut niveau de l’Etat.

Les enjeux politiques pour l’élection présidentielle de 2007 nous semblent pourtant assez clairs et le recours aux stratagèmes de dernière heure n’apportera aucune amélioration notable de l’expression démocratique. L’autoritarisme politique comme la règle de droit, et surtout celle des modes de scrutin, n’ont en effet jamais empêché un courant politique d’œuvrer. Alors, oui, messieurs les journalistes et constitutionalistes, Le Pen Jean-Marie sera bien au second tour des élections présidentielles si la classe politique au pouvoir depuis une trentaine d’années n’a pour seule ambition que de brider la démocratie, prenant une fois de plus le peuple pour un mal comprenant. Le risque évident d’éparpillement des électeurs au premier tour est du à des problèmes politiques de fond, et non à un problème de garde-fou démocratique. Voilà ce que vos consignes de parrainages et réforme de l’élection, présentées comme la seule solution, veulent taire.

Le courage est maintenant dans le choix politique de la volte-face et non dans les barricades juridiques. Que les hommes des grands partis de gauche et de droite aient bien conscience qu’ils laissent un très large champ politique parfaitement libre aux partis les plus extrémistes. Ce champ politique est celui qui consiste pour l’essentiel à proposer des solutions tranchantes pour résoudre le problème de l’emploi (hors bricolage comptable), de la désindustrialisation, du surendettement de l’Etat, de l’éducation, de l’immigration et de notre place dans une Europe à la dérive.

Faut-il oui ou non renoncer à nos systèmes d’assurance maladie, d’assurance chômage et de retraite pour rester dans la compétition mondiale ? Si nous ne voulons pas y renoncer, que faut-il faire ? Du patriotisme économique ? En revenir à un minimum de protectionnisme ? Réformer notre fiscalité ? Faut-il sommer l’Europe de réagir et exiger des limitations au libre-échange économique et financier? Ou au contraire, faut-il admettre enfin que nous sommes un peuple d’un autre temps et qu’il faut dès lors réformer nos conceptions de fond en comble pour rester dans la compétition mondiale ? Ces enjeux, encore une fois, sont clairs: ils sont économiques comme juridiques, mais d’un niveau supérieur. Demandons-nous jusqu’à quel point nous pourrons laisser l’économie mondiale de marché avoir le droit de réformer notre contrat social?

On comprendra dès lors que les solutions ne sont donc pas dans les réformes qui s’en prennent à la représentation démocratique. Le courage politique est sûrement maintenant dans l’exposé de programmes qui bénéficient de la présomption d’impopularité. Tout simplement parce que le peuple, s’il n’est pas un technicien du droit ou de l’économie, a quand même suffisamment d’intuition pour se forger un jugement. Ainsi, des solutions économiquement drastiques pourront être acceptées si elles sont clairement exposées par des démocrates convaincus, et non par des tartuffes du politiquement correct, du soi disant démocratiquement acceptable ou autres extrémistes.

Pour l’heure, n’oublions pas que la France vit dans la déconvenue. Qu’elle voit aujourd’hui en sondage (en rêve) clairement une candidate au second tour ne présume en rien de ce qui risque de se passer au premier. Si les campagnes présidentielles des deux grands partis laissent les français déçus et exaspérés, la contestation sera terrifiante.

Journal « Les Echos » 14 septembre 2006

Christophe LEROY
Maître de conférences
Université de Paris XII Saint-Maur.