« Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur(1) . »
Jean Cocteau.
Il est des concepts qui perdent leur fondement dans la réalité présente au sens où ce qu’ils désignent et tentent de définir a subi une telle mutation que seule l’ironie permet de qualifier cette réalité présente par son concept originel. Certes, le concept évolue, s’aidant d’exceptions et de paradoxes, mais il arrive que les contradictions soient les plus fortes. Elles sonnent alors le glas du concept qui établissait un ordre et donnait un sens à une réalité.
Nombre d’Etats en cette fin de vingtième siècle ont opté pour des orientations politiques prônant une économie de marché fortement libérale qui soulèvent des questions de fond dont celles des rapports qu’entretiennent l’Etat et le marché(2) . Il est de nos jours quotidiennement constaté que le développement du commerce international pose des problèmes complexes aux Etats quant à leur souveraineté économique et à leur politique générale d’intervention vis-à-vis du marché. Aussi est-il peut-être intéressant de s’interroger sur les remises en cause fondamentales que peuvent impliquer pour l’Etat et le marché ce développement international des activités économiques de l’industrie, des services et de la finance dans un contexte de forte concurrence.
Les phénomènes économiques contemporains érodent, voire abrasent les conceptions classiques du pouvoir d’Etat, du marché et des rapports qu’ils sont censés entretenir. Dans cette nouvelle ère économique où ces concepts d’Etat et de marché semblent perdre pied avec la réalité, il nous est apparu pertinent d’étudier les causes de ce déclin et ce que l’avenir peut laisser entrevoir comme remède s’il en est. La difficulté de cette étude réside dans le choix des notions d’Etat et de marché qui font appels à une multitude de facteurs qui, bien qu’ayant une incidence normative, ne sont pas toujours facilement réductible au strict raisonnement juridique. Il est pourtant indéniable que les phénomènes économiques ont de nos jours une puissance normative qui entre en concurrence avec les moyens juridiques classiques dont dispose l’Etat. Vouloir l’ignorer est ce méprendre profondément sur l’évolution de notre monde contemporain. L’aborder et tenter d’étudier ces phénomènes de concurrence normative entre Etat et marché jusque dans leurs ultimes développements est extrêmement risqué. Le risque est pris de démontrer que l’économie de marché contemporaine qui est un facteur de déclin de l’Etat ne peut cependant se passer d’une puissance publique pour son organisation et son fonctionnement. Ceci étant, la restauration de la puissance d’Etat sur l’économie ne semble pouvoir s’opérer qu’au prix d’un abandon probablement irréversible de souveraineté des Etats-nations.
1/ LA MONDIALISATION DE L’ECONOMIE OU LA REMISE EN CAUSE DU CONCEPT D’ETAT-NATION:
A/ Les facteurs économiques du dépérissement de l’Etat-nation:
Les facteurs du dépérissement de la souveraineté des Etats sur les marchés sont multiples et il est difficile de faire une analyse globale systématisée de ce déclin tant la démarche qui a conduit à certaines situations de contradictions juridiques et économiques relève d’un manque de cohérence certain de la part des décideurs politiques(3) . Les causes du déclin de la puissance d’Etat sur les phénomènes économiques sont extrêmement complexes. Aussi, nous n’envisagerons dans cette étude que les principaux facteurs dont le rôle nous est apparu déterminant dans la transformation des rapports entre puissance d’Etat et puissance économique.
Pour mieux comprendre le contexte actuel, peut-être convient-il de reprendre certains principes à leurs prémisses afin de mieux apprécier les modifications de leurs actuels développements.
Un des principes fondamentaux qui de nos jours n’est plus respecté sur le plan économique et dont dépend pourtant l’existence même de l’Etat est le principe de sa souveraineté. Une des caractéristiques essentielles de l’Etat est pourtant bien d’être souverain(4) . L’oeuvre des dirigeants politiques et des juristes est d’ailleurs d’organiser par des règles de droit cette suprématie de l’Etat en la rendant compatible avec l’ensemble des activités humaines se déroulant sur son territoire. Il est ainsi communément admis que c’est par le pouvoir suprême de coercition, par le monopole légal de la violence physique légitime que l’Etat fait respecter sur son territoire son système normatif par ses administrés et les Etats tiers. Certes, et ceci est essentiel dans une démocratie libérale, toute activité humaine doit bénéficier de la présomption de liberté(5) . Mais ces activités doivent cependant respecter l’ordre public. C’est donc la loi et, dans le silence de celle-ci lorsqu’il y a urgence, la police qui doit s’assurer que les activités économiques se déroulant sur le territoire de l’Etat ne sont pas nuisibles à la société selon les termes de l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789(6) . Le problème contemporain en matière d’ordre public économique est que le système normatif actuellement en place considère comme licite au nom d’une idéologie libérale dominante certains dommages économiques causés au tissu économique national dont le moins que l’on puisse affirmer est qu’ils sont nuisibles à la société du fait de leurs incidences sociales. Cette prise de position politique des gouvernements actuels d’admettre par exemple comme licite les dommages très importants que peut provoquer la concurrence internationale à une économie nationale trouve aujourd’hui sa traduction juridique dans les constitutions, lois et règlements qui donnent un sens nouveau au contrat social des sociétés modernes.
Dans la conception classique de l’Etat, c’est la norme juridique qui dicte le comportement. Or, l’important développement de l’activité économique et sa médiatisation comme source de bonheur dans nombre d’Etats contemporains est venu bousculer cette conception de la souveraineté. C’est ainsi que le marché qui exprime la surpuissance de l’économie en est arrivé avec la complicité des médias à acquérir le pouvoir de déterminer des valeurs normatives existentielles (ce qu’il faut avoir pour être heureux…). Or, cette puissance de normalisation économique des comportements concurrence d’une certaine manière l’Etat chargé d’établir les normes qui font le contrat social d’une société. Le Professeur Jean-Pierre Henry démontre dans un article intitulé « le marché contre l’Etat » qu’à la norme étatique est entrain de se substituer de nos jours une normalisation industrielle des comportements(7) . Cette analyse nous amène bien sûr à nous interroger jusqu’à quel point cette concurrence du marché à l’encontre de la puissance publique peut être poussée et quels sont les moyens juridiques que cette dernière tient à sa disposition pour faire respecter en dernier ressort son autorité. Plus fondamentalement, il convient de s’interroger sur l’existence juridique et l’application contemporaine des principes qui gouvernent les rapports entre l’Etat et le marché.
L’idée commune de l’Etat que se sont faites pendant des siècles les hommes politiques comme les juristes ne concevait pas sérieusement, sauf à de rares exceptions(8), que le commerce et le marché en arriveraient un jour à concurrencer la puissance publique au point de remettre en cause sa souveraineté. La définition classique de la souveraineté de l’Etat n’envisage d’ailleurs pas explicitement le marché. Du moins, n’étant pas cité comme un des attributs de la souveraineté, il est considéré comme ne devant pas la remettre en cause.
L’idée assez souvent réductrice de l’initiative économique privée a été au cours des siècles qu’il fallait subir la puissance publique comme une pénible nécessité. Cela bien sûr sans mesurer l’enjeu exact de son rôle(9) . Il pouvait être fait pression auprès de certaines instances du pouvoir d’Etat pour tenter d’obtenir quelques avantages, mais les acteurs du marché percevaient l’Etat comme le maître en dernier ressort des forces économiques et financières en lutte sur son territoire et le maître de ses relations économiques internationales. Le Général de Gaulle n’envisageait pas autrement à ce propos les rapports entre l’Etat et le Marché(10) : « Le marché, Peyrefitte, il a du bon. Il oblige les gens à se dégourdir. Il donne une prime aux meilleurs. Il encourage à dépasser les autres et à se dépasser soi-même. Mais en même temps, il fabrique des injustices. Il installe des monopoles. Il favorise les tricheurs. Le marché n’est pas au-dessus de la nation et de l’Etat. C’est la nation, c’est l’Etat qui doit surplomber le marché ». Cette vision politique des rapports entre l’Etat et le marché est aujourd’hui quelque peu dépassée. Elle a cependant le mérite de nous montrer à quel point la puissance publique n’est plus véritablement souveraine, à quel point le marché est entrain de supplanter l’Etat en imposant une normalisation industrielle des esprits et à quel point enfin les forces économiques ont maintenant tissé une souveraineté financière trans-étatique à qui importe peu les problèmes sociaux de l’ensemble des régions du globe.
Ce dépassement de la puissance publique par le marché n’est pourtant pas nouveau. Déjà au XVII° siècle, l’Etat pour se développer recherchait une base économique plus large afin de subvenir aux besoins de ses ambitions. La stratégie de l’Etat était pour dépasser la puissance des villes-Etats commerçantes de créer un marché aux dimensions du territoire national(11) . Or, si au début l’Etat était en concurrence avec les villes, sa création d’un espace économique homogène à l’intérieur duquel les échanges pouvaient s’effectuer sans entrave l’a révélé comme beaucoup plus puissant que les villes qu’il a fini par absorber. On remarquera cependant d’une part que cette entreprise de domination économique de l’Etat était un moyen de donner une assise à sa souveraineté, d’autre part que le transfert de l’autorité publique s’est fait des villes-Etats à l’Etat. Enfin, l’enjeu n’était pas seulement économique. Il était certes militaire, mais la volonté était aussi d’unifier par la norme, la langue et la religion un peuple résidant sur un territoire déterminé dans le but de créer une identité nationale, une civilisation française, c’est-à-dire un Etat-nation.
Cette remarque historique nous montre que le siège contemporain de l’Etat par les forces économiques n’a pas le même objectif et la même signification que celle qu’avait l’entreprise de domination de l’Etat des XVII° et XVIII° siècles. Une des grandes différences semble être que la volonté de nos ancêtres était bien de créer un Etat surpuissant alors que la volonté de nos contemporains voulant créer l’Union européenne est avant tout de créer un marché surpuissant. Le mythe fondateur n’est plus le même. Alors que les grandes villes commerçantes du XVII° perdaient leur autorité sur leur marché au profit de l’Etat, celui-ci délègue aujourd’hui sa souveraineté pour que soit établi un gigantesque marché unique dont le souverain politique n’existe pas vraiment. Le problème dès lors est de savoir quels vont être les nouveaux rapports entre le marché et la puissance d’Etat. On peut ainsi légitimement se demander dans quelle mesure le marché peut ne plus dépendre de la puissance d’Etat. Les accords O.M.C, puis le Traité de l’Union européenne posent ce problème.
L’O.M.C, en premier lieu, est un traité de droit international économique visant à mettre en place un système juridique destiné à abolir les mesures protectionnistes et autres restrictions aux échanges commerciaux que les Etats peuvent avoir la tentation de mettre en place pour protéger leur économie. Certes, c’est par un libre consentement que les Etats ont décidé à l’origine de devenir membre de l’O.M.C et d’en respecter les règles. Mais le problème est actuellement que le développement des échanges internationaux dans un tel contexte de concurrence n’était pas vraiment imaginable par les membres fondateurs(12) . Cela a pour conséquence aujourd’hui d’empêcher les Etats occidentaux de protéger nombre de leurs industries nationales menacées de délocalisation ou de disparition(13) .
Les principales dispositions juridiques de l’accord GATT-O.M.C destinées à favoriser le commerce entre les Etats sont la clause du traitement national(14), la clause de la nation la plus favorisée(15), l’abaissement général et progressif des droits de douane(16) et la prohibition des restrictions quantitatives(17) .
Il existe bien sûr le système des exceptions(18), des clauses de sauvegarde(19), de dérogations(20) permettant la protection de certaines valeurs qui se rattachent à la souveraineté nationale ou à l’ordre public des Etats. L’ensemble de ces dispositions font effectivement office de soupapes de sécurité en cas de crise. Mais ces mesures dérogatoires sont trop souvent invoquées par les Etats sans qu’il y ait de réels problèmes. Cela a d’ailleurs fait écrire à certains que l’O.M.C ne survivait que grâce aux exceptions qu’il admettait à ses propres règles(21) . Ainsi, il n’apparaît pas faux d’écrire que les négociations que permettent ces exceptions sont en effet un des moyens pour les grandes puissances économiques de maintenir leur position dominante au détriment parfois de leur nation d’origine et surtout, bien sûr, au détriment des pays de puissance économique de second rang(22) .
En second lieu, et dans le même esprit d’internationalisation de l’économie que l’OMC, l’espace unique économique européen en tant que zone de libre échange a aboli, entre les Etats membres, les obstacles à la libre circulation des marchandises(23), des personnes, des services et des capitaux. On notera que cette abolition des frontières s’est opérée tout en maintenant l’Europe au stade de la confédération économique. Du moins n’y a t-il pas de Gouvernement européen exerçant les pouvoirs d’un Etat fédéral souverain sur les problèmes économiques. Cette faiblesse structurelle n’a cependant pas été compensée par une Union douanière protectrice du marché européen. En effet, la lecture du traité nous apprend que si les restrictions entre Etats membres sont interdites, le traité interdit également les restrictions entre les Etats membres et les pays tiers(24) dans certains domaines importants comme le libre mouvement des capitaux et des paiements par exemple.
A l’ensemble de ces dispositions s’ajoute la possibilité pour l’Union européenne d’accepter de nouveaux Etats-membres. On peut ainsi considérer à la lecture de ces textes que les Etats formalisant leurs décisions politiques par des règles de droit ont accordé de très grandes libertés au marché.
Il reste alors à s’interroger sur les extrêmes limites de la liberté qu’il peut être accordé par la puissance publique au marché. Le marché peut-il exister en tant que tel sans puissance publique souveraine de son organisation et de son fonctionnement? Est-il possible à la puissance publique « Etat » d’exister en tant que telle si elle n’arrive plus à subordonner le marché à son autorité pour éviter ses excès?
Une remarque importante est que l’Etat dans son essence a en charge des missions bien plus larges que celles du marché. Il est remarquable qu’il doit être rappelé à nombre d’esprits que certaines missions ne pourront jamais être remplies par le marché. Parmi ces missions on peut trouver l’établissement de normes impartiales, la police, la défense, la justice et l’enseignement(25) . Il peut aussi être affirmé que du bon accomplissement de ces missions dépend l’existence même du marché. Or, en plus de ses missions traditionnelles de puissance et de service public, l’Etat français s’est par exemple beaucoup investi de diverses façons dans l’interventionnisme économique au point de faire subir une rigueur budgétaire injustifiée à nombre de ses missions traditionnelles. Il peut même être remarqué que les restrictions financières qu’impose l’Etat à ses missions de base a pour corollaire sa participation active au développement de la puissance des entreprises et de l’activité économique en général se déroulant sur son territoire(26) . Et c’est indiscutablement de ce point de vue que la position de l’Etat relève d’une extrême ambiguïté. En effet, si le marché remet en cause la souveraineté des Etats, il est en même temps devenu une des composantes essentielles de cette même souveraineté. Quel Etat peut prétendre aujourd’hui donner assise à sa souveraineté sur la scène internationale en ne menant qu’une politique conforme à la définition classique de la souveraineté défendant stricto sensu les intérêts de la nation? De même, quel Etat peut prétendre maintenir l’ordre public sur le plan interne si la situation économique ne garantit plus un minimum de cohésion sociale(27) à la nation? Il est évident qu’user du pouvoir d’intervention unilatéral dont dispose l’Etat pour faire respecter un ordre économique conforme à des vues nationales n’est plus envisagé du fait de la division et de la spécialisation planétaire du travail qu’est entrain d’opérer le marché. Ce phénomène qui rend les mondes financiers et industriels des différents pays très dépendants les uns des autres entrave fortement les possibilités des Etats de recourir au pouvoir de police pour remédier à leurs problèmes internes. En ce sens, la politique que mènent les Gouvernements de nombreux Etats est plutôt de se lancer dans la fuite en avant en soutenant leurs entreprises afin de développer par tous moyens leur puissance économique sur la scène internationale. Mais on remarque que cette même puissance économique participe – exercée sur une zone d’échange aux dimensions bientôt planétaires – au déclin des Etats-nations sacrifiés sur l’autel des stratégies économiques qui dépassent leurs intérêts légitimes. Chaque Etat devient ainsi de nos jours un carrefour de flux économiques et l’Etat le plus puissant est celui qui aura conformément à la loi du marché – c’est à dire la loi du plus fort -, l’activité économique la plus puissante sur son territoire. Qu’en est-il dès lors des Etats dont la stratégie n’aura pas été assez tôt de favoriser le marché? L’Etat peut-il encore s’opposer aux excès du marché? La tentation isolationniste comme nous venons de l’expliquer est en réalité très dangereuse et seul un Gouvernement autoritaire pourrait aujourd’hui durablement fermer ses frontières au marché international et faire subir à son peuple de grandes difficultés économiques. Les démocraties, elles, ne peuvent plus faire marche arrière pour tenter de restaurer sur le territoire de l’Etat-nation son autorité sur les phénomènes économiques et leurs implications sociales.
Il apparaît pourtant fondamental en théorie qu’un Etat puisse agir contre le marché à moins de ne plus être véritablement souverain – est-il alors encore un Etat selon la définition classique? – et de ne plus voir les échanges économiques sur son territoire avoir lieu dans le cadre d’un marché où règne un minimum d’équité, c’est à dire un marché régi par des règles de droit(28) . Or, dans l’état actuel de ce que peut interdire le droit en matière économique, même la notion de circonstances exceptionnelles nous semble vidée de sa substance(29) . Un des plus édifiant exemple de cette inefficacité du droit des circonstances exceptionnelles en matière financière est bien le Krach boursier d’octobre 1987. Ce phénomène de château de cartes financier affectant en quelques heures l’ensemble des Etats dotés d’une Bourse de valeurs est la preuve que les circonstances exceptionnelles ne peuvent être envisagés de nos jours que d’un point de vue planétaire(30) . Mais cela en revient à dire qu’il n’y a en réalité qu’à constater le désastre en déplorant que la croyance planétaire en un système économique producteur continu de bien être matériel était une forme de duperie. Le droit des circonstances exceptionnelles servira donc en cas de crise à faire respecter l’ordre public de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publique, mais il ne faudra pas attendre grand chose du droit en ce qu’il pourrait rétablir un ordre économique, c’est à dire, au fond, rétablir une croyance acceptée par des peuples entiers, croyance qui a fait la crise économique(31) . Ce qui est de toute façon indéniable, c’est qu’une puissance publique ne peut durablement plus invoquer seule une situation de circonstances exceptionnelles pour résoudre ses problèmes économiques. L’ensemble de ces facteurs nous semble caractériser un sérieux et semble t-il irréversible affaiblissement de la souveraineté des Etats actuellement existant. Il convient maintenant d’étudier les répercussions de ce laminage économique du pouvoir d’Etat sur le droit en tant que protecteur de la nation.
B/ La mondialisation des marchés comme déclin du droit protecteur d’une Nation:
Le développement du marché international nous apparaît maintenant comme étant effectivement un facteur de déclin de la souveraineté de l’Etat sur les phénomènes économiques. Les textes constitutionnels et les autorités chargées de leur application et de leur respect qui admettent le principe du libéralisme économique ne semblent plus pouvoir réellement empêcher ce déclin du système juridique garantissant la souveraineté de l’Etat.
Sur le plan international et européen, on remarquera que si le texte de l’OMC et le Traité de l’Union Européenne ne sont pas formellement supérieurs aux Constitutions des Etats membres, ils imposent toutefois de telles contraintes concurrentielles en matière économique que ces textes constitutionnels se trouvent un peu vidé de leur substance et de leur puissance normative(32) . Il ne faut donc plus attendre de ces textes fondamentaux, étant donné la volonté politique dominée par les dogmes du libre échange économique mondial, qu’ils fassent respecter un ordre public économique dans les Etats nations. Ces textes sont quelque peu hors-sujet en ce qui concerne les problèmes que cause le marché et il semble de toute façon que les Etats et l’Union européenne n’ont plus aujourd’hui la puissance d’imposer des limitations juridiques lui permettant de revenir sur la liberté accordée au libéralisme économique.
C’est ainsi que sont de plus en plus inopérants les moyens classiques dont dispose la puissance publique pour assurer son autorité sur le marché. En effet, ces moyens classiques que sont l’encadrement de la liberté du commerce et de l’industrie(33), la limitation du droit de propriété, la fiscalité, l’établissement de règles impartiales d’organisation et de fonctionnement des échanges économiques doivent s’adapter au droit communautaire qui est maintenant la source directe du droit économique national. Par ailleurs, ces moyens juridiques classiques d’encadrement de l’économie entrent en concurrence avec des législations plus clémentes d’autres Etats tiers à l’Union Européenne. Les entreprises peuvent donc choisir des pays où elles seront plus compétitives. C’est ainsi qu’un Etat voulant assurer une couverture sociale à l’ensemble de ses salariés peut faire fuir les investisseurs. Or, la puissance de l’Etat dépend étroitement de l’activité économique(34) – par le biais des recettes fiscales -, c’est à dire du marché pour assurer le financement de son activité consistant… de plus en plus à favoriser le marché. C’est ainsi que les investisseurs conscient de ce talon d’Achille de la puissance publique peuvent faire une sorte de chantage aux Etats afin d’obtenir toutes sortes d’avantages. Un Etat qui peut se voir en quelque sorte concurrencé par un Etat tiers, par ses propres Etats fédérés ou ses collectivités décentralisées ne se trouve plus réellement dans une situation de puissance publique qui peut imposer ses vues de façon unilatérale pour défendre ce qu’il estime être l’intérêt général, mais plutôt dans une situation de négociation où il doit convaincre les investisseurs en étant plus attractif que les autres(35) .
Certes, attirer le commerce et l’industrie correspond à satisfaire l’intérêt général des administrés. Mais, ces notions ne se recoupent pas complètement. Ce qui fait la solidité d’un contrat social, la solidarité d’une nation, l’identité d’une civilisation ne se confond pas complètement avec la production et la consommation de produits mondialement standardisés quoiqu’en disent les clameurs de nombreux médias inféodés au système économique. Or, la puissance publique de plus en plus prisonnière de ces choix politiques ultra-libéraux antérieurs ne se reconnaît qu’une très faible légitimité et n’a que peu de moyens juridiques pour limiter par un pouvoir de police économique les abus de la logique libérale dans ce qu’elle touche à l’essence même des valeurs d’un terroir où d’une société.
L’expression de la puissance se fait de nos jours surtout de façon économique et c’est donc beaucoup plus dans un esprit de négociations propre aux arrangements du monde commercial que dans un esprit d’intervention de la puissance publique imposant des normes protégeant les intérêts de ses administrés que se mènent les relations entre les Etats de l’Union européenne, entre les Etats-membres et les pays tiers et entre les Etats et les entreprises. Le marché acquiert ainsi force quasi supra-constitutionnelle et les rapports qu’il entretient avec le droit et les Etats membres deviennent de plus en plus abscons. Cet état de fait est inacceptable pour une puissance publique qui ne peut se satisfaire de faire respecter un ordre juridique apparent de droit privé et de droit international privé. Le droit privé laisse à l’initiative privée des pouvoirs commerciaux trop importants. Laisser trop de pouvoirs aux opérateurs privés qui n’ont aucune préoccupation directe du bien collectif, c’est accepter implicitement de voir la souveraineté de l’Etat laminée par des flux commerciaux et financiers. La puissance publique en l’occurrence ne remplit dès lors plus une de ses missions essentielles qui est de défendre la société et les valeurs qui la structure(36) .
Le marché érigé en toute puissance mondiale ignore les prodigieuses différences culturelles qui donnent autant d’assises à la personnalité d’un être humain et un sens un peu plus noble à la vie en société. Il semble falloir par conséquent rester très vigilant quant aux discours qui tendent à confondre la défense de l’intérêt général avec la défense des intérêts du marché. Bien que l’intérêt général soit aussi difficile à définir que l’intérêt du marché et quoiqu’en disent les discours favorables au droit de la concurrence, il ne peut être perdu de vue les fondements philosophiques du service public et de la concurrence sont bien différents. L’usager d’un service public est servi parce qu’il est un être humain alors que le consommateur est servi parce qu’il a de l’argent(37) . Cette différence fondamentale que cherche à occulter les chantres de la libre concurrence ne doit jamais être perdue de vue dans un pays dont une des principales finalités de l’entreprise politique est le respect des droits de l’homme et plus généralement de la personne humaine. En ce sens, considérer que la concurrence internationale peut remplacer le service public, c’est développer l’impuissance d’Etat à assurer ses missions de puissance publique, de service public et de façon plus générale de protection de la nation.
S’il est inexact à ce propos de dire que le service public est condamné à disparaître à cause du Traité de Maastricht, il peut être affirmé qu’il aura les plus grandes difficultés à maintenir l’étendue de son domaine d’intervention et qu’il est assez difficile de déterminer une frontière à son repli stratégique tant sont grandes les ambitions des entreprises privées(38) . Ces ambitions des entreprises privées trouvent leur fondement juridique dans la combinaison des articles 90-1 et 90-2 du Traité de Maastricht (voir note 71) qui posent le principe de soumission des entreprises publiques au droit de la concurrence. Ces textes obligent maintenant le service public à justifier son existence pour pouvoir déroger à ce droit de la concurrence. Certes, il a été reconnu par la Cour de justice des communautés avec l’arrêt Corbeau l’existence d’un service de base universel(39) . Mais dès lors qu’il ne s’agit plus d’un service de base, le monopole ne se justifie plus et les entreprises de droit privé doivent pouvoir proposer le service rendu jusque là par le service public(40, 41) . La seule limite à cette logique qui consiste à ne laisser au service public que le non rentable est posé par ce même arrêt Corbeau qui dispose que de soumettre au droit de la concurrence les activités rentables n’est possible que dans la mesure où le service de base n’est pas remis en cause(42) . De même, dans un arrêt Almélo(43) plus récent, la Cour de justice des communautés confirme sa première jurisprudence en expliquant que des restrictions à la concurrence, voire l’exclusion de toute concurrence doivent être admises dans la mesure où elles s’avèrent nécessaires pour permettre à l’entreprise investie d’une mission d’intérêt général d’accomplir celle-ci. Il faut à cet égard tenir compte, explique l’arrêt, des conditions économiques dans lesquelles est placée l’entreprise, notamment des coûts qu’elle doit supporter et des réglementations notamment en matière d’environnement auxquelles elle est soumise. La seule nuance de l’arrêt Almélo est l’utilisation de l’expression intérêt général alors que dans l’arrêt Corbeau il s’agit de l’intérêt économique général conformément au texte de l’article 90-2. Cela peut correspondre à une évolution de la notion qui tend à reconnaître un service public de base, mais ne change pas grand chose à la logique de très forte limitation du service public.
Ces deux arrêts de la Cour de justice des communautés semblent vouloir donner une garantie au service public en lui assurant dans un système économique libéral la possibilité au moins d’équilibrer ses comptes. Mais on notera tout de même la faiblesse de la garantie jurisprudentielle qui repose sur des critères financiers d’évaluation de rentabilité. Le droit s’en remet en l’occurrence à l’économie pour déterminer le droit, ce qui risque de donner lieu à de nombreux contentieux. En effet, un service de base qui peut par exemple assurer l’équilibre de ses comptes est un service qui intéressera des grandes entreprises du secteur privé toujours en quête d’augmenter leur chiffre d’affaire et capables de faire de très importantes économies d’échelle en assurant ce service sur le territoire de plusieurs Etats. Ces grandes entreprises en proposant des services annexes arriveront sans doute à rentabiliser des services que le service public arrive tout juste à équilibrer(44) .
Ces jurisprudences récentes nous montrent combien les critères financiers sont peu satisfaisant. Le problème est qu’aux critères financiers que nous venons d’étudier s’ajoutent les problèmes de délégation de service public ainsi qu’un nouveau critère dégagé par la Cour de cassation limitant le champ d’application du droit de la concurrence.
Le problème de la délégation de service public(45) est qu’elle reste soustraite par l’ordonnance de 1986(46) et la jurisprudence(47) à la soumission à une procédure préalable de mise en concurrence des candidats délégataires. Cet état de la législation reste conforme à une jurisprudence séculaire du Conseil d’Etat affirmant le libre choix du concessionnaire par le concédant. Mais on ne peut que remarquer la situation de porte-à-faux de ce droit par rapport à l’exigence européenne de soumission des personnes publiques au droit de la concurrence(48, 49) .
Le nouveau critère dégagé par la Cour de cassation concerne un arrêt du 12 décembre 1995 direction de la météorologie nationale(50, 51) . La Cour dans cette affaire a estimé que certaines données n’étaient pas commercialisables.
Dans un esprit presque contraire, un autre arrêt de la Cour de justice des communautés européennes en date du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assurances (non encore publié), abordant le cas des organismes chargés de la gestion d’un régime complémentaire de protection sociale a jugé qu’ « un organisme à but non lucratif, gérant un régime d’assurance vieillesse destiné à compléter le régime de base obligatoire, institué par la loi à titre facultatif et fonctionnant dans le respect des règles définies par le pouvoir réglementaire, notamment en ce qui concerne les conditions d’adhésion, les cotisations et les prestations, selon le principe de la capitalisation, est une entreprise au sens des articles 85 et suivants du traité CE « .
C’est ainsi que la qualification d’activités comme étant soumises ou pas au droit de la concurrence nous semble devenir dans de nombreux cas difficilement prévisible. Les critères financiers que dégage la jurisprudence manquent de précision pour que l’on puisse à la lecture de ces derniers arrêts estimer que tel ou tel service sera soumis ou non au droit de la concurrence. Certes, il existe tout de même des critères de distinction comme les ont posés les arrêts CJCE 19 juin 1975 IGAV/ENCC(52) ou Ville de pamiers(53, 54) , mais les domaines où où il y a ambiguïté quand à la qualification juridique sont nombreux.
Ce qu’il faut essentiellement retenir de ces textes et jurisprudences est que le temps de la liberté des Etats dans la conception des services publics est bel et bien révolu(55) . L’Etat doit donc faire un repli stratégique de son intervention sur un service public universel de base dont la teneur est actuellement très difficile à définir, mais qui semble se limiter au strict minimum.
Un autre aspect de ce surdéveloppement du commerce international dans ses rapports avec la puissance publique est qu’il apparaît nécessaire pour les nations industrialisées de s’engager dans une fuite en avant technologique. Ainsi pour beucoup de dirigeants et penseurs économiques, il devrait revenir aux pays en voie de développement la fabrication de produits à faible valeur ajoutée ou les opérations de simple assemblage des produits. Quand aux nations développées, elles seraient chargées de concevoir le monde moderne. Or, ce partage économique(56) ne tient pas compte du fait que les Etats-nations développés ont une population qui ne se compose pas que d’intellectuels, de techniciens et de brillants gestionnaires. Il existe aussi une large frange de la population dont le type de travail est en voie de disparition en Europe. Cela à cause de l’automatisation, de l’informatisation, de la robotisation et à cause également de la délocalisation de ces travaux à forte main-d’oeuvre dans les pays en voie de développement – qui en sont aussi à la robotisation pour une productivité maximum -.
Il résulte de ces phénomènes que les Etats-nation des pays développés ne peuvent plus réellement prétendre offrir une protection juridique à peu près uniforme du travail de l’ensemble de leurs citoyens. L’Etat stratège économique se distingue alors de la nation, abandonne la défense de pans entiers de l’industrie et des services et abandonnera à terme en grande partie le soutien social de sa population(57) . Tous les paramètres économiques et financiers nécessaires s’accordent pour donner sa légitimité à un discours politique qui prônera au nom de la survie économique la réduction de la protection sociale, la justification du chômage comme une fatalité économique et l’appel à faire des efforts financiers pour être encore plus concurrentiel.
De cet abandon prématuré de l’exigence juridique au profit d’ambitions à but le plus souvent lucratifs, de ce desserrement prématuré de la souveraineté de l’Etat au profit du marché résulte une confrontation de l’industriel européen avec des acteurs économiques peu soucieux des droits de l’homme, parfois mafieux, excellents copieurs, ayant un sens très relatif du droit de la concurrence(58), pilleurs, mais aussi créateurs de technologie dont la foi qu’ils ont en la guerre industrielle ne se trouvera plus chez l’européen. La responsabilité des politiques et des industriels de cette situation se dilue bien sûr dans la collectivité des nations occidentales (comme est diluée la responsabilité des guerres) qui ont accepté cette mise en oeuvre trop rapide et sans conditions de l’idée européenne et mondialiste.
Juridiquement, les symboles de l’Etat(59) et de la nation dépassés par le marché européen sont Bien sûr les arrêts » Jacques Vabre « (60), » Nicolo « (61), ou les arrêts » Alitalia « (62), » Boisdet « (63) et » Stés Rothmans et Philip Morris « (64) qui font s’effacer la majesté de la loi protectrice de la nation devant la réglementation européenne dont l’objectif nous semble essentiellement industriel et commercial(65) . De même, au niveau constitutionnel cette fois, la Loi constitutionnelle n°92-554 du 25 juin 1992 insère un article 88-2 dans la constitution de 1958 qui dispose que: « Sous réserve de réciprocité, et selon les modalités prévues par le traité de l’Union européenne signé le 7 février 1992, la France consent aux transferts de compétence nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne… »
Certes, Le principe de subsidiarité défini à l’article 3B(66) du Traité de Maastricht limite les interventions de la communauté . Mais cette notion de subsidiarité est en réalité assez vague et à double sens(67) . Ce principe extrêmement souple permet certes de faciliter les transferts de pouvoir au niveau européen, mais il peut aussi être la justification d’un retour de certaines compétence dans le giron des Etats-membres. Actuellement, la subsidiarité est utilisée pour faire accepter le Traité de Maastricht et pour étendre la compétence de l’Union par le biais économique à un nombre très important de domaines. Selon John Major, la subsidiarité est le mot qui sauve le traité(68) . On remarquera dans ce principe de subsidiarité une source de confusion juridique permettant d’accroître les pouvoirs de l’Union Européenne.
Le droit européen – qui est un droit sans Etat(69) – a maintenant aussi enlevé la possibilité aux Etats-membres d’avoir une puissance économique dérogatoire au marché. Cela se déduit d’abord des textes communautaire qui n’accordent aux Etats-membres aucun régime dérogatoire au droit commun en ce qui concerne leur intervention dans les secteurs économiques soumis à la concurrence(70) . Cela résulte aussi de plusieurs textes déjà évoqués qui obligent les Etats-membres de l’Union européenne à aménager et à terme à mettre fin aux situations de monopoles(71, 72) de leurs entreprises publiques(73) . En fait de monopole, il est à observer que l’ensemble des textes en vigueur tendent à vouloir installer le secteur concurrentiel en situation quasi-monopolistique. On se demandera alors dans cet excès inverse quel sera le pouvoir économique régulateur en cas de crise grave. Le poids financier de l’Etat dans l’économie devant peu à peu réduire, la soumission de ses activités industrielles et commerciales au droit commun étant établie, le droit interne étant lié par des textes supra-nationnaux, la concurrence en situation quasi-monopolistique pourra oeuvrer sans réel contre-pouvoir à ses excès. La concurrence est en ce sens conçue par certains de manière aussi dogmatique qu’a pu l’être le service public du temps de sa splendeur.
Le droit du marché est maintenant supérieur au droit de l’Etat. Mais à bien lire le Traité de Maastricht et surtout son droit dérivé, on peut presque affirmer que ces textes ne sont pas du droit, mais de la réglementation. Les réglementations financières, industrielles et commerciales se trouvent ainsi au-dessus du droit de l’Etat-nation. L’accusation de « technocratie » dont fait l’objet l’Europe actuellement révèle au moins en ce sens une démission des politiques et accessoirement des gouvernements(74)
II/ L’IMPOSSIBLE MARCHE SANS ETAT ET L’IMPOSSIBLE RECONQUETE DU MARCHE PAR LES ETATS-NATIONS:
A/ L’impossible mondialisation des marchés sans puissance publique souveraine:
Nombre de réflexions portent de nos jours sur la difficulté qu’a l’Etat de contrôler les phénomènes économiques qui résultent du fonctionnement du marché selon les principes de la loi de l’offre et de la demande. Le marché, quant à lui, est rarement étudié de près par les chantres de la logique libérale régnante qui s’obstinent à le percevoir comme le mécanisme impartial assurant que le meilleur gagne. Or, il est permis de douter à bien observer le développement du commerce international que la notion même de marché existe encore réellement. Force est de constater qu’il n’existe pas comme pour l’Etat de définition juridique de la notion de marché. Des principes semblent cependant pouvoir être dégagés de certains marchés réglementés comme les marchés de valeurs mobilières, les marchés de matières premières, les marchés publics ou la jurisprudence. Mais le marché au sens générique du terme, c’est à dire le marché où les transactions ont lieu de gré à gré au niveau national ou international ne peut juridiquement être défini en tant qu’entité. Un nombre incalculable de transactions ont cependant lieu quotidiennement selon les termes du droit privé et du droit international privé et selon les prix fixés par le jeu de l’offre et de la demande. Aussi, le marché pourrait être défini par la doctrine dans son acception actuelle comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande qui prétend manifester de façon impartiale la volonté de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix.
Il est cependant regrettable qu’il soit oublié dans ce raisonnement qu’un marché ne peut réellement être efficient que si l’ensemble des intervenants se trouvent sur un pied d’égalité(75) . Or, sur le plan interne et européen, le droit du marché de gré à gré permet des abus de pouvoir économique(76) .
Sur un autre plan, on remarquera qu’à la territorialité des Etats ne correspond plus de nos jours celle des marchés. Le marché ne connaît certes presque plus de frontières en ce qui concerne la libre circulation des biens et des personnes, mais il se heurte, en ce qui concerne son impartialité, à presque autant de civilisations, de modes de vie, de législations différentes qu’il y a d’Etats. Or, la logique libérale actuelle en voulant réduire beaucoup de phénomènes au marché occulte ces différences qui peuvent produire autant de distorsions du principe d’égalité. Le Traité de l’Union européenne ne tient pas assez compte de ces différences. Au lieu de chercher à établir une égalité dans le respect de ces différences, son objectif est l’uniformisation des comportements et des pensées autour de phénomènes économiques, ce qui est assez différent d’une volonté affirmée de faire respecter un principe d’égalité.
De même, les objectifs explicites du Traité de l’Union ne permettent pas à l’Europe de mener une politique à priori protectionniste pour rétablir un minimum d’égalité entre Europe et Pays Tiers(77, 78) . Il existe certes un règlement communautaire anti-dumping(79), qui offre une protection minimum aux pays de l’Union, mais à étudier de près ce règlement et la jurisprudence de la Cour qui doivent respecter les dispositions de l’O.M.C(80), on verra combien il difficile de déterminer des critères sérieux afin de juger qu’un produit fait l’objet de dumping(81) . Devant la multiplicité des critères et l’hétérogénéité des économies, il faut admettre que les institutions se sont reconnues une très large marge d’interprétation qui leur permet de favoriser leur politique d’ouverture aux pays tiers. On remarquera aussi que le contentieux antidumping produit une sorte de sélectivité non pas par pays, mais par firme.
Cette ouverture des frontières européennes aux pays tiers accorde en réalité un surcroît de puissance au marché en lui permettant de s’affranchir des contraintes qu’imposent les Etats des pays développés. Le texte du traité de Maastricht dans le respect des accords de l’O.M.C admet que soient développés des échanges commerciaux avec les pays tiers sans qu’il y ait subordination de ces échanges à des conditions à remplir concernant le régime politique de ces pays tiers, leur statut des droits de l’homme, les conditions de travail des populations, l’existence et le niveau de couverture sociale des salariés ou la politique fiscale menée pour les produits exportés. La seule condition posée pour les échanges avec les pays tiers est la condition de réciprocité. Le texte du traité dispose que les Etats membres sont disposés à contribuer au développement du commerce international (avec les Etats-tiers) et à la réduction des entraves aux échanges sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels. La clef de voûte du principe de développement des échanges internationaux est la notion de réciprocité(82) . Or, il n’existe pas de définition juridique précise de la notion de réciprocité. Il est ainsi envisagé plusieurs interprétations politiques de cette notion de réciprocité. On peut en distinguer trois principales(83) :
– La première est la thèse de la « réciprocité miroir » qui consiste à dire que la communauté européenne n’accorderait un traitement communautaire aux entreprises étrangères que si l’Etat dont elles relèvent accordent un traitement analogue aux entreprises de la communauté. Cette thèse à été vivement combattue par les Etats-unis et le Japon qui craignaient de voir l’Europe se transformer en « forteresse ».
– Dans la deuxième conception, la réciprocité résiderait dans l’octroi, par la communauté, du simple traitement national aux entreprises de ses partenaires commerciaux. cette thèse un peu trop libérale n’a jamais à vrai dire été envisagée car elle ôterait à la communauté européenne tous ses moyens de pressions internationaux en matière de négociation.
– La troisième conception qui est celle qui semble s’imposer consiste à n’accorder un plein accès au marché européen à des entreprises des Etats tiers qui n’accorderaient qu’un plein accès au marché des entreprises de la communauté.
On remarquera que ces trois conceptions de la réciprocité qui sont une vue juridique des problèmes ne tiennent pas compte de phénomènes ultra-nationalistes dont font preuve les consommateurs et industriels de nombreux Etats asiatiques. Admettre un principe juridique de réciprocité a donc une valeur de principe que les moeurs et coutumes des consommateurs locaux atténueront fortement en ce qui concerne son efficacité pratique. L’O.M.C et le Traité de Maastricht ne sanctionnent pas ces nationalismes consuméristes.
On notera que de ces trois thèses qui sont les plus logiquement défendues à la lecture du traité de Maastricht, pas une ne tient compte de la dimension humaniste qui est selon le droit positif des déclarations de droit la finalité de toute entreprise politique. Or, cette ouverture commerciale vis-à-vis de certains pays n’ayant pas mis en place de couverture sociale, ne respectant pas de manière satisfaisante les droits de l’homme ou jouant de l’artifice monétaire(84, 85) peut nous apparaître comme une curiosité vis-à-vis de la conception générale que se font les européens de la personne de l’être humain dans ses rapports avec l’économie et la puissance d’Etat. On remarquera à ce propos que les accords Uruguay round de l’O.M.C signés à Marrakech le 14 avril 1994 ne règlent pas les problèmes des liens entre commerce et politiques monétaires et entre commerce et environnement(86) . Quant à la clause sociale , elle n’a pas eu d’issue du fait de la réticences des pays en voie de développement(87) …
C’est ainsi que mettre en concurrence sur le marché européen des produits fabriqués par des entreprises européennes qui ont en charge les coûts sociaux du travail et des entreprises d’Etat tiers qui n’accordent aucune ou une très faible couverture sociale à leurs salariés(88) peut être qualifié de concurrence déloyale et ne manque pas de soulever de sérieuses interrogations sur la politique sociale de l’Europe qui connaît 16 millions de chômeurs. L’Union européenne ne réagit pas pour l’instant à ce cercle peu vertueux où les entreprises européennes voient leur marché cassé par des entreprises de pays tiers(89) où le statut de l’être humain ne relève pas de nos conceptions européennes. Pour les Gouvernements successifs, le rang de 4° exportateur mondial de la France avec une balance commerciale maintenant excédentaire n’encourage peut-être pas la limitation des conséquences que peuvent avoir les excès du marché international pour nombre d’entreprises nationales et pour l’emploi. Dans cette logique, on voit que certaines entreprises ne trouvent leur salut qu’en délocalisant leurs activités dans ces pays tiers desquelles elles réimporteront ensuite des produits devenus plus compétitifs sur le marché européen(90) . Cette fuite en avant dans la concurrence déloyale implique un alourdissement des charges sociales des entreprises qui deviennent alors de moins en moins compétitives et qui sont obligées de développer leur politique de délocalisation(91) . Arrive le moment où les systèmes sociaux ont de plus en plus de difficultés à prendre en charge le chômage, les retraites et les assurances maladies. La seule solution pour la puissance publique est alors d’admettre la loi que dicte le marché. C’est à dire abaisser le niveau de garanties sociales accordées à l’ensemble des salariés pour rendre les entreprises plus compétitives et tenter de résorber le chômage. Cette logique démontre que les marchés libres ne peuvent valablement fonctionner que s’ils sont constitués d’économies raisonnablement homogènes. Or, cette spirale concurrentielle entre économies hétérogènes que les Etats européens n’envisagent pas d’enrayer avec le traité de l’Union européenne remet en cause à terme non seulement les acquis sociaux, mais plus largement le mode de vie et la vie culturelle d’une nation. Cela au nom d’un soi disant marché planétaire de moins en moins capable de redistribuer les richesses de manière à assurer un minimum de cohésion sociale, qu’il s’agisse maintenant des nations industrialisées ou en voie de développement. C’est en ce sens que la concurrence inégalitaire telle qu’elle est pratiquée de nos jours sur le plan international avec ses répercussions nationales ne peut-être considérée comme remplissant une mission de service public. Un des aspects intéressant à étudier serait même d’estimer le coût pour la collectivité de la concurrence qui produit des faillites, des chômeurs et le difficilement quantifiable gâchis intellectuel que cela comporte. Là encore, la pensée qui envahit le champ presque entier des discours officiels est de ne présenter la concurrence que comme un facteur essentiel de progrès technologique et un bienfait pour les consommateurs. Les graves inconvénients que comporte un système concurrentiel mal maîtrisé sont occultés.
Le règne absolutiste du profit placé comme critère de réussite de toute entreprise finit par détruire les liens minimum de solidarité qui font le contrat social d’une société. Or, si le coût de la misère et de la déstabilisation sociale ne peut être évalué, c’est parce qu’il est effectivement incommensurable. La croissance économique et la recherche d’un bien être économique n’a de valeur que dans la mesure où elle renforce la stabilité des sociétés et fait augmenter ce que l’on pourrait appeler le contentement national brut.
Le terme de marché pour définir le commerce mondial nous apparaît donc inaproprié. En effet, peut-on qualifier des échanges économiques comme se déroulant selon les lois du marché lorsque la législation sociale, la fiscalité et la justice ne sont plus opérant pour tous les intervenants? Peut-on qualifier de marché des échanges commerciaux qui ne sont pas soumis à des règles de droit homogènes assurant une organisation et un fonctionnement impartial? Peut-on qualifier de marché des échanges commerciaux qui ne respectent plus le principe d’égalité des intervenants? Il convient donc d’admettre qu’un marché mondial ne peut exister sans pouvoirs d’Etats un minimum homogène dans les règles qu’ils imposent. Certes, les échanges économiques peuvent exister sans pouvoir normatif souverain, mais ils ne relèvent pas pour autant d’échanges organisés dans le cadre du marché. Le marché ne peut exister sans puissance publique. Lorsque la puissance publique n’est plus souveraine sur l’économie, les échanges commerciaux ne relèvent plus de la notion de marché, mais de la notion de guerre, c’est à dire en l’occurrence de guerre économique.
L’existence d’un marché est en effet bien subordonnée à l’existence d’une puissance capable d’imposer une législation. Mais qu’entend-on au juste par guerre économique?
Une thèse assez séduisante peut en effet être avancée qui fait remarquer que la division et la spécialisation mondiale du travail à permis aux différentes nations à apprendre à se connaître et à créer une telle interdépendance économique que les dérives politiques nationalistes et le recours aux conflits armés nous en apparaît comme d’autant plus limité. Le développement du commerce international a en cela des vertus éminemment pacifiantes, mais on ne peut en réalité qualifier ce commerce comme relevant d’une stratégie de paix, voire même de non-guerre. Le développement d’une concurrence effrénée qui tire vers le bas le marché du travail et les conditions générales de travail dans tous les pays correspond bien à un dommage causé aux nations et à la personne de l’être humain. Certes, dans les pays fortement industrialisés, il y a différents systèmes d’assurance chômage et d’assurance vieillesse qui permettent de garantir la perte d’emploi et une dignité minimum aux salariés et aux retraités. Mais ces systèmes structurellement déficitaires(92) sont à terme condamnés à ne plus pouvoir maintenir leur niveau actuel de couverture, le recours aux augmentations d’impôts et autres charges sociales devenant à terme difficile à supporter pour les entreprises rendues moins compétitives dans un tel contexte de concurrence internationale.
En effet, si les Etats-nations sont encore un repère pour définir quels sont les alliés et les ennemis dans cette guerre mondiale économique, il est beaucoup moins évident de déterminer quels sont les alliés et les ennemis lorsque l’on raisonne en terme de grandes et moyennes entreprises forcées de se lancer dans une stratégie planétaire d’investissements pour survivre(93) . C’est ainsi que certaines entreprises se lancent dans des stratégies d’internationalisation allant à l’encontre des intérêts de leur Etat-nation d’origine(94) . En ce sens les Etats sont une fois de plus dépassés par la guerre économique. On peut alors avancer l’idée de guerre civile économique mondialisée. On comprend dès lors que les dommages licites que peut causer la guerre civile économique mondiale sont devenus incommensurables.
B/ Le recentrage de l’Etat sur ses prérogatives régaliennes pourrait impliquer l’abandon de l’idée de nation:
Un marché qui n’a pas pour maître la puissance publique n’est plus un marché. Un Etat qui ne parvient plus à subordonner le marché à son autorité dans les domaines où son intervention est nécessaire n’est plus vraiment un Etat souverain. Le Traité de Maastricht permet bien sûr des interprétations politiques implicites à son texte. Mais lesquelles? Le texte peut servir de canevas aux interprétations les plus contradictoires tant il accorde de libertés.
Une démarche prospective se gardant de faire du futurisme pourrait imaginer un Machiavel aux louables intentions soutenant que l’ambition de l’Union européenne est de mettre en oeuvre une stratégie consistant à utiliser l’économie comme laminoir de la souveraineté des Etats membres. Les Etats membres une fois affaiblis et dépassés par les flux économiques, la situation justifierait alors la création d’un Etat fédéral européen comme le salut de la puissance publique voulant restaurer sa souveraineté sur les marchés. Mais les valeurs de ce futur et hypothétique Etat fédéral européen seraient sûrement économiques. Il n’existe pas en effet de clef européenne(95) universelle permettant d’affirmer qu’il existe une identité européenne, une civilisation suffisamment homogène. Il n’y a en quelques sortes qu’une identité négative constituée par le regard extérieur qui permet de dire qu’il y a une identité européenne diffuse par rapport au reste du monde. L’Europe est en réalité diversité culturelle. La stratégie de cet Etat fédéral serait alors pour asseoir sa souveraineté de maintenir en fonctionnement le laminoir économique à des fins d’uniformisation en gommant les différences culturelles, linguistiques et les modes de pensée. Le pluralisme, la diversité seraient alors menacés au nom d’un projet économique. Ce qui est pour le moins inquiétant. L’économie a elle seule n’apparaît pas comme pouvant être fondatrice d’une civilisation. Or, la préoccupation majeure considérée comme critère déterminant de la construction européenne est actuellement la monnaie unique…
Un autre scénario consisterait à concevoir l’Union Européenne en restant au stade de la confédération économique. Ce projet ne serait viable que s’il y a à terme convergence des économies des Etats-membres, ce qui n’a rien d’évident étant donné la diversité des puissances économiques que représente l’Europe. Par ailleurs, il est à craindre que cette situation continue à empêcher la puissance publique de restaurer son pouvoir sur l’économie afin de » surplomber » ce qui serait à ce moment là à nouveau le marché. En rester au stade de la confédération, c’est maintenir la puissance publique dans une situation de » négociation » où tous les Etats-membres sont les avocats de leur cause et où aucune stratégie cohérente ne peut être menée vis-à-vis des pays tiers de la communauté parce qu’il faut continuellement sacrifier une politique nécessaire à l’intérêt général de l’Union européenne au profit d’un intérêt économique stratégique d’un Etat-membre. Cette situation qui ne permet pas de construire une Europe économique cohérente a aussi pour inconvénient d’empêcher les Etats-membres de mener une politique économique cohérente sur leur territoire.
Une voie intéressante serait de tenter de rendre la puissance publique moins dépendante de l’économie. Cela suppose un recentrage de l’activité de l’Etat sur ses prérogatives régaliennes en abandonnant certaines activités industrielles et commerciales(96) . Mais ce recentrage ne serait envisageable qu’à la condition que ne soit pas remis en cause nombre d’activités de service public. Ce recentrage du pouvoir d’Etat sur ses activités de puissance publique et sur ses activités traditionnelles de service public aurait pour conséquence un repli stratégique de son mode d’intervention sur les instruments juridiques classiques. L’Etat renonçant à son activité industrielle pourrait ainsi mieux assurer ses activités classiques de service public. On pense bien sûr aux hôpitaux, à la justice, à l’enseignement et aux activités culturelles diverses. Mais le problème reste toujours qu’il est assez difficile de déterminer qu’elles sont les frontières exactes entre domaine concurrentiel et domaine relevant du service public. Les critères financiers de partage que nous avons évoqué étant peu satisfaisant, une solution serait peut-être à défaut de pouvoir exporter le service public à la française dans les autres pays de l’Union européenne d’essayer de créer au niveau Européen une liste de services relevant de la mission de la puissance publique, le reste étant laissé au domaine concurrentiel. Ecartant l’affrontement dogmatique entre droit de la concurrence et service public, il pourrait même être envisagé que les services relevant du droit public soient » gérés » selon les règles de la concurrence à condition que les exploitants de droit privé respectent tous une sorte de cahier des charges bien précis imposé par la puissance publique. La concurrence envisagée comme mode de gestion nous apparaît alors comme compatible avec les missions correspondant au service public.
Une autre solution serait de laisser le droit de la concurrence continuer de s’étendre à de nombreux domaines qui relevaient traditionnellement du service public. En contrepartie, il serait accordé à l’ensemble des administrés des droits fondamentaux correspondant à ce qu’accorde le service public. L’Etat serait le garant financier de l’exercice de ces droits grâce à un système financier de solidarité sociale.
Ces exemples de solutions à la crise du service public et à l’envahissement du droit de la concurrence sont en quelques sortes des voies médianes destinées à tenter de cumuler les avantages des deux systèmes. L’important est aujourd’hui de défendre ce que le service public a de difficilement remplaçable par le droit de la concurrence en matière de solidarité sociale et d’identité culturelle.
Le service public et plus généralement la souveraineté de l’Etat sur les phénomènes économiques nous semblent avoir pour vertu de limiter le pouvoir économique international qui a tendance à imposer par exemple à l’Etat-nation la langue(97) (anglaise), à imposer le mode vie (le travail le dimanche ou certains jours fériés), à imposer une conception gobe-tout à l’idée de culture, ce qui en revient à » produire » une sous-culture à but lucratif (dans le domaine musical, télévisuel ou le cinéma…), etc…
En ce sens, le strict repli stratégique de la puissance publique sur ses ancestrales prérogatives régaliennes ne nous apparaît pas judicieux. En effet, l’impuissance d’Etat et de ses instruments juridiques classiques est à la mesure de la puissance internationale de l’argent qui est un pouvoir standardisé et sans réel contre-pouvoir. Il apparaît donc préférable que l’Etat ne privatise pas complètement ses activités industrielles et commerciales afin de conserver un poids économique, une masse financière qui, couplée à son pouvoir normatif peut constituer un brise-lame efficace contre les tempêtes de la concurrence et des finances internationales(98) . Pour ce faire, l’Etat conserve une de ses prérogatives importantes qui est le pouvoir de nationaliser(99) . Ceci posé, on observera combien un recours aux nationalisations serait aujourd’hui peu légitime sur un plan politique. L’heure est plutôt dans les pays occidentaux aux privatisations.
Il reste que cette politique qui consiste à ramener l’Etat-nation à son rôle d’Etat-gendarme est problématique. L’Etat-nation dans cette logique ne sera bientôt plus en effet qu’un Etat territorial, c’est-à-dire un Etat et une nation déracinées de leur terroir, vaincus par la normalisation industrielle. Un Etat devant se plier au diktat économique de l’argent est en réalité un Etat qui a abandonné sa mission civilisatrice(100) ». C’est un Etat simplement chargé de faire respecter un ordre public économique sur un territoire déterminé. On devine la catastrophe que peut représenter pour une nation cette abdication par l’Etat de son pouvoir d’assurer au contrat social d’une société sa finalité humaniste.
L’échec des puissances publiques à dominer cette guerre économique vient de cette obscure et plus ou moins consciente complicité entre adversaires qui fait les guerres. Cette guerre économique vient en réalité tout simplement du fait que les Etats de cette fin du vingtième siècle participent à la guerre économique au lieu de faire la guerre à la guerre économique. Or, le rôle essentiel et premier de l’Etat est de faire la guerre aux désordres et en l’occurrence aux désordres économiques.
L’Europe serait certes un moyen de restaurer le pouvoir de la puissance publique sur l’économie, mais cela ne semble pouvoir se faire à terme qu’au prix de l’identité, de la diversité et de la richesse culturelle des nations.
L’Etat, bien sûr, n’est pas une fin en soi. Pas plus que la nation, le service public ou le marché. Ce qui compte, c’est la personne de l’être humain. Or, si l’Etat a toujours été désigné comme la principale menace contre les libertés individuelles et collectives, si c’est bien pour limiter sa puissance qu’ont été organisés par des textes la protection des droits de l’homme et du citoyen, c’est aujourd’hui, plus que jamais, faire erreur que de continuer à tenir en suspicion cette puissance publique. L’Etat est bien le premier, et peut-être le seul protecteur des libertés(101) . Le regard des défenseurs zélés des libertés individuelles ferait maintenant mieux de se tourner vers le marché. Il apparaît en effet aujourd’hui comme la force privative de liberté.
Le contrôle de la production et des richesses est le contrôle de la vie humaine elle même(102) . Si en ce sens le modèle d’administration soviétique de l’économie était une aberration, il semble que nous soyons aujourd’hui en marche vers l’expérimentation de l’excès inverse. S’il est certain – et cela est heureux – que la diversité et la complexité créatrice de l’activité économique qui est une des composantes essentielles de la vie en société échappera toujours en grande partie à l’Etat, il ne faut cependant pas en tirer pour conséquence que l’Etat est une institution en voie d’obsolescence et que le marché peut s’autoréguler et réguler une société. Il ne peut exister comme nous l’avons démontré de marché sans Etat. Par contre, la guerre civile économique ne suppose effectivement pas l’Etat.
La nation n’est pas non plus une fin en elle même. La nation a elle aussi été une source d’uniformisation et de nivellement(103) de la société, un facteur de destruction de la diversité linguistique par exemple. La nation n’a de valeurs que dans la mesure où son abandon serait justifié par la découverte d’un nouveau » composant » d’identification et de structuration de la société.
Le service public n’est évidemment pas lui non plus une fin en soi. Mais il faut bien retenir que le noyau dur du service public, le coeur du service public correspond à une logique républicaine non lucrative de l’Etat au service de la nation. La critique en partie justifiée du service public qui est faite actuellement vient de son extension sans réelle nécessité à des domaines qualifiés d’industriels et commerciaux. C’est ainsi que l’idée de service public qui était alors fortement inspirée des valeurs de solidarité sociales, d’utilités publiques, d’intérêt général s’est peu à peu dégradée(104) . Que le service public s’inspire d’une logique concurrentielle était louable, mais pas jusqu’à sa remise en cause qui le détruit dans ce qu’il a de plus noble pour le service de la nation. Il est évident que le service public est totalement inadapté à la logique de guerre économique à but lucratif qui s’impose sur le territoire français. Mais le service public avec sa mission d’intérêt général est infiniment supérieur pour la défense de la cohérence sociale d’une nation que ce que peut garantir la concurrence en matière d’égalité de tous(105, 106) . L’idéologie qui sous-tend le droit de la concurrence tel qu’il est envisagé et pratiqué au niveau européen et international relève d’un individualisme hédoniste forcené au service d’obscurs stratagèmes industriels et financiers en oubliant que le service public est une des garanties essentielles pour le contrat social d’une société.
L’Europe telle qu’elle est envisagée dans le Traité de Maastricht ignore en pratique l’idée de nation. Cette conception de l’Europe sera à terme extrêmement néfaste pour ce qui est de l’essence et de la diversité des nations européennes. Il est évident que le traité de Maastricht va subir des modifications. Il apparaît d’ailleurs au fond comme un texte transitoire. Mais il faut avoir présent à l’esprit que la révision de ce Traité va sûrement consister à reconsidérer son orientation politique trop libérale(107) .
Tragique serait l’échec de la construction européenne dû à un attachement dogmatique à de mauvais choix politiques mis en oeuvre dans la précipitation.
L’Etat ne fait donc plus aujourd’hui réellement contre-pouvoir au marché international. On se demandera par exemple sur le plan politique que sont les syndicats et l’opposition devenus?… Leur discours est complètement dominé par cette surpuissance du marché implicitement acceptée et leur critique les condamne à ne pouvoir mener que des combats d’arrière-garde. Il serait presque à craindre que les graves crispations identitaires que risquent à terme de produire ces phénomènes de guerre économique fasse le jeu des partis politiques les plus extrémistes bien que développant des idéologies complètement éculées.
La peur que le modèle américain avec ses échecs divers d’un point de vue social s’impose en Europe ne semble pas fondée. L’histoire montre que l’influence hégémonique d’un système de société sur un autre se fait de façon dialectique et qu’il n’y a donc pas à craindre une substitution pure et simple du modèle américain aux modèles européens. Il reste que les perspectives d’évolution des règles de fonctionnement des sociétés européennes restent au fond assez confuses.
Une des clefs de la solution se trouve sans doute dans la prise de conscience collective que les problèmes se trouvent maintenant transféré des Etats au un niveau mondial. Les moyens de cette prise de conscience par les nouveaux moyens de communication existent. Il faudra maintenant réflèchir à la défense de l’idée de puissance publique contre les excès du pouvoir économique international.
Le droit dont on dit qu’il a pour fonction d’organiser une société selon les aspirations du corps social produit aujourd’hui assez curieusement le désordre social. Cela n’est pour une fois pas dû aux limites des capacités intrinsèques du droit positif à organiser le contrat social(108) . Cela est du à des choix politiques visant à mettre en place grâce au droit un ordre économique ultralibéral. Mais peu importe au fond puisqu’il sera bientôt politiquement correct d’aller se recueillir sur le tombeau du salarié inconnu(109) …
Le 04 février 1997
Christophe LEROY Maître de Conférences à l’Université de Paris XII Saint-Maur.
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(1) »Les mariés de la tour Eiffel », Jean Cocteau, Ed. Gallimard.
(2)La notion de marché est assez difficile à définir juridiquement. Ce problème sera étudié en seconde partie. Mais, le marché au sens générique du terme peut-être défini comme le lieu de confrontation de l’offre et de la demande qui prétend manifester la volonté de façon impartiale de l’ensemble des intervenants et refléter en continu les données fondamentales économiques, sociales et politiques qui font qu’un objet ou un service est à un moment donné à tel prix.
(3)En ce qui concerne le problème politique, lire par exemple » Faire face à la mondialisation » André Fontaine, Le monde du mercredi 20 février 1996, p.4.
(4)Lire en ce sens » la Puissance de l’Etat « , Olivier Beaud, P.U.F, 1994.
(5) » Le conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre et la propriété « , Recueil Dalloz Sirey, 1984, 1°cahier, Chronique, p.1., Jean-Louis Mestre.
(6)Article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789: La loi n’a le droit que de défendre les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
(7) »La fin du rêve Prométhéen? Le marché contre l’Etat » Jean-Pierre Henry, R.D.P 1991, p.632.
(8)Par exemple, le 12 août 1789, le député de la noblesse de Paris Duport expliquait que » L’objet d’une constitution est de comprendre tous les droits quelconques. Qu’importe qu’ils soient contraires à une constitution? La déclaration est pour les établir, la constitution est pour les modifier et les circonscrire. Ainsi, par exemple, il est dit dans la déclaration des droits que tout citoyen a le droit de faire le commerce. C’est à la constitution de restreindre ce droit si toutefois il peut être restreint; mais comme il ne doit pas l’être, alors vous m’annoncez ce que tout le monde sait, puisque la loi n’a pas le pouvoir d’empêcher de faire le commerce « . A.P., p.451, col.2.
(9)Lire en ce sens » Grands systèmes fiscaux contemporains « , Jean-Baptiste Geffroy, PUF, 1993, p.17 et s.
(10)Extrait de » c’était de Gaulle », Alain Peyrefitte, fayard, 1994, p.523.
. (11)Voir Y. Crozet, Analyse économique de l’Etat, Paris, Armand Colin, 1991, p.175.
(12)Le volume des échanges du commerce international c’est multiplié par dix depuis 1945. » Evolution et perspectives du commerce mondial « , Focus-Gatt, juin 1994, n°2400 p. 1à 5.
(13)Rapport d’information du sénat n°337 de Jean Arthuis, » sur l’incidence économique et fiscale des délocalisations hors du territoire national des activités industrielles et de service « . Seconde session ordinaire de 1992-93.
(14)Clause du traitement national: Aux termes de l’article 3 de l’accord général, les parties contractantes sont tenues d’appliquer à tous les produits importés du territoire des autres parties contractantes le traitement national en matière d’imposition et de règlements intérieurs. Droit international économique, 3°édition, D. Carreau, T.Flory, P. Juillard, Editions LGDJ, 1990, p. 106 et 110.
(15)Clause de la nation la plus favorisée: (ou traitement de la nation la plus favorisée) – Clause selon laquelle les avantages commerciaux accordés à un pays signataire doivent être étendus aux autres pays signataires – constitue la clef de voûte de l’accord général et du système du Gatt. Ouvrage de Droit international économique précité, note 5.
(16)L’abaissement général et progressif des droits de douane: L’article XXVIII bis de l’accord général reconnaît néanmoins » que les droits de douane constituent souvent de sérieux obstacles au commerce » et invite les parties contractantes à procéder, » sur une base de réciprocité et d’avantages mutuels » à un abaissement général et progressif des droits de douane par la voie de la négociation. Par le jeu de la clause de la nation la plus favorisée, les concessions qui ont été échangées entre deux ou plusieurs parties contractantes lors des conférences tarifaires sont étendues – sous une forme qui peut être variable, avec la possibilité de contrepartie – à l’ensemble des parties contractantes. . Ouvrage de Droit international économique précité note 4.
(17)L’article XI, §1 de l’accord général interdit de façon générale et absolue l’institution par les parties contractantes de restrictions quantitatives (ou contingents). Le champs d’application énoncé par l’article 11, §1 est large puisque celui-ci vise simultanément les restrictions à l’importation et les restrictions à l’exportation. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.
(18)Les exceptions de l’article XX ( » exceptions générales « ) et celles de l’article XXI ( » Exceptions concernant la sécurité » peuvent lever l’application des règles de l’accord général lorsqu’il s’agit pour une partie contractante soit de protéger certaines valeurs se rattachant à la souveraineté nationale ou à l’éthique (énumérées dans l’article XX: ordre public, moralité et santé publique, conservation des trésors nationaux et des ressources naturelles, répartition des produits en cas de situation de pénuries), soit d’assurrer la sécurité internationale et interne ( article XXI): exigences dues à la sécurité et au respect des engagements de la charte des Nations Unies en matière de maintien de la paix en vertu de l’article 103 de la Charte. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.
(19)Dans ses grandes lignes, la clause de sauvegarde de l’article XIX de l’accord général permet à une partie contractante de recourir à des mesures d’urgence de protection contre des importations causant un préjudice grave à ses producteurs nationaux. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.
(20)En cas de circonstances exceptionnelles, les dispositions de l’article XXV, § 5 permettent aux Parties Contractantes (ou au conseil) de relever une partie contractante de d’une des obligations que lui impose l’accord général. S’il n’existe pas de condition de fond (la notion de » Circonstances exceptionnelles » n’ayant jamais été définie par le G.A.T.T.), une double condition de procédure est en revanche exigée. La décision d’autorisation de la dérogation doit être votée par les Parties Contractantes (ou le conseil) à la majorité des deux tiers des votes émis et cette majorité doit comprendre plus de la moitié des parties Contractantes. Ouvrage de Droit international économique précité note 5.
(21)A.F.D.I, 1958, p.641.
(22) » Le Gatt démystifié « , Jean paul Frétillet et Catherine Véglio, Ed. Syros, coll. Alternatives économiques.
(23)Article 9 du Traité de l’Union européenne: La Communauté est fondée sur une Union douanière qui s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises, et qui comporte l’interdiction, entre les Etats membres, des droits de douane à l’importation et à l’exportation et de toutes taxes d’effet équivalent, ainsi que l’adoption d’un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers.
(24)L’article 73 B du traité de l’U.E prévoit que toutes restrictions aux mouvements de capitaux et aux paiements entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites.
(25)Lire » Des justices du marché au marché international de la justice « , Yves Dezalay, Revue Justices, N°1 Justice et économie, Dalloz, 1995.
(26)L’action de l’Etat revêt plusieurs aspects. On pense à l’action de la Direction des relations économiques extérieures (DREE), le centre français du commerce extérieur (CFCE), les chambres de commerce et d’industrie. Mais on pense aussi à l’Etat actionnaire d’entreprises, à l’Etat banquier à l’action de la COFACE pour favoriser les exportations, etc… Lire en ec sens » L’Etat en France: Servir une nation ouverte sur le monde. Mission sur les responsabilités de l’organisation de l’Etat présidée par Jean Picq. Collection des rapports officiels, La documentation française.
(27)La notion de cohésion sociale n’est pas définie juridiquement. Elle est souvent avancée comme argument politique. On notera que » la cohésion économique et sociale » est l’intitulé du titre XIV du Traité de l’union européenne (article 130A à 130E). La notion de cohésion sociale n’est pas non plus définie juridiquement par le Traité de l’Union. L’objet du titre XIV est de réduire les écarts entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisés, y compris les zones rurales.
(28)On entend par droit, bien sûr, un droit soucieux de concilier la liberté et l’égalité, et respectueux des droits de l’homme.
(29)Lire » Les pouvoirs économiques exceptionnels « , Robert Savy, Revue Pouvoirs, n°10, 1979.
(30) »L’encadrement juridique des marchés financiers par la puissance publique », Christophe Leroy,Thèse, juin 1993, Université Paris XII-Saint-Maur.
(31)Voir en ce sens: » Brêve Histoire de l’euphorie Financière » de John Kenneth Galbraith. Editions du seuil.
(32)Voir en ce sens » Les incidences constitutionnelles de la réforme accordant son indépendance à la Banque de France » Christophe Leroy, Les petites affiches, 18 juillet 1994 p.5.
(33)Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie: mythe ou réalité?, Moncef Kdhir, recueil Dalloz sirey 1994, 4°cahier, Chronique.
(34) On remarquera la part croissante de la T.V.A dans les recettes fiscales.
(35)Voir les avantages accordés à Eurodisneyland pour son implantation, à marne la vallée.
(36)Voir par exemple la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994, à propos de la contribution à l’emploi de la langue Française. Il ressort de cette décision que:
– Le Français ne peut être imposé aux particuliers: selon le CC, Les particuliers et les entreprises de radiodiffusion ne peuvent être assujettis au respect d’une terminologie officielle.
– La liberté de communication implique la possibilité donner à chacun d’utiliser les termes qui lui semblent les plus adaptés à l’expression de sa pensée.
– Les aides publiques à des travaux d’enseignement et de recherches ne peuvent être subordonnés à leur publication en français.
– La terminologie est imposée aux personnes morales de droit public comme aux personnes privées investies d’une mission de service public.
(37)Il s’agit là de la philosophie originelle du service public qui a depuis été gagné par la logique de la rentabilité, logique non dépourvue de sens mais impliquant un prix à payer par l’usager en dehors des prélèvements fiscaux.
(38) » Sur le service universel: Renouveau du service public ou nouvelle mystification? « , Par Marc debène et Olivier Raymundie, AJDA du 20 mars 1996, p.183.
(39)Arrêt Corbeau du 13 mai 1993 de la Cour de justice des communautés européennes.
(40)Rapport public du conseil d’Etat pour 1994, n°46 Service public, services publics: Déclin et renouveau, p.13 à 135.
(41) » Le service public « , Mission présidée par Renaud Denoix de Saint-Marc. Rapport au Premier ministre, collection des rapports officiels, Ed. La Documentation française, 1996.
(42)Revue de la Concurrence et de la consommation, Ateliers de la Concurrence, » L’approche juridique « , Article de Marie-Anne Frison-Roche, Revue n°87, septembre-octobre 1995.
(43)Arrêt Almélo du 27 avril 1994 de la Cour de justice des communautés européennes.
(44)Il faut ajouter à cela l’évolution technologique dans certains domaines comme les postes qui est un service universel de base: La distribution du courrier devrait à terme disparaître au profit des fax, téléx et communication par Internet.
(45)Par délégation de service public, on entend essentiellement, la concession, l’affermage, la régie intéressée et la gérance. Voir » La délégation de service public » de Jean-François Auby, PUF, Collection que sais-je? 1995.
(46)L’article 53 de l’ordonnance de 1986 prévoit que toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques sont soumises aux règles de la concurrence, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.
(47)T.C. 6 juin 1989, S.A.E.D.E, RFDA 1989, p.457, concl. stirn.
(48) » Point de vue: Délégation de service public et droit de la concurrence « . Martine Long, Les petites affiches du 4 septembre 1995, n°106, p.6.
(49) » La durée des conventions de service public « , Jean François Auby, les petites affiches du 13 mars 1996.
(50)Cour de cassation, arrêt du 12 décembre 1995, Ministre de l’équipement, des transports et de l’espace, direction de la météorologie nationale c/ société du journal téléphoné, AJDA du 20 février 1996, p.131, Note Bazex.
(51)Cour de cassation, arrêt du 12 décembre 1995, Ministre de l’équipement, etc… Note Dominique Berlin et Hugues Calvet, La semaine juridique, II, 810.
(52) »Les activités d’un organisme de caractère public, même autonome, si tant est que ses interventions ont lieu dans l’intérêt public et sont dépourvues de caractère commercial, ne relèvent pas des articles 85 et 86 du traité UE »
(53)Tribunal des conflits, 1989, Ville de Pamiers, ou CJCE 19 juin 1975 IGAV/ENCC, rec. p.699.
(54)Article du Professeur Jean-jacques Israël dans les mélanges Auby sur la jurisprudence Ville de pamiers.
(55)Article de Marie-Anne Frison-Roche, note 42.
(56)Auquel croient encore beaucoup d’occidentaux pour se rassurer…
(57)Les chiffres sont à cet égard très menaçant: » L’ardoise » de la sécurité sociale de 1992 à 1995 est de 230 milliards de francs. Pour 1996, le déficit du régime général de la sécurité sociale -hors charge d’intérêt et accident du travail – est attendu en tendance à 53, 3 milliards de francs Source: Journal Challenges de décembre 1995, p.8.
(58)XXIII° rapport sur la politique de concurrence 1993 (Commission européenne Lire p. 65 les difficultés d’application de la politique de concurrence dans les pays non-européens).
(59): »La souveraineté de l’Etat, le pouvoir constituant et le Traité de Maastricht: Remarques sur la méconnaissance de la limitation de la révision constitutionnelle. « La constitution doit être interprétée comme protégeant non pas seulement les individus, mais aussi la souveraineté de l’Etat ». Olivier Beaud, Revue française de droit administratif, Nov. Déc. 1993, p.1049.
(60)Cour de cassation, 24 mai 1975, Société des cafés Jacques Vabre, D.1975.497,Concl.Touffait, A.J.D.A 1975.567, note Boulouis.
(61)CE 20 octobre 1989 Nicolo, Grands arrêts de la jurisprudence administrative, 10° édition, ed. Sirey, p.743.
(62)CE 3 février 1989, Compagnie Alitalia, R..F.D.A, 1989,.391 notes Beaud et Dubouis. Grands arrêts de la jurisprudence administrative, ed. Sirey, p.731.
(63)CE 24 septembre 1990, Boisdet, RFDA 1991.172. Note Dubouis.
(64)CE 28 février 1992 Stés Rothmans et Philip Morris
(65)Adage Gaullien: » On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance… » L’événement du jeudi du 2 ou 8 novembre 1995, Michel Winock, p.20.
(66)L’article 3B sur l’union européenne précise: « dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la communauté n’intervient, conformément au principe de subsidiarité, que dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison de dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau communautaire ».
(67)La nature juridique de l’Union Européenne: En attendant Godot. Pierre Yves Monjal, Les petites affiches du 12 mai 1995 p.16.
(68)Pouvoirs n°60, J. Charpentier.
(69) » L’Etat, le marché et les principes du droit interne et communautaire de la Concurrence « . Marie-Anne Frison-Roche, Les petites affiches du 17 mai 1995, p.4.
(70) » A propos de la liberté de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés » Recueil Dalloz sirey, 1994, 22° cahier, Chronique, p. 163.
(71)Voir en ce sens l’article 90 du Traité de L’Union européenne: Les Etats membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n’édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles du présent traité, notamment à celles prévues aux articles 7 et 85 à 94 inclus. 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté.
(72) » L’article 90-3 du traité CEE ou le grand chambardement « , M. Bazex, Gazette du Palais, 1991.1.doctr.271.
(73)L’article 53 de l’ordonnance de 1986 prévoit que toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques sont soumises aux règles de la concurrence, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public.
(74) » L’identité Européenne « , Patrice Rolland, Extrait du recueil identité politique, p.433 CURAPP, CRISPA, PUF, 1994.
(75)Le respect du principe d’égalité est pourtant un souci des marchés réglementés.
(76)On peut citer par exemple le cas de la grande distribution que le législateur cherche à brider en réformant l’ordonnance de 1986 pour limiter certains effets destructeurs qu’une concurrence trop forte peut produire sur le tissu économique.
(77)Le pari est en ce domaine que l’Europe fera mieux que les américains.
(78)Le droit douanier dans l’europe de 1993: Réglementation des échanges et libre circulation des marchandises, Colloque du 9 décembre 1991, maison de la chimie. Les petites affiches du 30 mars 1992, p.5.
(79)Règlement 3283/94 relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part des pays non-membres de la Communauté européenne.
(80)C.J.C.E, 7 mai 1991, Nakajima c/Conseil, c-69/89, rec. p.1-2069. Dans cette affaire, la Cour de justice des Communautés européennes a reconnu que la validité de la réglementation communautaire devait être appréciée notamment au regard des dispsoitions du GATT.
(81) » La réglementation antidumping communautaire: Un nouveau départ? » Dominique Voillemot, Arnaud Michel, Hubert de Broca, Les petites affiches du 17 avril 1995, n°46, p.7.
(82) »Le marché unique européen », Emmanuel Gaillard, Dominique Carreau, William Lee, Editions Pédone, 1989.
(83)J. L.., Dewost, Conférence à l’association européenne pour le Droit Bancaire et financier, 26 mai 1989.
(84) » Le Piège « , Jimmy Goldsmith, Ed. Fixot, 1993, p.58.
(85) » La stabilité des changes, condition sine qua non du marché unique « , Financial Times, 17 septembre 1993.
(86) » La Communauté européenne et le GATT, Evaluation des accords du cycle d’Uruguay « , Sous la direction du Professeur Thiebaut Flory, Editions apogée, mars 1995.
(87) » Le débat sur l’introduction d’une clause sociale dans le système commercial international: Quels enjeux? » Revue problèmes économqiues, 1994, n°2400 p. 5à 12.
(88) » Esclavage et économie mondiale font bon ménage « . L’ONU estime à deux cents millions le nombre d’esclaves aujourd’hui dans le monde. Article de Michel Nicolas, La Tribune Desfossés,
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(105)Telle que la concurrence est pratiquée actuellement.
(106)On notera quand même que service public et intérêt général sont deux notions voisines, mais qui ne se confondent pas complètement. Certains milieux coopératifs, associatifs, mutualistes estiment par exemple pouvoir prendre en charge des missions de service public en tant que personnes de droit de privé.
(107)Les graves mouvements de grèves de novembre et décembre 1995 qu’a connu la France qui sent son service public remis en cause sont bien la preuve qu’à terme la survie de l’Union européenne va passer par une révision du Traité qui lie les Etats-Membres.
(108) » Le droit positif comme désordre (paradoxe sur la valeur instrumentale de la technique juridique), par Louis Constans, Université de Perpignan. Etudes offertes à Jean-Marie Auby.
(109) » Comptines à vivre et à mourir « , Poésie, Paul Schwartz, Editions de l’âge d’homme; 1995.